Intervention de Catherine Deroche

Réunion du 16 mai 2013 à 15h00
Devenir de la politique familiale en france — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans un avis du 4 mai 2011 sur le rôle des politiques familiales, le Comité économique et social européen a énuméré un certain nombre d’éléments clés de leur succès. Ainsi, les politiques qui réussissent en Europe ont pour points communs la pérennité et l’universalité, la reconnaissance de la famille et la valorisation de son rôle, la prise en compte de la situation particulière des familles nombreuses et la mise en œuvre de dispositifs permettant de concilier vie professionnelle et vie familiale. Je partage pleinement cette analyse.

La France a fait le choix d’une politique familiale forte reposant sur de multiples outils. Cette politique se caractérise par un certain nombre de choix pertinents : combinaison de dispositifs universels et ciblés, encouragement au libre choix des familles en matière d’accueil des jeunes enfants, articulation de dispositifs fiscaux et sociaux. Le Haut Conseil de la famille, dont je suis membre, estime que la politique familiale a jusqu’ici donné des résultats globalement positifs.

Soutien à la natalité et soutien au niveau de vie des familles ont toujours fait partie de nos objectifs. Avec deux enfants par femme, notre taux de fécondité, qui est l’un des plus élevés d’Europe, ne nous empêche pas d’enregistrer un taux d’activité professionnelle des femmes relativement élevé. C’est précisément l’une des réussites de la politique familiale française. À ce titre, l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle doit constituer aujourd’hui un axe majeur de notre politique familiale.

Par une lettre de saisine en date du 23 janvier dernier, le Premier ministre a demandé au Haut Conseil de la famille de proposer des scénarios de retour à l’équilibre financier de la branche famille au plus tard en 2016, tout en améliorant l’efficacité et l’équité des différents dispositifs. Certes, il existe un problème d’équilibre financier. C’est pourquoi je regrette l’abandon de la TVA sociale, telle qu’elle avait été décidée par le précédent gouvernement, car elle mettait fin au financement de la politique familiale par les cotisations salariales. Pour diminuer les inégalités entre les ménages de même composition familiale, il convient notamment de prendre en compte l’impôt sur le revenu, le quotient familial, les aides au logement et les prestations familiales, sur lesquelles je m’attarderai spécialement.

Accroître le financement de services nécessaires aux familles est l’une des pistes de réformes étudiées. Il existe un fort consensus en faveur de la politique de développement des établissements d’accueil du jeune enfant, les EAJE, et de la politique d’accompagnement de la parentalité. Ces dispositifs contribuent à une bonne articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale.

Le financement des établissements d’accueil du jeune enfant mobilise 51 % du Fonds national d’action sociale. Je rappelle que le financement du fonctionnement de ces établissements est assuré à hauteur de 45 % par la branche famille et de 27 % par les communes. Quant aux familles, elles participent à hauteur de 20 %. La part restante du financement est assumée par les conseils généraux, les entreprises ou encore les hôpitaux.

Afin de poursuivre le développement des modes d’accueil des jeunes enfants, le budget du Fonds national d’action sociale de la Caisse nationale des allocations familiales devrait augmenter à un rythme de 7, 5 % par an sur la durée de la prochaine convention d’objectifs et de gestion pour la période 2013-2016, soit une hausse de 25 % des crédits.

Le renforcement de l’incitation des communes à développer des projets destinés à réduire des inégalités territoriales en matière d’offre de services aux familles doit porter sur plusieurs points : tout d’abord, poursuivre l’indexation de la prestation de service et des contrats « enfance et jeunesse » sur un indice mixte « prix-salaire » ; ensuite, conserver le caractère non limitatif des crédits affectés aux établissements d’accueil du jeune enfant ; enfin, assurer la continuité des plans pluriannuels d’investissement de la branche famille pour la création de ces établissements.

On le sait, le reste à charge des familles, selon qu’elles ont recours à l’accueil de leur enfant par un EAJE ou par un assistant maternel, est très variable. La superposition de deux dispositifs, à savoir les aides des CAF et des communes, d’une part, et le crédit d’impôt, d’autre part, est discutable, puisqu’ils ne respectent ni le même calendrier ni la même logique. Quant au complément de libre choix du mode de garde, le CMG, son barème recèle des effets de seuil trop prononcés et il ne respecte pas le même profil que celui retenu pour les EAJE.

Notre système de prestations familiales est donc complexe, défaut bien français ! Un schéma de réforme qui regrouperait les grandes prestations d’entretien – les allocations familiales, l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant et le complément familial – pourrait-il dégager des économies substantielles ? La question se pose. La mesure analysée par le HCF consiste à fusionner les grandes prestations d’entretien dans une prestation unique, afin d’atteindre un triple objectif, à savoir créer un système plus redistributif, dégager un montant élevé d’économies et simplifier le dispositif actuel en fusionnant trois prestations en une seule.

Cette réforme préserverait certes deux grands principes de la politique familiale : l’universalité, dans le sens où la prestation « socle » est ouverte à toutes les familles, et la progressivité du montant de la prestation en fonction de la taille de la famille. Madame la ministre, quelles suites comptez-vous donner à cette réflexion ?

Le second point de mon intervention porte sur l’avenir des allocations familiales.

Sur ce sujet, je tiens à rappeler ma ferme opposition à la remise en cause de l’universalité des allocations familiales et à leur mise sous condition de ressources. Trois pistes de réformes sont possibles.

La première consiste à supprimer les allocations familiales pour les ménages dont les revenus se situent au-dessus d’un plafond de ressources. Il s’agirait d’une atteinte au principe d’universalité, et les effets de seuil seraient trop importants. Bien entendu, je suis opposée à une telle mesure. À la perversité reconnue des effets de seuil, il convient d’ajouter que les premiers chiffres annoncés révélaient que c’est le cœur des familles des classes moyennes qui serait touché.

La deuxième piste envisageable est l’imposition des prestations familiales, y compris des allocations familiales. Là encore, je n’y suis pas favorable.

Fiscaliser les allocations familiales signifierait augmenter les impôts, alors même que la Cour des comptes demande de stabiliser les prélèvements obligatoires et de baisser la dépense publique. Il serait suicidaire d’accroître encore la pression fiscale en France, où les niveaux de dépense publique et de prélèvements obligatoires sont déjà les plus élevés parmi les pays développés.

Fiscaliser les allocations familiales reviendrait à frapper une fois de plus les classes moyennes, déjà fortement touchées par la politique menée depuis un an. Les bénéficiaires des allocations ne sont pas seulement les familles aisées : cinq millions de familles seront inévitablement concernées. Selon leurs revenus, ces familles pourraient perdre entre 142 euros et 656 euros par an.

Fiscaliser les allocations familiales fragiliserait également notre politique de la famille, qui est pourtant enviée dans toute l’Europe pour son efficacité, notamment en Allemagne. La France est le pays d’Europe où la natalité est la plus forte, après l’Irlande. Cette vitalité démographique est un atout pour l’avenir, elle est liée à une politique familiale généreuse dotée d’un cadre institutionnel stable et protecteur. Elle vise, autant que possible, à supprimer les freins matériels qui empêchent les familles d’avoir le nombre d’enfants qu’elles souhaitent.

En fait, cela ne pourrait se faire que dans le cadre d’une refonte totale et globale de la fiscalité française, refonte que j’appelle de mes vœux, mais sans cesse reportée !

Une dernière piste, la modulation des allocations familiales en fonction des ressources, a également été analysée. Elle conduirait à réduire progressivement le montant des allocations lorsque le revenu des familles excède un certain plafond. À titre personnel, je n’y suis pas non plus favorable, car moduler les allocations reviendrait à mettre fin, nonobstant toutes les allégations contraires, à leur universalité. En effet, les familles, à nombre d’enfants égal, ne toucheraient pas la même allocation. Ce serait donc bien une rupture du principe d’universalité, qui fonde l’ensemble de notre système de protection sociale.

Par ailleurs, cette modulation serait complexe à mettre en œuvre et alourdirait le travail des caisses d’allocations familiales déjà surchargées. Elle serait contraire au « choc de simplification » annoncé par le Président de la République, car un tel projet impliquerait non seulement une adaptation du système d’information, mais aussi le traitement régulier par les agents des caisses des dossiers de revenus de tous les bénéficiaires d’allocations familiales. De plus, cela créerait de nombreux indus, comme pour toutes les prestations soumises à une prise en compte des ressources.

Les principes fondamentaux de notre politique familiale sont ceux de notre système de protection sociale par répartition, à savoir l’universalité, la liberté de choix et la pérennité. Telles ont été les positions défendues sous le précédent quinquennat. La politique familiale constitue un ensemble qui inspire particulièrement confiance aux Français, confiance qu’il est indispensable de conforter.

Madame la ministre, quelle politique entendez-vous mener concernant les prestations familiales liées aux modes de garde ? Quelles suites comptez-vous donner aux pistes de réformes étudiées par le Haut Conseil de la famille ?

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