Intervention de Michelle Meunier

Réunion du 16 mai 2013 à 15h00
Devenir de la politique familiale en france — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre pays se caractérise par une forte solidarité sociale à l’égard des familles. Cette politique a pleinement joué son rôle de soutien aux ménages, puisque notre pays maintient un haut niveau de natalité conjugué à un taux d’activité professionnelle des femmes très élevé. Toutefois, ce système construit dans l’élan collectif de l’après-guerre, visant à la sécurité sociale pour toutes et tous, s’est étoffé et complexifié au fil du temps, au risque de perdre en lisibilité et en cohérence. Le rapport rendu par la Cour des comptes à la fin de 2012 invite d’ailleurs à revoir son architecture d’ensemble, afin d’atteindre l’objectif fondamental et premier des prestations familiales, à savoir la redistribution en vue d’une réduction des inégalités.

Les besoins des familles évoluent, nos réalités budgétaires aussi. Il nous faut donc redéfinir les priorités de la politique familiale dans le contexte économique et financier que nous connaissons. Tel est le sens du travail réalisé par le Haut Conseil de la famille à la demande du Premier ministre.

Notre dispositif d’aide combine trois logiques : des prestations universelles, des aides dont l’accès est lié à un plafond de ressources et celles dont le montant est modulé en fonction des revenus du ménage. Force est de constater une absence de lisibilité globale des prestations pour les ménages, malgré des tentatives de simplification. Cette observation est d’autant plus vraie que les aides aux familles ne se résument pas aux seules prestations familiales, puisque les prestations liées au logement, les tarifications basées sur le quotient familial ainsi que les règles régissant l’imposition des revenus y contribuent également. Cependant, l’analyse du profil des bénéficiaires par mesure tend à démontrer que certaines d’entre elles favorisent relativement plus les ménages aisés, notamment en ce qui concerne les compléments de libre choix du mode de garde de la prestation d’accueil du jeune enfant.

Nous devons maintenant redéfinir, à partir des scénarios élaborés par le Haut Conseil de la famille, les priorités et modalités d’aides aux familles, afin de maintenir une aide significative aux plus modestes d’entre elles et de poursuivre le développement de l’offre d’accueil de la petite enfance, malgré le contexte budgétaire contraint.

Il nous faudra aussi aller plus loin dans la satisfaction de certains besoins des ménages.

Ainsi, il convient de poursuivre le développement quantitatif et qualitatif des modes d’accueil de la petite enfance, afin de permettre aux familles qui le souhaitent d’assumer une activité professionnelle sur l’ensemble du territoire français de métropole et d’outre-mer. Il nous faut porter une attention particulière à l’accueil d’enfants souffrant de handicaps dont les parents, le plus souvent les mères, sont contraints au report ou à l’abandon de leur activité professionnelle, faute de trouver un mode d’accueil adapté.

De même, l’accès aux modes d’accueil doit pouvoir remplir une fonction « incluante » des familles les plus vulnérables, y compris en l’absence d’activité professionnelle des parents.

Il me paraît également urgent de faire évoluer notre dispositif redistributif dans le sens d’un meilleur soutien financier aux familles les plus modestes et confrontées à la précarité, voire à la pauvreté. Il s’agit principalement des familles monoparentales et des familles nombreuses, comme l’a souligné la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale qui s’est tenue en février dernier. Nous ne pouvons plus accepter cette situation en 2013, car il y va de l’avenir immédiat de plus de deux millions et demi d’enfants. En ce sens, je suis favorable au versement de prestations familiales dès la naissance du premier enfant.

Les actions de soutien à la parentalité ont démontré leur intérêt. Nous devons favoriser tout ce qui vient soutenir le rôle parental, le dialogue au sein des familles, dès la grossesse et l’arrivée de l’enfant, ou en cas de crise familiale, car ces politiques d’aide à la construction des premiers liens parents-enfants contribuent indéniablement à la protection de l’enfance. Ces actions s’adressent à toutes les familles.

Dans le même esprit, nous devons stabiliser le financement des « Espaces rencontres », qui permettent, dans les cas de séparations conflictuelles et sur décision judiciaire, de maintenir le lien entre l’enfant et le parent avec lequel il ne vit plus. Ces 180 espaces rencontres répartis sur l’ensemble du territoire français ont accueilli 14 000 enfants en 2011. Il nous faut les soutenir et renforcer leurs capacités d’intervention. Ces mesures s’adressent aussi, potentiellement, à toutes les familles.

Je souhaite aussi souligner d’autres besoins insatisfaits et qui méritent notre attention.

Aujourd’hui, des femmes exerçant une activité professionnelle n’accèdent pas au congé de maternité, du fait de l’insuffisance de leurs cotisations salariales au regard du droit au versement d’indemnités journalières. En effet, le congé de maternité est assimilé à un congé de maladie. Dans mon département, une première estimation fait état de 6 % à 9 % de femmes concernées par la non-ouverture de droits en raison de leurs trop faibles cotisations, sur le total des 23 % à 25 % de femmes qui ne perçoivent pas d’indemnités journalières de maternité pour diverses raisons, notamment de statut – il s’agit d’étudiantes, d’ayants droit, etc.

Cette situation m’amène à m’interroger sur le financement du congé de maternité dans son principe même, mais également sur le difficile accès des jeunes au marché du travail, en particulier des femmes, confrontées au temps partiel, aux stages, aux petits boulots. J’y vois une injustice qui aggrave la précarité des ménages modestes ou pauvres et renforce les discriminations entre les femmes et les hommes.

Je souhaiterais qu’une réflexion s’engage sur le sujet, afin de pouvoir redessiner la logique d’ensemble de l’accès au congé de maternité et de son financement, afin de décider si ce dernier doit relever de la branche famille ou de la branche maladie, car une grossesse n’est pas une maladie !

Le plafonnement des indemnités journalières pour les femmes cadres pose un problème de principe similaire, même si une partie d’entre elles bénéficient de compléments de salaire versés par leur entreprise, du moins pour celles qui sont en contrat à durée indéterminée.

Une autre situation me paraît mériter notre attention. Il s’agit du mode d’attribution de l’allocation aux adultes handicapés, qui ne relève pas directement de la politique familiale, mais qui a des effets sur les relations conjugales et familiales. En effet, le versement de l’AAH est subordonné au niveau de ressources du ménage. Une personne handicapée, qu’elle soit homme ou femme, qui vit seule, perçoit l’AAH. Elle peut en perdre le bénéficie lorsqu’elle vit en couple et a fortiori lorsque le couple a des enfants. Or le handicap ne disparaît pas pour autant, ni les besoins en compensations diverses. La personne handicapée devient alors dépendante de son conjoint. Il me semble qu’une réflexion doit pouvoir être conduite en lien avec les politiques sur le handicap afin de corriger, à terme, cette situation préjudiciable à l’équilibre conjugal et familial.

J’ai souhaité, par ces quelques exemples un peu annexes, souligner la nécessité de rester en phase avec les besoins des ménages pour élaborer les politiques familiales et rechercher l’adaptation des dispositifs d’aide. La démarche intitulée « Au tour des parents », que vous avez récemment initiée, madame la ministre, y a fortement contribué. En effet, des parents de plusieurs régions de France, dont la mienne, ont pu exprimer leur vécu et émettre des propositions en matière d’aide aux familles. La réflexion actuellement en cours représente, en ce sens, une véritable opportunité pour prolonger ces constats et élaborer des réponses adaptées.

Je suis évidemment favorable à une révision des modalités de redistribution des prestations familiales afin que notre politique familiale retrouve des marges de manœuvre financières lui permettant de jouer pleinement son rôle redistributif à l’égard des plus exposés. Car investir sur l’enfant et sa famille, c’est miser sur l’avenir de notre pays !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion