Intervention de Frédéric Cuvillier

Réunion du 16 mai 2013 à 15h00
Instauration effective d'un pass navigo unique — Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi

Frédéric Cuvillier, ministre délégué :

Cependant, on ne peut pas ne pas s’interroger sur les conséquences de cette mesure. Il convient également de se demander si elle correspond bien à l’urgence pour les transports en Île-de-France, dans un contexte où, comme vous le savez, l’argent public est rare et où nous devons tous faire preuve de responsabilité.

Quelles seraient donc les conséquences économiques de cette mesure ?

L’article 1er de la proposition de loi, qui est la principale mesure, vise à porter à 2, 6 % l’ensemble des taux de versement transport applicables aux entreprises situées en Île-de-France. Ainsi, les entreprises situées dans le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis, ainsi que celles situées dans les communes de l’Essonne, du Val-d’Oise, de la Seine-et-Marne et des Yvelines qui appartiennent à l’aire urbaine de Paris, verraient leur taux augmenter, passant de 1, 8 % à 2, 6 %. Les autres entreprises franciliennes verraient leur taux passer de 1, 5 % à 2, 6 %. Selon les zones, les taux augmenteraient donc de près de 50 %, voire de 100 % !

Cette mesure reviendrait à prélever chaque année environ 800 millions d’euros supplémentaires sur les entreprises – 630 millions d’euros, si l’on tient compte des effets sur l’obligation de remboursement des forfaits à la charge des entreprises. En outre, elle interviendrait après deux hausses consécutives du versement transport en Île-de-France en moins d’une année. Elle renchérirait pour les entreprises le coût du facteur travail, l’assiette du versement transport étant la masse salariale.

Comme vous le savez, le Gouvernement s’est engagé dans une démarche visant à améliorer la compétitivité des entreprises ; car la compétitivité, c’est l’emploi ! En particulier, dans le cadre du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, un dispositif d’allégement des coûts des entreprises a été adopté par le Parlement : le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.

Or la mesure défendue par les auteurs de la proposition de loi aurait pour effet d’annuler, pour un tiers en 2013 et pour un quart en 2014, la baisse de coût résultant du CICE pour les entreprises actuellement soumises au taux de versement transport de 1, 5 %. Elle freinerait donc le développement économique des territoires franciliens les moins dynamiques, ceux qui sont situés en dehors de Paris et des Hauts-de-Seine, alors que les besoins en emplois y sont les plus criants.

De plus, dans la mesure où le système général veut que seules les entreprises de plus de neuf salariés soient soumises au versement transport, la mesure proposée aurait pour conséquence de créer une marche fiscale très haute entre les entreprises de huit salariés et les entreprises de dix salariés et plus. Le risque existe donc de dissuader les créations d’emplois dans les petites entreprises ; il faut en prendre toute la mesure, sans compter que ces entreprises seraient également touchées par l’annulation partielle du bénéfice du CICE.

Cette troisième augmentation du versement transport n’est pas aujourd’hui compatible avec la trajectoire des finances publiques approuvée par le Parlement lors de l’adoption de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017. En effet, cette trajectoire prévoit une baisse des recettes de l’ordre de 3 milliards d’euros en 2014, une somme qui correspond à l’effet net du CICE sur les prélèvements obligatoires.

Enfin, la mesure proposée est-elle compatible avec la logique de paiement pour service rendu sur laquelle se fonde la participation des entreprises au financement des dépenses de transport ?

Dans la mesure où les communes de périphérie se verraient appliquer le même taux que les communes de cœur d’agglomération, qui bénéficient de services de transport de meilleure qualité et de réseaux plus denses, la mise en œuvre du tarif unique pèserait sur les entreprises qui ne sont pas desservies par les transports collectifs, ou le plus mal. Comment expliquer cette mesure aux élus locaux, qui sont très attentifs à ces questions, aux entrepreneurs évidemment et même à tout un chacun ? Elle serait particulièrement difficile à justifier auprès des entreprises qui ne sont pas desservies par un mode de transport performant.

Il faut aussi examiner quelles seraient les conséquences de la mesure proposée sur l’aménagement du territoire.

La tarification unique égalisera le coût du transport sans prendre en compte l’éloignement. Au contraire, le Gouvernement et la région d’Île-de-France souhaitent développer les zones d’emploi et d’habitat autour des gares du réseau du Grand Paris Express. En effet, nous souhaitons mettre en cohérence la politique de transport, le développement économique, la construction de nouveaux logements et la préservation des milieux naturels.

Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe CRC, je comprends l’argument social que vous avancez ; je sais que l’objectif social est à vos yeux le principal et nous pouvons bien évidemment le partager. Même si ce n’est pas toujours le cas, le fait d’habiter loin de Paris résulte souvent de contraintes économiques, et non d’un choix ; c’est en quelque sorte une situation subie, encore que cette formulation ne soit pas très respectueuse des collectivités les plus éloignées de Paris.

L’examen de cette proposition de loi permet d’ouvrir le débat sur les modalités de la tarification. Certaines collectivités ont lié tarification et revenu, dans un souci de justice sociale. D’ailleurs, le STIF a déjà fait beaucoup en ce sens en accordant, par exemple, la gratuité aux allocataires du RSA ou aux chômeurs bénéficiaires à la fois de l’allocation de solidarité spécifique, l’ASS, et de la couverture maladie universelle complémentaire.

Enfin, je tiens à le rappeler, le pass navigo zones 1-2 à 65 euros – soit 2 euros par jour – offre un accès illimité au métro, au RER et au bus sur une distance de quinze kilomètres. En étendant ce tarif à l’ensemble de l’Île-de-France, on offrirait la même possibilité sur une distance de l’ordre de cent trente kilomètres : il y a là une marche considérable.

Enfin, je tiens à évoquer une dernière question, de mon point de vue essentielle : l’urgence, pour les transports en Île-de-France, est-elle de mettre en place une tarification unique ou d’investir pour répondre aux enjeux en matière de qualité du service et de croissance ?

J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici, ma priorité est l’amélioration des conditions de transport au quotidien, plus particulièrement en Île-de-France. En lien avec la région, le Premier ministre a ainsi décidé, le 6 mars dernier, la mise en œuvre du Nouveau Grand Paris. Il s’agit de sortir de la vieille distinction, qui a beaucoup nui dans la période précédente, entre la réalisation d’un nouveau métro, le Grand Paris Express, et l’amélioration du réseau existant, portée notamment par le plan de mobilisation de la région.

Il s’agit d’abord de mettre en œuvre le projet du Grand Paris Express. Ce projet a été optimisé, son plan de financement bouclé et son calendrier de réalisation établi. Les futures lignes 14 à 18 de ce réseau seront donc progressivement mises en service, de 2017, pour le prolongement de la ligne 14 jusqu’à Saint-Ouen, à 2030.

Il s’agit ensuite de répondre à court et moyen terme à l’impératif de modernisation et de désaturation du réseau existant. À la suite de l’annonce faite par M. le Premier ministre, l’État et la région ont décidé, grâce notamment à une participation financière de la Société du Grand Paris, d’engager d’ores et déjà 7 milliards d’euros d’ici à 2017. La mise en œuvre des schémas directeurs des RER A, B, C et D sera ainsi poursuivie. De même, des opérations d’extension du réseau actuel, comme le prolongement d’Éole vers le Mantois, seront lancées.

L’urgence consiste en effet à accélérer la réalisation des schémas directeurs des RER C et D, à lancer les schémas directeurs des RER A et B au sud, à mieux relier, grâce au prolongement d’Éole, les zones d’habitat de l’est parisien aux zones d’emplois de l’ouest, tout en désaturant la ligne A du RER.

Il nous faut donc à la fois préparer l’avenir grâce à de grands projets et répondre aux besoins à court terme des usagers, qui font face à une situation dégradée, liée à plusieurs années de sous-investissement. C’est une attente de nos concitoyens dont nous avons bien conscience. Nous ne pouvons bien évidemment pas nous satisfaire de la situation actuelle du réseau de transports, qui pèse sur la qualité de vie des usagers, et notamment des salariés.

Tel est le sens de la mobilisation du Gouvernement au côté de la région. De mon point de vue, l’essentiel, l’urgence est donc non pas de subventionner le fonctionnement, même si cela pourrait se justifier à certains égards, mais de mettre en œuvre concrètement des investissements de nature à apporter une solution aux difficultés quotidiennes des Franciliens, à améliorer la qualité de vie et à accroître la compétitivité et l’attractivité de la région. Ils seront en outre sources d’emplois.

Depuis les dernières élections, l’État et la région peuvent travailler ensemble en confiance, dans l’intérêt des usagers.

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