Séance en hémicycle du 16 mai 2013 à 15h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à onze heures trente, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la politique de lutte contre le terrorisme dans notre pays.

L’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

Je vous rappelle que ce débat est retransmis en direct par Public Sénat, ainsi que par la chaîne France 3, et qu’il importe que chacun des orateurs respecte son temps de parole.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le ministre, je pense que vous avez lu avec intérêt le rapport que vient de publier la délégation parlementaire au renseignement, que j’ai l’honneur de présider.

Dans ce rapport, nous avons fait un certain nombre de remarques et de préconisations concernant au premier chef la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI.

Il est apparu, notamment lors des auditions auxquelles nous avons procédé s’agissant de l’affaire Merah, que des dysfonctionnements très importants avaient été constatés entre l’échelon régional, local, et les instances nationales de la DCRI.

Quelles dispositions comptez-vous prendre, monsieur le ministre, pour mettre fin à ces dysfonctionnements et assurer la cohérence, donc l’efficacité de la DCRI ?

Si l’on compare les moyens de la DCRI à ceux de la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, par exemple, on constate une grande différence.

Monsieur le ministre, comptez-vous accroître les moyens de la DCRI ?

Par ailleurs, au-delà des moyens, il est une autre question importante : celle de l’autonomie de la DCRI.

En effet, pour être efficace, la Direction doit se doter de personnels très spécialisés. Qu’il s’agisse de linguistique ou de la maîtrise d’un certain nombre de techniques et technologies, la DCRI doit pouvoir recruter les personnels compétents, ce qui n’est pas forcément compatible avec le fonctionnement et les procédures actuels.

Quelles dispositions comptez-vous prendre à cet égard, monsieur le ministre ?

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Monsieur le sénateur, je connais votre implication sur ces questions, ainsi que celle de tous les membres de la Haute Assemblée, comme je sais la conviction qui est la vôtre. Il est essentiel que nous nous retrouvions, à la fois pour tirer les enseignements de ce qui s’est malheureusement passé voilà un an et pour mettre en œuvre les décisions que nous avons annoncées, dont un certain nombre de réformes structurelles concernant la DCRI qui visent – je vous réponds très directement – à rendre plus cohérente et plus efficace l’articulation entre les échelons central et régional.

L’organigramme de la DCRI a intégré une structure chargée de la coordination opérationnelle entre ces deux niveaux.

Je précise en outre que des bureaux de liaison ont été créés afin de faciliter les échanges entre le Renseignement intérieur et l’Information générale qui, elle-même, doit faire l’objet de réformes au niveau tant central que régional.

Enfin, un service d’inspection interne à la DCRI a été créé.

Par ailleurs, cela a été souligné dans le cadre du Livre blanc, il faut des moyens supplémentaires, financiers, humains et techniques pour la Direction centrale du renseignement intérieur, dont je veux saluer l’engagement et le travail face à la menace terroriste : ses moyens, sa spécialisation sur un certain nombre de sujets, sont évidemment tout à fait indispensables.

Enfin, même si rien, à ce stade, n’est définitivement arbitré, la question de l’autonomie de gestion ne me semble pas être un enjeu principal. Il s’agit aujourd’hui de renforcer d’abord les moyens en effectifs et en investissement du renseignement intérieur.

Autonomiser la DCRI au sein d’un programme ad hoc risquerait de faire peser sur cette direction centrale une contrainte budgétaire plus forte. C’est la raison pour laquelle je suis sceptique sur le fait de mettre cette direction à part.

Le débat est ouvert. Je ne m’engage pas définitivement sur ce sujet, car, à mes yeux, le plus important est l’efficacité de la DCRI.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Lors de notre visite récente à la DCRI, nous avons reçu un bon accueil. Nous savons l’implication de l’ensemble des personnels, que je veux à mon tour saluer.

Monsieur le ministre, je vous remercie de vos propos concernant l’accroissement des moyens que vous projetez pour la DCRI. C’est une nécessité !

Je voudrais ajouter une précision au sujet de l’autonomie de la Direction. Il ne s’agit pas du tout dans notre esprit de créer une sorte d’État dans l’État ; ce n’est pas votre souhait, ce n’est pas le nôtre. Il s’agit simplement de souplesse de procédure, compte tenu des dispositifs très précis, très formatés, qui existent dans la police nationale en matière de recrutement et de promotion. Nous respectons ces règles, mais nous savons que, pour être pleinement efficace, il faut pouvoir recruter des personnels disposant des compétences nécessaires, et ce dans des délais raisonnables.

C’est en ce sens que nous avons parlé d’autonomie, mais je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse et de votre implication.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la lutte contre le terrorisme, les services de renseignement jouent évidemment un rôle majeur. C’est vrai sur le territoire national comme à l’étranger.

La connaissance du terrain, le renseignement sont déterminants pour notre sécurité. Dès lors, se pose inévitablement la question des moyens mis en œuvre dans la lutte contre le terrorisme.

Cette lutte nécessite d’abord que les services puissent agir dans un cadre juridique clair. Ils doivent pouvoir disposer des moyens judiciaires d’enquête et avoir recours à des moyens d’investigations adaptés. C’est le cas, par exemple, des données financières et bancaires, que les professionnels du renseignement devraient pouvoir obtenir concernant certains profils, afin de développer une action préventive.

Il y a lieu, me semble-t-il, de progresser sur ce point.

Peut-être faut-il s’interroger aussi, monsieur le ministre, sur la situation juridique des terroristes assignés à résidence dans notre pays et sur les moyens de contrainte dont nous disposons... Même si le cadre européen rend toute évolution complexe, la fuite récente du terroriste islamiste Saïd Arif, après d’autres, doit nous conduire à réexaminer ce sujet.

La lutte contre le terrorisme nécessite également, M. Sueur vient de l’évoquer, une bonne coordination entre les différents services de renseignement. La réforme de 2008, avec la création de la DCRI, est positive. Il faut poursuivre dans ce sens.

Le constat du manque de moyens, notamment humains, des services français doit être posé, car les effectifs et les moyens consacrés au renseignement restent, en dépit des efforts consentis, bien inférieurs à ceux que consacrent nos voisins européens. Ce constat, il est vrai, ne date pas d’aujourd’hui.

Sur le plan des moyens techniques, les programmes de renseignement électromagnétique, pourtant essentiels pour le recueil des données, ont pris du retard ou ont été reportés.

Compte tenu des évolutions technologiques et des mutations des menaces terroristes, les services du renseignement doivent pouvoir diversifier leur recrutement, renforcer leur expertise, en faisant appel à des profils spécifiques : linguistes, notamment arabophones, psychologues, analystes d’images...

Monsieur le ministre, pouvez-vous, sur ces différents points, nous dire quelles sont vos orientations pour renforcer et améliorer les outils de détection, de surveillance et d’enquête des services de renseignement ?

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Monsieur le sénateur, j’ai en partie répondu à votre question en répondant à M. Sueur.

L’évolution du terrorisme et de la menace en France tout comme les événements de Boston, qu’il faut analyser en les comparant avec ce qui s’est produit sur le territoire national, nous incitent à considérer que, en définitive, le principal frein à l’efficacité du renseignement dans la lutte contre le terrorisme réside dans les cloisonnements, d’une part, entre les niveaux central et local, et, d’autre part, entre services eux-mêmes.

C’est la raison pour laquelle il nous faut gagner évidemment en souplesse, notamment dans nos capacités de recrutement. En l’espèce, monsieur le sénateur, je souscris tout à fait à vos propos, comme à ceux de M. Sueur.

Quant à M. Saïd Arif, individu que j’ai effectivement qualifié de particulièrement dangereux, je rappelle qu’il était assigné à résidence mais n’a pas respecté cette obligation. Je crois en effet que, tout en respectant nos règles européennes et nationales, en un mot, la loi, il faut revoir ces dispositifs.

Un certain nombre de personnes sont aujourd’hui assignées à résidence. C’est pourquoi j’ai demandé aux services compétents d’examiner la question avec attention et de me transmettre leurs propositions, s’agissant notamment de l’expulsion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.

Sur la question des moyens, je rappellerai juste un principe que chacun connaît : si le renseignement coûte cher, l’absence de renseignement coûte encore plus cher ! En ces temps de disette, chacun le sait, la question n’est pas simple, mais il faut accorder de véritables moyens à notre renseignement.

S’agissant des questions d’ordre juridique, monsieur le ministre, vous avez répondu sur le point particulier de l’assignation à résidence, et je vous en remercie.

Mon souci était d’insister sur l’importance de trouver un équilibre en la matière : certes, donner des moyens et clarifier parfois les règles, mais surtout ne pas alourdir les dispositifs existants, car, en cherchant à réformer les services, le risque est soit d’aboutir à une sorte de « réformite » dont il faut au contraire se garder soit à des systèmes notamment de contrôle tellement lourds qu’ils en deviendraient inutilisables ou inefficaces.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le ministre, nous savons tous que le terrorisme est l’anéantissement des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la démocratie. Face à cette menace, les pouvoirs publics et la société tout entière doivent faire bloc.

La lutte contre les menaces et les actes terroristes ne doit souffrir aucune indulgence. Cependant, et aussi pour lui donner plus de force, elle doit respecter les droits et les libertés fondamentales dont l’État est le garant.

Ces droits durement acquis, tels que la liberté d’aller et venir ou encore le respect de la vie privée, ne peuvent, même dans les moments difficiles, être sacrifiés sur l’autel de cette lutte sous peine que soit portée atteinte aux fondements même de notre démocratie, car nous considérons que ces droits, accompagnés aussi, bien sûr, de devoirs, sont le fondement d’une sécurité humaine durable et non un obstacle à celle-ci.

À l’automne dernier, lors du débat sur votre projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, monsieur le ministre, j’avais rappelé que, dans une loi du 23 janvier 2006, la droite alors au pouvoir avait fait adopter, à titre expérimental, une procédure de contrôle d’identité à bord des trains transnationaux.

L’ensemble de la gauche sénatoriale alors dans l’opposition – nous en étions –, avait souligné que « cette disposition ne saurait constituer une mesure destinée à lutter contre le terrorisme mais ouvertement une mesure destinée à favoriser les contrôles migratoires ».

Vous avez pourtant décidé de proroger cette disposition lors de l’examen du projet de loi adopté en octobre 2012, en contradiction avec la position de la gauche et alors que le gouvernement précédent n’a pas respecté l’obligation de déposer chaque année un rapport d’évaluation de ces dispositions, comme le prévoit l’article 32 de la loi de 2006.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des éléments sur la réelle efficacité de cette disposition contre laquelle, je le redis une nouvelle fois, la gauche sénatoriale a voté à plusieurs reprises ?

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Madame la sénatrice, même si l’exercice n’est pas facile et qu’aucune obligation ne nous l’impose, nous devons tenter chaque fois de converger et de revenir à l’unité dans ce combat contre le terrorisme.

Pour répondre très concrètement à votre question, je dirai que l’utilisation avérée de certaines lignes ferroviaires par des réseaux d’immigration irrégulière, de criminalité organisée ou de terrorisme confère un intérêt évident à ces contrôles. Les réseaux ferrés dont il s’agit constituent, me semble-t-il, parce qu’ils sont des symboles forts de l’intégration européenne, des cibles privilégiées qui font l’objet de fréquentes alertes.

C’est l’un de ces contrôles, par exemple, qui avait permis l’arrestation en 2011, à Modane, par la police aux frontières, du numéro trois de l’organisation terroriste basque ETA.

La loi est d’une plus grande précision pour se conformer aux exigences de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne sur la finalité de ces contrôles d’identité et sur le caractère non permanent et non systématique de ces contrôles.

Cette mesure de prévention du terrorisme a un caractère temporaire, vous l’avez signalé, et ce depuis son origine. Le Gouvernement est donc tenu d’en solliciter périodiquement la prorogation devant la représentation parlementaire. C’est ce qu’il a fait à l’automne dernier en présentant un projet de loi assorti d’une étude d’impact très détaillée. Il le fera de nouveau en présentant le rapport d’application de la loi six mois après sa promulgation, c’est-à-dire très prochainement, et au terme des trois années.

Le Parlement est donc souvent et complètement éclairé sur les conditions et le bilan de l’application de cette mesure.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Nous considérons donc que cette disposition fait l’amalgame entre terrorisme et immigration, ce qui est bien sûr inadmissible.

De deux choses l’une : soit cette disposition expérimentale fonctionne, et elle doit alors être définitivement pérennisée ; soit elle n’atteint pas le but visé : elle est alors inutile et doit être abandonnée, afin que nous puissions nous concentrer sur les véritables solutions.

Telle est la préoccupation que je tenais à rappeler. J’ai bien entendu que nous serions appelés à débattre une nouvelle fois de ces questions. Nous serons dès lors évidemment disponibles pour revenir sur un certain nombre de sujets qui nous opposent en la matière, monsieur le ministre. Cependant, j’espère que nous pourrons aboutir à un consensus sur les aspects qui nous rassemblent !

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le ministre, en octobre dernier, nous débattions dans cet hémicycle du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Aux yeux du groupe écologiste, ce texte, promulgué en décembre 2012, n’était pas sans soulever de nombreuses questions, notamment au regard du respect des libertés individuelles.

Si une législation antiterroriste efficace est nécessaire, elle ne peut à mon sens atteindre son objectif que si elle est accompagnée d’une politique volontariste de prévention pour endiguer l’émergence de ce fléau en France.

Cette prévention peut être multiforme et doit commencer dès l’école.

Par ailleurs, il convient d’imposer aux imams l’obligation de suivre un enseignement moderne dans un établissement spécialement dédié, comme ce fut le cas au XIXe siècle pour les rabbins avec l’École rabbinique de Metz, rapatriée ensuite à Paris et aujourd’hui établie rue Vauquelin.

On peut également envisager la nomination d’aumôniers des prisons ayant, eux aussi, suivi un enseignement ad hoc, pour éviter la propagation de l’islam radical dans ces lieux d’enfermement.

Ainsi, ma question est la suivante : parallèlement à l’élargissement de l’arsenal législatif et à la création de zones de sécurité prioritaires, quelles sont les mesures que vous envisagez pour prévenir efficacement toutes les formes de radicalisation qui touchent au premier chef des jeunes musulmans défavorisés dans nos fameux ghettos ?

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Madame la sénatrice, je souligne en premier lieu que la question du terrorisme dépasse largement la problématique de l’islam radical.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

De fait, nous devons faire face à d’autres formes de terrorisme, venant de l’ultra-gauche ou de l’ultra-droite, ou encore de régions spécifiques comme le Pays basque, que j’ai déjà évoqué.

Toutefois, dans ce cadre, l’islamisme radical constitue incontestablement un défi. Vous l’avez souligné avec raison.

La « contre-radicalisation », si elle ne figure pas dans notre vocabulaire, constitue un véritable sujet. Cette question est d’ailleurs traitée à l’échelle européenne. À cet égard, je salue la qualité des travaux engagés par le Coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove.

J’ai moi-même pris part à un séminaire consacré à ces enjeux. En effet, avec nos différents partenaires européens, nous nous efforçons de confronter nos analyses et de trouver, ensemble, des solutions.

L’école est évidemment un lieu au sein duquel nous pouvons agir.

Par ailleurs, la prévention de la radicalisation passe par un contrôle resserré des lieux de culte radicaux, qui va de pair avec la problématique de la formation des imams. Je constate à ce titre que vous saluez, de manière tout à fait exceptionnelle, l’action menée par l’empereur Napoléon Ier ! Je ne connaissais pas cette référence mais, en tout état de cause, des initiatives ont été engagées au XIXe siècle. Nous pourrions nous en inspirer pour ce qui nous concerne, en ce début de XXIe siècle.

En outre, le milieu carcéral constitue un foyer de radicalisation qu’il faut prendre en compte.

Enfin, il faut mener un travail de prévention à l’échelle des territoires défavorisés, et notamment au sein des quartiers populaires. Ce matin même, j’ai rencontré les représentants d’une association qui travaille beaucoup sur ces questions et que préside M. Denoix de Saint Marc. En effet, je suis persuadé que la société civile doit, elle aussi, s’impliquer sur ce dossier, notamment à travers les associations.

La répression est indispensable, le travail de renseignement l’est tout autant. La répression est indispensable, le travail de renseignement l’est tout autant. Toutefois, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’affirmer en présentant la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, nous devons également lutter contre tous ceux qui travaillent à changer les mentalités et qui constituent le ferment d’une véritable menace pour notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Dans ce cas, mettons en œuvre sans tarder ces mesures de prévention !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Monsieur le ministre, la politique de lutte contre le terrorisme est un sujet essentiel que le RDSE a souhaité voir inscrit à l’ordre du jour du Sénat pour cette séance de questions cribles. Il l’est d’autant plus pour l’élu toulousain que je suis : un an après les sept assassinats de Toulouse et de Montauban, nous sommes encore sous le choc.

L’affaire Merah, comme d’autres survenues depuis – je pense aux arrestations de Marignane de ces dernières semaines –, a mis en lumière, s’il en était besoin, que le renseignement est un instrument essentiel de lutte contre le terrorisme, en coopération avec l’outil judiciaire, bien sûr.

La DCRI a été sévèrement critiquée à la suite de l’affaire Merah. Je ne reviendrai pas sur ce sujet sensible. Toutefois, les membres de mon groupe souhaitent savoir si les moyens dévolus au renseignement seront renforcés et adaptés pour répondre au développement du terrorisme. Il s’agit notamment de ceux que l’on appelle souvent les « loups solitaires » et dont les actes, quoiqu’isolés, emportent des conséquences dramatiques sur les populations civiles. Je précise que, sur ce sujet, je ne stigmatise personne : je songe à tous les extrêmes, de droite comme de gauche, ainsi qu’aux extrémistes religieux.

Ce terrorisme « fait maison » suppose une mobilisation de moyens humains et technologiques substantiels pour assurer la surveillance de jeunes gens « autoradicalisés », qui se forment bien souvent via internet.

Si l’architecture générale du renseignement a été repensée en 2008, les services concernés n’ont pas été épargnés par la RGPP, alors même que la stratégie de sécurité nationale recommandait un renforcement de leurs effectifs et de leurs capacités techniques.

C’est pourquoi je souhaite connaître vos intentions pour améliorer l’efficacité du renseignement. Il s’agit d’un volet parmi d’autres de la politique de lutte contre le terrorisme, mais un volet essentiel au maintien de l’ordre républicain, auquel nous sommes tous ici très attachés.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Monsieur Plancade, en matière de lutte contre le terrorisme, la principale action mise en œuvre au cours des derniers mois a été adoptée par le Parlement : il s’agit de la loi antiterroriste, qui s’est appuyée sur les travaux engagés par le précédent gouvernement, puis a été enrichie par le gouvernement actuel et, évidemment, par la représentation nationale.

Ce texte nous permet aujourd’hui de poursuivre et de sanctionner les individus enrôlés dans les filières djihadistes à l’étranger, qu’il s’agisse de ressortissants français ou de personnes résidant en France. Des poursuites judiciaires ont ainsi pu être diligentées contre le Français Gilles Le Guen, qui vient d’être expulsé et rapatrié vers la France. Il est désormais pris en charge par la DCRI.

Globalement, un travail très attentif est mené sur les filières existant au Sahel ou en Syrie. Tous les services sont mobilisés, même si, j’en conviens, ils ne garantiront jamais un risque zéro.

À cet égard, vous avez raison de le souligner, il faut être sur tous les fronts, non seulement en milieu carcéral – nous venons d’évoquer ce sujet – mais aussi sur le cyberespace, où beaucoup de liens se nouent incontestablement.

M. Jacques Mézard acquiesce.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Pour mener son travail de renseignement, la DCRI a besoin de mieux coordonner son action avec le niveau local, y compris avec l’Information générale, la DGSE et les services étrangers compétents. Elle a donc besoin de moyens financiers et humains supplémentaires, qu’elle obtiendra, afin d’assurer une capacité de recoupement plus large et, partant, de gagner en efficacité.

L’affaire Merah est évidemment toujours dans nos mémoires. Nous pensons aux victimes de ces meurtres ainsi qu’à leurs familles. De tels drames nous imposent à tous un très haut niveau de vigilance et d’implication.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. Jean-Pierre Plancade, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Monsieur le ministre, nous ne doutons pas de votre engagement déterminé dans la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Monsieur le ministre, tous les orateurs qui se sont exprimés l’ont dit, et je l’affirme à mon tour : la prévention du terrorisme et la lutte contre ce fléau dépassent largement tous les clivages. Plusieurs textes, en 2006, en 2008, puis votre loi de 2012 reprennent et amplifient l’action conduite de longue date sur ce plan, et c’est très bien ainsi.

Toutefois, depuis quelque temps, à la suite de l’affaire Merah et à l’occasion d’autres drames, un certain nombre de critiques, parfois excessives, ont été émises au sujet des dysfonctionnements de nos services de renseignement.

Avant tout, la République doit rendre hommage à tous les agents de nos services intérieurs et extérieurs, qui risquent leur vie au quotidien sans toujours obtenir beaucoup de reconnaissance.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Néanmoins, un rapport rendu public la semaine dernière affirme, à la suite de différentes études, qu’un certain nombre de mesures doivent être prises. Ce document préconise, entre autres, la création d’une inspection des services ou d’une autorité indépendante permettant, par exemple, de juger de la proportionnalité des moyens de collecte d’informations utilisés pour obtenir des renseignements à l’intérieur comme à l’extérieur. En clair, ce rapport invite à favoriser l’accès à un certain nombre de sources, afin d’assurer un meilleur contrôle sur les services concernés.

Certes, la transparence a parfois du bon, mais elle peut également être un peu inquiétante. De fait, elle peut devenir un élément de doute et de danger pour les agents en mission sur le terrain.

Ma question est donc assez simple. Oui, vous l’avez dit, les services de renseignement doivent être coordonnés, notamment via le lien entre la DGSE et la DCRI. Oui, il faut renforcer les moyens de la DCRI. Mais quelles mesures envisagez-vous de prendre pour que la transparence, notamment à l’égard du Parlement, ne conduise pas à une remise en cause de la confidentialité, et donc à une mise en danger de l’ensemble de nos agents, à l’intérieur comme à l’extérieur ? Après tout, eux aussi défendent l’État et la République !

Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées du groupe socialiste. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Monsieur Karoutchi, sur le fond, j’adhère à ce que vous venez de dire, notamment en préambule. Le besoin de transparence existe et, au sein des grandes démocraties, les parlements doivent pouvoir traiter des questions de renseignement de manière sereine, dans le souci du respect de la loi. Parallèlement, nous devons protéger ces agents qui servent les intérêts fondamentaux de notre pays.

Le rapport de Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, vient d’être rendu public. Il faut encore un peu de temps pour en tirer toutes les conclusions.

Quoi qu’il en soit, pour aller dans le sens du rapport, je peux d’ores et déjà vous indiquer qu’il est nécessaire de renforcer les bases juridiques encadrant l’action des services de renseignement. La plupart des grandes démocraties ont engagé de semblables démarches pour se doter d’outils protecteurs. Force est de reconnaître que notre pays a encore du mal à concevoir de tels instruments. C’est bien sûr cet équilibre-là qu’il nous faut atteindre.

À cet égard, les conclusions de la mission Urvoas sont ambitieuses et, me semble-t-il, bienvenues, même si elles méritent encore d’être examinées dans le détail. Ces préconisations posent les jalons d’une réflexion qui pourra opportunément être menée sur ce sujet au cours des prochains mois. C’est d’ailleurs un travail que nous avons déjà engagé dans le cadre de la loi antiterroriste.

D’autres questions se posent concernant les bases juridiques de l’action des services de renseignement. Je songe notamment à l’opportunité de faire évoluer la loi de 1881, sujet que nous avons déjà évoqué dans cet hémicycle. Chacun conviendra que ce texte n’offre pas un cadre adapté aux réalités du monde contemporain. Je pense, par exemple, aux notions de prescription ou de publicité sur internet et sur les réseaux sociaux.

Les services de renseignement demandent des bases juridiques plus solides, à même de les prémunir. Or le Parlement et la société tout entière exigent plus de transparence, tandis que nous devons protéger les agents des services concernés et garantir l’efficacité de leur action, qui nécessite évidemment le secret.

Telle est la ligne de crête sur laquelle nous devons cheminer ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Monsieur le ministre, c’est une évidence, le chemin que nous devons suivre est une ligne de crête. Le Parlement comme l’opinion veulent être informés mais, nous le savons bien, ceux qui prennent les décisions et donnent les instructions ont souvent besoin de secret et de discrétion pour agir en toute efficacité.

Naturellement, un équilibre doit être trouvé. Nous serons extrêmement vigilants à cet égard, afin de ne pas remettre en cause la confidentialité, et partant l’efficacité de nos services pas plus que la sécurité de leurs agents.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Monsieur le ministre, avec votre administration, vous venez d’apporter une contribution évidemment substantielle à la réalisation du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale. Cela a été naturellement l’occasion de préciser et, au fond, d’actualiser les grands traits de la menace actuelle en matière de terrorisme.

En peu de mots, compte tenu de la particularité de l’exercice, comment décririez-vous les points marquants de l’évolution récente de la menace terroriste sur le sol français, contre la population française ? Quelles sont les priorités sur lesquelles vous insisterez, dans le cadre des moyens disponibles et de la loi, pour renforcer la protection de nos concitoyens et de nos intérêts nationaux ? Enfin, pouvez-vous nous donner quelques indications quant à la progression de notre coopération en la matière avec nos partenaires européens et atlantiques ?

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Monsieur le ministre, la menace terroriste est présente, et elle est élevée. C’est ainsi que nous devons l’appréhender. Y faire face nécessite beaucoup de vigilance, de la mobilisation et des moyens supplémentaires, cela vient d’être dit.

Nous affrontons une menace que nous connaissons déjà, qui peut venir de l’ETA ou d’un certain nombre d’autres groupes. Nous voyons bien, par exemple, les conséquences des activités du PKK sur notre sol, même si nous suivons avec intérêt les évolutions d’un dialogue avec le Turquie. Certaines menaces nous concernent directement et sont présentes sur notre sol, provenant de l’ultra-droite ou de l’ultra-gauche.

Et il y a la menace djihadiste, incontestable. Dans ce domaine, nous faisons d’abord face à un ennemi extérieur, que nous devons combattre dans une coopération accrue et de très grande qualité avec nos principaux partenaires, notamment au niveau européen, même si des progrès peuvent sans doute être faits. Cette menace extérieure existe, elle est alimentée par les conflits qui font rage dans le monde, et que vous suivez régulièrement, et elle a évidemment été sensiblement accrue par l’intervention nécessaire et indispensable de la France au Mali. De ce point de vue, je veux saluer, là aussi, la coopération avec les pays du Maghreb ou de l’Afrique de l’Ouest.

Mais cette menace nous place également face à un ennemi intérieur en lien avec ces conflits. Nous évoquions tout à l'heure avec Mme Esther Benbassa la nécessité de mettre en place tous les outils pour lutter contre cette radicalisation. Cela nécessite un travail très fin entre le Renseignement intérieur, l’Information générale, nos services de police et de gendarmerie et, tout simplement, la société. Il existe, en effet, des « loups solitaires » issus de processus d’auto-radicalisation, sans oublier le web et ce qui se passe dans certaines mosquées ou en milieu carcéral. Ce sont ces individus « hybrides », au niveau national comme à l’international, qui rendent aujourd’hui la menace très particulière et, sans doute, encore plus difficile à appréhender. Tout cela nous oblige à être très vigilants.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Je souhaite ajouter quelques mots pour rendre hommage à la finesse du ministre et à sa capacité à cerner l’essentiel. Je crois que cette présentation est très fidèle à la réalité. Cela crée une obligation pour tout le monde, et je pense en particulier à nos collègues élus locaux, celle de faciliter le renseignement au quotidien.

Dans cette situation de dispersion et d’individualisation de certaines formes de la menace, il est en effet important de pouvoir effectuer une sorte de détection précoce afin d’aider les services de terrain de la police nationale. Je les sais motivés, et ils ont reçu des instructions pour travailler de cette façon, mais nous sommes nombreux ici à être convaincus qu’il est nécessaire que le tissu du service public y contribue également.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur le ministre, un peu plus d’un an s’est écoulé depuis le dramatique attentat de Toulouse et l’affaire Merah n’en finit pas d’alimenter les controverses et le débat sur les imperfections, réelles ou supposées, de notre système intérieur de protection.

Mais, en l’espace d’un an, le contexte s’est hélas ! considérablement dégradé. La situation au Sahel, et plus particulièrement au Mali, a contraint le France à intervenir militairement dans les conditions que l’on sait. Ce faisant, notre pays s’est également exposé à des risques de représailles singulièrement élevés.

De fait, les appels de chefs djihadistes à frapper les intérêts français partout dans le monde commencent à être suivis d’effets. J’en veux pour preuve l’attentat contre notre ambassade à Tripoli et la tentative d’attentat contre notre ambassade au Caire.

Ce sont là des signaux de danger qui nous alertent sur les risques que court la France de voir son propre territoire touché par ces attentats. Autour de nous, les exemples font frémir, avec l’Algérie, à In Amenas, les États-Unis, à Boston, et la Turquie dernièrement. Ainsi, même des États particulièrement bien armés pour lutter contre le terrorisme aveugle peuvent être touchés en leur cœur !

Un djihadiste français a été interpellé, qui appelait à importer sur notre territoire la guerre sainte. Cela doit nous sensibiliser à une réalité nouvelle : de jeunes Français vont s’entraîner dans des camps en Afghanistan ou au Pakistan et reçoivent une formation au djihad dans ces pays où les groupes terroristes sont implantés. Ils peuvent en outre, comme Merah, comme cela s’est passé à Boston, à Londres, à Madrid, dans des attentats précédents, trouver sur le territoire national des complicités, mais aussi des approvisionnements en armes et explosifs.

Face à ces dangers, nos concitoyens sont réellement inquiets.

Monsieur le ministre, je voudrais simplement savoir si le niveau de coopération européenne est suffisant pour nous aider à traquer l’ensemble de ces individus. En effet, la réponse ne peut pas être nationale. La France est particulièrement exposée et l’Europe doit nous aider ! Quelle action menez-vous en ce sens ?

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Monsieur Cambon, en écho à vos propos très justes, je voudrais vous livrer quelques chiffres.

Depuis 2001, au total, plus de 200 volontaires ont quitté la France pour s’engager dans une filière djihadiste ; 17 d’entre eux sont morts dans les zones de combat, 69 séjournent actuellement sur notre territoire.

À partir de 2012, l’augmentation des départs de volontaires vers la Syrie constitue, en revanche, une véritable rupture. En seulement un an et demi, plus d’une centaine de personnes se sont rendues sur ce théâtre de guerre, soit un contingent de 60 % du total des volontaires. On relève même le départ d’individus mineurs dénués d’expérience religieuse, qui s’engagent sur un coup de tête.

Ce phénomène touche d’autres pays, au Maghreb mais aussi en Europe, ce qui nous conduit ― et je pense en particulier à nos amis belges ― à renforcer la coopération, l’échange d’informations et bien entendu le travail en commun.

Mais nous faisons face à ce qui constitue un véritable danger, pour nous et pour nos intérêts, par l’engagement de nos services de renseignement. Ainsi, toujours en 2012, 78 personnes ont été interpellées par la DCRI dans le cadre de la lutte antiterroriste, contre 47 en 2011. Depuis le début de l’année, on compte déjà 38 interpellations, qui ont donné lieu à 12 mises sous écrou.

Cela signifie bien, en écho également aux propos d’Alain Richard, qu’une menace concrète existe et qu’elle ne relève pas seulement du fantasme ou d’une volonté de stigmatisation. Elle repose sur des faits réels, la situation très dégradée au Sahel, en Libye, en Tunisie et bien sûr en Syrie, ainsi que sur des filières que nous devons combattre par la coopération internationale et le travail de nos services de renseignement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. Christian Cambon, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Je voudrais remercier M. le ministre de nous avoir fourni ces données chiffrées et de prendre en compte ce risque bien réel.

Je souhaite juste revenir sur un point : la nécessité de mobiliser l’ensemble des pays européens. Une conférence des ministres européens devrait peut-être être organisée sur ce thème, car le danger peut se concrétiser et faire irruption par les très nombreuses frontières encore trop lâches de l’Europe.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, suite à la tuerie de Toulouse en mars 2012, de nombreuses propositions avaient été faites par chacun des candidats à l’élection présidentielle afin que nous ne revivions pas de tels événements.

Beaucoup de ces propositions portaient sur l’influence grandissante de l’Internet dans le développement des groupes terroristes. Le profil de Mohamed Merah, qui filmait ses crimes pour les publier sur internet, et celui des terroristes de Boston, confirment cette analyse. Ainsi, l’utilisation des moyens d’internet permet aujourd’hui à ces groupuscules de recruter des djihadistes improvisés, mais aussi de diffuser leur propagande parmi les réseaux sociaux les plus utilisés et les plus accessibles, dont Twitter, Facebook, Youtube et bien d’autres.

Chacun sait, par ailleurs, que certains magazines en ligne vont jusqu’à illustrer la fabrication d’explosifs.

À ce sujet, l’article 1er de la loi du 21 décembre 2012 a prévu de prolonger jusqu’au 31 décembre 2015 l’accès préventif des services chargés de la lutte contre le terrorisme aux données techniques recueillies dans les communications électroniques ou lors de l’accès à Internet. Le dispositif que la précédente majorité avait autorisé en 2006, et qui devait s’achever à la fin de 2012, a donc été reconduit, et c’est une excellente chose.

Pourtant, il faut bien admettre que, dans ce domaine, la lutte contre le terrorisme est loin d’avoir abouti, tant il reste d’obstacles à franchir, du fait notamment de la difficulté technique de maîtriser les flux d’internet.

Aussi, monsieur le ministre, j’aimerais savoir quelles sont aujourd’hui les orientations du Gouvernement quant à la politique à mener en ce qui concerne le contrôle de certains réseaux internet par les groupuscules terroristes. Quels moyens pourraient être mis en œuvre pour limiter leurs actions ? Comment, aujourd’hui, approfondir cette question ? Faut-il des moyens humains ou des moyens techniques complémentaires ?

Ces interrogations sont d’autant plus importantes qu’internet accroît le risque de radicalisation des individus, d’abord en accentuant le relâchement de leurs propres liens sociaux ― c’est à mon avis gravissime ―, ensuite en leur fournissant les moyens d’agir et, enfin, en glorifiant leurs crimes.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Monsieur Reichardt, internet est en effet devenu un vecteur de propagande, de radicalisation et de recrutement pour la mouvance terroriste, les uns et les autres l’ont souligné dans ce débat. À ce titre, internet fait l’objet d’une surveillance vigilante de la DCRI afin de détecter les activités de la mouvance terroriste. La loi offre en effet plusieurs moyens de lutte contre l’usage d’internet et les réseaux de communications électroniques à des fins terroristes, en complément des moyens d’enquête.

La loi de 2012 renforce l’arsenal juridique dans la lutte contre la propagande terroriste sur internet. Nous devons cependant sans cesse nous adapter, parce que le terrorisme a souvent un train d’avance par rapport à la loi et aux moyens légaux de l’État. D’autres évolutions du cadre juridique de la lutte contre le cyberterrorisme seront sans aucun doute nécessaires à l’avenir, pour compléter notre arsenal juridique.

Comme je m’y étais engagé, un travail interministériel est en cours avec les ministères de la justice, des finances et de l’économie numérique, afin d’adapter notre droit, nos moyens d’investigation, mais aussi nos organisations et nos méthodes de travail aux enjeux de la cybercriminalité. Cela ne concerne d’ailleurs pas seulement le terrorisme.

La lutte contre la cybercriminalité devra bien sûr concilier l’efficacité de la prévention et le respect des libertés individuelles. Elle nous contraint, ensuite, à une très forte coopération européenne au sujet de laquelle je crois que les bases d’un accord entre les pays de l’Union existent. Elle nous impose enfin un dialogue sur le contrôle de l’Internet avec nos amis américains, qui ne nous suivent pas toujours sur ces questions en raison du Premier amendement de leur Constitution.

Cette question est donc l’un des enjeux principaux des prochains mois dans les discussions avec nos partenaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. André Reichardt, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Je voudrais remercier M. le ministre de cette réponse et ajouter que, face à la menace terroriste actuelle, la lutte doit être érigée en véritable priorité nationale. À cet égard, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour améliorer notre efficacité en ce qui concerne le contrôle des flux internet. Dans le cadre de cette priorité nationale, je pense que des moyens particuliers doivent être affectés à ce domaine, et je vous remercie de bien vouloir le prendre en compte !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur la politique de lutte contre le terrorisme dans notre pays.

Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de députés du Mali, conduite par M. Mody N’Diaye, rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale du Mali.

Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche se lèvent.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Cette délégation a consacré sa journée au Sénat en vue d’étudier la procédure budgétaire, les missions de notre commission des finances ainsi que les modalités d’organisation de ses travaux. À cette fin, elle a rencontré M. le rapporteur général, François Marc, ainsi que Mme Michèle André.

Par ailleurs, la délégation a déjeuné avec nos collègues du groupe interparlementaire d’amitié France-Afrique de l’Ouest, sous la présidence de M. Joël Labbé, président délégué pour le Mali.

Alors que la France est engagée, avec l’ensemble de la communauté internationale, dans un effort sans précédent pour permettre au Mali de recouvrer son intégrité et d’engager sa reconstruction, nous formons tous le vœu que cette visite aura été profitable à cette délégation, et nous souhaitons à tous ses membres la plus cordiale bienvenue au Sénat.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Madame la présidente, mon intervention concerne l’organisation de nos travaux.

L’examen du premier volet du projet de décentralisation a commencé hier, mais dans de très mauvaises conditions. Alors qu’un grand débat devait avoir lieu pour préparer cette importante discussion au sein de la Haute Assemblée, mais aussi avec tous les acteurs des états généraux des collectivités territoriales réunis au Sénat en septembre dernier, nous avons assisté hier en commission des lois à l’adoption à marche forcée d’un texte très fortement modifié, réécrit par la commission, qui a siégé, fait exceptionnel, jusqu’à trois heures du matin !

Le travail du rapporteur, intéressant, cela dit, par de nombreux aspects, n’a pas été soumis à une discussion préalable à la séance de vote, ce qui aurait été la moindre des choses, vu l’importance de la réécriture. Les groupes parlementaires n’ont pu être réunis pour examiner ce que l’on peut appeler aujourd'hui un nouveau projet de loi.

Comment s’articulent ces modifications avec les deux autres projets de loi qui doivent suivre ? Nul ne le sait à cette heure.

Madame la présidente, deux séries de questions se posent à la Haute Assemblée.

Est-il acceptable de travailler sur un texte de cette ampleur dans de telles conditions ? Seuls quelques jours sont prévus pour que les groupes parlementaires réexaminent des dispositions modifiées de fond en comble, tant sur la forme que sur le fond. Est-il acceptable que la commission des lois ait travaillé dans une telle forme de précipitation ? Pourquoi les groupes de la majorité et de l’opposition n’ont-ils pas été informés au préalable et dans un laps de temps significatif ?

Si l’on veut respecter l’esprit des états généraux, comment accepter que la Haute Assemblée statue ainsi sans ménager un aller et retour entre les élus locaux, les associations d’élus et le Sénat ?

Imposer une telle méthode de travail est en flagrante contradiction avec les intentions affichées !

Dans ces conditions, le groupe CRC souhaite que le Sénat retrouve un climat de sérénité, afin qu’une conception démocratique du débat prévale.

Je demande donc solennellement le report de la discussion du projet de loi dans le texte de la commission au-delà du 30 mai prochain, date prévue pour le début de l’examen de ce texte. Je formulerai officiellement cette demande lors de la prochaine conférence des présidents.

Le Sénat ne peut être une nouvelle fois méprisé. Car débattre dans de telles conditions d’un texte qui relève des prérogatives de la Haute Assemblée, telles que définies par l’article 24 de la Constitution, témoigne, je pèse mes mots, d’un réel mépris à l’égard de l’institution parlementaire et de l’ensemble des membres de notre assemblée.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Acte vous est donné de ce rappel au règlement, ma chère collègue.

La conférence des présidents, qui se réunira le mercredi 22 mai prochain, en présence donc du Gouvernement, se prononcera sur votre demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi permettant l’instauration effective d’un pass navigo unique au tarif des zones 1-2, présentée par Mme Laurence Cohen et plusieurs de ses collègues (proposition n° 560 [2011-2012], résultat des travaux de la commission n° 371, rapport n° 370).

Je vous rappelle que nous avons commencé l’examen de ce texte le mercredi 27 février dernier et que nous avons à cette occasion entendu Mme Laurence Cohen, auteur de la proposition de loi.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi établit un versement transport unique en Île-de-France pour donner à la région les moyens de financer le pass navigo unique, valable pour toute l’Île-de-France au tarif en vigueur à Paris, soit 65 euros, contre 113 euros pour la grande couronne.

Cette mesure de justice sociale est demandée par l’ensemble de la majorité régionale, en particulier par son président, Jean-Paul Huchon. Elle répond aux problèmes quotidiens qu’endurent les Franciliens de petite et grande couronnes qui subissent le double choc de la crise du logement, obligeant de plus en plus de ménages à habiter loin de leur travail, et la crise des transports collectifs, qui sont saturés et où les conditions de circulation sont très dégradées, faute d’investissements suffisants depuis plusieurs décennies.

Certains de nos collègues se sont interrogés sur le fait qu’il revienne au Parlement de débattre d’un sujet proprement francilien : si la région d’Île-de-France décide d’instaurer un pass navigo unique, pourquoi le législateur devrait-il interférer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Je m’en suis moi-même étonné, mais le fait est là : en vertu de la Constitution, le législateur détermine le plafond des taxes et impôts ; il nous revient donc de relever celui du versement transport, puisque la majorité régionale veut mobiliser ce levier de financement pour ne pas toucher aux crédits réservés aux investissements.

Je résumerai notre action en ces termes : la majorité régionale a prévu une mesure tarifaire pour compenser les difficultés des Franciliens qui vivent loin de leur lieu de travail et pour encourager les transports collectifs dans la région capitale, mais elle a également donné la priorité aux investissements indispensables à réaliser dans les réseaux.

Dans ces conditions, il convient d’envisager une ressource supplémentaire, que les entreprises peuvent apporter. C’est pourquoi il nous revient de relever le plafond du versement transport ou, plutôt, de l’harmoniser sur l’ensemble de la région. Tel est l’objet de cette proposition de loi.

Vous connaissez la situation difficile des transports en commun en Île-de-France. Nos collègues députés y ont consacré l’an passé une commission d’enquête ; leur diagnostic, tout à fait édifiant, confirme ce qu’affirment les associations d’usagers depuis bien des années : les retards et la congestion sont si importants que les transports pèsent, non seulement sur la vie quotidienne de ses habitants, mais aussi sur l’attractivité même de la région capitale.

Dans ces conditions, les usagers fréquents, ceux qui habitent loin de leur lieu de travail et qui n’ont souvent pas d’autre choix que les transports en commun, subissent de plein fouet les effets de la saturation. Ils contestent, et on les comprend bien, que le prix de leur pass navigo soit plus élevé qu’au centre de l’agglomération, pour un service de bien moindre qualité.

Cette protestation bien légitime rencontre une autre préoccupation : la tarification par zones concentriques autour de Paris est de moins en moins adaptée aux réalités des déplacements. Elle est devenue d’autant plus obsolète qu’elle a déjà été aménagée, avec le dézonage en grande couronne et, plus récemment, sur l’ensemble du réseau le week-end.

Actuellement, la région est découpée en cinq zones concentriques autour de la Capitale. Le zonage pourrait paraître de bon sens : l’usager paie plus cher parce qu’il circule sur des itinéraires plus longs. Cependant, les choses sont plus complexes dans la réalité : des itinéraires en zone 1-2 sont plus longs que d’autres entre les zones 1 et 3, par exemple.

Par ailleurs, ce système concentrique s’accommode mal des déplacements de banlieue à banlieue, qui sont les plus fréquents, car ils se développent aujourd'hui avec les tramways et se développeront demain avec les lignes « transversales » du Grand Paris.

Dans ces conditions, sauf à mettre en place une tarification au réel, qui soit fonction des kilomètres effectivement parcourus, mais aussi des segments empruntés, le plus simple est de s’aligner sur la tarification en vigueur dans le métro depuis des décennies : une tarification unique sur tout le réseau, pour un trajet d’une station ou de cent.

Qui plus est, la tarification unique de l’abonnement prend acte d’un fait majeur : la région capitale fonctionne déjà comme une métropole. L’INSEE le constate à chaque recensement §: l’aire urbaine de Paris déborde la région, les habitants de Seine-et-Marne ne se vivent évidemment pas tous comme des banlieusards, mais, dans la réalité du logement et de l’emploi, ils le sont devenus dans leur majorité !

C’est donc pour des raisons d’équité sociale et d’identité régionale que la majorité régionale a inscrit, dans son programme de mandature, le pass navigo unique au tarif des zones 1-2.

Cette mesure coûterait environ 500 millions d’euros. L’objet de cette proposition de loi est d’en prévoir le financement, en harmonisant les plafonds du versement transport en Île-de-France.

Ainsi, l’article 1er étend à l’ensemble de l’Île-de-France le plafond de 2, 6 % du versement transport, soit le taux en vigueur lorsque cette proposition de loi a été déposée sur le bureau du Sénat, avant le relèvement de 0, 1 point prévu dans la loi de finances pour 2013.

Pourquoi en passer par une harmonisation du versement transport ?

Les usagers et, surtout, les collectivités locales ont déjà très largement contribué à la relance des investissements engagée depuis quelques années. Ils ont même augmenté leur participation, alors que celle des entreprises, pour le réseau existant, est restée au fil de l’eau, bien en deçà de l’effort nécessaire pour rattraper le niveau.

De plus, le bon fonctionnement du réseau de transports collectifs est assurément un facteur clé de compétitivité des entreprises ; il est même décisif pour l’attractivité de la région capitale. En d’autres termes, les entreprises ont tout intérêt à ce que les transports en commun fonctionnent bien !

Mes chers collègues, songez que le taux de versement transport payé par les entreprises franciliennes, hors Paris et les Hauts-de-Seine, est soit inférieur soit égal à celui que les entreprises paient dans les métropoles régionales, comme si le problème des transports collectifs n’était pas plus criant en Île-de-France qu’en région !

Le « zonage » du versement transport, instauré en 1971, n’avait pratiquement pas été modifié jusqu’à la loi de finances rectificative pour 2010 : il était départemental, avec un plafond de 2, 6 % pour Paris et les Hauts-de-Seine, un plafond de 1, 7 % pour les deux autres départements de la petite couronne, puis un plafond de 1, 4 % pour les trois départements de la grande couronne.

À la suite du rapport sur le financement du Grand Paris remis par Gilles Carrez, rapport adopté à l’unanimité par la commission des finances de l’Assemblée nationale, le collectif budgétaire de 2010 a, enfin, prévu de modifier ce zonage pour mieux tenir compte de l’agglomération francilienne.

La zone 1, formée par Paris et les Hauts-de-Seine, est restée inchangée, avec un plafond à 2, 6 %, passé à 2, 7 % cette année, mais la zone 2 a été élargie « pour tenir compte de l’unité urbaine au sens de l’INSEE ».

Qu’est-ce que « l’unité urbaine », à ne pas confondre avec l’aire urbaine ? C’est la continuité bâtie de la ville : elle regroupe 412 communes sur les 1 301 communes franciliennes, soit moins d’un tiers des communes, mais 85 % de la population francilienne.

C’est cette unité urbaine qui sert de périmètre au projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, lequel prévoit la création de la métropole de Paris ; je reviendrai plus loin sur ce projet de loi, dont l’adoption en conseil des ministres est intervenue après l’examen en commission de la présente proposition de loi.

Sur cette unité urbaine, le plafond du versement transport est fixé à 2, 6 % pour Paris et les communes des Hauts-de-Seine ; pour les autres communes, il est fixé à 1, 8 %, soit au même niveau que pour les métropoles régionales. Quant aux quelque 900 communes franciliennes non comprises dans cette unité urbaine, celles qui forment la zone 3, le plafond du versement transport y est de 1, 5 %, soit un niveau inférieur à celui des métropoles régionales.

Mes chers collègues, cette réforme du versement transport n’est pas allée assez loin ; le compte n’y est pas. Les usagers et les entreprises elles-mêmes ont besoin d’une mobilisation forte pour les transports collectifs en Île-de-France.

Pourtant, lors des auditions auxquelles j’ai procédé, j’ai pu mesurer combien l’idée de relever le versement transport provoquait une levée de boucliers, au-delà même des représentants des entreprises.

Je crois que nous devons ramener la question à ses justes proportions.

Ces dix dernières années, en même temps que la fréquentation des transports collectifs progressait de 20 %, leur coût d’exploitation a augmenté de 25 %, passant de 6 à 8 milliards d’euros. Qui a financé ce surcoût ? Au premier chef, les collectivités publiques. C’est pourquoi la part du financement assurée par les entreprises a diminué ; les chiffres figurent dans mon rapport. Aussi bien, les entreprises ont beau jeu de dire qu’elles paient plus qu’avant : elles omettent de considérer l’effort consenti par la collectivité pour rénover le réseau et doter la région de transports collectifs modernes !

Mes chers collègues, tout le monde reconnaît que les réseaux de transports collectifs en Île-de-France sont à bout de souffle et qu’il faudra poursuivre pendant dix ans au moins le travail remarquable entrepris par la région d’Île-de-France, le STIF, la RATP, la SNCF et RFF, pour que les effets du rattrapage se fassent enfin sentir. Dans ces conditions, pourquoi devrait-on s’interdire de mobiliser davantage les entreprises, qui bénéficient évidemment d’une amélioration des réseaux ?

Les entreprises agitent bien facilement le chiffon rouge des charges et de la compétitivité. Seulement, le rapport Gallois montre qu’améliorer la compétitivité n’équivaut pas à réduire les charges ; la compétitivité résulte plutôt d’un ensemble de facteurs, parmi lesquels la qualité des investissements se place au tout premier plan. De fait, la qualité des réseaux de transports collectifs contribue indiscutablement à la compétitivité, surtout dans une région comme l’Île-de-France où les emplois sont concentrés, souvent éloignés des logements et où les routes sont saturées.

De plus, le taux du versement transport n’est pas un critère déterminant de localisation des entreprises. La preuve en est qu’elles se concentrent aujourd’hui là où il est le plus élevé !

Exclamations sur certaines travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Ainsi, je crois que les entreprises nous font un mauvais procès en agitant la menace de la délocalisation pour 0, 3 point de versement transport en plus ; elles ne prennent pas toute la mesure de la mobilisation nécessaire pour les transports collectifs en Île-de-France.

Cette proposition de loi apporte une solution claire : l’harmonisation du plafond du versement transport dans toute l’Île-de-France. À titre personnel, je considère qu’il est nécessaire de l’amender pour mieux tenir compte du fonctionnement effectif de l’agglomération francilienne.

En effet, lors de mes auditions, j’ai retrouvé un problème que je connaissais comme élu de grande couronne : lorsqu’on dépasse la continuité bâtie et que les réseaux de transports perdent en densité, le lien se relâche entre le versement transport et sa contrepartie, c’est-à-dire les transports collectifs ; ainsi, les entreprises non situées dans l’unité urbaine ne comprennent pas pourquoi elles devraient payer pour des transports peu denses et que leurs salariés n’utilisent pas, ou très peu.

C’est pourquoi il me semblerait nécessaire, dans un premier temps, de limiter l’harmonisation du versement transport aux zones 1 et 2, en leur appliquant le même taux de 2, 7 %. D’ailleurs, cette harmonisation prendra tout son sens avec le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, qui prévoit la création, sur le territoire de l’unité urbaine, d’une métropole de Paris appelée à jouer un rôle majeur dans l’aménagement du territoire. Comment, avec ce cadre nouveau, ne pas défendre l’harmonisation du versement transport sur ce territoire ?

Pour la zone 3, il me semble plus juste de porter le plafond au niveau qui s’applique aujourd’hui dans la zone 2, c’est-à-dire à 1, 8 %. De la sorte, un taux urbain de 2, 7 % s’appliquerait dans l’unité urbaine de Paris, c’est-à-dire dans les 412 communes qui représentent 85 % des Franciliens et qui forment le cœur de l’agglomération, où les réseaux de transports collectifs sont assez denses, tandis que le plafond du versement transport serait porté à 1, 8 % dans les 900 communes franciliennes de la zone 3, où il rejoindrait donc le niveau en vigueur dans les métropoles régionales.

J’ai obtenu une évaluation des recettes supplémentaires de versement transport avec ces deux scénarios. Si le versement transport était porté à 2, 7 % dans toute l’Île-de-France, le supplément, calculé sur la base des chiffres de 2012, atteindrait 668 millions d’euros. Avec la modulation que je propose, la recette supplémentaire approcherait les 500 millions d’euros, soit la somme que la proposition de loi vise à lever.

Cette mesure serait un signe de solidarité important avec ceux qui subissent la « galère » des transports et qui vont continuer à la subir. Certes, la somme en jeu est importante – 500 millions d’euros –, mais il faut la comparer aux 27 milliards d’euros que l’État et la région disent vouloir investir dans le réseau.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Les 500 millions d’euros que nous demandons aux entreprises serviront à faire patienter les usagers d’aujourd’hui ; c’est important pour la vie quotidienne des Franciliens !

En outre, l’adoption de cette mesure montrerait clairement à tous les Franciliens qu’ils appartiennent à la même région, au moment où la création de la métropole de Paris risque de renforcer la fracture entre les habitants de l’unité urbaine et les autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Enfin, nous aurons à suivre de près la poursuite du financement des réseaux de transports collectifs, en nous demandant si le temps n’est pas venu d’élargir l’assiette du versement transport pour qu’il ne repose plus seulement sur la masse salariale ; c’est le sens de l’article 2 de la proposition de loi.

Pour conclure, je me dois de vous informer, monsieur le ministre, mes chers collègues, que la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire n’a pas adopté la présente proposition de loi ; je le regrette, mais c’est un fait.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC . – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier

Madame la présidente, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la tarification des transports publics est un vaste sujet, qui passionne beaucoup les élus, les usagers et les économistes du transport. C’est légitime car, de manière générale, les transports en commun sont fortement subventionnés, compte tenu de leur effet positif sur la société sur le plan de l’environnement et de la sobriété énergétique. Ils sont également utilisés par des personnes qui, parfois, n’ont pas d’autre moyen pour se déplacer.

En Île-de-France tout particulièrement, les transports en commun jouent un rôle fondamental pour l’accès à l’emploi, aux services publics, à la culture ou tout simplement aux loisirs. Bref, ils sont l’un des éléments du « vivre ensemble », même si les conditions de déplacement se sont fortement dégradées au cours des dix dernières années – je reviendrai sur ce point. Il est donc normal qu’ils soient fortement subventionnés par la collectivité publique ; c’est le cas en Île-de-France, comme du reste en province.

Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe CRC, je comprends parfaitement la logique qui préside à la proposition de loi que vous présentez. Même, mon premier mouvement – pourquoi le cacher ? – serait d’approuver une mesure qui a pour objectif de donner au STIF les moyens de diminuer fortement le prix du transport pour les usagers. En effet, nous souhaitons tous que les transports en commun soient optimisés et que leur utilisation devienne un réflexe. D’ailleurs, je suis certain que ce premier mouvement est partagé par nombre d’entre vous, comme par la plupart des usagers.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Cependant, on ne peut pas ne pas s’interroger sur les conséquences de cette mesure. Il convient également de se demander si elle correspond bien à l’urgence pour les transports en Île-de-France, dans un contexte où, comme vous le savez, l’argent public est rare et où nous devons tous faire preuve de responsabilité.

Quelles seraient donc les conséquences économiques de cette mesure ?

L’article 1er de la proposition de loi, qui est la principale mesure, vise à porter à 2, 6 % l’ensemble des taux de versement transport applicables aux entreprises situées en Île-de-France. Ainsi, les entreprises situées dans le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis, ainsi que celles situées dans les communes de l’Essonne, du Val-d’Oise, de la Seine-et-Marne et des Yvelines qui appartiennent à l’aire urbaine de Paris, verraient leur taux augmenter, passant de 1, 8 % à 2, 6 %. Les autres entreprises franciliennes verraient leur taux passer de 1, 5 % à 2, 6 %. Selon les zones, les taux augmenteraient donc de près de 50 %, voire de 100 % !

Cette mesure reviendrait à prélever chaque année environ 800 millions d’euros supplémentaires sur les entreprises – 630 millions d’euros, si l’on tient compte des effets sur l’obligation de remboursement des forfaits à la charge des entreprises. En outre, elle interviendrait après deux hausses consécutives du versement transport en Île-de-France en moins d’une année. Elle renchérirait pour les entreprises le coût du facteur travail, l’assiette du versement transport étant la masse salariale.

Comme vous le savez, le Gouvernement s’est engagé dans une démarche visant à améliorer la compétitivité des entreprises ; car la compétitivité, c’est l’emploi ! En particulier, dans le cadre du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, un dispositif d’allégement des coûts des entreprises a été adopté par le Parlement : le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.

Or la mesure défendue par les auteurs de la proposition de loi aurait pour effet d’annuler, pour un tiers en 2013 et pour un quart en 2014, la baisse de coût résultant du CICE pour les entreprises actuellement soumises au taux de versement transport de 1, 5 %. Elle freinerait donc le développement économique des territoires franciliens les moins dynamiques, ceux qui sont situés en dehors de Paris et des Hauts-de-Seine, alors que les besoins en emplois y sont les plus criants.

De plus, dans la mesure où le système général veut que seules les entreprises de plus de neuf salariés soient soumises au versement transport, la mesure proposée aurait pour conséquence de créer une marche fiscale très haute entre les entreprises de huit salariés et les entreprises de dix salariés et plus. Le risque existe donc de dissuader les créations d’emplois dans les petites entreprises ; il faut en prendre toute la mesure, sans compter que ces entreprises seraient également touchées par l’annulation partielle du bénéfice du CICE.

Cette troisième augmentation du versement transport n’est pas aujourd’hui compatible avec la trajectoire des finances publiques approuvée par le Parlement lors de l’adoption de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017. En effet, cette trajectoire prévoit une baisse des recettes de l’ordre de 3 milliards d’euros en 2014, une somme qui correspond à l’effet net du CICE sur les prélèvements obligatoires.

Enfin, la mesure proposée est-elle compatible avec la logique de paiement pour service rendu sur laquelle se fonde la participation des entreprises au financement des dépenses de transport ?

Dans la mesure où les communes de périphérie se verraient appliquer le même taux que les communes de cœur d’agglomération, qui bénéficient de services de transport de meilleure qualité et de réseaux plus denses, la mise en œuvre du tarif unique pèserait sur les entreprises qui ne sont pas desservies par les transports collectifs, ou le plus mal. Comment expliquer cette mesure aux élus locaux, qui sont très attentifs à ces questions, aux entrepreneurs évidemment et même à tout un chacun ? Elle serait particulièrement difficile à justifier auprès des entreprises qui ne sont pas desservies par un mode de transport performant.

Il faut aussi examiner quelles seraient les conséquences de la mesure proposée sur l’aménagement du territoire.

La tarification unique égalisera le coût du transport sans prendre en compte l’éloignement. Au contraire, le Gouvernement et la région d’Île-de-France souhaitent développer les zones d’emploi et d’habitat autour des gares du réseau du Grand Paris Express. En effet, nous souhaitons mettre en cohérence la politique de transport, le développement économique, la construction de nouveaux logements et la préservation des milieux naturels.

Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe CRC, je comprends l’argument social que vous avancez ; je sais que l’objectif social est à vos yeux le principal et nous pouvons bien évidemment le partager. Même si ce n’est pas toujours le cas, le fait d’habiter loin de Paris résulte souvent de contraintes économiques, et non d’un choix ; c’est en quelque sorte une situation subie, encore que cette formulation ne soit pas très respectueuse des collectivités les plus éloignées de Paris.

L’examen de cette proposition de loi permet d’ouvrir le débat sur les modalités de la tarification. Certaines collectivités ont lié tarification et revenu, dans un souci de justice sociale. D’ailleurs, le STIF a déjà fait beaucoup en ce sens en accordant, par exemple, la gratuité aux allocataires du RSA ou aux chômeurs bénéficiaires à la fois de l’allocation de solidarité spécifique, l’ASS, et de la couverture maladie universelle complémentaire.

Enfin, je tiens à le rappeler, le pass navigo zones 1-2 à 65 euros – soit 2 euros par jour – offre un accès illimité au métro, au RER et au bus sur une distance de quinze kilomètres. En étendant ce tarif à l’ensemble de l’Île-de-France, on offrirait la même possibilité sur une distance de l’ordre de cent trente kilomètres : il y a là une marche considérable.

Enfin, je tiens à évoquer une dernière question, de mon point de vue essentielle : l’urgence, pour les transports en Île-de-France, est-elle de mettre en place une tarification unique ou d’investir pour répondre aux enjeux en matière de qualité du service et de croissance ?

J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici, ma priorité est l’amélioration des conditions de transport au quotidien, plus particulièrement en Île-de-France. En lien avec la région, le Premier ministre a ainsi décidé, le 6 mars dernier, la mise en œuvre du Nouveau Grand Paris. Il s’agit de sortir de la vieille distinction, qui a beaucoup nui dans la période précédente, entre la réalisation d’un nouveau métro, le Grand Paris Express, et l’amélioration du réseau existant, portée notamment par le plan de mobilisation de la région.

Il s’agit d’abord de mettre en œuvre le projet du Grand Paris Express. Ce projet a été optimisé, son plan de financement bouclé et son calendrier de réalisation établi. Les futures lignes 14 à 18 de ce réseau seront donc progressivement mises en service, de 2017, pour le prolongement de la ligne 14 jusqu’à Saint-Ouen, à 2030.

Il s’agit ensuite de répondre à court et moyen terme à l’impératif de modernisation et de désaturation du réseau existant. À la suite de l’annonce faite par M. le Premier ministre, l’État et la région ont décidé, grâce notamment à une participation financière de la Société du Grand Paris, d’engager d’ores et déjà 7 milliards d’euros d’ici à 2017. La mise en œuvre des schémas directeurs des RER A, B, C et D sera ainsi poursuivie. De même, des opérations d’extension du réseau actuel, comme le prolongement d’Éole vers le Mantois, seront lancées.

L’urgence consiste en effet à accélérer la réalisation des schémas directeurs des RER C et D, à lancer les schémas directeurs des RER A et B au sud, à mieux relier, grâce au prolongement d’Éole, les zones d’habitat de l’est parisien aux zones d’emplois de l’ouest, tout en désaturant la ligne A du RER.

Il nous faut donc à la fois préparer l’avenir grâce à de grands projets et répondre aux besoins à court terme des usagers, qui font face à une situation dégradée, liée à plusieurs années de sous-investissement. C’est une attente de nos concitoyens dont nous avons bien conscience. Nous ne pouvons bien évidemment pas nous satisfaire de la situation actuelle du réseau de transports, qui pèse sur la qualité de vie des usagers, et notamment des salariés.

Tel est le sens de la mobilisation du Gouvernement au côté de la région. De mon point de vue, l’essentiel, l’urgence est donc non pas de subventionner le fonctionnement, même si cela pourrait se justifier à certains égards, mais de mettre en œuvre concrètement des investissements de nature à apporter une solution aux difficultés quotidiennes des Franciliens, à améliorer la qualité de vie et à accroître la compétitivité et l’attractivité de la région. Ils seront en outre sources d’emplois.

Depuis les dernières élections, l’État et la région peuvent travailler ensemble en confiance, dans l’intérêt des usagers.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Parce qu’il y a respect des collectivités, parce qu’il y a ambition commune et mobilisation des moyens, toutes les forces peuvent s’unir de manière cohérente et construite, dans un esprit d’écoute, en vue d’atteindre un unique objectif : remédier aux insuffisances du réseau de transports, qui n’est plus, depuis maintenant plusieurs années, adapté aux besoins des usagers.

Tel est le sens de ce que nous avons souhaité faire avec le président du conseil régional, dès le lendemain de l’annonce du Nouveau Grand Paris : la crédibilité de ce projet passe par l’immédiateté des investissements et la mise en place d’une action déterminée et volontariste en faveur de l’amélioration du quotidien des Franciliens en matière de transports.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Esnol

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’objet de la proposition de loi de nos collègues du groupe communiste, républicain et citoyen confère à ce débat une importance particulière, puisqu’il porte sur toute une série d’enjeux cruciaux pour le développement de la région d’Île-de-France.

Cette importance est bien évidemment renforcée par l’actualité parlementaire, qui fait que le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles sera discuté dans ce même hémicycle dans les jours à venir.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Esnol

C’est bien évidemment la question des transports qui est d’abord posée au travers de la proposition d’instaurer une tarification unique pour le pass navigo. Il s’agit d’un sujet fondamental, qui concerne la vie quotidienne de millions de Franciliennes et de Franciliens.

Ce texte soulève ensuite une question fiscale, car, ne nous y trompons pas, le dispositif législatif présenté relève avant tout du domaine de la fiscalité et ne concerne la politique des transports que de manière indirecte.

Je me félicite que la représentation nationale puisse se saisir de ces questions, même si le cadre contraint de l’examen d’une proposition de loi restreindra le champ de notre réflexion et le temps imparti pour la mener. Il est en tous cas naturel et légitime que les sénateurs apportent leurs contributions et leurs réflexions sur l’avenir de l’Île-de-France. Bien évidemment, il ne s’agit nullement d’instituer une sorte de primat de cette région sur les autres territoires de France ; ce serait une injustice, en même temps qu’une ineptie. En revanche, il s’agit bel et bien de prendre toute la mesure des enjeux de développement de la deuxième région d’Europe en termes de PIB, l’une des plus attractives au monde pour les entreprises, tout en mettant au premier plan les enjeux en matière d’aménagement du territoire pour une aire métropolitaine comptant près de 12 millions d’habitants. Nous avons la responsabilité, en tant qu’élus, de penser le cadre de vie, la protection de l’environnement et la fluidité des déplacements.

Dans ce cadre, je souhaite d’abord souligner combien est cruciale la question des transports en Île-de-France. Dans ce domaine, les projets ont considérablement évolué au fil de la réflexion menée sur l’avenir de la région et sur ce que l’on a appelé le Grand Paris. Sous l’impulsion de Jean-Paul Huchon, président du conseil régional et du syndicat des transports d’Île-de-France, priorité a très justement été donnée aux « transports du quotidien ». Cette politique de la majorité régionale a vocation à profiter à tous les Franciliens.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans cette logique et comporte un dispositif fiscal au moyen duquel il serait possible de dégager de nouvelles ressources au bénéfice du STIF, pour financer de nouvelles mesures tarifaires ; j’y reviendrai.

La majorité régionale a indiqué qu’elle travaillait dans cette direction. Au final, c’est d’ailleurs à elle, et au STIF, qu’il reviendrait de voter une telle mesure. Pour le moment, nous ne pouvons qu’approuver, sur le principe, un dispositif visant à favoriser les déplacements intrarégionaux. Nous devons toutefois le faire avec le recul nécessaire et dans un esprit de responsabilité, afin d’évaluer les conséquences possibles de sa mise en œuvre.

Je tiens à le rappeler, des mesures sociales existent déjà dans le cadre de la tarification des transports urbains d’Île-de-France. Il s’agit d’ailleurs d’un acquis de la majorité régionale. Le STIF a ainsi accordé la gratuité aux allocataires du RSA, ainsi qu’aux chômeurs bénéficiaires de l’ASS et de la CMU. Concernant les salariés eux-mêmes, ils ne supportent pas la totalité du coût du transport, puisque l’employeur peut prendre à sa charge à hauteur de 50 % l’abonnement au pass navigo. De ce fait, si la question de l’instauration d’une tarification unique est légitime, elle ne paraît pas être la plus urgente, d’autant qu’il nous faut envisager les conséquences possibles de l’adoption d’une telle mesure en termes d’étalement urbain. L’objectif étant un aménagement plus harmonieux des zones d’habitation et des zones d’emploi, nous ne saurions favoriser davantage encore l’étalement urbain. Ainsi, prendre en compte dans la tarification les kilomètres parcourus reste un principe pertinent à bien des égards, et le dézonage du pass navigo ne saurait être sérieusement envisagé sans certaines précautions.

Si nous ne pouvons partager sans réserves l’objectif visé au travers de la présente proposition de loi, cela ne nous dispense pas d’examiner les moyens envisagés. En effet, l’objet de ce texte est de créer de nouvelles ressources fiscales propres à l’Île-de-France, pour rendre possible l’instauration effective du pass navigo unique, laquelle relèverait alors du STIF.

Il est proposé de recourir exclusivement à une augmentation du versement transport. Je rappelle que le taux plafond de celui-ci est actuellement fixé à 2, 7 % de la masse salariale pour Paris et les Hauts-de-Seine, à 1, 8 % pour l’unité urbaine, au sens de l’INSEE, correspondant à peu près à ce que l’on pourrait appeler la petite couronne, et à 1, 5 % pour le reste de la région. Le dispositif de la proposition de loi consiste tout simplement à harmoniser ces taux par le haut, soit à 2, 6 %. Incontestablement, les rentrées fiscales attendues, de l’ordre de 800 millions d’euros, seraient de nature à permettre le financement du coût, généralement évalué entre 300 millions et 500 millions d’euros, de l’instauration d’un pass navigo unique au tarif des zones 1et 2.

Pourtant, demander une telle contribution aux entreprises ne paraît ni très juste ni très réaliste dans le contexte actuel. Ce ne serait pas juste, car si les entreprises contribuent au versement transport parce que leurs salariés utilisent les services publics de transport, toutes ne profitent pas de ces derniers de la même manière ! Dans les Yvelines, le service rendu n’est évidemment pas le même qu’à Paris et en banlieue proche. Surtout, ce ne serait pas réaliste, car le contexte actuel du monde économique et des entreprises ne permet pas de demander à celles-ci une contribution aussi élevée.

En moins d’un an, il y a eu deux hausses consécutives du versement transport en Île-de-France : elles ont été maîtrisées et contrôlées, mais elles ne peuvent être suivies aussi rapidement d’une nouvelle augmentation de cette importance.

Surtout, dans le contexte de crise économique que nous connaissons, le Gouvernement a choisi de soutenir les entreprises par le biais du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE. Alors que le Gouvernement met en place une politique globale et cohérente d’abaissement du coût du travail visant à favoriser la reprise et la création d’emplois, quel sens cela aurait-il d’imposer une telle charge à nos entreprises ?

J’ajoute que le versement transport est intégralement assis sur la masse salariale des entreprises de plus de neuf salariés. Va-t-on pénaliser les entreprises qui embauchent ? Sanctionner celles qui distribuent des salaires décents ? Ce n’est évidemment pas notre philosophie ! Les entreprises ont besoin de la stabilité et de la lisibilité fiscales que le gouvernement actuel leur garantit. Il en va de même pour les collectivités que nous représentons ici : elles aussi sont assujetties au versement transport ; elles aussi auraient à pâtir d’une augmentation incontrôlée de ce dernier.

S’il paraît bien difficile d’approuver les moyens retenus par les auteurs de la proposition de loi pour atteindre un objectif – l’unification de la tarification – ne nous semblant guère prioritaire, il n’en reste pas moins que ce texte a l’immense mérite de nous faire réfléchir sur la politique des transports en région d’Île-de-France.

Le Gouvernement est parfaitement conscient des besoins immenses qui existent en matière de développement des infrastructures, mais aussi de modernisation des réseaux existants. Des investissements importants sont donc bel et bien nécessaires, et même indispensables. Avant même de s’intéresser à la question tarifaire, les Franciliens souhaitent une amélioration des moyens de transport qu’ils empruntent quotidiennement.

Dans les Yvelines et le Val-d’Oise, nous sommes confrontés à des enjeux vitaux ; vous le savez bien, monsieur le ministre. Nous avons besoin de l’extension d’Éole, qui est en bonne voie, mais cela ne suffit pas ! Le territoire de la Confluence, en particulier, qui regroupe au bas mot 1 million d’habitants entre les Yvelines et le Val-d’Oise, est menacé d’asphyxie si le bouclage de l’A 104 –la Francilienne – ne se fait pas.

À l’heure où l’on discute du financement du Grand Paris Express, pour lequel les premiers surcoûts sont déjà très importants, il nous faut penser la politique des transports et des déplacements en Île-de-France de manière globale. Nous devons envisager tous les modes de transport et desservir tous les territoires. Ainsi, lorsque je me fais l’avocat du bouclage de la Francilienne, je parle aussi en tant que défenseur de la voie d’eau en France, car je sais que la future plateforme multimodale d’Achères devra être connectée à la route et au rail pour pouvoir fonctionner réellement.

La mise en place d’un réseau de transport global, multimodal et interconnecté : voilà un objectif prioritaire ambitieux pour la politique des transports en Île-de-France, qui suppose aussi un rééquilibrage entre les territoires, car si le sens de la solidarité doit bien sûr nous conduire à prendre en compte les spécificités et les difficultés de l’est francilien, pour autant les populations de l’ouest de la région refusent clairement d’être les grandes oubliées en termes d’accès aux grandes infrastructures de transport et de fluidité des déplacements. Nous aurons bien sûr l’occasion de reparler de ce schéma global pour un meilleur aménagement des territoires franciliens.

L’importance des questions d’infrastructures et des investissements en jeu, ainsi que la difficulté, bien compréhensible dans le contexte actuel, de trouver les financements nécessaires, devraient conduire le groupe socialiste à ne pas voter en faveur de l’adoption de la présente proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

M. le rapporteur nous a dit, en commission, qu’il ne lui serait sans doute pas facile de convaincre sur ce sujet. Je tiens à saluer sa clairvoyance… Il est vrai qu’en inscrivant cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat, nos collègues du groupe CRC ont pris le risque d’importer dans notre enceinte les débats qui se tiennent au sein du conseil régional d’Île-de-France et du Syndicat des transports d’Île-de-France.

L’exercice n’est donc pas aisé en soi. Nous comprenons que l’augmentation du versement transport supposerait une évolution législative que, pour notre part, nous entendons repousser. Vous nous demandez, en conséquence, de solder un différend interne à une majorité régionale quelque peu désemparée.

L’origine de cette proposition de loi remonte à la campagne pour les élections régionales de 2010.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Les Verts défendaient alors la mise en place d’une tarification unique dans les transports collectifs franciliens, face à Jean-Paul Huchon et aux socialistes. Entre les deux tours, ils réussirent à imposer cette mesure à Jean-Paul Huchon, qui pour sa part n’en voulait guère, semble-t-il.

Depuis, en application de cet accord électoral, la majorité rose, verte et rouge du conseil régional d’Île-de-France a voté le principe de la création du pass navigo unique en décembre 2011, sans pour autant le mettre en œuvre, faute de financement…

Voilà pourquoi nous sommes amenés aujourd’hui à examiner la présente proposition de loi, d’ailleurs défendue par le groupe CRC et non par le groupe écologiste et son président, ancien vice-président du conseil régional d’Île-de-France chargé des transports, qui nous rejoindra sans doute sitôt terminée la conférence de presse du Président de la République.

Cette mesure ne pouvant être financée par le budget du STIF, il nous est aujourd'hui proposé de la faire financer par les entreprises franciliennes. L’augmentation du versement transport prévue par le texte doit en effet permettre de compenser la perte de recettes résultant, pour le STIF, de l’alignement de l’ensemble des tarifs du pass navigo sur le moins cher d’entre eux, à savoir celui des zones 1-2.

Sur le fond, la mise en place d’un tarif unique de 65 euros pour le pass navigo, même si elle relève d’une bonne intention, serait contre-productive pour les usagers des transports en commun d’Île-de-France eux-mêmes.

Je vois au moins trois raisons de nous opposer à une telle mesure.

Premièrement, l’instauration d’un tarif unique favoriserait l’étalement urbain, comme vient d’ailleurs de le rappeler Philippe Esnol. Cela irait à l’encontre de la tendance générale à la densification de l’habitat autour des gares et serait, au passage, contradictoire avec les objectifs fixés par le schéma directeur de la région Île-de-France, le SDRIF, qui vise à limiter l’installation des populations de plus en plus loin en grande couronne.

En outre, vous raisonnez comme si ceux qui s’éloignent de Paris ne le faisaient que pour des raisons économiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Le prix des logements n’y est-il pas pour quelque chose ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Le coût des loyers joue bien sûr un rôle, mais il s’agit également de choix de vie. M. le ministre a rappelé tout à l’heure très opportunément que s’installer en grande couronne n’a rien d’une punition et que les territoires concernés méritent toute notre considération.

La tarification unique ne répond pas, ou très mal, à cette problématique. De même, comme l’a souligné mon collègue Hervé Maurey en commission, elle ne permet pas non plus de traiter le problème du « mur tarifaire » pour les usagers des régions limitrophes de l’Île-de-France. Elle ne ferait au contraire qu’accroître l’écart important qui existe entre les tarifs appliqués à ces usagers et ceux dont bénéficient les populations qui résident du « bon » côté de ce mur.

Deuxièmement, la mise en œuvre de la proposition de loi, qui prévoit une harmonisation des taux du versement transport, conduirait à prélever entre 500 millions et 800 millions d’euros supplémentaires sur les entreprises franciliennes de plus de neuf salariés. M. le rapporteur proposera, par voie d’amendement, de limiter cette augmentation du versement transport à 500 millions d’euros. Cela est habile, eu égard à la grande circonspection que suscite cette mesure sur les différentes travées de notre hémicycle, mais est-ce suffisant ? Je pense que non.

Compte tenu de la crise économique, de l’avalanche de taxes que les entreprises ont subie ces derniers mois, est-ce bien raisonnable ? Certes, le versement transport a été créé, en 1971, afin de faire contribuer les entreprises au financement des déplacements de leurs salariés entre le domicile et le lieu de travail, mais rappelons que la loi de finances de 2013 a déjà augmenté de 0, 1 point les taux applicables aux trois zones du versement transport d’Île-de-France et que le taux du versement transport pour la zone 3, qui regroupe les communes de grande couronne, doit passer en trois ans de 1, 4 % à 1, 7 %.

En outre, les entreprises remboursent déjà pour moitié l’abonnement au pass navigo de leurs salariés. Il en résulte qu’elles constituent la plus importante des trois sources de financement du fonctionnement des transports en commun en Île-de-France, leur part atteignant environ 45 %. Augmenter le versement transport reviendrait à encore alourdir les charges supportées par nos entreprises. À l’heure où tout le monde s’accorde à vouloir favoriser leur compétitivité, cette mesure serait un mauvais coup pour l’emploi en Île-de-France ! Dès lors, on comprendra que les pistes évoquées dans la proposition de loi concernant l’évolution du versement transport ne nous paraissent pas acceptables en l’état.

Enfin et surtout, en matière de transports en Île-de-France, la priorité doit, me semble-t-il, être accordée aux investissements dans le réseau et non au financement d’une mesure certes généreuse, mais démagogique. L’Île-de-France a accumulé un retard considérable en matière d’investissements, que ce soit dans l’entretien des voies, dans le matériel roulant ou, plus globalement, dans le réseau.

Que demandent les Franciliens ? Quelle est leur priorité ? Ils souhaitent avant tout un renforcement de l’offre de transports en commun et un service plus fiable et régulier pour leurs déplacements quotidiens, notamment pour se rendre de leur domicile à leur lieu de travail. Ce constat, tous les élus franciliens le font. Ce matin même, monsieur le ministre, je suis resté bloqué vingt-cinq minutes dans le RER B !

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Le réseau est de plus en plus saturé, les usagers subissent quotidiennement retards et inconfort. Les retards, les défaillances dans la gestion, les avaries de matériel, le nombre insuffisant de rames, le manque d’information des voyageurs en gare, de propreté et de sécurité nuisent aux conditions de vie des Franciliens et à l’attractivité de la région d’Île-de-France. Il est urgent de décongestionner les réseaux de transport collectifs franciliens.

Si l’on choisissait de mettre en place la tarification unique, les Franciliens verraient l’investissement dans les transports stagner. Ce serait faire un cadeau empoisonné aux voyageurs. En outre, cela coûterait cher sur une longue durée.

Pour autant, il faut réfléchir – le STIF le fait – à la politique tarifaire, car il est vrai que le système actuel, organisé en zones concentriques, est obsolète, complexe et illisible pour les usagers. Il a été conçu en fonction de dessertes radiales. Un certain nombre de mesures ont été prises récemment en matière tarifaire, notamment le dézonage le week-end et les jours fériés. Par ailleurs, un système de tarification sociale existe. Il faut sans doute réfléchir à un nouveau système de tarification, plus moderne et plus efficace. À cet égard, nos collègues du groupe CRC posent une bonne question.

Cela étant, la réforme du système tarifaire francilien doit accompagner, et non précéder, le développement d’infrastructures et l’amélioration de la qualité du service, d’autant que la demande de transports collectifs va encore s’accroître dans les prochaines années.

Gardons enfin à l’esprit que, si l’on établit une comparaison entre les grandes métropoles, la part acquittée par l’usager des transports en commun franciliens est l’une des plus faibles qui soit. C’est une chance, mais c’est aussi un élément dont il faut tenir compte dans la réflexion.

Si une hausse des taux du versement transport devait être envisagée, le STIF devrait s’en servir en priorité pour financer les investissements nécessaires à l’amélioration des transports existants et au développement de lignes nouvelles. Cette proposition avait été faite avant l’aggravation de la crise.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette proposition de loi a, selon nous, le défaut d’aborder le problème des transports collectifs en Île-de-France de façon isolée et de le traiter sous le seul angle de la tarification. Nous ne pourrons répondre aux demandes des Franciliens que si d’importants investissements sont réalisés. C’est tout l’enjeu du projet du Grand Paris Express.

Loin de résoudre le problème, orienter les financements vers la tarification, et non vers les investissements, l’aggraverait plutôt. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Robert Hue devait intervenir sur ce sujet très francilien, mais, ne pouvant être présent dans notre hémicycle aujourd'hui, il m’a prié de m’exprimer en son nom.

L’Île-de-France concentre une activité économique à forte valeur ajoutée, créatrice d’emplois, et représente à elle seule un quart du produit intérieur brut national. Les entreprises franciliennes bénéficient d’une desserte très dense, notamment au cœur de Paris et en proche banlieue, favorisant la mobilité de leurs salariés et de leurs clients. Cela a justifié la création du versement transport, en 1971.

La construction de notre réseau métropolitain et ferroviaire n’a pas tenu compte, à l’origine, des banlieues, lesquelles devaient s’accommoder des nuisances créées sans pouvoir profiter du réseau, faute d’arrêts.

Le transport routier a longtemps été privilégié par les pouvoirs publics du fait de la démocratisation de la voiture, comme en témoigne la suppression des tramways en vue de faciliter la circulation routière, ce qui a entraîné un sous-investissement regrettable dans les transports collectifs. Qui pouvait d’ailleurs envisager, dans les années soixante, les crises pétrolières qui allaient bouleverser le monde, ainsi que la prise de conscience ultérieure des enjeux liés au réchauffement climatique ?

Ce sous-investissement, conjugué à la croissance démographique de la région, a contribué aux difficultés quotidiennes de nos concitoyens, confrontés à de nombreux retards, à des annulations, à une saturation du réseau qui affectent leur qualité de vie et leur travail. Leur lieu de résidence s’éloignant de plus en plus de leur lieu de travail en raison d’une offre de logements accessibles insuffisante, à l’achat comme à la location, ce qui entraîne un allongement des trajets, les Franciliens subissent de plein fouet les inégalités territoriales.

La proposition de loi présentée par nos collègues du groupe CRC vise à garantir l’égal accès de tous les Franciliens aux transports collectifs pour un prix unique de 65, 10 euros par mois, correspondant à l’offre tarifaire actuelle pour les zones 1-2.

Conformément aux engagements pris par la gauche devant ses électeurs lors de la campagne pour les élections régionales de 2010, à la suite, il faut le dire, d’âpres négociations, il est proposé d’aligner les taux du versement transport sur le plus élevé d’entre eux, celui qui s’appliquait à Paris et dans le département des Hauts-de-Seine au moment de la rédaction du texte, soit 2, 6 %. De nouvelles ressources, à hauteur de 800 millions d’euros, devraient ainsi être dégagées alors que le coût de la mise en place du pass navigo unique est estimé entre 400 millions et 600 millions d’euros.

Il faut rappeler que l’harmonisation du versement transport ne pénalisera pas les très petites entreprises, puisqu’elles ne sont pas assujetties à cette taxe. Seules sont concernées les entreprises de plus de neuf salariés, qui verront néanmoins leurs charges baisser, du fait de la diminution du remboursement à hauteur de 50 % des abonnements de leurs salariés qu’elles assurent.

Il convient toutefois de s’interroger sur les modalités de cette hausse, qui aurait pu être moins brutale.

En la matière, nous faisons confiance au STIF, autorité organisatrice des transports en Île-de-France, pour procéder graduellement à l’harmonisation des taux du versement transport. Ce serait là une solution raisonnable, notamment pour les entreprises qui risqueraient de voir leur fiscalité doubler en la matière.

Je rappelle que le taux du versement transport sera déterminé par le STIF en vertu du principe de libre administration des collectivités territoriales. À cet égard, nous aurions attendu, de la part d’élus locaux, une meilleure prise en considération de ce principe fondamental, car si la loi est compétente pour fixer les plafonds de taux de cet impôt, le pouvoir de décision appartient aux collectivités territoriales. La liberté de décision du STIF doit lui permettre d’affecter ces ressources, s’il le souhaite, au financement de dépenses d’investissement.

Le dézonage répond à un objectif hautement louable : pourquoi l’usager résidant en zone 4 ou en zone 5 devrait-il dépenser plus pour une desserte moins abondante et de moindre qualité ? Outre qu’elle permettra une amélioration de la qualité de vie des Franciliens résidant dans les petite et grande couronnes, cette mesure devrait contribuer au report modal du routier vers le ferroviaire.

Cette proposition de loi, plus qu’elle ne vise à instaurer un dézonage du pass navigo, qui n’est mentionné que dans son intitulé et est absent du corps du texte, constitue un moyen essentiel pour dégager de nouvelles ressources afin de financer la politique francilienne en matière de transports.

Les ressources nouvelles ne doivent pas servir exclusivement au financement du dézonage du pass navigo ; l’amélioration de la qualité de l’offre de transports reste bien évidemment la priorité des Franciliens, qui vivent très difficilement la hausse de la fréquentation des lignes. Sur certaines d’entre elles, à certaines heures, les conditions de transport ne sont pas acceptables. Tout le monde en convient, du reste.

Cette hausse de la fréquentation devra être absorbée grâce à des investissements dans les infrastructures, ainsi qu’à un renouvellement du réseau et du matériel roulant.

De fait, le Gouvernement ne pourra ignorer l’urgence d’engager une réflexion plus globale afin de poser les bases d’une nouvelle politique de financement des transports collectifs urbains, la politique actuelle étant à bout de souffle. Soit dit en passant, ce constat ne vaut pas seulement pour la région parisienne…

Si le versement transport a joué un rôle primordial dans le développement des transports collectifs urbains au cours des quarante dernières années, son rendement reste insuffisant au regard des exigences du financement des moyens de transport d’avenir propres à répondre aux besoins pressants de la population francilienne et à contribuer au renforcement de l’attractivité de nos entreprises.

Il est utile de rappeler que le financement du Grand Paris requiert un investissement de 30 milliards d’euros. Le politique reste confronté à un choix essentiel : qui devra financer le surplus nécessaire ? Les entreprises ? Les usagers ? Les contribuables locaux ? L’État ? Faire reposer l’effort sur l’usager reviendrait à renforcer les injustices territoriales.

La refonte du système de tarification est urgente et le versement transport reste un levier que nous ne pouvons pas ignorer. Aussi son utilisation est-elle cohérente avec les engagements pris par le conseil régional d’Île-de-France et, au sein de celui-ci, par le groupe commun des élus du parti radical de gauche et de ceux du mouvement unitaire progressiste.

Cette réflexion ne pourra esquiver la définition d’une nouvelle politique d’aménagement du territoire prenant en compte un sujet aussi primordial que le logement, qui pèse bien plus lourdement que les transports dans le budget des ménages.

En dépit de ces quelques remarques, qui sont autant de réserves, ce texte constitue un progrès réel vers davantage d’égalité entre les Franciliens devant le service public ferroviaire, ainsi que vers la réduction de la fracture territoriale. C’est la raison pour laquelle le groupe RDSE l’approuve et votera en faveur de son adoption, à l’exception d’un de ses membres qui ne prendra pas part au vote.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet des transports en commun en Île-de-France intéresse de très nombreux Franciliens. En effet, plus de 8, 5 millions de trajets sont effectués chaque jour grâce au réseau francilien, dont 3 millions sur celui de la SNCF et 5 millions sur celui de la RATP. À elle seule, la ligne A du RER est fréquentée quotidiennement par un million d’usagers.

C’est dire si le réseau de transports collectifs francilien est sollicité et mis à rude épreuve. Durant de trop nombreuses années, faute d’investissements suffisants de la part de l’État, sa fragilité s’est rapidement aggravée. Lors de son transfert aux collectivités, en 2006, ce réseau était déjà considérablement dégradé ; à cet état de vétusté s’ajoutait la saturation d’un grand nombre de lignes.

Malheureusement, aucun projet d’envergure n’avait été envisagé pour développer l’offre de transports depuis la création des lignes de RER dans les années soixante-dix et l’ouverture de la ligne de métro 14, tandis que l’agglomération parisienne connaissait une croissance démographique très forte.

Dès que le conseil régional eut repris la présidence du STIF, en 2006, les collectivités franciliennes ont pris la mesure des attentes des usagers, qui souffrent beaucoup des difficultés de transport en Île-de-France. En sept ans, les collectivités ont investi davantage que l’État ne l’avait fait au cours des vingt années précédentes.

Le rapport rendu voilà un an par le député UMP Pierre Morange au nom de la commission d’enquête relative au projet de rénovation du réseau express régional d’Île-de-France dresse le même constat : « La région et le Syndicat des transports d’Île-de-France consacrent désormais des efforts financiers sans précédent à la régénération du réseau existant et au renouvellement des matériels. »

Il n’y a pas de politique publique ambitieuse sans moyens financiers. Le STIF dispose d’un budget annuel de 5 milliards d’euros, 60 % de ses recettes provenant du versement transport acquitté par les employeurs, publics ou privés, de plus de neuf salariés. Il existe actuellement en Île-de-France trois zones pour la taxation au titre du versement transport. Les taux aujourd’hui en vigueur sont des taux plafonds.

La présente proposition de loi du groupe CRC prévoit un alignement sur les taux pratiqués à Paris et dans les Hauts-de-Seine pour tous les départements d’Île-de-France. La question qui est posée est celle de la définition des priorités : faut-il établir une nouvelle tarification, favorable aux usagers, ou donner la priorité à l’investissement pour améliorer l’offre de transports, ce qui correspond à une demande très forte des mêmes usagers ?

Il est essentiel que le Gouvernement et la Haute Assemblée réfléchissent ensemble à la mobilisation de nouvelles ressources en faveur des transports franciliens, celles-ci devant à mon sens servir prioritairement à développer le réseau existant et à mettre en place une offre nouvelle. Il ne serait pas cohérent de prétendre pouvoir, dans une conjoncture économique difficile, mener deux chantiers de front : l’amélioration de l’offre de transports et la refonte de la tarification. Toutes les enquêtes le montrent, les Franciliens attendent avant tout une amélioration de l’offre, avec davantage de ponctualité, de confort, de trains, de stations, de dessertes.

Le Gouvernement comme les collectivités s’emploient à répondre à cette attente des Franciliens. Ainsi, la région a voté un plan de mobilisation pour les transports qui a fait l’objet, en 2011, d’un accord avec l’État, dans le cadre de l’élaboration du réseau de transport Grand Paris Express. Ce plan prévoit près de 15 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2030, la moitié de cette somme étant mobilisable dans les cinq prochaines années. Il permettra notamment le renouvellement du matériel roulant, la modernisation des RER, la prolongation des lignes de métro, la mise en service de nouvelles lignes de tramway et de bus, ainsi que le bouclage des tangentielles.

Dans le même temps, l’extraordinaire projet du Grand Paris Express, d’un coût de 26, 5 milliards d’euros, va considérablement développer l’offre existante et révolutionner les déplacements à l’intérieur de la banlieue parisienne. Le Premier ministre a fixé un cap et rendu ses arbitrages sur ce projet le 6 mars dernier. Je crois que nous pouvons tous nous féliciter de ce que le Gouvernement ait voulu conserver toute l’ambition exprimée par les élus franciliens pour ce nouveau projet du Grand Paris Express.

Aujourd’hui, la priorité va donc clairement à l’investissement. C’est l’orientation retenue par le Gouvernement et c’est celle que prônent aussi les sénateurs du groupe socialiste.

Pourquoi cette priorité ? La future métropole parisienne, qui devra s’inscrire dans une aire urbaine de près de 11 millions d’habitants, doit se doter d’un réseau de transports performant. C’est un impératif de développement économique et je ne doute pas que les entreprises sauront s’associer à l’effort que les collectivités devront engager, car elles ont fortement intérêt à une amélioration de la desserte de leurs sites : en tant que maire d’une commune de la région parisienne et président d’une communauté d’agglomération, il m’apparaît certain que la mise en service de nouveaux moyens de transport collectif – une ligne de tramway dans le cas de ma commune – favorisera l’implantation d’entreprises.

Ce renforcement de l’offre de transports passe à mon sens avant la refonte de la tarification. En effet, si nous partageons la volonté de nos collègues du groupe CRC d’instaurer un pass navigo à tarif unique, cette mesure ne nous paraît pas revêtir le même caractère d’urgence que la modernisation du réseau.

Du reste, la tarification évolue progressivement vers la mise en place d’un pass navigo unique. Ainsi, les zones 7 et 8 ont été supprimées le 1er juillet 2007, puis la zone 6 l’a été à son tour le 1er juillet 2011, tandis que le dézonage est effectif depuis le 1er septembre 2012 le week-end et les jours fériés et sera instauré cet été du 14 juillet à la mi-août, pour permettre aux Franciliens ne partant pas en vacances de bénéficier d’une meilleure mobilité au sein de leur région.

Nous progressons donc vers la mise en place du pass navigo à tarif unique, qui s’imposera de toute façon lorsque sera mise en service la ligne 15 du métro, assurant une desserte circulaire, et non pas radiale : le système de tarification par zones n’aura alors plus aucun sens.

Le groupe socialiste soutient le Gouvernement dans son effort pour développer l’offre de transports, ainsi que la région d’Île-de-France et son président, Jean-Paul Huchon, …

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

M. Roger Karoutchi. Il y a des élections en vue ?

Sourires sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

M. Philippe Kaltenbach. … qui se sont attachés à améliorer cette offre et travaillent à la mise en place progressive d’un pass navigo unique. Pour les sénateurs socialistes, la priorité, je le répète, est le développement d’une offre de transports de qualité en Île-de-France.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Très bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Je suis quelque peu étonné d’être amené aujourd’hui à intervenir à la tribune sur un tel sujet. La multiplication des textes concernant l'Île-de-France, qu’ils portent sur le SDRIF, le projet de métropole ou le pass navigo, prouve bien que règne le désordre le plus total et que, en réalité, aucune réflexion globale n’a été engagée. On élabore des textes, puis on les retire, et pendant ce temps la galère continue dans les transports franciliens… Telle est la vérité !

Dès 2002, j’avais proposé l’instauration d’une carte orange unique. À l’époque, il existait huit zones. Progressivement, le STIF et la région ont ramené leur nombre à cinq. Quel est le problème, en réalité ? Le problème, c'est que les gouvernements successifs, qu’ils soient de gauche ou de droite, ont laissé faire la SNCF et la RATP, qui n’ont pas réalisé les investissements nécessaires pour transformer, améliorer, moderniser l'ensemble des structures. Pendant quinze ans, les élus d’Île-de-France ont été roulés dans la farine ! En matière d’investissements, la SNCF donnait la priorité au TGV, tandis que la RATP, soucieuse de développement à l’international, regardait davantage vers Le Caire ou Buenos-Aires que vers la Seine-Saint-Denis…

Aujourd’hui, il faut rattraper le retard qui a été pris : il y a sans cesse des incidents sur le réseau, les lignes sont gravement dégradées ; il est donc maintenant nécessaire d’investir massivement. Pourquoi a-t-on lancé le projet du Grand Paris Express ? Parce que les réseaux de transport actuels sont saturés, du fait d’un manque d’investissements dans la modernisation et l’adaptation du réseau de transports aux besoins des Franciliens depuis vingt ans. Durant cette période, la population de l'Île-de-France a crû de 25 %, cependant que l'offre de transports n’augmentait que de 4 %. Par conséquent, nous sommes aujourd'hui pris à la gorge : le réseau est au bord de l’asphyxie.

Pour ma part, j'ai toujours été favorable à l’instauration d’un pass navigo unique. En revanche, je le dis à nos collègues du groupe CRC, je ne pense pas que la solution, pour la financer, soit de matraquer plus encore les entreprises en leur imposant une contribution supplémentaire de 600 millions d'euros au titre du versement transport en 2013 alors que celui-ci a déjà augmenté de 120 millions d'euros à la fin de 2012. Les salariés gagneront-ils au change si la contrepartie d’une légère baisse du coût de leur titre de transport est le risque de voir leur entreprise se délocaliser ou faire faillite ?

La vérité, monsieur le ministre, c’est qu’il faut enfin faire preuve d’un peu de courage et reconnaître que le système de transports publics de l’Île-de-France ne peut pas conserver son organisation actuelle. Une unification de la gestion des lignes de RER, par le biais de la création d’une filiale commune à la SNCF et à la RATP, est nécessaire. Les économies de gestion qui en résulteraient couvriraient très largement le coût de la mise en place d’un pass navigo unique, lequel serait d’ailleurs non pas de 500 millions d’euros, comme cela a été affirmé, mais de 350 millions d’euros environ : je ne dis pas qu’un tel montant est négligeable, mais il ne justifie pas que l’on matraque les entreprises.

Mettons-nous autour d’une table, ayons le courage d’avancer sur la question de l’unification de la gestion des lignes de RER et de la rationalisation des systèmes de transports, et nous aurons alors les moyens d’aller vers la mise en place d’un pass navigo unique. Faut-il fixer le tarif de celui-ci à 65 euros ? Oui, si l’on ne veut pas que les usagers du cœur de l’agglomération hurlent à la mort, ce qui serait bien normal : pourquoi voudriez-vous qu’ils acceptent une augmentation tarifaire sans offre supplémentaire ? Parallèlement, comment envisager d’uniformiser le versement transport alors que les usagers du Val-d’Oise ou de la Seine-et-Marne voient passer un train tous les 36 du mois ? Pourquoi devrait-on payer autant dans la grande couronne qu’à Paris, où l’offre de transports publics est considérable ? Que les élus de la capitale m’excusent de le souligner, mais tout Parisien vit à moins de quatre-vingts mètres d’une station de métro, de bus ou de RER. Allez voir en Seine-et-Marne quelle distance doivent parcourir certains usagers pour rejoindre une station ! Dans ce domaine, l’équité n’est pas l’égalité.

Monsieur le ministre, il faut aller vers la mise en place à l’échéance de trois ans du pass navigo à tarif unique, mais sans faire trinquer les entreprises, et donc l’emploi : la solution est de réaliser des économies sur le fonctionnement, par une rationalisation des structures et du service. §

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite que le Sénat reprenne aujourd’hui, après une longue interruption, l’examen de cette proposition de loi, qui a été déposée par notre groupe voilà maintenant un an et dont l’objet est d’harmoniser les taux du versement transport en Île-de-France.

Il s’agit ainsi de trouver le financement nécessaire à l’instauration d’un pass navigo unique au tarif des zones 1-2, mais également de contribuer à la modernisation de l’offre de transports, qui constitue un autre enjeu essentiel.

La situation présente un certain caractère d’urgence. Alors que le Sénat a basculé à gauche voilà maintenant près de deux ans, les Franciliens ne comprendraient pas que celui-ci s’obstine à s’opposer à la mise en œuvre d’un engagement de la majorité du conseil régional datant de décembre 2011, d’autant que ces deux assemblées partagent à l’évidence la même orientation politique. Les Franciliens, comme l’ensemble de nos concitoyens, doivent pouvoir avoir confiance en la parole de leurs élus ; l’adoption de notre proposition de loi contribuerait à renforcer cette confiance.

Pourtant, depuis maintenant plusieurs années, les amendements que nous déposons afin d’instaurer un pass navigo unique sont systématiquement repoussés, pour l’unique raison qu’ils prévoient une participation renforcée des entreprises.

À l’évidence, cette question recoupe un débat plus général, que nous reprenons régulièrement. Alors que certains estiment que, pour sortir de la crise, il faut contracter la dépense publique et alléger les charges pesant sur les entreprises, nous considérons à l’inverse, pour notre part, qu’il faut trouver de nouvelles ressources pour financer des politiques publiques plus ambitieuses en matière de service public afin de garantir l’accès de tous à des droits essentiels, dont le droit à la mobilité.

En outre, demander une telle contribution aux entreprises ne serait pas illégitime. Les entreprises franciliennes ont besoin d’un système de transports performant, à la fois pour leurs salariés et pour leurs clients. J’ajoute qu’une baisse du coût des abonnements de transport de leurs salariés leur profiterait également, dans la mesure où elles le financent à concurrence de la moitié. Soyons clairs : au regard des 20 milliards d’euros de cadeaux fiscaux consentis aux entreprises au travers du crédit d’impôt inscrit dans la dernière loi de finances, l’augmentation du versement transport, estimée à 650 millions d’euros, représente – tout est relatif – une goutte d’eau.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Soulignons également que, eu égard aux forts besoins en matière de modernisation et d’amélioration de l’accessibilité des transports en Île-de-France, à défaut d’un renforcement de la contribution des entreprises, ce sont les usagers ou les collectivités qui devront, une nouvelle fois, mettre la main à la poche. Dans les conditions actuelles d’asphyxie budgétaire des collectivités et de perte de pouvoir d’achat de nos concitoyens, il semble que cette voie soit une impasse.

C’est un peu le mal du siècle : alléger toujours plus les charges des entreprises conduit mécaniquement à alourdir la fiscalité des particuliers. Nous ne pouvons partager cette orientation, en particulier dans une période où la crise frappe très durement nos concitoyens.

De manière plus globale, il faut garder à l’esprit que, ces dernières années, la décentralisation de la gestion des transports, notamment en Île-de-France, s’est traduite par un fort désengagement de l’État. La région francilienne, comme les autres d’ailleurs, s’est ainsi retrouvée à la tête d’un système de transports collectifs ayant souffert d’un sous-investissement chronique et elle a dû lui consacrer des sommes colossales. Pour cette raison, tant l’Île-de-France que les régions périphériques, dans leur grande majorité, souhaitent pouvoir bénéficier d’une ressource à la fois propre, dynamique et pérenne. Le versement transport est à ce titre un instrument utile, qui mériterait d’être généralisé.

Cependant, il faut le dire très clairement, le versement transport ne suffira pas, à lui seul, à financer les immenses efforts nécessaires, notamment à l’heure du lancement du Grand Paris Express : l’État doit aussi contribuer, de manière bien plus significative qu’aujourd’hui, au financement du service public.

À ce titre, je rappelle que la construction du super métro est déjà, à l’heure actuelle, financée par les Franciliens eux-mêmes au travers de la taxe spéciale d’équipement, …

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

… qui est particulièrement injuste puisqu’elle n’est pas progressive. À l’évidence, cela ne choque pas grand monde…

Au travers de ce débat, nous abordons également les questions relatives à la construction métropolitaine et aux conditions de sa réussite. Nous avons de tout temps affirmé que la construction métropolitaine devait être adossée à une vision progressiste promouvant des avancées concrètes pour les habitants de la région. L’instauration d’un pass navigo unique repose sur l’idée suivante : permettre la construction d’une identité métropolitaine à l’échelle régionale, d’un sentiment d’appartenance de chacun, quel que soit son lieu de résidence ou de travail, à un seul et même territoire où il peut se déplacer librement. La dimension tarifaire est donc l’un des éléments de cette identité à construire.

Nous devons ainsi combattre l’instauration d’une région à plusieurs vitesses, avec des habitants de première et de deuxième zones, voire de troisième ou de quatrième zone.

Le travail fort intéressant accompli par notre collègue Michel Billout tient par ailleurs compte de la situation actuelle de l’offre de transports. Nous présenterons ainsi un amendement visant à conserver une différence de traitement entre les entreprises de la petite couronne et celles de la grande couronne, qui ne bénéficient pas aujourd’hui de la même offre de transports, par le maintien de deux taux différenciés pour le versement transport. Cependant, nous considérons que cette situation a vocation à évoluer progressivement.

Les besoins sont aujourd’hui immenses en Île-de-France. Il est, à ce titre, particulièrement frappant que la région capitale – la plus riche de France – soit aussi celle où les inégalités sont les plus fortes. Pour remédier à cette situation, et ne pas aggraver les disparités au travers d’une construction dite métropolitaine, il est urgent de remettre au cœur de nos préoccupations les besoins des Franciliens et d’identifier les dispositifs à mettre en œuvre pour y répondre.

Modernisation de l’offre de transports, construction de logements à prix abordables, réindustrialisation des territoires et préservation des terres agricoles : tels sont les enjeux de la métropole de l’après-Kyoto. Au cœur de cette construction doit figurer la reconnaissance de l’appartenance de l’ensemble des Franciliens à un même territoire disposant d’une identité propre. L’adoption de la présente proposition de loi permettra de faire un pas dans cette direction. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

Les écologistes, on le sait, sont de fervents défenseurs du pass navigo à tarif unique. Nous avions d’ailleurs inscrit son instauration dans notre programme pour les élections régionales de 2010 en Île-de-France. Entre les deux tours, nous étions parvenus à convaincre Jean-Paul Huchon, le président de la région, de l’intérêt d’une telle mesure, qu’il s’était engagé à mettre en œuvre au nom de la majorité socialiste, écologiste et communiste régionale.

Les élus régionaux écologistes, notamment Mounir Satouri, le président du groupe, sont plus que jamais mobilisés, sur le terrain, pour mettre en place cette disposition emblématique. C’est un très beau projet, mais l’innovation qu’il représente suscite quelques réticences, dont je ne doute pas que M. Karoutchi se soit fait l’écho, avec sa compétence et son humour habituels !

M. Roger Karoutchi rit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

Pourtant, cela répond à une demande forte des Franciliennes et des Franciliens, qui souhaitent pouvoir bénéficier de transports collectifs à moindre coût. Pour nos concitoyens qui vivent en périphérie de Paris, c’est la double peine : les trains sont peu nombreux, en mauvais état, surchargés ; les temps de transport sont considérables, pouvant parfois atteindre jusqu’à trois heures par jour, avec la fatigue et l’énervement que cela induit pour les usagers, qui voyagent dans des conditions difficiles et doivent, de surcroît, payer le prix fort. Je le constate dans ma circonscription, l’Essonne : si vous habitez en zone 5, à Brétigny par exemple, et si vous travaillez à Paris, comme c’est souvent le cas, votre abonnement de transport vous coûte 113, 20 euros tous les mois ! Même si la moitié de cette somme est remboursée par votre employeur, cela reste exorbitant et cette dépense réduit dans une mesure considérable le pouvoir d’achat des familles.

La mise en place d’un pass navigo à tarif unique répond donc à un premier enjeu, d’ordre social : permettre à chacun de se déplacer entre son domicile et son lieu de travail à un coût acceptable.

Mais n’oublions pas l’enjeu environnemental d’une telle mesure. Je regrette, à cet égard, que cet adjectif n’apparaisse pas dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, mais je sais que le rapporteur a cette préoccupation à l’esprit.

L’instauration du pass navigo à tarif unique permettra de favoriser le report modal de la route vers le transport collectif. C’est un outil indispensable en vue de la transition écologique du territoire : combien de voitures roulent chaque jour sur les routes de la région sans autre occupant que leur conducteur ? Combien restent coincées dans les bouchons pendant des heures ? La pollution atmosphérique engendrée par ce mode de déplacement est dramatique pour la qualité de l’air en Île-de-France, en particulier à Paris, sans même évoquer la question du diesel.

Cela ne peut plus continuer ainsi, mais comment demander à nos concitoyens et à nos concitoyennes de prendre le train si l’offre est inexistante ou s’il est beaucoup moins coûteux de prendre sa voiture ? Il faut agir dès maintenant, d’une part en diminuant le prix des transports publics, notamment grâce au pass navigo à tarif unique, d’autre part en améliorant l’offre.

Enfin, comme l’a dit la présidente du groupe CRC – je suis certain que le Sénat sera sensible à cet argument –, le projet du pass navigo à tarif unique est fédérateur, car sa mise en œuvre permettra de renforcer la solidarité territoriale. Nous ne pouvons prétendre promouvoir la décentralisation et réfléchir à son acte III sans doter nos collectivités territoriales des moyens de susciter le sentiment d’appartenance aux territoires, de créer cette identité régionale à laquelle Éliane Assassi faisait référence.

Je vous l’accorde, si le principe est louable, la mise en œuvre n’est pas aisée. Différents modes de financement sont envisageables ; je n’y reviendrai pas. Le versement transport est un outil indispensable, mais complexe à gérer, surtout dans la situation économique difficile que nous connaissons aujourd’hui. Les modulations proposées par notre excellent rapporteur, M. Billout, ont le mérite de tendre vers un compromis, même s’il paraît délicat d’augmenter, ne fût-ce que dans une modeste mesure, le versement transport pour les entreprises de la grande couronne, compte tenu notamment de la faiblesse de l’offre de transports publics dans ce territoire. Cela étant, je sais Michel Billout parfaitement au fait de ces questions.

En effet, s’il est légitime que les entreprises participent au financement des moyens de transport qu’empruntent chaque jour leurs salariés, la zone 3, contrairement aux zones 1 et 2, ne bénéficie que très peu des infrastructures de transports. On peut d’ailleurs craindre, monsieur le ministre, que la mise en œuvre du projet du Grand Paris Express n’aggrave la situation, dans la mesure où celui-ci ne concernera qu’à la marge la grande couronne. Dans ces conditions, tant que l’offre de transports en commun n’aura pas été améliorée, je crois qu’il serait injustifié d’augmenter le versement transport pour cette zone périphérique.

En tant qu’ancien vice-président de la région d’Île-de-France chargé des transports, je sais combien les besoins en matière d’investissements restent importants, en dépit de ce qui a déjà été réalisé. Modernisation du réseau, offre de transports, régularité, fréquence, sécurité, qualité de service, éco-mobilité : il y a encore beaucoup à faire, au vu de l’état des lignes de RER ou du manque de liaisons inter-banlieues.

La stratégie suivie a été celle des « petits pas », consistant à promouvoir une tarification de plus en plus juste sans renoncer à réaliser les investissements nécessaires. J’avais ainsi proposé et obtenu la suppression de la zone 6, ce qui a permis à des milliers d’usagers d’économiser près de 14 euros sur leur abonnement mensuel.

Mon successeur et ami Pierre Serne – les écologistes étant attachés au non-cumul des mandats, j’ai démissionné du conseil régional alors que la loi ne m’y obligeait pas ! –…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

… a d’ores et déjà mis en place le dézonage dans toute l’Île-de-France le week-end et les jours fériés. Par ailleurs, le conseil du STIF a entériné aujourd’hui même le principe d’un pass navigo unique en période estivale ; cette mesure entrera en vigueur dès cet été.

Il faut maintenant passer le dernier cap en mettant en place le pass navigo à tarif unique partout en Île-de-France. Pour financer cette mesure en année pleine, 400 millions d’euros sont nécessaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

Dans le cadre de nos réflexions sur la décentralisation, je crois qu’il serait intéressant d’envisager le déplafonnement du versement transport, dont la fixation du taux serait laissée à la libre appréciation du conseil du STIF, selon des modalités que ses membres auront le soin de déterminer compte tenu de leur connaissance fine du territoire. Je pense même que l’on pourrait créer davantage de zones pour le versement transport.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

M. Jean-Vincent Placé. Je sais que vous préférez les choses à l’ancienne, monsieur Karoutchi.

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

Ce n’est pas à la loi de déterminer quel taux doit s’appliquer pour telle ou telle commune d’Île-de-France : cela appartient aux acteurs locaux, qui connaissent de manière fine les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de la région. Faisons confiance aux autorités organisatrices de transports et à nos élus locaux.

En conclusion, renforcer les transports collectifs et l’éco-mobilité est une priorité, surtout dans une région comme l’Île-de-France, qui en a particulièrement besoin. Nous n’approuvons pas l’ensemble des modalités de mise en œuvre prévues par le présent texte, mais nous sommes favorables à l’instauration effective d’un pass navigo unique. Parce que nous partageons la philosophie qui la sous-tend, le groupe écologiste votera cette proposition de loi. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

Merci pour ce geste de solidarité, mon cher collègue !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Cela me sera d’autant plus facile que je partage presque complètement le point de vue de nombre des intervenants qui m’ont précédé ; les propos de M. le ministre, en particulier, m’ont rassuré.

Ainsi, le Sénat est appelé à la rescousse de la majorité de gauche du conseil régional, qui, comme l’a rappelé Jean-Vincent Placé, entre les deux tours des dernières élections régionales et, certainement, dans la précipitation, a conclu un accord sur la mise en place du pass navigo à tarif unique, sans prévoir, bien évidemment, les moyens nécessaires… L’échéance des élections régionales de 2014 approchant, il faut sauver le soldat Huchon. Quelle solution nous présente-t-on au travers de ce texte ? Toujours la même : un problème, une taxe !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Ainsi, pour trouver les 500 millions d’euros dont vous avez besoin, vous nous proposez d’augmenter le versement transport.

Je ne peux me rallier à cette solution. Pour autant, je suis favorable au principe de la tarification unique. Je suis d’ailleurs assez étonné que certains de nos collègues s’y soient opposés, au motif que son instauration favoriserait l’étalement urbain.

Pour lutter contre l’étalement urbain, mes chers collègues, il existe des dispositifs, figurant dans les documents d’urbanisme, le SDRIF, les plans d’occupation des sols, les PLU. Je ne vois pas pourquoi il faudrait jouer sur la tarification des transports en commun, en faisant payer plus cher l’abonnement aux habitants de l’Île-de-France les plus éloignés de Paris.

En Île-de-France, chacun l’a dit, la priorité est d’améliorer le réseau de transports existant, qui souffre depuis de nombreuses années d’un manque d’investissements. Roger Karoutchi l’a rappelé, tous les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans sont responsables de cette situation. L’état de dégradation de la ligne B du RER est bien connu, mais elle n’est pas la seule à avoir besoin d’une remise à niveau. Il faut en outre prolonger nombre de lignes de métro, ainsi qu’Éole vers l’ouest. Un accord a été trouvé sur ce sujet entre la région et l’État, ce qui est une très bonne chose.

Il faut aussi financer le projet du Grand Paris Express, lancé par le précédent gouvernement. Ce projet coûtera plus cher qu’initialement prévu. Il sera donc nécessaire de mobiliser des moyens supplémentaires. Or il nous est ici proposé de consacrer 500 millions d’euros par an au financement du pass navigo à tarif unique : d’ici à 2030, ce sont donc de 8 milliards à 9 milliards d’euros qu’il faudrait dépenser à ce titre, alors même que le financement du Grand Paris Express est dans l’impasse. Mes chers collègues, il va falloir choisir ! Quitte à solliciter les entreprises, mieux vaudrait que ce soit pour participer au financement des investissements, plutôt qu’à celui d’une modification tarifaire à laquelle – je le répète – je suis cependant favorable.

Pour ma part, je suggère de recourir à la péréquation tarifaire entre usagers pour financer la mise en place du pass navigo unique. Il est en effet paradoxal que ceux qui bénéficient du meilleur service, c’est-à-dire les Parisiens et les habitants de la petite couronne, paient aujourd’hui moins cher que les autres habitants d’Île-de-France. Avec un peu de courage politique, nous pourrions entériner le principe de faire payer un peu plus ceux qui bénéficient de la meilleure desserte…

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Charon

Nos collègues du groupe CRC nous présentent aujourd’hui un texte visant à instaurer un pass navigo unique au tarif des zones 1-2. Cette proposition se heurte malheureusement à un problème de taille, celui du coût.

Évidemment, inspirés par de bonnes intentions, nous pourrions être tentés d’instaurer la gratuité des transports publics pour tous. Mais, on le sait, dans ce domaine comme dans tant d’autres, la gratuité n’existe pas : le coût est simplement transféré à des acteurs moins identifiables que l’usager qui achète un ticket ou une carte d’abonnement.

La réponse qu’apporte cette proposition de loi à la question du financement passe ainsi par l’augmentation du versement transport. Cette charge, qui pèse sur les entreprises, a représenté environ 3, 2 milliards d’euros en 2012, soit quasiment l’équivalent des recettes tarifaires de la RATP et de la SNCF en Île-de-France, qui se sont élevées à 3, 3 milliards d’euros en 2011.

Si l’on ajoute à ce montant le remboursement de la moitié du pass navigo de leurs salariés, qui atteint environ 800 millions d’euros par an, la contribution des entreprises au financement des transports en commun aura été de l’ordre de 4 milliards d’euros en 2012, soit pratiquement la moitié du coût de fonctionnement des transports en commun franciliens.

Mes chers collègues, j’interviens aujourd’hui en tant qu’élu parisien soucieux de la bonne mise en œuvre du projet du Grand Paris, soucieux aussi de ne pas voir se déliter le réseau d’entreprises qui contribue à la création de richesse francilienne et constitue un maillon très important de notre territoire.

Le contexte économique a imposé à de nombreuses entreprises de réduire la voilure pour ne pas succomber aux effets de la crise. Il est aujourd’hui impensable de leur porter un coup supplémentaire en alourdissant le poids des charges qui pèsent sur l’activité.

Pourtant, la mise en place d’une tarification unique pour le pass navigo devrait coûter entre 550 millions et 700 millions d’euros par an, sur la base d’un tarif forfaitaire de 65 euros par mois pour les abonnements et d’une diminution du prix des billets longue distance. Le point d’équilibre financier de cette mesure s’établit à 91 euros par mois. Selon le STIF, cette mesure pourrait être financée par l’application d’un taux unifié de 2, 6 % pour le versement transport.

Une telle harmonisation affecterait très fortement des départements comme la Seine-Saint-Denis ou le Val-de-Marne, pour lesquels le taux du versement transport passerait de 1, 7 % à 2, 6 %, et plus encore les quatre départements de la grande couronne, le taux s’appliquant actuellement à ces derniers étant de 1, 4 %.

Le surcoût net, pour les entreprises, s’élèverait à 586 millions d’euros, soit une augmentation de près de 25 % en une seule année.

Mes chers collègues, nous avons le devoir de préserver le tissu entrepreneurial francilien. Notre énergie doit s’orienter vers la création de richesses ; celle-ci assure la prospérité de tous et le financement de services publics de qualité. Si les entreprises disparaissent, c’est l’emploi qui disparaît, et l’instauration du pass navigo unique devient alors une question très accessoire…

Par ailleurs, je tiens à formuler une inquiétude s’agissant spécifiquement des usagers parisiens.

Les entreprises ne pouvant indéfiniment être sollicitées, il est à craindre que le coût de cette harmonisation du versement transport ne se reporte un jour, une fois de plus, sur les usagers parisiens, lesquels ont déjà vu augmenter considérablement le prix de leur abonnement depuis plusieurs années. Cela serait tout à fait fâcheux, les Parisiens n’ayant pas vocation à subventionner les déplacements de ceux qui ont fait le choix de s’éloigner de la capitale. §

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Charon

Certaines familles, pour vivre à Paris, doivent acquitter des loyers très élevés. Leur demander de financer le coût des longs trajets en Île-de-France reviendrait à leur faire subir une forme de double peine : un loyer cher et des transports de plus en plus coûteux.

Mes chers collègues, ce qu’attendent les usagers, avant l’instauration d’un tarif unique, c’est un service de qualité : ils veulent pouvoir voyager en sécurité, dans des trains qui arrivent à l’heure. Cette proposition de loi soulève finalement un problème de financement, alors qu’il faudrait en réalité trouver des solutions en termes d’organisation et de services. C’est pourquoi le groupe UMP ne la votera pas. §

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier

Je tiens tout d’abord à remercier les sénateurs du groupe CRC de nous offrir l’occasion de débattre de la question des transports en commun, trop peu souvent abordée au Parlement. Monsieur Karoutchi, l’initiative parlementaire doit aussi permettre d’évoquer un tel sujet : il ne s’agit pas d’un manque d’organisation ou de ligne politique. Le Parlement a toute latitude à cet égard. Il peut parfaitement décider de se pencher sur des thèmes intéressant le quotidien de nos compatriotes, surtout lorsque, comme c’est le cas en l’occurrence, il y va de la compétitivité de nos territoires et de la justice sociale.

Les services publics ont un coût, cela va de soi, monsieur Charon, et la gratuité n’existe pas. Cela étant, il importe d'assurer à nos concitoyens la plus grande égalité possible en matière d'accès à des services publics de qualité et fiables. Le Gouvernement est mobilisé, autour du Premier ministre, pour assurer aux Français des conditions de vie à la hauteur de leurs attentes.

S’agissant des 25 milliards d’euros d’investissements nécessaires à la mise en œuvre du Nouveau Grand Paris, j’ai déjà rappelé la forte détermination exprimée par le Premier ministre au mois de mars dernier, qui contraste avec la lenteur, pour ne pas dire l’indécision, de nos prédécesseurs : les décisions sont arrêtées. Mme Duflot et moi travaillons à donner une traduction concrète dans les meilleurs délais aux engagements pris.

Parallèlement, nous devons nous soucier d’améliorer le quotidien des Franciliens. Dans cette perspective, 7 milliards d'euros d'investissements ont d’ores et déjà été engagés. Monsieur Karoutchi, vous avez reconnu que, depuis dix ans, rien n’avait été fait. §

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Depuis vingt ans ! Cela concerne autant la gauche que la droite !

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

On avait laissé faire la SNCF et la RATP : telle n’est pas notre conception d’un État stratège.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Du temps de Jospin, c’était déjà comme ça !

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

L’action des opérateurs doit se conformer à la volonté exprimée conjointement par les collectivités locales et le Gouvernement, qui ne peut se désintéresser de ces problématiques.

Les 7 milliards d'euros d’investissements que j’ai évoqués permettront de mettre en œuvre un certain nombre de projets emblématiques : désaturation de la ligne 13, prolongement de la ligne 11 jusqu’à Rosny, puis Noisy, débranchement du T4 à Clichy-Montfermeil, réalisation de la ligne de tramtrain Massy-Évry, de la tangentielle ouest entre Saint-Cyr-l’École et Saint-Germain-en-Laye et de la tangentielle nord entre Épinay et Le Bourget, monsieur Capo-Canellas, prolongement du T8 au sud.

Les perturbations sur le réseau de transports francilien qui ont été évoquées…

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

… peuvent aussi être dues à des événements tout à fait indépendants de l’état de celui-ci, tels des accidents de personne. De telles circonstances, extrêmement pénalisantes, sont à l’origine du retard que vous avez subi, monsieur Capo-Canellas.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Certes, mais il faut donc permettre à la police judiciaire et à l’opérateur d'intervenir le plus rapidement possible.

Le Gouvernement a pris dix mesures concrètes : mobilisation d’une enveloppe de 400 millions d'euros pour financer l'amélioration du confort et la robustesse de l'exploitation, ainsi que la rénovation des quais, protection du réseau pour éviter l'intrusion de personnes ou d'animaux, création de sites de maintenance et de garages pour accroître la disponibilité du matériel roulant, renforcement des stations d'alimentation électrique, certaines d’entre elles étant aujourd’hui saturées, retournement des trains pour rendre le réseau plus performant… Il sera prochainement demandé aux entreprises de transport de présenter un programme précis en la matière, accompagné d’un calendrier de réalisation. Telle est la traduction concrète de notre volonté politique.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Nous avons demandé à RFF et à la SNCF de systématiser la mise en place de plateaux communs dans le cadre des projets d'infrastructures. Cela suppose la désignation d’un chef de projet unique, commun aux deux entreprises.

Monsieur Karoutchi, vous vous êtes déclaré favorable à la création d’une filiale commune à la RATP et à la SNCF en vue de l’unification de la gestion du RER. Par conséquent, j’espère que vous soutiendrez la réforme ferroviaire que présentera le Gouvernement, visant à réunifier le service public dans un souci d'efficacité, l’objectif étant de réduire les délais d'intervention et les coûts.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Nous avons également demandé un renforcement de l’intégration de la gestion des lignes A et B du RER, qui sont co-exploitées par la SNCF et la RATP.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Un commandement unique de la ligne B sera mis en œuvre dès le mois d'octobre prochain. Par ailleurs, un groupe de travail a été mis en place pour définir les modalités d’un commandement unifié de la ligne A.

Nous avons tiré les conséquences de l’incident du 7 novembre dernier, dû à la création d’un arc électrique par un parapluie qui s’était envolé, ce qui a amené la paralysie d’une partie importante du réseau. Certains élus de l’opposition francilienne avaient alors dénoncé un manque d’initiative politique, mais il ne s’agissait donc que d’un fait divers des plus banals, même s’il a entraîné de lourdes perturbations. Cet événement a mis en évidence l’inadaptation du système d’alerte radio, permettant de stopper le trafic sur un secteur du réseau en cas d’incident. J'ai demandé une révision des procédures ; ce travail d’analyse a débouché sur la préconisation de substituer à l’alerte radio, qui interrompt systématiquement l’ensemble du trafic, un système de « marche à vue ». Cet été, 15 000 cheminots seront formés pour éviter qu’une telle paralysie du réseau ne se reproduise.

Par ailleurs, afin de lutter contre les vols de câbles, d’ici à 2014, RFF investira 9 millions d'euros en Île-de-France et 30 millions d'euros à l’échelle nationale pour renforcer la sécurisation des espaces et des sites.

Ainsi, dès les premiers jours ayant suivi son installation, le Gouvernement a cherché à apporter des réponses aux difficultés du quotidien, à prévenir les perturbations afin de garantir la qualité du service public. Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, de l'intérêt que nous portons à ces questions. Il ne s’agit nullement, monsieur Karoutchi, de laisser faire les opérateurs : la volonté politique sera suivie d'effet !

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

L’article L. 2531-4 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Après les mots : « Île-de-France », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « dans la limite de 2, 6 %. » ;

2° Les 1°, 2° et 3° sont supprimés.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

L’article 1er de la proposition de loi vise à unifier les taux plafonds du versement transport pour l’ensemble du territoire francilien, en les alignant sur celui en vigueur pour Paris et les Hauts-de-Seine, à savoir 2, 6 %. Actuellement, ce taux plafond est de 1, 4 % pour la zone 3 et de 1, 7 % pour la zone 2.

Un tel relèvement perturberait gravement les activités des PME de l’Essonne, déjà handicapées par les augmentations d’impôt qu’elles subissent en permanence. Ce nouveau zonage induirait une rupture de l’équité fiscale, car on demande aux entreprises de l’Essonne de payer plus pour un réseau de transport vétuste et inadapté aux besoins des usagers. En augmentant ce taux, vous aggravez encore leur situation ! En plus du versement transport, les entreprises remboursent à leurs salariés la moitié du coût de leur abonnement navigo. Elles contribuent également financièrement à la réalisation du Nouveau Grand Paris.

Pour les PME de l’Essonne, il est inconcevable de financer le réseau de transports au même niveau que les entreprises parisiennes, nettement mieux desservies. Ce n’est pas le relèvement de cette taxe qui permettra de mieux financer le réseau. En toute logique, les entreprises de l’Essonne devraient payer moins ! Il faut absolument revenir à la réalité : dans un contexte de crise et de récession, alourdir de nouveau la fiscalité des entreprises ne peut que contribuer à les fragiliser davantage encore.

Monsieur le ministre, chers collègues, une telle augmentation du taux plafond pour le versement transport diminuerait la compétitivité des PME, leur croissance et leur capacité d’embaucher, au rebours de ce que vous prétendez rechercher.

Je suis tout à fait opposé à cette proposition de loi, qui est antiéconomique pour les entreprises de l’Essonne, qu’elles soient implantées en zone périurbaine ou dans des secteurs ruraux.

Je me fais ici l’interprète du président de la chambre de commerce et d’industrie de l’Essonne pour demander la suppression de cet article, dont le dispositif, s’il était mis en œuvre, compromettrait l’activité de nos PME. Si vous voulez vraiment lutter contre le chômage, commencez par ne pas l’aggraver ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

L’amendement n° 1, présenté par M. Billout, Mme Cohen, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

A - Alinéas 2 et 3

Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :

1° Au troisième alinéa, le pourcentage : « 1, 8 % » est remplacé par le pourcentage : « 2, 7 % » ;

2° Au quatrième alinéa, le pourcentage : « 1, 5 % » est remplacé par le pourcentage : « 1, 8 % ».

II. – L’évolution des taux décrite au I est progressivement mise en œuvre par tiers sur trois ans.

B - En conséquence, alinéa 1

Faire précéder cet alinéa de la mention :

I. -

La parole est à M. Michel Billout.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Je présente cet amendement au nom de mon groupe, et non en qualité de rapporteur, la commission ne l’ayant pas adopté.

Cet amendement me semble de nature à répondre à un certain nombre de critiques, formulées notamment par notre collègue Serge Dassault et par M. le ministre, selon lesquelles le dispositif actuel du texte pourrait imposer aux entreprises implantées en grande couronne un effort trop important, eu égard à l’augmentation du versement transport.

Je voudrais souligner un point qui n’a pas vraiment été abordé au cours du débat, mais qui a son importance. Un certain nombre d’entreprises de haute technicité se sont installées par nécessité en grande couronne, parce que leurs activités sont à risques ou polluantes, notamment sur le plan sonore. Aujourd’hui, elles peinent à recruter, même en cette période de fort chômage, des salariés qualifiés, voire très qualifiés, du fait qu’elles sont mal desservies par les transports en commun, alors que les compétences dont elles ont besoin, qui manquent dans leur bassin d’emploi, existent ailleurs dans la région francilienne. En effet, quand on habite en petite couronne, on rechigne parfois à aller travailler en grande couronne.

L’amendement vise à tenir compte de telles situations, tout en abaissant les coûts de transport pour les usagers, en particulier les salariés.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

La commission a émis un avis défavorable sur l’amendement.

Debut de section - Permalien
Frédéric Cuvillier, ministre délégué

Il est vrai que cet amendement vise en quelque sorte à répondre aux critiques que j’ai formulées voilà quelques instants. Pour autant, il ne permet pas de gommer les imperfections d’un texte dont le dispositif, s’il est assurément inspiré par une noble motivation, conserverait une incidence économique réelle : le problème posé par l’augmentation du versement transport pour la grande couronne demeure, même s’il est amoindri. Un déséquilibre subsiste entre la zone centrale de l’agglomération et la périphérie.

La préoccupation centrale du Gouvernement, je le répète, est d’apporter des réponses aux difficultés du quotidien en matière de transports. Donnons-nous la priorité aux investissements, afin d’améliorer la qualité de service, ou à la réforme de la tarification ? Telle est la question cruciale. Le Gouvernement a choisi de faire porter l’effort sur l’investissement, afin de faciliter les déplacements quotidiens des Franciliens et d’améliorer leurs conditions de vie.

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Cet amendement vise à rendre moins douloureuse pour les entreprises l’augmentation du versement transport, en ramenant le montant de la ponction de 800 millions d’euros à 500 millions d’euros. Cette atténuation est bien sûr louable, mais c’est encore trop à nos yeux. En conséquence, nous ne pouvons voter cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Cet amendement montre que nous avons pris en compte les critiques qui nous ont été adressées. Cela étant, que vaut l’argument selon lequel on ne saurait taxer davantage les entreprises, dans la mesure où l’on vient de leur faire un cadeau de 20 milliards d’euros sous forme de crédit d’impôt ? Je relève que la perspective de mettre plus fortement à contribution les usagers n’a, en revanche, suscité aucun émoi, que ce soit à droite ou à gauche de l’hémicycle…

Ne soyons pas hypocrites. Il y a trois sources de financement pour les transports publics : les usagers, les collectivités et les entreprises. Depuis quelque temps, les collectivités sont très lourdement sollicitées. Les usagers trouvent pour leur part les tarifs très élevés au regard de la qualité du service qui leur est rendu. Les entreprises, quant à elles, bénéficient donc d’importants cadeaux fiscaux et feront en outre des économies sur le remboursement des abonnements de transport de leurs salariés grâce à la création d’une zone unique.

Par ailleurs, je tiens à m’élever contre certains propos selon lesquels il y aurait, d’un côté, les défenseurs de l’instauration d’une tarification sociale source d’égalité et de justice, dans une période de crise très profonde subie de plein fouet par nos compatriotes, et, de l’autre, les partisans d’une amélioration des conditions de transport. Rejeter le présent amendement ne permettra absolument pas de dégager des moyens pour financer l’amélioration du réseau de transports ! Notre objectif est bien de gommer autant que faire se peut les inégalités territoriales et sociales, par l’instauration d’une tarification unique, tout en faisant progresser la qualité de service : il est possible de mener ces deux chantiers conjointement.

Depuis 2004, le groupe communiste du conseil régional œuvre pour construire une majorité sur cette question. Ainsi, nous étions d’accord pour que le tarif unique retenu ne soit pas celui en vigueur pour les zones 1-2. Il est très curieux que la même dynamique ne se manifeste pas aujourd’hui dans cet hémicycle. Chaque fois que le groupe communiste du conseil régional a réussi à faire progresser la tarification sociale, on a constaté que davantage de Franciliennes et de Franciliens prenaient les transports en commun ; il s’agit donc aussi d’une mesure pertinente sur le plan écologique.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

C’est sans doute pourquoi les écologistes ont été les premiers à nous rejoindre sur cette question.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Favier

M. le ministre a opposé la nécessité d’améliorer le réseau de transports en commun en Île-de-France à l’engagement d’une refonte de la tarification, en indiquant qu’il donnait la priorité au premier de ces deux chantiers.

L’Île-de-France est l’une des régions les plus riches d’Europe, mais c’est aussi l’une de celles où les inégalités sont le plus criantes. M. Dassault est sans doute un bon symbole de la réalité de cette région !

Il est certes important d’apporter des réponses immédiates aux difficultés rencontrées par les Franciliens en matière de transports en commun et d’améliorer le réseau en mettant en œuvre le projet du Grand Paris Express. À cet égard, je souligne d’ailleurs que le principal contributeur est non pas l’État, mais bien la région et les collectivités locales. La seule chose que nous ayons obtenue du Gouvernement, c’est un engagement à hauteur de 1 milliard d’euros, qui sera mobilisé en tant que de besoin, sachant que nous n’avons jamais vu le moindre centime des 4 milliards d’euros qu’avait promis le gouvernement précédent ! Contrairement à ce que certains ont pu affirmer, nous ne sommes pas à la recherche de 8 milliards ou de 9 milliards d’euros, puisque le plan de financement est, pour l’essentiel, bouclé.

Cela étant, il est également nécessaire de revoir la tarification, parce que nous sommes à cet égard dans une situation aberrante, comme l’ont dit plusieurs intervenants : aujourd’hui, plus on habite loin du cœur de l’agglomération – ce qui est rarement un choix –, plus on paie cher et moins le service de transport est satisfaisant. Je suis élu d’une commune dont le territoire est à cheval sur les zones 3 et 4 : les habitants des grandes cités, tel le quartier du Bois-l’Abbé, paient plus cher leur titre de transport que les personnes qui vivent au cœur de la ville… Il faut donc mettre fin le plus rapidement possible à ce zonage aberrant, en mettant en place un tarif unique.

L’incidence d’une telle mesure sur le pouvoir d’achat ne serait pas mince puisque, à l’heure actuelle, les usagers de la grande couronne paient leur pass navigo une quarantaine d’euros plus cher que ceux des zones 1-2 : sur l’année, la différence représente donc plusieurs centaines d’euros.

Enfin, je rappelle que le versement transport concerne moins de 10 % des entreprises d’Île-de-France, puisqu’il n’est acquitté que par celles qui comptent plus de neuf salariés. Par conséquent, 90 % des entreprises ne seront pas affectées par l’augmentation du versement transport.

Cessons de pleurnicher en permanence sur la situation des entreprises ! La commission d’enquête sur l’évasion fiscale, dont le rapporteur était notre collègue Éric Bocquet, a chiffré à 50 milliards d’euros par an le coût de cette pratique pour les finances de notre pays : que représentent, en comparaison, les sommes que nous proposons aujourd’hui de prélever sur les entreprises pour permettre l’instauration d’un tarif unique qui améliorerait très sensiblement le quotidien de tous les habitants de la région ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

La parole est à M. Serge Dassault, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Monsieur Favier, je ne peux admettre que l’on attaque une entreprise qui investit beaucoup dans l’Essonne. Soyez un peu plus prudent dans vos affirmations, car ce sont les entreprises qui créent les emplois, et pas vous. Or si on leur fait payer n’importe quoi, comme vous le proposez, elles n’auront pas les moyens d’investir et elles n’embaucheront pas !

Si la région n’est pas capable de financer les réseaux de transports publics, c’est qu’elle ne fait pas son travail ! Comment allez-vous assurer le financement du Grand Paris ? Ce ne sont pas les entreprises qui apporteront les 30 milliards d’euros nécessaires ! Si le conseil régional ne veut pas supporter le financement, il n’y aura pas de transports, pas de reprise, et donc pas d’emplois. Arrêtez d’attaquer les entreprises et essayez de comprendre un peu mieux comment fonctionne l’économie !

M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Je mets aux voix l'amendement n° 1.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Voici le résultat du scrutin n° 223 :

Le Sénat n'a pas adopté.

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l’article 1er.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Mes chers collègues, je tiens à attirer votre attention sur le fait que l’article 1er représente la substantifique moelle de la présente proposition de loi. Son dispositif concernerait plus de 2 millions d’usagers chaque mois, dont 53 % résident au-delà de l’actuelle zone 2.

En l’absence d’harmonisation des taux du versement transport, la région est amenée à prendre progressivement des mesures de dézonage durant les week-ends et les jours fériés, mais cela n’est bien entendu pas de nature à satisfaire les besoins des Franciliennes et des Franciliens. Par conséquent, il est vraiment nécessaire d’adopter la disposition que nous vous présentons.

Par ailleurs, en s’appuyant notamment sur les exemples de Londres et de Madrid, on nous dit que les transports en Île-de-France sont les moins chers d’Europe, mais ce n’est pas un argument, eu égard au niveau extrêmement élevé des loyers parisiens. Contrairement à ce qu’ont affirmé certains collègues au cours de la discussion générale, si les gens habitent loin de Paris, ce n’est, dans la grande majorité des cas, pas par choix : ils n’ont tout simplement plus les moyens de se loger dans la capitale ou la petite couronne. En l’occurrence, ils subissent la triple peine : ils vivent loin de leur lieu de travail, passent beaucoup de temps dans les transports et paient plus cher. Ce sont ces inégalités que nous proposons de faire disparaître ou, en tout cas, d’atténuer.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Je mets aux voix l'article 1er.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Voici le résultat du scrutin n° 224 :

Le Sénat n'a pas adopté.

Dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’élargissement de l’assiette du versement transport en région Île-de-France, notamment aux revenus financiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Je mets aux voix l'article 2.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Voici le résultat du scrutin n° 225 :

Le Sénat n'a pas adopté.

La perte de recettes résultant pour l’État des dispositions de la présente loi est compensée par l’augmentation à due concurrence du taux de l’impôt sur les sociétés.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Mes chers collègues, je vous rappelle que, par cohérence avec la suppression des deux premiers articles, l’article 3 ne devrait pas être adopté dans la mesure où il prévoit un gage. Si cet article est supprimé, il n’y aura pas lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi et, par conséquent, il n’y aura pas d’explications de vote sur l’ensemble.

Quelqu’un demande-t-il la parole pour expliquer son vote sur l’article 3 ou sur l’ensemble de la proposition de loi ?...

Je mets aux voix l'article 3.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Voici le résultat du scrutin n° 226 :

Le Sénat n'a pas adopté.

Les trois articles de la proposition de loi ont été successivement supprimés par le Sénat.

Je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

M. Serge Dassault applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du jeudi 16 mai 2013, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l’article 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifié par la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 et de l’article 81 de la loi du 31 décembre 1971 précitée (conseil de discipline pour les infractions et fautes commises par les avocats) (2013-310 QPC).

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC, de la question orale avec débat n° 5 de Mme Isabelle Pasquet à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, sur le devenir de la politique familiale en France.

Cette question est ainsi libellée :

« Mme Isabelle Pasquet demande à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, si le Gouvernement entend donner suite au rapport qui lui a été remis concernant la politique familiale, notamment les allocations familiales, et quelles modifications il envisage, éventuellement, d’apporter à ces allocations. »

La parole est à Mme Isabelle Pasquet, auteur de la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Pasquet

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que la conférence des présidents ait décidé d’inscrire à l’ordre du jour ce débat sur la politique familiale de notre pays. Même si notre impatience à parler de ce sujet n’est pas forcément en phase avec le calendrier institutionnel, il me paraît important d’aborder les enjeux de la politique familiale de manière globale, non cloisonnée. Du fait de son caractère informel, le champ de notre débat est nécessairement plus large que celui des projets de loi de financement de la sécurité sociale. Aussi pertinent soit-il – j’y suis d'ailleurs attachée –, le champ des PLFSS nous incite en effet à concentrer nos propos sur la question du financement.

Notre politique familiale présente la singularité de reposer non pas sur un seul acteur mais sur une pluralité d’intervenants. Cette caractéristique explique pourquoi certaines prestations, comme les aides au logement, revêtent un caractère social et sont, par voie de conséquence, soumises à des conditions de ressources, tandis que d’autres sont purement familiales, en ce sens qu’elles constituent des aides aux familles sans objectif redistributif. C'est la raison pour laquelle ces prestations – les allocations familiales, par exemple – ne sont soumises à aucune condition de ressources : elles ont une portée universelle.

Pour autant, il serait inexact de dire que seuls l’État et la sécurité sociale, via la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, interviennent. Les collectivités territoriales jouent également un rôle incontournable ; je pense notamment aux communes et aux départements, qui gèrent des crèches ou des services de protection maternelle et infantile, et apportent leur appui aux personnes en difficulté dans leur fonction de parent.

Cette architecture particulière, à laquelle nous sommes toutes et tous attachés, nous la devons à l’élaboration, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, d’un programme révolutionnaire consistant à faire des femmes et des hommes le cœur de toutes les politiques publiques. Ce programme, élaboré par le Conseil national de la Résistance, le CNR, a pris forme les 4 et 19 octobre 1945 avec la création, par voie d’ordonnances, d’un système de protection sociale financé par des cotisations sociales prélevées sur la valeur ajoutée et géré par les partenaires sociaux.

L’idée majeure était d’apporter aux travailleurs, qui contribuaient au redressement d’un pays exsangue dans lequel tout était à reconstruire, un travail et une protection leur permettant de vivre dignement. Les pouvoirs publics ont donc instauré un revenu de remplacement, sous forme d’indemnité ou d’allocation, pour le cas où les travailleurs seraient privés de leur salaire, une assurance maladie pour leur permettre d’être en bonne santé et – ce dernier point fait la spécificité de notre système – des prestations familiales.

Les prestations familiales poursuivent deux objectifs, qui sont toujours d’actualité : d'une part, « apporter aux familles une aide compensant partiellement les dépenses engagées pour la subsistance et l’éducation des enfants », selon la définition de l’INSEE, afin d’éviter que ce surcoût financier ne constitue un frein au désir des couples d’avoir des enfants, et, d'autre part, construire une politique familiale qui ne soit ni nataliste ni familialiste, c'est-à-dire, pour parler crûment, qui ne tende pas à renvoyer les femmes chez elles. Le groupe CRC est particulièrement sensible à ce second objectif ; il nous reste d'ailleurs beaucoup à faire pour l’atteindre.

Il faut sans doute voir dans cet objectif l’héritage direct de la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle les femmes ont dû, par la force des choses, remplacer les hommes absents dans les champs et les usines : elles sont donc devenues des travailleuses à part entière. Ce mouvement s’est révélé irréversible, et le CNR en a tiré toutes les conséquences. À la différence du système allemand, qui incite depuis ses origines, pour des raisons budgétaires évidentes – les pouvoirs publics peuvent ainsi se dispenser d’investir dans les crèches –, les mères à rester chez elles, notre pays a toujours fait le choix de faciliter le retour des femmes sur le marché du travail.

Toujours ou presque, devrais-je dire, puisque, en 1975, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, le gouvernement a instauré une demi-part supplémentaire pour les couples de trois enfants, favorisant ainsi les familles nombreuses et incitant les femmes concernées à rester chez elles plutôt qu’à reprendre une activité professionnelle. N’oublions pas le contexte : crise pétrolière, explosion du chômage, à commencer par le chômage des femmes, et donc nécessité de prendre des mesures permettant de réduire artificiellement le nombre de salariés privés d’emploi figurant dans les statistiques du chômage. D’une certaine manière, le complément de libre choix d’activité, le CLCA, de la prestation d’accueil du jeune enfant, la PAJE, tend à favoriser le retrait des femmes du monde du travail. Ce retrait est volontaire pour les familles qui ont les moyens de faire ce choix, mais il est subi par les familles modestes qui optent pour ce système faute d’avoir trouvé une structure collective publique ou familiale de garde de leurs enfants.

Ce petit rappel du processus de construction de notre politique familiale et des objectifs qu’elle poursuit me permet de resituer le débat actuel sur les allocations familiales dans le contexte historique qui a conduit à les rendre universelles. Nous estimons que cette universalité est toujours aussi pertinente.

Si les allocations familiales sont distribuées sans condition de ressources, c’est d’abord et avant tout parce que, à l’instar des prestations versées par l’assurance maladie, l’assurance chômage ou l’assurance vieillesse, elles représentent un élément de salaire différé ou socialisé. Il s’agit de mettre en commun une fraction de tous les salaires pour la redistribuer, selon les besoins, aux retraités, aux malades et aux familles. En ce sens, le salaire différé constitue, pour reprendre la formule de Georges Buisson, secrétaire adjoint de la CGT réunifiée en 1936, « une vaste organisation nationale d’entraide obligatoire ». La mise en commun d’une fraction de salaire obéit à l’adage « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Par conséquent, soumettre les allocations à une condition de ressources en instaurant, comme le proposent certains, une modulation ou une pondération, c’est porter atteinte à l’universalité des allocations familiales et donc aux principes mêmes de la sécurité sociale.

Cette proposition, défendue depuis des années par le MEDEF, tient d’ailleurs moins à la volonté du patronat de réaliser 4 milliards d’euros d’économies qu’à sa volonté de porter atteinte à l’unité et aux fondements de la sécurité sociale. C’est d'ailleurs pour cette raison qu’il a défendu l’idée d’une séparation de la sécurité sociale en quatre branches indépendantes financièrement et qu’il préconise aujourd’hui la création d’une cinquième branche pour la dépendance. En plaidant pour l’instauration de règles particulières de modulation des prestations versées par la sécurité sociale en fonction des revenus et non plus des besoins de chacun, le MEDEF entend isoler encore plus la branche famille pour, au final, la privatiser entièrement et se retirer totalement de son financement.

Aussi bien Laurence Parisot que certains parlementaires de l’UMP – souvenez-vous du rapport rédigé par Yves Bur en 2011 – proposent de substituer au financement actuel de la branche famille un financement par l’impôt : par la TVA, par la CSG, ou encore par un mélange des deux. Quelle que soit la formule retenue, l’objectif est clairement d’isoler la branche famille tant dans son fonctionnement que dans son financement, afin de sortir la politique familiale de la protection sociale pour en faire une politique distributive assumée par l’État et financée par les familles elles-mêmes.

Nous refusons énergiquement ce projet, car nous ne voulons pas qu’il soit porté atteinte à l’universalité des allocations familiales. Pour autant, cela ne signifie pas que nous nous satisfaisons de la situation actuelle.

Tout d’abord, nous souhaitons renforcer le caractère universel des allocations familiales en faisant en sorte qu’elles soient attribuées dès le premier enfant. Cette proposition, qui figurait au programme de François Mitterrand dès 1981, aurait pour effet de renforcer le caractère universaliste des allocations familiales, tout en rompant définitivement avec la logique nataliste qui a conduit à ce que les prestations familiales soient majoritairement versées à partir du deuxième et, surtout, du troisième enfant.

Comme je le soulignais déjà dans le rapport sur la branche famille effectué dans le cadre du PLFSS pour 2012, le contexte sociodémographique, tout comme les aspirations individuelles, a considérablement changé depuis la création des allocations familiales : les familles avec un ou deux enfants sont devenues plus nombreuses à mesure que diminuait le nombre moyen d’enfants par famille. Il n’en demeure pas moins que la natalité française est très dynamique depuis le début des années 2000, l’indice de fécondité s’élevant à deux enfants par femme. Voilà pourquoi, avec mon groupe, j’ai déposé une proposition de loi tendant à accorder le versement des allocations familiales dès le premier enfant, afin que celles-ci aient une vocation sociale et ne soient plus seulement considérées comme une incitation à procréer.

Ensuite, il nous faut répondre à un autre impératif : le financement solidaire de la branche famille. Nous devons aux familles et aux salariés de satisfaire à cette exigence, puisque c’est en raison de la situation actuelle de la branche famille, marquée par un déficit organisé de toutes pièces, que M. Fragonard s’est vu confier par le Gouvernement une mission destinée à permettre un retour rapide à l’équilibre de la branche.

Alors que le rapport Fragonard, présenté récemment devant le Haut Conseil de la famille, le HCF, préconise de réduire ou de supprimer les allocations familiales pour une partie de la population, certes la plus aisée, nous considérons, pour notre part, qu’il faut dissocier deux débats : celui du financement et celui de la nécessaire réforme fiscale. En effet, la fiscalité fait partie intégrante de la politique familiale, puisque c’est elle qui permettra de répondre à l’exigence de justice sociale de nos concitoyens. Nous sommes donc défavorables aux pistes avancées par le rapport Fragonard, par ailleurs rejetées par le Haut Conseil de la famille. Puisque les allocations familiales constituent une part de salaire différé, elles doivent être versées à toutes les familles !

En revanche, il faut impérativement entreprendre une réforme fiscale d’ampleur pour que les familles des deux derniers déciles, c’est-à-dire celles qui, en proportion, profitent le plus des allocations familiales, soient assujetties à des taux d’imposition correspondant réellement à leurs ressources.

En outre, pourquoi ne pas confier au Haut Conseil de la famille une mission destinée à évaluer les différentes propositions de réforme du quotient familial ? Au groupe CRC, nous soutenons l’idée qu’il faut revoir le quotient familial et supprimer le quotient conjugal, qui crée une discrimination entre les couples pacsés ou en union libre et ceux qui ont choisi de se marier.

Quant au quotient familial, sa suppression pure et simple aura des conséquences importantes en termes de fiscalité et de pouvoir d’achat pour les familles aux revenus moyens, dans la mesure où il intervient dans la fixation de certains tarifs, tels que le prix de la cantine ou de certaines activités culturelles ou sportives. C’est pourquoi nous souhaitons qu’une étude soit menée par le HCF sur une modulation du quotient familial afin de le rendre plus progressif, donc plus juste socialement, sans pour autant s’attaquer aux allocations familiales.

Il est évident que les propositions consistant à réduire, plafonner et fiscaliser les allocations familiales n’auraient jamais vu le jour si la branche famille avait été à l’équilibre. Or cet équilibre, indispensable pour garantir une politique familiale solidaire et universelle, pourrait être atteint dès l’année prochaine s’il était mis fin aux ponctions opérées sur la branche famille pour alimenter d’autres branches ou d’autres mécanismes, notamment redistributifs.

Le premier constat que je fais, identique à celui que je dressais dans mes deux précédents rapports effectués dans le cadre de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale, est que le déficit de la branche famille ne tient pas à l’ampleur des prestations servies. Même si le taux de natalité de la France est l’un des meilleurs d’Europe et constitue une chance pour notre pays, il est relativement stable. Ce ne sont donc pas le nombre des naissances et les allocations servies en conséquence qui conduisent au déficit de la branche.

De plus, comme le rappelle Henri Sterdyniak, « les allocations familiales n’ont pas augmenté en pouvoir d’achat depuis 1984 ; elles ont donc baissé par rapport aux salaires qui sont la base des cotisations ». De ce seul fait, la branche famille devrait donc être naturellement excédentaire. Pourtant, c’est loin d’être le cas, le déficit actuel étant pour l’essentiel la conséquence de la ponction de 9 milliards d’euros opérée sur cette branche pour financer les majorations de retraite pour les personnes ayant élevé plus de trois enfants, lesquelles étaient autrefois supportées par l’assurance retraite.

La branche famille est, comme toutes les autres branches, victime des suppressions d’emplois, qui entraînent une diminution des ressources, les cotisations sociales étant assises sur le travail. Ainsi, la progression du chômage de plus de 5 points par rapport à 2007 a eu pour conséquence une perte de 2, 5 milliards d’euros de cotisations pour l’assurance famille. La priorité doit donc être de renforcer le financement par trois leviers, outre l’amélioration évidente des salaires et de la situation de l’emploi.

Tout d’abord, il faut mettre fin aux politiques d’exonération de cotisations patronales, qui nuisent à l’emploi de qualité et contraignent les salariés à vivre avec des salaires notoirement bas, puisque, plus les salaires sont faibles, plus les exonérations de cotisations patronales sont importantes. C’est d’ailleurs, madame la ministre, l’une des réserves que nous avons exprimée sur les contrats de génération, les emplois d’avenir ainsi que l’accord national interprofessionnel, qui sont autant de mécanismes destinés à réduire le coût du travail, comme si celui-ci était seul responsable du taux de chômage.

Ensuite, il convient de mettre un terme à la tuyauterie complexe qui alimente aujourd’hui la branche famille, laquelle n’est de surcroît pas étanche, puisque, au passage, on constate une perte de ressources. Il faut en revenir à un principe simple : les ressources dédiées à la branche famille doivent toutes être orientées exclusivement vers le financement de celle-ci.

D’autres mesures doivent et peuvent être prises pour financer des prestations qui, par ailleurs, relèvent non pas des prestations garanties par la sécurité sociale, mais plutôt de la responsabilité de l’État et donc d’un financement d’origine fiscale. Aujourd’hui, outre les cotisations, la branche famille est alimentée par la CSG, ressource fiscale non progressive et essentiellement supportée par les familles, la taxe sur les contrats d’assurance complémentaire, taxe injuste qu’en 2012 le Sénat de gauche avait proposé de supprimer, ainsi que la CSG prélevée au fil de l’eau sur les contrats multisupports d’assurance vie.

Ces ressources sont indispensables, car elles viennent compenser des ponctions – les fuites de tuyauterie dont je viens de parler – instaurées par les gouvernements précédents pour orienter l’argent dédié à la branche famille vers le financement d’autres mesures que celles qui relèvent de la politique familiale.

On voit bien qu’il s’agit là d’une construction précaire et injuste.

Précaire, car en lieu et place d’une solution de financement durable, les politiques successives n’ont eu de cesse de creuser des trous pour en combler d’autres.

Injuste, car les ressources orientées vers la branche famille sont principalement fiscales, c’est-à-dire supportées par les familles. Qui plus est, elles ne sont pas progressives, ce qui signifie que les familles les plus modestes les supportent autant, si ce n’est plus, que les familles les plus riches.

Enfin, le dernier levier, qui me conduira par ailleurs à vous poser une question, madame la ministre, consiste à compenser intégralement les frais de gestion supportés par les CAF, les caisses d’allocations familiales, du fait du transfert de nouvelles missions comme le revenu de solidarité active, l’allocation aux adultes handicapés ou encore certaines prestations d’aide au logement. Comme je l’indiquais en 2011 dans mon rapport sur la branche famille dans le cadre du PLFSS pour 2012, ces prestations représentent plus de 45 % du total des prestations servies par les CAF.

Outre les frais de gestion importants que l’on peut aisément imaginer – ces prestations représentent une somme de 28 milliards d’euros sur les 62 milliards d’euros de prestations servies –, ces missions nouvelles mobilisent aussi fortement les agents, d’autant plus que, avec la crise, les besoins et les attentes des bénéficiaires sont grandissants. Il en découle une charge de travail intenable pour les agents, à qui je veux rendre un hommage appuyé, ce qui contraint certaines caisses à fermer l’accueil au public de manière ponctuelle ou régulière afin de faire face aux retards accumulés. De plus, madame la ministre, ces missions nouvelles n’ont pas entraîné la révision de la clause de revoyure pourtant prévue dans la convention d’objectifs et de gestion, la COG, précédente.

Cela me conduit tout naturellement à vous interroger sur l’état de la négociation, qui s’est ouverte plus tardivement qu’à l’accoutumée, concernant la prochaine convention d’objectifs et de gestion. Malgré le contexte actuel, il me semble, ainsi qu’à mes collègues du groupe CRC et à nombre d’administrateurs de la CNAF avec qui nous nous sommes entretenus à plusieurs reprises, qu’aucune mesure ayant pour effet de réduire le nombre d’agents ne doit être prise. La surcharge de travail, conséquence couplée de l’accroissement des besoins de solidarité et de la tristement fameuse RGPP, conduit à une situation insoutenable que le président de la CNAF m’a très bien décrite lors d’un entretien. Je sais qu’il vous l’a aussi exposée récemment par courrier.

Pourriez-vous nous garantir qu’en l’état actuel de la négociation de la COG, qui devrait être signée sous peu, aucun effort nouveau en matière de productivité ne sera exigé ? En effet, nous avons la conviction que l’urgence porte plutôt sur le recrutement de nouveaux agents.

Je voudrais également aborder ici une question qui fait partie de la négociation dans le cadre de la future COG : le devenir du Fonds national d’action sociale, le FNAS, qui finance l’ensemble de l’action sociale et joue un rôle majeur.

Comme vous le savez, ce fonds couvre les dépenses de prestations de service, qui sont notamment affectées au financement du fonctionnement et du développement de l’offre d’accueil en matière de petite enfance et de temps libre, ainsi que les dépenses d’investissement liées aux différents plans crèches gouvernementaux et regroupées dans les fonds d’investissement petite enfance. Il joue donc un rôle majeur dans la politique d’accueil public et collectif des jeunes enfants. En 2012, son budget a connu une progression de 7 %. Une évolution inférieure à ce taux conduirait inévitablement la CNAF à renoncer à certaines mesures ou à certains objectifs, alors même que les besoins des familles sont immenses.

Malgré votre volonté affichée, il manque toujours plus de 300 000 places de crèches publiques et familiales pour que la majorité des besoins des parents soient satisfaits. D’ailleurs, je profite de l’occasion qui m’est donnée pour rappeler notre volonté que soit abrogé le décret dit Morano, qui autorise la pratique du « surbooking » en crèches et libère artificiellement des places. Il faudrait également revenir sur la décision prise par le précédent gouvernement de réduire l’exigence de formation pour les assistantes maternelles qui interviennent dans les maisons d’assistance maternelle.

Pour en revenir au FNAS, pouvez-vous nous confirmer, madame la ministre, que le taux de progression de ce fonds sera au moins reconduit et que l’évolution de son financement intégrera entièrement les dépenses induites par la réforme des rythmes scolaires ?

Telles sont les observations et les interrogations que m’inspire la politique familiale de notre pays. Ayant dépassé un peu le temps de parole qui m’était imparti et bien qu’il me reste encore pas mal de choses à dire, je laisse maintenant la place à ce débat, qui, je le sais, intéresse nos collègues, les partenaires sociaux ainsi que les représentants des familles.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans un avis du 4 mai 2011 sur le rôle des politiques familiales, le Comité économique et social européen a énuméré un certain nombre d’éléments clés de leur succès. Ainsi, les politiques qui réussissent en Europe ont pour points communs la pérennité et l’universalité, la reconnaissance de la famille et la valorisation de son rôle, la prise en compte de la situation particulière des familles nombreuses et la mise en œuvre de dispositifs permettant de concilier vie professionnelle et vie familiale. Je partage pleinement cette analyse.

La France a fait le choix d’une politique familiale forte reposant sur de multiples outils. Cette politique se caractérise par un certain nombre de choix pertinents : combinaison de dispositifs universels et ciblés, encouragement au libre choix des familles en matière d’accueil des jeunes enfants, articulation de dispositifs fiscaux et sociaux. Le Haut Conseil de la famille, dont je suis membre, estime que la politique familiale a jusqu’ici donné des résultats globalement positifs.

Soutien à la natalité et soutien au niveau de vie des familles ont toujours fait partie de nos objectifs. Avec deux enfants par femme, notre taux de fécondité, qui est l’un des plus élevés d’Europe, ne nous empêche pas d’enregistrer un taux d’activité professionnelle des femmes relativement élevé. C’est précisément l’une des réussites de la politique familiale française. À ce titre, l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle doit constituer aujourd’hui un axe majeur de notre politique familiale.

Par une lettre de saisine en date du 23 janvier dernier, le Premier ministre a demandé au Haut Conseil de la famille de proposer des scénarios de retour à l’équilibre financier de la branche famille au plus tard en 2016, tout en améliorant l’efficacité et l’équité des différents dispositifs. Certes, il existe un problème d’équilibre financier. C’est pourquoi je regrette l’abandon de la TVA sociale, telle qu’elle avait été décidée par le précédent gouvernement, car elle mettait fin au financement de la politique familiale par les cotisations salariales. Pour diminuer les inégalités entre les ménages de même composition familiale, il convient notamment de prendre en compte l’impôt sur le revenu, le quotient familial, les aides au logement et les prestations familiales, sur lesquelles je m’attarderai spécialement.

Accroître le financement de services nécessaires aux familles est l’une des pistes de réformes étudiées. Il existe un fort consensus en faveur de la politique de développement des établissements d’accueil du jeune enfant, les EAJE, et de la politique d’accompagnement de la parentalité. Ces dispositifs contribuent à une bonne articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale.

Le financement des établissements d’accueil du jeune enfant mobilise 51 % du Fonds national d’action sociale. Je rappelle que le financement du fonctionnement de ces établissements est assuré à hauteur de 45 % par la branche famille et de 27 % par les communes. Quant aux familles, elles participent à hauteur de 20 %. La part restante du financement est assumée par les conseils généraux, les entreprises ou encore les hôpitaux.

Afin de poursuivre le développement des modes d’accueil des jeunes enfants, le budget du Fonds national d’action sociale de la Caisse nationale des allocations familiales devrait augmenter à un rythme de 7, 5 % par an sur la durée de la prochaine convention d’objectifs et de gestion pour la période 2013-2016, soit une hausse de 25 % des crédits.

Le renforcement de l’incitation des communes à développer des projets destinés à réduire des inégalités territoriales en matière d’offre de services aux familles doit porter sur plusieurs points : tout d’abord, poursuivre l’indexation de la prestation de service et des contrats « enfance et jeunesse » sur un indice mixte « prix-salaire » ; ensuite, conserver le caractère non limitatif des crédits affectés aux établissements d’accueil du jeune enfant ; enfin, assurer la continuité des plans pluriannuels d’investissement de la branche famille pour la création de ces établissements.

On le sait, le reste à charge des familles, selon qu’elles ont recours à l’accueil de leur enfant par un EAJE ou par un assistant maternel, est très variable. La superposition de deux dispositifs, à savoir les aides des CAF et des communes, d’une part, et le crédit d’impôt, d’autre part, est discutable, puisqu’ils ne respectent ni le même calendrier ni la même logique. Quant au complément de libre choix du mode de garde, le CMG, son barème recèle des effets de seuil trop prononcés et il ne respecte pas le même profil que celui retenu pour les EAJE.

Notre système de prestations familiales est donc complexe, défaut bien français ! Un schéma de réforme qui regrouperait les grandes prestations d’entretien – les allocations familiales, l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant et le complément familial – pourrait-il dégager des économies substantielles ? La question se pose. La mesure analysée par le HCF consiste à fusionner les grandes prestations d’entretien dans une prestation unique, afin d’atteindre un triple objectif, à savoir créer un système plus redistributif, dégager un montant élevé d’économies et simplifier le dispositif actuel en fusionnant trois prestations en une seule.

Cette réforme préserverait certes deux grands principes de la politique familiale : l’universalité, dans le sens où la prestation « socle » est ouverte à toutes les familles, et la progressivité du montant de la prestation en fonction de la taille de la famille. Madame la ministre, quelles suites comptez-vous donner à cette réflexion ?

Le second point de mon intervention porte sur l’avenir des allocations familiales.

Sur ce sujet, je tiens à rappeler ma ferme opposition à la remise en cause de l’universalité des allocations familiales et à leur mise sous condition de ressources. Trois pistes de réformes sont possibles.

La première consiste à supprimer les allocations familiales pour les ménages dont les revenus se situent au-dessus d’un plafond de ressources. Il s’agirait d’une atteinte au principe d’universalité, et les effets de seuil seraient trop importants. Bien entendu, je suis opposée à une telle mesure. À la perversité reconnue des effets de seuil, il convient d’ajouter que les premiers chiffres annoncés révélaient que c’est le cœur des familles des classes moyennes qui serait touché.

La deuxième piste envisageable est l’imposition des prestations familiales, y compris des allocations familiales. Là encore, je n’y suis pas favorable.

Fiscaliser les allocations familiales signifierait augmenter les impôts, alors même que la Cour des comptes demande de stabiliser les prélèvements obligatoires et de baisser la dépense publique. Il serait suicidaire d’accroître encore la pression fiscale en France, où les niveaux de dépense publique et de prélèvements obligatoires sont déjà les plus élevés parmi les pays développés.

Fiscaliser les allocations familiales reviendrait à frapper une fois de plus les classes moyennes, déjà fortement touchées par la politique menée depuis un an. Les bénéficiaires des allocations ne sont pas seulement les familles aisées : cinq millions de familles seront inévitablement concernées. Selon leurs revenus, ces familles pourraient perdre entre 142 euros et 656 euros par an.

Fiscaliser les allocations familiales fragiliserait également notre politique de la famille, qui est pourtant enviée dans toute l’Europe pour son efficacité, notamment en Allemagne. La France est le pays d’Europe où la natalité est la plus forte, après l’Irlande. Cette vitalité démographique est un atout pour l’avenir, elle est liée à une politique familiale généreuse dotée d’un cadre institutionnel stable et protecteur. Elle vise, autant que possible, à supprimer les freins matériels qui empêchent les familles d’avoir le nombre d’enfants qu’elles souhaitent.

En fait, cela ne pourrait se faire que dans le cadre d’une refonte totale et globale de la fiscalité française, refonte que j’appelle de mes vœux, mais sans cesse reportée !

Une dernière piste, la modulation des allocations familiales en fonction des ressources, a également été analysée. Elle conduirait à réduire progressivement le montant des allocations lorsque le revenu des familles excède un certain plafond. À titre personnel, je n’y suis pas non plus favorable, car moduler les allocations reviendrait à mettre fin, nonobstant toutes les allégations contraires, à leur universalité. En effet, les familles, à nombre d’enfants égal, ne toucheraient pas la même allocation. Ce serait donc bien une rupture du principe d’universalité, qui fonde l’ensemble de notre système de protection sociale.

Par ailleurs, cette modulation serait complexe à mettre en œuvre et alourdirait le travail des caisses d’allocations familiales déjà surchargées. Elle serait contraire au « choc de simplification » annoncé par le Président de la République, car un tel projet impliquerait non seulement une adaptation du système d’information, mais aussi le traitement régulier par les agents des caisses des dossiers de revenus de tous les bénéficiaires d’allocations familiales. De plus, cela créerait de nombreux indus, comme pour toutes les prestations soumises à une prise en compte des ressources.

Les principes fondamentaux de notre politique familiale sont ceux de notre système de protection sociale par répartition, à savoir l’universalité, la liberté de choix et la pérennité. Telles ont été les positions défendues sous le précédent quinquennat. La politique familiale constitue un ensemble qui inspire particulièrement confiance aux Français, confiance qu’il est indispensable de conforter.

Madame la ministre, quelle politique entendez-vous mener concernant les prestations familiales liées aux modes de garde ? Quelles suites comptez-vous donner aux pistes de réformes étudiées par le Haut Conseil de la famille ?

Applaudissements sur les travées de l’UMP . – M. Jean Desessard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre pays se caractérise par une forte solidarité sociale à l’égard des familles. Cette politique a pleinement joué son rôle de soutien aux ménages, puisque notre pays maintient un haut niveau de natalité conjugué à un taux d’activité professionnelle des femmes très élevé. Toutefois, ce système construit dans l’élan collectif de l’après-guerre, visant à la sécurité sociale pour toutes et tous, s’est étoffé et complexifié au fil du temps, au risque de perdre en lisibilité et en cohérence. Le rapport rendu par la Cour des comptes à la fin de 2012 invite d’ailleurs à revoir son architecture d’ensemble, afin d’atteindre l’objectif fondamental et premier des prestations familiales, à savoir la redistribution en vue d’une réduction des inégalités.

Les besoins des familles évoluent, nos réalités budgétaires aussi. Il nous faut donc redéfinir les priorités de la politique familiale dans le contexte économique et financier que nous connaissons. Tel est le sens du travail réalisé par le Haut Conseil de la famille à la demande du Premier ministre.

Notre dispositif d’aide combine trois logiques : des prestations universelles, des aides dont l’accès est lié à un plafond de ressources et celles dont le montant est modulé en fonction des revenus du ménage. Force est de constater une absence de lisibilité globale des prestations pour les ménages, malgré des tentatives de simplification. Cette observation est d’autant plus vraie que les aides aux familles ne se résument pas aux seules prestations familiales, puisque les prestations liées au logement, les tarifications basées sur le quotient familial ainsi que les règles régissant l’imposition des revenus y contribuent également. Cependant, l’analyse du profil des bénéficiaires par mesure tend à démontrer que certaines d’entre elles favorisent relativement plus les ménages aisés, notamment en ce qui concerne les compléments de libre choix du mode de garde de la prestation d’accueil du jeune enfant.

Nous devons maintenant redéfinir, à partir des scénarios élaborés par le Haut Conseil de la famille, les priorités et modalités d’aides aux familles, afin de maintenir une aide significative aux plus modestes d’entre elles et de poursuivre le développement de l’offre d’accueil de la petite enfance, malgré le contexte budgétaire contraint.

Il nous faudra aussi aller plus loin dans la satisfaction de certains besoins des ménages.

Ainsi, il convient de poursuivre le développement quantitatif et qualitatif des modes d’accueil de la petite enfance, afin de permettre aux familles qui le souhaitent d’assumer une activité professionnelle sur l’ensemble du territoire français de métropole et d’outre-mer. Il nous faut porter une attention particulière à l’accueil d’enfants souffrant de handicaps dont les parents, le plus souvent les mères, sont contraints au report ou à l’abandon de leur activité professionnelle, faute de trouver un mode d’accueil adapté.

De même, l’accès aux modes d’accueil doit pouvoir remplir une fonction « incluante » des familles les plus vulnérables, y compris en l’absence d’activité professionnelle des parents.

Il me paraît également urgent de faire évoluer notre dispositif redistributif dans le sens d’un meilleur soutien financier aux familles les plus modestes et confrontées à la précarité, voire à la pauvreté. Il s’agit principalement des familles monoparentales et des familles nombreuses, comme l’a souligné la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale qui s’est tenue en février dernier. Nous ne pouvons plus accepter cette situation en 2013, car il y va de l’avenir immédiat de plus de deux millions et demi d’enfants. En ce sens, je suis favorable au versement de prestations familiales dès la naissance du premier enfant.

Les actions de soutien à la parentalité ont démontré leur intérêt. Nous devons favoriser tout ce qui vient soutenir le rôle parental, le dialogue au sein des familles, dès la grossesse et l’arrivée de l’enfant, ou en cas de crise familiale, car ces politiques d’aide à la construction des premiers liens parents-enfants contribuent indéniablement à la protection de l’enfance. Ces actions s’adressent à toutes les familles.

Dans le même esprit, nous devons stabiliser le financement des « Espaces rencontres », qui permettent, dans les cas de séparations conflictuelles et sur décision judiciaire, de maintenir le lien entre l’enfant et le parent avec lequel il ne vit plus. Ces 180 espaces rencontres répartis sur l’ensemble du territoire français ont accueilli 14 000 enfants en 2011. Il nous faut les soutenir et renforcer leurs capacités d’intervention. Ces mesures s’adressent aussi, potentiellement, à toutes les familles.

Je souhaite aussi souligner d’autres besoins insatisfaits et qui méritent notre attention.

Aujourd’hui, des femmes exerçant une activité professionnelle n’accèdent pas au congé de maternité, du fait de l’insuffisance de leurs cotisations salariales au regard du droit au versement d’indemnités journalières. En effet, le congé de maternité est assimilé à un congé de maladie. Dans mon département, une première estimation fait état de 6 % à 9 % de femmes concernées par la non-ouverture de droits en raison de leurs trop faibles cotisations, sur le total des 23 % à 25 % de femmes qui ne perçoivent pas d’indemnités journalières de maternité pour diverses raisons, notamment de statut – il s’agit d’étudiantes, d’ayants droit, etc.

Cette situation m’amène à m’interroger sur le financement du congé de maternité dans son principe même, mais également sur le difficile accès des jeunes au marché du travail, en particulier des femmes, confrontées au temps partiel, aux stages, aux petits boulots. J’y vois une injustice qui aggrave la précarité des ménages modestes ou pauvres et renforce les discriminations entre les femmes et les hommes.

Je souhaiterais qu’une réflexion s’engage sur le sujet, afin de pouvoir redessiner la logique d’ensemble de l’accès au congé de maternité et de son financement, afin de décider si ce dernier doit relever de la branche famille ou de la branche maladie, car une grossesse n’est pas une maladie !

Le plafonnement des indemnités journalières pour les femmes cadres pose un problème de principe similaire, même si une partie d’entre elles bénéficient de compléments de salaire versés par leur entreprise, du moins pour celles qui sont en contrat à durée indéterminée.

Une autre situation me paraît mériter notre attention. Il s’agit du mode d’attribution de l’allocation aux adultes handicapés, qui ne relève pas directement de la politique familiale, mais qui a des effets sur les relations conjugales et familiales. En effet, le versement de l’AAH est subordonné au niveau de ressources du ménage. Une personne handicapée, qu’elle soit homme ou femme, qui vit seule, perçoit l’AAH. Elle peut en perdre le bénéficie lorsqu’elle vit en couple et a fortiori lorsque le couple a des enfants. Or le handicap ne disparaît pas pour autant, ni les besoins en compensations diverses. La personne handicapée devient alors dépendante de son conjoint. Il me semble qu’une réflexion doit pouvoir être conduite en lien avec les politiques sur le handicap afin de corriger, à terme, cette situation préjudiciable à l’équilibre conjugal et familial.

J’ai souhaité, par ces quelques exemples un peu annexes, souligner la nécessité de rester en phase avec les besoins des ménages pour élaborer les politiques familiales et rechercher l’adaptation des dispositifs d’aide. La démarche intitulée « Au tour des parents », que vous avez récemment initiée, madame la ministre, y a fortement contribué. En effet, des parents de plusieurs régions de France, dont la mienne, ont pu exprimer leur vécu et émettre des propositions en matière d’aide aux familles. La réflexion actuellement en cours représente, en ce sens, une véritable opportunité pour prolonger ces constats et élaborer des réponses adaptées.

Je suis évidemment favorable à une révision des modalités de redistribution des prestations familiales afin que notre politique familiale retrouve des marges de manœuvre financières lui permettant de jouer pleinement son rôle redistributif à l’égard des plus exposés. Car investir sur l’enfant et sa famille, c’est miser sur l’avenir de notre pays !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ma collègue Isabelle Pasquet a eu l’occasion de le dire dans ses propos introductifs, notre groupe est attaché à la construction d’une politique familiale qui n’est pas familialiste. Disant cela, il s’agit pour nous de poser un principe fondamental selon lequel il y a non pas un modèle de familles, mais des familles.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Rappelons-nous d’ailleurs le tout récent débat sur le mariage pour toutes et tous !

Sans doute faudrait-il, au demeurant, faire évoluer le vocabulaire pour qu’il corresponde mieux aux réalités de notre société. Le ministère que vous occupez, madame la ministre, n’est plus le ministère « de la famille » mais celui « des familles ».

Cela étant précisé, il n’est pas inutile de redire que, pour notre groupe, la famille n’est ni le fondement de notre société ni un objectif politique pour notre pays. Créer une famille, c’est un choix respectable que nous sommes des millions à faire, mais il convient de respecter celles et ceux qui vivent seuls. Le fondement de la société, ce socle commun à notre République, ce sont les citoyennes et les citoyens qui la composent.

Nous sommes convaincus que les allocations familiales doivent réaffirmer le principe selon lequel elles sont attribuées aux enfants et versées aux parents, et non l’inverse, puisque, aux yeux de notre République, chaque enfant se vaut. C’est l’enfant, et non l’entité famille, qui est au cœur de ces allocations.

Nous souhaitons renforcer ce mécanisme en permettant le versement des allocations familiales dès le premier enfant. Sans doute faudrait-il, là encore, faire évoluer le nom de ces allocations pour qu’elles fassent explicitement référence aux enfants en lieu et place de la famille. Certaines associations, l’Union des familles laïques, par exemple, proposent que soit substitué à ces allocations un revenu social de l’enfant. Il lui serait garanti de sa naissance à son entrée dans la vie active et permettrait ainsi de répondre aux attentes des organisations de jeunesse et des syndicats étudiants qui demandent la création d’une allocation d’autonomie jeunesse. Cette évolution de la politique familiale s’inscrirait dans un processus de renforcement des droits sociaux, de sécurisation des parcours de vie, de la petite enfance à l’âge adulte.

Au-delà de cette projection politique, ambitieuse, j’en conviens, force est de constater que des chantiers importants restent ouverts. Ils sont d’autant plus importants que dans l’état actuel de notre société, les travaux ménagers sont encore particulièrement mal répartis entre les femmes et les hommes, que le travail des femmes est toujours plus précaire que celui des hommes et continue à être considéré comme une activité complémentaire, voire d’appoint. En effet, il n’est pas acceptable que des femmes soient aujourd’hui contraintes de se retirer du marché du travail au seul motif que les familles ne sont pas parvenues à trouver une solution d’accueil de leurs enfants. Pour notre groupe, il est essentiel que chacune et chacun puisse avoir le choix du mode de garde de son enfant, d’où l’importance du respect de chacun de ces modes de garde, tant sur le plan quantitatif que qualitatif.

Toutes les études s’accordent pour le dire, les crèches, quelles que soient leurs formes, constituent le lieu où l’enfant vit sa première expérience de socialisation et construit son rapport à l’altérité en dehors du giron familial. C’est un élément majeur pour sa construction en tant qu’individu. Il y va également de l’intérêt de ses parents. Ils savent qu’en disposant d’une solution d’accueil public pour leurs enfants, ils bénéficieront de tarifs adaptés à leur réalité sociale – les prix de journée sont en effet fonction des revenus – et d’un outil leur permettant de concilier leur rôle parental et leur vie professionnelle.

Or, malgré votre volonté affichée, madame la ministre, il n’en demeure pas moins qu’il manque encore aujourd’hui 300 000 places de crèches pour répondre aux besoins. En février dernier, dans un communiqué de presse, vous avez annoncé la création de nouvelles places en crèche, la mise en place de schémas territoriaux pour accroître l’offre d’accueil et lutter contre les inégalités territoriales. Je m’en réjouis, même si, à l’image du collectif « Pas de bébés à la consigne », nous redoutons que les moyens financiers ne soient pas au rendez-vous. Le taux de reconduction du Fonds national d’action sociale, s’il n’est pas largement supérieur à celui des années précédentes, ne vous permettra pas de mener la politique ambitieuse que vous avez annoncée.

Concilier la vie professionnelle et la vie privée est, on le voit bien, un souci permanent des salariés, plus particulièrement des femmes. Je voudrais donc en venir au complément de libre choix d’activité.

Bien que la loi garantisse aux femmes ayant fait le choix d’un congé parental d’éducation un retour dans l’entreprise à un niveau de rémunération et de responsabilité identique à celui précédant la grossesse, on sait que tel n’est pas toujours le cas. Or, si nous partageons le constat, les pistes de réponses envisagées par le Gouvernement nous interrogent. En effet, il serait question de modifier le complément de libre choix d’activité de deux manières : tout d’abord, en le réduisant de six mois ; ensuite, en instaurant une période supplémentaire de six mois réservée au deuxième parent, généralement l’homme.

Cette proposition, le Gouvernement la justifie par deux arguments : le premier repose sur le fait, avéré, que, pour l’essentiel, les bénéficiaires actuelles du CLCA sont des femmes ; le second est fondé sur l’idée qu’il faudrait réduire la durée de ce droit au motif qu’il éloignerait le retour des femmes du marché du travail.

Ce dernier argument, madame la ministre, ne nous convainc pas. Nous ne pouvons accepter que les droits de nos concitoyens soient réduits au motif que les employeurs ne respecteraient pas leurs obligations légales. Si je parle de réduction, c’est à dessein. On sait pertinemment que dans la mesure où les hommes ont des salaires supérieurs à ceux des femmes, rares seront ceux qui feront le choix d’opter pour les six mois supplémentaires de congé parental. Or, plutôt que de combattre les inégalités salariales, le Gouvernement en instaure une nouvelle puisque les six mois complémentaires bénéficieront d’une revalorisation financière, ce qui revient, au final, à indemniser davantage les périodes de congé prises par les hommes plutôt que par les femmes !

Qui plus est, nous ne pouvons accepter que la proposition de rallonger la durée du CLCA de six mois pour le deuxième parent dès le premier enfant soit financée par les économies attendues du fait du renoncement des parents de deux enfants et plus. Cela revient à faire financer une mesure à destination des familles composées d’un seul enfant par des familles composées de deux ou trois enfants. Nous ne pouvons l’admettre !

En réalité, la solution la plus juste serait de permettre progressivement un partage total de la durée du congé parental dès le premier enfant entre les deux parents, mais dans un cadre radicalement différent de celui que nous connaissons. Cela suppose que l’égalité salariale et professionnelle soit enfin réalisée et que toute précarité soit combattue. Cela va à l’encontre de l’article 8 du projet de loi de sécurisation de l’emploi, qui favorise les temps partiels contraints principalement supportés par les femmes, contrairement à ce qui a été avancé par le Gouvernement.

Tout cela nous conduit, madame la ministre, à être plus que réservés sur cette mesure et à rappeler qu’il ne peut y avoir de politique utile aux familles sans un combat acharné pour l’égalité pleine et entière des femmes et des hommes dans tous les domaines de la vie, notamment dans la lutte contre la précarité de l’emploi !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la sortie du rapport Fragonard, le 8 avril dernier, la politique familiale est clairement dans le viseur du Gouvernement, plus précisément les allocations familiales, qu’il serait question de placer sous condition de ressources. Cette décision pourrait sonner le glas du principe d’universalité auquel nous demeurons viscéralement attachés, et ce à l’heure où les caisses d’allocations familiales ont de plus en plus de difficultés à assumer leurs charges et où l’offre d’accueil des jeunes enfants demeure encore singulièrement insuffisante.

Dans ces conditions, la question du devenir de la politique familiale se pose, et nous remercions notre collègue, Mme Isabelle Pasquet, d’avoir proposé d’inscrire ce débat à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, d’autant qu’il est toujours délicat de réformer un système qui fonctionne.

Oui, la politique familiale française est un succès ! De cela, je crois que personne ne disconviendra. La France ne souffre pas de la crise de natalité qui affecte toute l’Europe. Nous ne connaissons pas les difficultés démographiques de nos plus proches voisins, qu’il s’agisse de l’Allemagne, de l’Italie ou de l’Espagne. Notre pays renouvelle ses générations et jouit du plus haut niveau de fécondité européen, avec l’Irlande.

La politique familiale, dans son ensemble, est largement comptable de ce dynamisme qui, de plus, se conjugue avec un taux d’activité des femmes relativement élevé.

Pourquoi ce succès ? Tout simplement parce que l’on trouve dans notre pays des solutions d’accompagnement des parents et des enfants qui n’existent pas ailleurs. Dit de manière plus abrupte, contrairement à une femme allemande, une femme française a moins à choisir entre travailler et avoir des enfants, même si ce n’est pas facile à concilier.

Pour autant, cela veut-il dire qu’il ne faut absolument pas toucher à la politique familiale ? Je n’en suis pas sûr ! Cependant, il faut le faire avec précaution et uniquement pour remédier autant que possible à ses insuffisances.

En cinquante ans, la politique familiale française s’est vue assigner de plus en plus d’objectifs.

Deux objectifs sont présents depuis l’origine : le soutien à la natalité et le soutien au niveau de vie des familles. Deux objectifs plus récents sont apparus : l’aide à l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle, d’une part, et l’accompagnement de la parentalité, d’autre part.

Si ces objectifs ne sont pas toujours faciles à concilier, il ne saurait pour autant être question d’en sacrifier. Pour les atteindre, nous nous sommes dotés d’une multiplicité d’outils, combinaison de dispositifs universels et ciblés, de compensation du coût de l’enfant et de prestations sous condition de ressources, d’encouragement au libre choix des familles en matière d’accueil des jeunes enfants, d’articulation de dispositifs fiscaux et sociaux, d’aides en espèces et en nature. Cela va des allocations familiales au quotient familial, en passant par la PAJE ou le congé maternité.

La politique familiale est donc un tout à prendre dans son ensemble. Quant à ses limites, elles sont connues.

Premièrement son financement pourrait être qualifié d’antiéconomique. Alors que la politique familiale est universelle et obéit donc à une logique de solidarité nationale, elle demeure financée sur une base assurantielle par des cotisations sociales qui pèsent sur la production.

Deuxièmement, je l’ai déjà évoqué, l’offre de garde des enfants de moins de trois ans demeure globalement insuffisante. Il manquerait, semble-t-il, 300 000 places.

Troisièmement, les transferts globaux de la politique familiale seraient anti-redistributifs. C’est la question la plus délicate à appréhender : cette politique profiterait surtout aux plus modestes, mais également aux ménages les plus aisés.

Quatrièmement, depuis peu, la branche famille est déficitaire. Face à ce constat, notre inquiétude est double : d’une part, nous ne voyons pas se profiler de solution satisfaisante aux deux premiers problèmes, celui du financement et de l’insuffisance de l’offre de garde ; d’autre part, avec le rapport Fragonard, le Gouvernement entretient une confusion entre équité et comptabilité.

Je reviens sur chacun de ces points. Nous ne voyons pas se profiler de solution digne de ce nom à la question du financement et à celle de l’offre d’accueil.

Vous le savez, nous défendons une fiscalisation des branches à prestations universelles que sont la branche famille et la branche santé, l’une étant d’ailleurs liée à l’autre via la prise en charge des soins de maternité et le congé maternité. Or, en rejetant la TVA sociale ou toute autre solution fiscale, le Gouvernement semble avoir définitivement tourné le dos à cette solution, pourtant à nos yeux la seule capable d’impulser le choc de compétitivité dont notre pays a tant besoin.

Du côté de l’offre d’accueil, la prochaine convention d’objectifs et de gestion reprendra le même objectif de création de 100 000 nouvelles places, ce qui ne fait pas montre d’un volontarisme si fort ! Cela se comprend : certes, le Fonds national d’action sociale devrait augmenter de 7, 5 % par an au cours des cinq prochaines années, mais il devra, sur ses ressources, prendre en charge le coût lié à la réforme des rythmes scolaires, ce qui ne permet pas de dégager plus de crédits pour l’offre d’accueil.

Seule perspective d’augmentation véritable de crédit en la matière, la restriction du complément de libre choix d’activité, qui passera de trente-six à trente mois pour un parent, plus, éventuellement, six mois supplémentaires pour l’autre. Voilà un recul social pour une économie sans commune mesure avec les besoins en matière d’offre de garde ! À moins, madame la ministre, que vous n’ayez d’autres annonces à nous faire…

J’en arrive au rapport Fragonard. Ce qui le justifie, c’est le déficit de la branche. Or, chacun le sait, si la branche est aujourd’hui en déficit, c’est parce qu’on lui a fait supporter des charges qui ne devaient pas lui incomber : les majorations de durée de cotisation et de pension pour enfants, qui incombent normalement au Fonds de solidarité vieillesse.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Or, malgré cela, la tendance naturelle de la branche, en l’absence de mesures nouvelles, est un retour à l’équilibre à l’horizon de 2019. Le Gouvernement impose cependant un retour à l’équilibre à marche forcée dès 2016, avec une inflexion notable dès 2014. C’est un peu la double peine : non seulement la branche est en difficulté, mais on lui impose maintenant, pour résorber son déficit artificiel, de prendre des mesures restreignant son champ. Ce retour à l’équilibre à marche forcée est d’autant moins indispensable que le déficit accumulé d’ici à 2019, de 7, 5 milliards d’euros, pourra être apuré à partir de cette date.

Pour un retour à l’équilibre en 2016, il faut trouver 2 milliards d’euros par an. C’est pour atteindre cet objectif qu’il est prévu, dans le rapport Fragonard, de placer les allocations familiales sous condition de ressources. C’est là qu’il y a confusion entre comptabilité et équité !

Que dire de la mesure elle-même ? Elle est, selon nous, la moins bonne des deux options qui se présentent à nous, l’autre option étant bien sûr la fiscalisation des allocations que je n’aborderai ici qu’avec prudence.

Vous nous conduisez à choisir le moindre mal, c’est-à-dire à ne pas toucher une nouvelle fois au quotient familial, parce que celui-ci n’est pas une subvention mais représente un outil indispensable de définition de la progressivité de l’impôt. Cela relève du bon sens : on ne peut définir le revenu imposable sans prendre en compte le nombre de gens qui vivent avec.

La fiscalisation éventuelle dont je parle est l’intégration des allocations familiales à l’assiette de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, avec évidemment la garantie que les sommes collectées soient intégralement affectées au financement de l’offre de garde. En effet, le problème de la politique familiale réside non pas dans la somme globale qui lui est allouée, mais dans la manière dont il faudrait en « reventiler » une partie.

S’il faut en arriver là, nous estimons que cette solution est préférable, à de nombreux égards, à la mise sous condition de ressources des allocations familiales.

D’abord, elle serait techniquement beaucoup plus simple à réaliser. Comment feront les CAF, qui sont déjà, disent-elles, à la limite de déclarer forfait aujourd’hui au vu de leurs obligations, lorsqu’elles auront à contrôler les ressources des allocataires ?

Ensuite, fiscaliser les allocations serait aussi beaucoup plus équitable, car la dégressivité de l’allocation serait proportionnelle à la progressivité de l’impôt. Il faut prendre en considération cette option au cas où une mesure serait prise, sinon la mise sous condition créera des effets de seuil incompréhensibles. Il est déjà annoncé qu’un ménage de deux actifs avec deux enfants sera jugé aisé avec 5 000 euros par mois. Madame la ministre, la richesse commence-t-elle à ce niveau pour une famille avec deux enfants à charge ?

Enfin, la mise sous condition de ressources frappera en conséquence très fortement un petit nombre d’allocataires, les cadres actifs moyens de trente-cinq à quarante-cinq ans, c’est-à-dire ceux qui contribuent le plus à la dynamique économique du pays, ce qui sera de nature à brider la croissance et saper tout modèle de promotion sociale.

Pourquoi avoir fait un tel choix si ce n’est pour des raisons d’affichage ? Le Gouvernement doit avoir en tête qu’il faut éviter les augmentations visibles d’impôts.

En résumé, s’il faut vraiment prendre une mesure concernant le financement de la politique familiale, nous préconisons la fiscalisation des allocations plutôt que la mise sous condition de ressources. J’espère que nous serons entendus. En tout cas, nous appelons de nos vœux un plan volontariste en faveur de l’offre d’accueil, faute de quoi il y aura effectivement des raisons de s’inquiéter pour le devenir de la politique familiale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’incertitude suscitée par la crise économique et la montée du chômage a fait chuter la fécondité dans la plupart des pays développés et principalement en Europe où la moyenne ne dépasse pas 1, 6 enfant par femme. Dans cette Europe vieillissante, la démographie française fait figure d’exception, puisque son taux de fécondité est parmi les plus élevés, même s’il se situe très légèrement en dessous du seuil de renouvellement des générations. Selon un rapport publié fin mars par l’Institut national d’études démographiques, si la France a plutôt mieux résisté que ses voisins, c’est parce que « les politiques sociales et familiales ont amorti le choc de la récession ».

À l’origine, la politique familiale en France visait un objectif nataliste. Elle a été progressivement mise en place, d’abord pendant l’entre-deux-guerres pour encourager la natalité dans un pays inquiet de la démographie d’un grand État voisin, puis confirmée et encouragée davantage par le Conseil national de la Résistance. Par la suite, elle s’est attachée à lutter contre la pauvreté, à promouvoir le développement de l’enfant et à permettre aux parents de concilier vie familiale et vie professionnelle.

La famille est un pilier fondamental de notre société. C’est dans cet esprit que la politique familiale doit créer un environnement favorable permettant à chaque famille d’accueillir et de former les citoyens de demain. En ce sens, elle est un acteur essentiel de la richesse de notre pays. Mais, aujourd’hui, alors que la France y consacre des sommes importantes, il est évident que notre politique familiale n’atteint plus ses objectifs et qu’il est nécessaire de rendre le système plus juste.

En janvier dernier, le Premier ministre confiait à Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil de la famille, la lourde tâche de proposer des pistes de réflexion pour que la redistribution se fasse de manière plus équitable. Il lui demandait également de trouver plusieurs scénarios pour rééquilibrer, à l’horizon de 2016, les comptes de la branche famille, déficitaires de plus de 2 milliards d’euros. Sur ce point, on peut toutefois s’interroger sur l’opportunité de vouloir combler un déficit purement artificiel qui résulte en effet de la prise en charge des dépenses du Fonds de solidarité vieillesse relatives aux majorations de retraites pour les assurés ayant élevé trois enfants ou plus. Dans la mesure où la branche famille doit naturellement retrouver son équilibre en 2019, la plupart des membres du Haut Conseil de la famille contestent d’ailleurs la nécessité d’un tel rééquilibrage.

En revanche, il est certain qu’une réforme de notre politique familiale doit être engagée vers un régime plus équitable. À ce titre, dans le rapport Fragonard, plusieurs pistes ont été explorées pour réformer les allocations familiales.

Repoussant l’idée d’une suppression de ces allocations pour les familles les plus aisées, contraire au principe d’universalité, Bertrand Fragonard a étudié la possibilité de les soumettre à l’impôt sur le revenu, à l’instar de ce que propose Didier Migaud, ou de les moduler en fonction des revenus. Cependant, aucune de ces pistes ne fait consensus au sein du Haut Conseil de la famille.

Il semblerait toutefois que le Gouvernement s’oriente vers un système de modulation des allocations qui permettrait de réduire leur montant lorsque le revenu des familles dépasse un certain plafond. Il n’est certes pas nécessaire que les familles les plus aisées perçoivent les mêmes allocations que les familles les plus modestes, d’autant qu’elles bénéficient déjà des avantages du quotient familial, dont près de la moitié est captée par seulement 10 % des ménages les plus riches, selon un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires. Pour autant, n’est-il pas à craindre que les classes moyennes soient également concernées ?

Selon le scénario élaboré par le rapport Fragonard, les allocations familiales commenceraient à diminuer à partir de 5 072 euros de revenus pour un couple avec deux enfants. Une telle réforme soulève par ailleurs la question de la charge de travail supplémentaire pour les CAF, qui sont déjà en situation d’asphyxie.

Certains membres du Haut Conseil de la famille évoquent la possibilité de réformer le quotient familial et le quotient conjugal, qui tendent effectivement à favoriser les familles aisées. D’autres suggèrent une révision de l’architecture des prestations familiales portant notamment sur leur progressivité en fonction de la taille de la famille et la possibilité d’instaurer des allocations dès le premier enfant. Il est en effet difficilement compréhensible qu’une famille monoparentale modeste avec un enfant ne puisse percevoir d’allocation, contrairement à un couple aisé avec deux enfants. Pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, les intentions du Gouvernement en la matière ?

Dans un contexte de rigueur budgétaire, il est normal de faire des économies. Pour autant, une réforme ambitieuse de la politique familiale doit aussi passer par des mesures ciblées sur les familles qui en ont le plus besoin : les familles nombreuses modestes et les familles monoparentales. Cela doit également passer par un redéploiement des moyens pour développer les crèches et le nombre d’assistantes maternelles permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle.

Force est de constater que bien des parents éprouvent des difficultés à trouver un mode de garde pour leurs jeunes enfants : obtenir une place relève parfois du parcours du combattant, et l’un des deux parents, très souvent la mère, est alors contraint de sacrifier son emploi. Donner la priorité au développement de ces structures d’accueil, c’est également le moyen de permettre aux femmes de se maintenir sur le marché du travail et de diminuer la précarité de ces familles.

Une réforme ambitieuse de notre politique familiale est devenue une nécessité. Les membres du RDSE l’appellent de tous leurs vœux, car elle constitue un enjeu majeur pour le développement démographique, social et économique de notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, poser la question du devenir de la politique familiale, c’est d’abord s’interroger sur les objectifs d’une telle politique.

On peut dire que la politique familiale mise en place après la Seconde Guerre mondiale visait deux objectifs : une politique nataliste pour une France forte et une politique pour le bien-être de l’enfant.

Vous comprendrez que, en tant qu’écologiste, ce n’est pas le premier objectif que je défendrai. Compte tenu des contraintes environnementales, nous ne souhaitons pas augmenter la population de la planète si nous n’avons pas les moyens d’assurer pour tous, dans tous les pays, un minimum vital alimentaire en énergie et en ressources naturelles. Pour nous, l’objectif de la politique familiale doit être le bien-être de l’enfant. Or le diagnostic est inquiétant.

Sur un total de 9 millions d’enfants environ que compte notre pays, 2, 7 millions d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté : un enfant sur cinq, en France, a des parents dont le revenu est inférieur à 964 euros, après versement des allocations familiales ! Cette situation n’est pas la simple conséquence de la crise, puisque, à titre de comparaison, l’Islande, elle-même très durement frappée par la crise, et dont le PIB par habitant est quasiment identique à celui de la France, ne compte que 0, 9 % d’enfants pauvres. Par conséquent, il y a urgence. C’est pourquoi je lance un appel pour que le gouvernement de gauche et des écologistes s’engage à poursuivre une politique sociale de solidarité, assurant à tous un emploi ou, à défaut, un revenu décent garanti.

En ce qui concerne la politique familiale, je comprends que l’on puisse être tenté par un système favorisant les aides à destination des plus défavorisés, et donc moduler les allocations familiales en fonction des revenus du foyer. Mais nous souhaitons, comme nombre de nos collègues ici, garder l’universalité de l’allocation dans l’intérêt des droits de l’enfant, quels que soient son milieu, son origine, son histoire. De même que je défends le concept de revenu citoyen pour tous, je me prononce en faveur du principe de l’allocation inconditionnelle pour chaque enfant.

Les solidarités sociales et la réduction des inégalités doivent être traitées par le biais de la politique des salaires, de l’emploi, ainsi qu’à travers une autre organisation de la redistribution des richesses. Compte tenu de l’état des finances publiques et du besoin de recettes supplémentaires, nous sommes prêts à débattre d’une fiscalisation des allocations. Je dis bien « à débattre », madame la ministre, car nous sommes prudents sur cette question.

Par contre, nous sommes favorables à l’abrogation du quotient familial et à son remplacement par un crédit d’impôt égalitaire pour tous. En effet, le quotient familial coûte chaque année 13 milliards d’euros à l’État. Je rappelle qu’avec le système actuel les deux tiers de cette somme profitent aux 20 % des familles les plus riches. À titre d’exemple, pour une famille dont les parents touchent à eux deux le SMIC, le quotient familial est un avantage de 279 euros par an et par enfant, tandis que, pour une famille dont les parents perçoivent à eux deux six fois le SMIC, le quotient familial représente un avantage de 2 000 euros par an et par enfant.

Voilà pourquoi nous reprenons à notre compte la proposition formulée par ATD Quart Monde et l’ancienne Défenseure des enfants, Dominique Versini, de remplacer le système du quotient familial par un crédit d’impôt universel de 715 euros par an et par enfant, sachant que cette solution ferait sortir immédiatement 500 000 enfants du seuil de pauvreté, sans que cela coûte un euro supplémentaire à l’État.

Enfin, et je conclurai sur ce point, pour s’attaquer efficacement au devenir de la politique familiale, il faut également poser la question des inégalités territoriales et des inégalités entre les hommes et les femmes à l’intérieur du foyer.

Comme l’a rappelé ici même en octobre dernier ma collègue Aline Archimbaud, si seulement 6 % des hommes vivent un changement dans leur situation professionnelle lors de l’arrivée d’un enfant, c’est le cas pour près de 40 % des femmes. Pour pallier ces inégalités, il est nécessaire de développer des solutions de gardes collectives pour les très jeunes enfants, de renforcer les dispositifs d’aide à la parentalité ou encore de réformer le congé parental.

Je remercie Mme Pasquet d’avoir engagé le débat sur cette question importante qu’est la politique familiale et sur les moyens d’assurer cette politique. Mes chers collègues, il y a urgence à ne plus laisser un seul enfant dans la pauvreté !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Kerdraon

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous occupe cet après-midi est fondamental, car il porte sur le devenir de notre politique familiale. C’est pourquoi je veux à mon tour saluer l’initiative de notre collègue Isabelle Pasquet.

Ce débat est fondamental, disais-je. En effet, souvenons-nous : notre politique familiale est issue du compromis social et politique de la Libération et du plan français de sécurité sociale ; elle consiste à cibler les familles en tant que groupe social ayant des besoins particuliers.

Les objectifs principaux de la politique familiale sont, comme l’a rappelé Jean Desessard, de pouvoir contribuer à une forte natalité, d’assurer une compensation financière cohérente des charges des familles, d’aider plus spécialement les familles vulnérables et, enfin, de permettre la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle des parents.

Dans un récent article du Monde, Jeanne Fagnani et Dominique Méda ont dressé un certain nombre de constats au sujet de notre politique familiale. Selon elles, cette politique « passe par deux canaux, celui de la fiscalité et celui de la branche famille de la sécurité sociale, qui verse des prestations en espèces et subventionne des modes d’accueil, par exemple les crèches. Chacun des deux systèmes poursuit deux objectifs à la fois : la redistribution verticale des plus riches vers les plus pauvres et la redistribution horizontale des ménages sans enfant vers les ménages avec enfants ».

Notre politique familiale constitue un ensemble dans lequel les Français ont particulièrement confiance, sentiment qu’il me semble indispensable de conforter.

Un rapport de l’OCDE intitulé Assurer le bien-être des familles, datant d’avril 2011, et un avis du Comité économique et social européen intitulé Le rôle de la politique familiale dans le processus de changement démographique afin de partager les meilleures pratiques dans les États membres citent la France comme exemple, et ce à juste titre puisque notre pays figure parmi les nations de l’OCDE qui investissent le plus dans la politique familiale : 4 % à 6 % du PIB, contre 2, 2 % en moyenne dans les autres pays considérés. C’est sans doute l’une des raisons qui expliquent un taux de fécondité dynamique de deux enfants par femme.

François Hollande s’est réjoui de cette réussite, tout en souhaitant « renforcer notre politique familiale, notamment en la rendant plus juste, car c’est la condition d’une égale liberté de choix ». Il ajoutait : « Sans justice, notre politique familiale ne saurait être largement approuvée ni s’inscrire dans le temps. Nous devons nous donner les moyens de mieux aider les familles les plus fragiles – familles nombreuses, familles aux revenus modestes, familles monoparentales –, afin de lutter contre la pauvreté infantile et d’offrir une réelle égalité des chances à tous les enfants de notre pays. » C’est bien là tout l’enjeu de la refonte de notre politique familiale !

C’est bien sûr dans ce cadre qu’il convient d’inscrire la problématique des allocations familiales. Ce dispositif bénéficie aujourd’hui à 4, 7 millions de ménages, sans que soient fixées des conditions de ressources. Dès lors, comme l’écrivent Jeanne Fagnani et Dominique Méda, il est légitime de penser qu’une réforme des allocations familiales doit être inscrite à l’ordre du jour. Elles précisent en effet : « Dans un contexte d’accroissement des inégalités sociales et de développement de la précarité, cela pourrait être l’occasion de procéder à la refonte radicale d’une politique dont la légitimité est affaiblie par la multiplicité des objectifs poursuivis. »

Quels aménagements peut-on apporter à cette politique sans remettre en cause la natalité, point fort de notre démographie ?

Dans son rapport récemment remis au Premier ministre, Bertrand Fragonard propose plusieurs scénarios en vue de combler le déficit de plus de 2 milliards d’euros de la branche famille. Parmi ses suggestions figurent la réduction des allocations familiales pour les ménages « les plus aisés », la baisse du quotient familial, la suppression de l’avantage fiscal pour les enfants scolarisés, la réduction de la prime de naissance ou encore l’unification du complément familial et de la PAJE. La question de la fiscalisation des allocations est également posée.

À mon sens, la nécessaire réforme qui doit être engagée ne peut pas être guidée par la seule volonté de faire des économies. Il nous faut préserver les bienfaits de cette politique tout en la rendant plus juste. La justice passe par une politique venant soutenir non seulement les foyers modestes, en particulier les familles monoparentales, mais aussi les classes moyennes.

Lors de son intervention du 28 mars, François Hollande a écarté, à juste titre me semble-t-il, une éventuelle fiscalisation des allocations familiales. Cette piste avait, selon moi, deux inconvénients majeurs : elle aurait engendré une hausse de la fiscalité et aurait touché l’ensemble des foyers imposables, soit près d’un Français sur deux.

L’une des lacunes du système actuel réside dans le fait que la France est le seul pays en Europe à ne pas verser d’allocations aux familles n’ayant qu’un seul enfant. Notre collègue Michelle Meunier a très bien exposé notre position en la matière. À l’heure actuelle, les allocations sont versées selon un seul critère : le nombre d’enfants du foyer. Il me semble donc qu’il conviendrait de mieux cibler certaines prestations et surtout de renforcer les aides au bénéfice des familles fragiles.

Mes chers collègues, je suis convaincu que la modulation des allocations familiales est l’une des pistes à privilégier : elle préserve l’universalité des prestations tout en parvenant à combler le déficit de la branche famille de la sécurité sociale d’ici à 2016, sachant que celle-ci reviendra spontanément à l’équilibre d’ici à 2019. Cependant, j’appelle votre attention sur la sémantique utilisée, en particulier sur l’expression de « famille aisée » ou de « famille riche ». Selon les critères établis, on risque en effet de toucher les couples biactifs considérés comme riches dès lors qu’ils percevraient plus de 3 885 euros de salaires. Sans doute faut-il faire preuve de vigilance à cet égard.

L’insuffisance des différents modes de garde offerts constitue également une des lacunes de notre politique familiale. Je le rappelle, seuls 7 % des enfants de moins de trois ans sont accueillis en crèches collectives.

Face à cette situation de forte pénurie, beaucoup de parents choisissent des modes de garde individuels promus et subventionnés par les collectivités. Par ailleurs, beaucoup de mères se résignent à interrompre leur activité.

La crèche collective reste en outre inaccessible aux familles les plus modestes. En France, il manquerait entre 300 000 et 500 000 places en crèche pour accueillir les enfants de moins de trois ans.

Madame la ministre, face à cette situation, le Gouvernement affiche son objectif : créer entre 80 000 et 100 000 places supplémentaires d’ici à 2017, ce dont je me réjouis. En effet, il me semble important de laisser le choix aux familles et en particulier aux femmes.

Nous pouvons du reste nous poser cette question très simple : la société laisse-t-elle réellement le choix aux familles ? En France, l’État verse au parent au foyer un complément de libre choix d’activité, anciennement appelé allocation parentale d’éducation, et ce pendant trois ans dès le deuxième enfant. Ce dispositif permet au parent de suspendre son activité ou de la réduire afin de s’occuper de son enfant. Or, aujourd’hui, les études montrent que l’intégration des femmes dans les entreprises permet de créer de la croissance. Ainsi, l’OCDE a calculé que si le taux d’activité des femmes se rapprochait sensiblement de celui des hommes, le PIB augmenterait en moyenne de 12 % en vingt ans.

Désormais, ce qui caractérise les familles à venir, c’est une aventure personnelle et non plus de couple et des ruptures dans le cadre de cet accomplissement personnel, qu’elles soient familiales ou professionnelles. Aussi notre politique familiale se doit-elle d’apporter des solutions pour tous, dans le respect des choix des familles, sans condamner ou privilégier un schéma plutôt qu’un autre.

Madame la ministre, dans cette tâche, le groupe socialiste sera à vos côtés.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste . – M. Jean Desessard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

J’applaudis l’artiste, mais pas toute la teneur du discours !

Debut de section - Permalien
Dominique Bertinotti

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie tous ceux qui ont pris part à ce débat consacré à la politique familiale. Voilà une bonne occasion de faire un point d’étape au moment où se prépare la convention d’objectifs et de gestion avec la CNAF et où Bertrand Fragonard vient de proposer ses différents scénarios.

Avant de définir les objectifs de notre politique familiale, permettez-moi de formuler quelques remarques préliminaires.

La politique familiale, qui s’adresse aujourd’hui à 9, 2 millions de familles avec enfants – c’est un chiffre qu’il faut garder en mémoire –, a contribué à maintenir le dynamisme démographique de notre pays. Cette situation, vous l’avez d’ailleurs tous souligné, s’accompagne d’un fort taux d’activité des femmes. C’est bien ce qui fait la différence entre la France et des pays comme l’Allemagne : dans la mesure du possible, les Françaises n’ont pas à choisir entre leur carrière et le fait d’avoir des enfants.

Je tiens à mon tour à souligner la variété des modèles familiaux : 3 millions de jeunes de moins de vingt-cinq ans vivent dans une famille monoparentale, 2 millions dans une famille recomposée et 40 000 à 300 000 dans une famille homoparentale. Il s’agit donc de satisfaire une exigence renforcée d’égalité. À cet égard, force est de constater que, même si la politique familiale donne des résultats que d’autres pays nous envient, de fortes inégalités demeurent. Plusieurs rapports récents en font d’ailleurs état.

Le rapport de l’UNICEF démontre que, en dépit des prestations financières accordées, le taux de pauvreté des enfants dans notre pays – Jean Desessard l’a rappelé avec force – est trop élevé au regard de l’investissement et de la part du PIB que nous leur consacrons. Cette situation prouve qu’il reste des inégalités à corriger.

De son côté, le dernier rapport de l’INSEE le rappelle : aujourd’hui, les plus riches voient leur niveau de vie augmenter de l’ordre de 1, 3 %, tandis que les 10 % des Français les plus pauvres subissent une baisse de leur niveau de vie de l’ordre de 1, 2 %. Dans le même temps, il relève que tous les déciles de la population ont été affectés par une baisse de niveau de vie, à l’exception des 5 % les plus aisés. C’est pourquoi la politique familiale doit prendre en compte l’accroissement des inégalités que l’on mesure actuellement.

Vous le savez, le revenu médian des Français s’élève à 1 610 euros mensuels. Ce chiffre permet de situer notre débat et signifie que 50 % de nos compatriotes perçoivent moins de 1 610 euros par mois, quand 50 % gagnent plus, avec évidemment un effilage plus le niveau des revenus s’élève. Si je me permets de formuler ces rappels, c’est parce qu’on ne peut s’interroger sur une politique familiale plus redistributive qu’au regard de cet accroissement des inégalités.

Telle que le Gouvernement la conçoit aujourd’hui, la politique familiale repose sur deux piliers.

Le premier est de nature financière. Il mobilise pour l’heure l’essentiel des ressources concernées. Toutefois, son efficacité redistributive en faveur des plus fragiles n’est plus satisfaisante aujourd’hui.

Debut de section - Permalien
Dominique Bertinotti, ministre déléguée

Le second pilier est la politique de services.

Sur ce point, je tiens à apporter une précision : nombreux sont ceux qui ont utilisé à juste raison le terme « universalité ». Toutefois, soyons conscients que nos concitoyens vont exiger de plus en plus d’universalité en termes de services. Ainsi, de même que tout enfant va aujourd’hui à l’école, on nous demandera bientôt que tout jeune enfant puisse bénéficier d’un mode d’accueil, même si une diversité peut exister en la matière.

Debut de section - Permalien
Dominique Bertinotti, ministre déléguée

Tout à fait, monsieur le sénateur.

En conséquence, il convient de développer une politique de services en matière d’accueil de la petite enfance, afin de permettre aux parents de concilier leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Or le chemin à parcourir est encore long, même si des initiatives sont déjà engagées.

Un autre enjeu est l’accueil périscolaire des enfants de deux à trois ans, qui a subi une très forte régression au cours des dernières années.

Debut de section - Permalien
Dominique Bertinotti, ministre déléguée

Parallèlement, le soutien à la parentalité est une exigence qui se fait jour de plus en plus fortement, et ce quels que soient les milieux sociaux : cette demande provient aussi bien des milieux modestes que des familles aisées.

Dans le même temps, il nous faut corriger à la fois les inégalités sociales et territoriales. Aujourd’hui, en regardant la carte de l’accueil de la petite enfance, ne serait-ce que pour le territoire métropolitain, on ne peut se satisfaire d’observer un écart allant de 20 % à 80 % entre les départements, selon qu’ils sont bien ou mal lotis dans ce domaine. Nos concitoyens sont beaucoup plus mobiles qu’auparavant et, lorsqu’ils sont appelés à déménager, ils attendent de disposer des mêmes services. C’est un élément capital !

Cet enjeu me conduit à tenter de proposer à tout le moins des pistes de réponse, via les deux grands chantiers en cours, à savoir, d’une part, la négociation de la convention d’objectifs et de gestion avec la CNAF et, d’autre part, la refonte de l’architecture des prestations.

Parlons d’abord de la convention d’objectifs et de gestion.

Certes, elle aurait dû être signée il y a quelques mois. Il n’en reste pas moins que, pour la première fois, nous avons associé les parents à sa préparation. Mme Meunier a ainsi rappelé la consultation citoyenne que nous avions lancée auprès d’eux dans quatre régions. Les élus locaux ont également participé étroitement à cette préparation, ainsi que les partenaires sociaux. Je tiens d’ailleurs à souligner que j’ai été le premier ministre à recevoir les syndicats de salariés des caisses d’allocations familiales avant même la signature de la convention avec la CNAF.

J’entends vos aspirations. Je ne peux évidemment vous révéler aujourd’hui les chiffres que vous attendez, mais je pense que cette convention d’objectifs et de gestion sera à la hauteur de vos espérances, …

Debut de section - Permalien
Dominique Bertinotti, ministre déléguée

… tant en ce qui concerne le niveau du FNAS que le développement significatif des places d’accueil en crèche, de la préscolarisation des enfants de deux à trois ans ou l’élaboration d’un plan de professionnalisation renforcée pour les métiers de la petite enfance. La signature de la convention s’accompagnera également de l’abrogation du décret Morano.

Ces objectifs devraient permettre de corriger les inégalités territoriales, qui sont encore plus flagrantes en ce qui concerne le soutien à la parentalité. Un effort financier très substantiel sera donc réalisé dans ce secteur.

Ces axes forts que je viens d’évoquer sont susceptibles de répondre à vos interrogations. Je n’oublie pas non plus qu’une meilleure coordination des acteurs de la politique familiale est nécessaire. C’est pourquoi un pilotage territorial repensé nous permettra de dépenser mieux et plus efficacement.

Enfin, cette convention d’objectifs et de gestion contiendra un volet relatif aux salariés des caisses d’allocations familiales. Leur charge de travail excessive a été mentionnée à juste raison. On connaît d’ailleurs la situation périlleuse de certaines CAF. Il faudra donc nous pencher sur la maîtrise de la charge de travail, tout en continuant à améliorer l’accueil des allocataires.

Dans ce cadre, le maintien des effectifs me semble être une voie raisonnable. Il faut également, je tiens à le dire, utiliser la ressource offerte par les emplois d’avenir, qui permettent à la fois de répondre au besoin de personnel supplémentaire des caisses d’allocations familiales et de mettre le pied à l’étrier à nombre de jeunes gens afin de leur permettre de faire la preuve de leur talent.

Nous cherchons également à améliorer les conditions dans lesquelles les agents des CAF exercent leur métier, car leur sécurité reste insuffisante dans de trop nombreuses caisses. La convention inclura donc un volet immobilier les concernant.

J’en viens maintenant à la refonte de l’architecture des prestations.

Il reviendra bien évidemment au Premier ministre, qui entend les arguments de chacun, d’annoncer lequel des différents scénarios proposés par Bertrand Fragonard le Gouvernement privilégiera. À ce sujet, je tiens à souligner dès à présent la qualité du rapport de M. Fragonard, qui a relevé avec beaucoup de courage le défi que représente notre volonté de parvenir à la fois à un retour à l’équilibre financier de la branche famille et à mener une politique plus juste et redistributive. C’est cette exigence qui permettra de mettre en œuvre une véritable politique familiale de gauche. Ainsi, nous le savons déjà, les familles modestes bénéficieront d’une amélioration du complément familial et de l’allocation de soutien familial.

Parmi vos propositions, j’ai été très sensible à l’idée qu’une simplification de l’ensemble de ce magma de prestations serait bien vécue à la fois par les allocataires, qui prendraient conscience de ce qu’est vraiment la politique familiale, et, évidemment, par le personnel des caisses d’allocations familiales. Je suis donc tout à fait ouverte à la discussion, même si cette mesure ne pourra sans doute pas être mise en œuvre immédiatement.

J’ai également entendu proposer la création d’un revenu social de l’enfant. On ne peut pas balayer d’un revers de main ce sujet, car il est vrai qu’aujourd’hui, au fond, c’est l’enfant qui fait la famille. C’est donc une piste très intéressante que nous ne devons pas exclure à une époque on l’on assiste à un éclatement des familles.

Les pistes évoquées par Jean Desessard, reprenant les propositions d’ATD Quart Monde et de Dominique Versini, sont également très intéressantes.

Le rapport Fragonard ne doit être, à mon avis, qu’une première étape vers une politique familiale plus efficace. Vos propositions devront constituer, je le crois, l’étape suivante.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sachez que nous voulons que la prochaine convention d’objectifs et de gestion soit signée pour cinq ans au lieu de quatre. Cette durée devrait nous permettre d’évaluer la réalisation des objectifs et, au besoin, d’apporter les corrections qui s’imposent. C’est un élément important qui nous permettra de faire évoluer la nature même de la COG, qui était jusqu'à présent un instrument de gestion et qui doit devenir, je le dis avec force, un outil de politique publique. Voilà comment nous pourrons corriger les inégalités, aussi bien sociales que territoriales !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le devenir de la politique familiale en France.

Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures dix.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures dix.