Intervention de Philippe Esnol

Réunion du 16 mai 2013 à 15h00
Instauration effective d'un pass navigo unique — Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi

Photo de Philippe EsnolPhilippe Esnol :

C’est bien évidemment la question des transports qui est d’abord posée au travers de la proposition d’instaurer une tarification unique pour le pass navigo. Il s’agit d’un sujet fondamental, qui concerne la vie quotidienne de millions de Franciliennes et de Franciliens.

Ce texte soulève ensuite une question fiscale, car, ne nous y trompons pas, le dispositif législatif présenté relève avant tout du domaine de la fiscalité et ne concerne la politique des transports que de manière indirecte.

Je me félicite que la représentation nationale puisse se saisir de ces questions, même si le cadre contraint de l’examen d’une proposition de loi restreindra le champ de notre réflexion et le temps imparti pour la mener. Il est en tous cas naturel et légitime que les sénateurs apportent leurs contributions et leurs réflexions sur l’avenir de l’Île-de-France. Bien évidemment, il ne s’agit nullement d’instituer une sorte de primat de cette région sur les autres territoires de France ; ce serait une injustice, en même temps qu’une ineptie. En revanche, il s’agit bel et bien de prendre toute la mesure des enjeux de développement de la deuxième région d’Europe en termes de PIB, l’une des plus attractives au monde pour les entreprises, tout en mettant au premier plan les enjeux en matière d’aménagement du territoire pour une aire métropolitaine comptant près de 12 millions d’habitants. Nous avons la responsabilité, en tant qu’élus, de penser le cadre de vie, la protection de l’environnement et la fluidité des déplacements.

Dans ce cadre, je souhaite d’abord souligner combien est cruciale la question des transports en Île-de-France. Dans ce domaine, les projets ont considérablement évolué au fil de la réflexion menée sur l’avenir de la région et sur ce que l’on a appelé le Grand Paris. Sous l’impulsion de Jean-Paul Huchon, président du conseil régional et du syndicat des transports d’Île-de-France, priorité a très justement été donnée aux « transports du quotidien ». Cette politique de la majorité régionale a vocation à profiter à tous les Franciliens.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans cette logique et comporte un dispositif fiscal au moyen duquel il serait possible de dégager de nouvelles ressources au bénéfice du STIF, pour financer de nouvelles mesures tarifaires ; j’y reviendrai.

La majorité régionale a indiqué qu’elle travaillait dans cette direction. Au final, c’est d’ailleurs à elle, et au STIF, qu’il reviendrait de voter une telle mesure. Pour le moment, nous ne pouvons qu’approuver, sur le principe, un dispositif visant à favoriser les déplacements intrarégionaux. Nous devons toutefois le faire avec le recul nécessaire et dans un esprit de responsabilité, afin d’évaluer les conséquences possibles de sa mise en œuvre.

Je tiens à le rappeler, des mesures sociales existent déjà dans le cadre de la tarification des transports urbains d’Île-de-France. Il s’agit d’ailleurs d’un acquis de la majorité régionale. Le STIF a ainsi accordé la gratuité aux allocataires du RSA, ainsi qu’aux chômeurs bénéficiaires de l’ASS et de la CMU. Concernant les salariés eux-mêmes, ils ne supportent pas la totalité du coût du transport, puisque l’employeur peut prendre à sa charge à hauteur de 50 % l’abonnement au pass navigo. De ce fait, si la question de l’instauration d’une tarification unique est légitime, elle ne paraît pas être la plus urgente, d’autant qu’il nous faut envisager les conséquences possibles de l’adoption d’une telle mesure en termes d’étalement urbain. L’objectif étant un aménagement plus harmonieux des zones d’habitation et des zones d’emploi, nous ne saurions favoriser davantage encore l’étalement urbain. Ainsi, prendre en compte dans la tarification les kilomètres parcourus reste un principe pertinent à bien des égards, et le dézonage du pass navigo ne saurait être sérieusement envisagé sans certaines précautions.

Si nous ne pouvons partager sans réserves l’objectif visé au travers de la présente proposition de loi, cela ne nous dispense pas d’examiner les moyens envisagés. En effet, l’objet de ce texte est de créer de nouvelles ressources fiscales propres à l’Île-de-France, pour rendre possible l’instauration effective du pass navigo unique, laquelle relèverait alors du STIF.

Il est proposé de recourir exclusivement à une augmentation du versement transport. Je rappelle que le taux plafond de celui-ci est actuellement fixé à 2, 7 % de la masse salariale pour Paris et les Hauts-de-Seine, à 1, 8 % pour l’unité urbaine, au sens de l’INSEE, correspondant à peu près à ce que l’on pourrait appeler la petite couronne, et à 1, 5 % pour le reste de la région. Le dispositif de la proposition de loi consiste tout simplement à harmoniser ces taux par le haut, soit à 2, 6 %. Incontestablement, les rentrées fiscales attendues, de l’ordre de 800 millions d’euros, seraient de nature à permettre le financement du coût, généralement évalué entre 300 millions et 500 millions d’euros, de l’instauration d’un pass navigo unique au tarif des zones 1et 2.

Pourtant, demander une telle contribution aux entreprises ne paraît ni très juste ni très réaliste dans le contexte actuel. Ce ne serait pas juste, car si les entreprises contribuent au versement transport parce que leurs salariés utilisent les services publics de transport, toutes ne profitent pas de ces derniers de la même manière ! Dans les Yvelines, le service rendu n’est évidemment pas le même qu’à Paris et en banlieue proche. Surtout, ce ne serait pas réaliste, car le contexte actuel du monde économique et des entreprises ne permet pas de demander à celles-ci une contribution aussi élevée.

En moins d’un an, il y a eu deux hausses consécutives du versement transport en Île-de-France : elles ont été maîtrisées et contrôlées, mais elles ne peuvent être suivies aussi rapidement d’une nouvelle augmentation de cette importance.

Surtout, dans le contexte de crise économique que nous connaissons, le Gouvernement a choisi de soutenir les entreprises par le biais du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE. Alors que le Gouvernement met en place une politique globale et cohérente d’abaissement du coût du travail visant à favoriser la reprise et la création d’emplois, quel sens cela aurait-il d’imposer une telle charge à nos entreprises ?

J’ajoute que le versement transport est intégralement assis sur la masse salariale des entreprises de plus de neuf salariés. Va-t-on pénaliser les entreprises qui embauchent ? Sanctionner celles qui distribuent des salaires décents ? Ce n’est évidemment pas notre philosophie ! Les entreprises ont besoin de la stabilité et de la lisibilité fiscales que le gouvernement actuel leur garantit. Il en va de même pour les collectivités que nous représentons ici : elles aussi sont assujetties au versement transport ; elles aussi auraient à pâtir d’une augmentation incontrôlée de ce dernier.

S’il paraît bien difficile d’approuver les moyens retenus par les auteurs de la proposition de loi pour atteindre un objectif – l’unification de la tarification – ne nous semblant guère prioritaire, il n’en reste pas moins que ce texte a l’immense mérite de nous faire réfléchir sur la politique des transports en région d’Île-de-France.

Le Gouvernement est parfaitement conscient des besoins immenses qui existent en matière de développement des infrastructures, mais aussi de modernisation des réseaux existants. Des investissements importants sont donc bel et bien nécessaires, et même indispensables. Avant même de s’intéresser à la question tarifaire, les Franciliens souhaitent une amélioration des moyens de transport qu’ils empruntent quotidiennement.

Dans les Yvelines et le Val-d’Oise, nous sommes confrontés à des enjeux vitaux ; vous le savez bien, monsieur le ministre. Nous avons besoin de l’extension d’Éole, qui est en bonne voie, mais cela ne suffit pas ! Le territoire de la Confluence, en particulier, qui regroupe au bas mot 1 million d’habitants entre les Yvelines et le Val-d’Oise, est menacé d’asphyxie si le bouclage de l’A 104 –la Francilienne – ne se fait pas.

À l’heure où l’on discute du financement du Grand Paris Express, pour lequel les premiers surcoûts sont déjà très importants, il nous faut penser la politique des transports et des déplacements en Île-de-France de manière globale. Nous devons envisager tous les modes de transport et desservir tous les territoires. Ainsi, lorsque je me fais l’avocat du bouclage de la Francilienne, je parle aussi en tant que défenseur de la voie d’eau en France, car je sais que la future plateforme multimodale d’Achères devra être connectée à la route et au rail pour pouvoir fonctionner réellement.

La mise en place d’un réseau de transport global, multimodal et interconnecté : voilà un objectif prioritaire ambitieux pour la politique des transports en Île-de-France, qui suppose aussi un rééquilibrage entre les territoires, car si le sens de la solidarité doit bien sûr nous conduire à prendre en compte les spécificités et les difficultés de l’est francilien, pour autant les populations de l’ouest de la région refusent clairement d’être les grandes oubliées en termes d’accès aux grandes infrastructures de transport et de fluidité des déplacements. Nous aurons bien sûr l’occasion de reparler de ce schéma global pour un meilleur aménagement des territoires franciliens.

L’importance des questions d’infrastructures et des investissements en jeu, ainsi que la difficulté, bien compréhensible dans le contexte actuel, de trouver les financements nécessaires, devraient conduire le groupe socialiste à ne pas voter en faveur de l’adoption de la présente proposition de loi.

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