Je vous l’accorde !
Après la reconnaissance du préjudice écologique, il faudra sans doute aborder l’autre question du droit de l’animal et de son statut dans le code civil. Peut-on encore se contenter de l’assimilation des animaux à des biens meubles ? C’est une question particulièrement sensible, comme l’ont montré les débats au Conseil économique, social et environnemental.
Une troisième question apparaît en filigrane dans la proposition de loi. Celle-ci traduit clairement une vision patrimoniale de notre environnement, ou du moins elle reconnaît l’existence d’un capital environnemental. On sort donc de la vision du XXe siècle, incarnée notamment par le concept de « produit intérieur brut », dans lequel tout n’est que flux et somme de valeurs ajoutées. Cette évolution s’inscrit dans la lignée des travaux de Joseph Stiglitz et Amartya Sen sur la nécessité de revoir, de corriger, de compléter le concept de PIB. J’admets que cette belle réflexion n’a pas sa place ici, mais elle me tient à cœur.
Ne nous voilons pas la face, l’application de cette proposition de loi soulève des difficultés, qui me semblent plus méthodologiques que juridiques. Ces difficultés concernent en particulier l’évaluation de la réparation et sa mise en œuvre. Nous connaissons la réparation en nature, mais elle n’est pas toujours possible. Il est donc logique de prévoir également une réparation pécuniaire.
Toutefois, ce type de réparation est très difficile à mettre en œuvre. Le professeur Chevassus-au-Louis a mené des travaux pour tenter d’estimer la valeur des différents écosystèmes. Il a donné une valeur aux prairies et aux forêts, mais il a surtout montré les obstacles. Par exemple, si on constate la disparition d’une espèce exceptionnelle, comment estimer sa valeur ? Sur un plan philosophique, peut-on accepter de « monétariser » une espèce ?
Plus généralement, quelle méthodologie devons-nous employer ? Faut-il se contenter d’évaluer les seuls services économiques de la biodiversité ordinaire ? Des estimations ont été réalisées : 153 milliards d'euros pour les pollinisateurs et 380 milliards de dollars pour les bousiers aux États-Unis. Il existe même une estimation de la valeur monétaire des sangsues, mais je pense que cela ne provoquera chez vous aucun tremblement, madame la garde des sceaux…