Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la sortie du rapport Fragonard, le 8 avril dernier, la politique familiale est clairement dans le viseur du Gouvernement, plus précisément les allocations familiales, qu’il serait question de placer sous condition de ressources. Cette décision pourrait sonner le glas du principe d’universalité auquel nous demeurons viscéralement attachés, et ce à l’heure où les caisses d’allocations familiales ont de plus en plus de difficultés à assumer leurs charges et où l’offre d’accueil des jeunes enfants demeure encore singulièrement insuffisante.
Dans ces conditions, la question du devenir de la politique familiale se pose, et nous remercions notre collègue, Mme Isabelle Pasquet, d’avoir proposé d’inscrire ce débat à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, d’autant qu’il est toujours délicat de réformer un système qui fonctionne.
Oui, la politique familiale française est un succès ! De cela, je crois que personne ne disconviendra. La France ne souffre pas de la crise de natalité qui affecte toute l’Europe. Nous ne connaissons pas les difficultés démographiques de nos plus proches voisins, qu’il s’agisse de l’Allemagne, de l’Italie ou de l’Espagne. Notre pays renouvelle ses générations et jouit du plus haut niveau de fécondité européen, avec l’Irlande.
La politique familiale, dans son ensemble, est largement comptable de ce dynamisme qui, de plus, se conjugue avec un taux d’activité des femmes relativement élevé.
Pourquoi ce succès ? Tout simplement parce que l’on trouve dans notre pays des solutions d’accompagnement des parents et des enfants qui n’existent pas ailleurs. Dit de manière plus abrupte, contrairement à une femme allemande, une femme française a moins à choisir entre travailler et avoir des enfants, même si ce n’est pas facile à concilier.
Pour autant, cela veut-il dire qu’il ne faut absolument pas toucher à la politique familiale ? Je n’en suis pas sûr ! Cependant, il faut le faire avec précaution et uniquement pour remédier autant que possible à ses insuffisances.
En cinquante ans, la politique familiale française s’est vue assigner de plus en plus d’objectifs.
Deux objectifs sont présents depuis l’origine : le soutien à la natalité et le soutien au niveau de vie des familles. Deux objectifs plus récents sont apparus : l’aide à l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle, d’une part, et l’accompagnement de la parentalité, d’autre part.
Si ces objectifs ne sont pas toujours faciles à concilier, il ne saurait pour autant être question d’en sacrifier. Pour les atteindre, nous nous sommes dotés d’une multiplicité d’outils, combinaison de dispositifs universels et ciblés, de compensation du coût de l’enfant et de prestations sous condition de ressources, d’encouragement au libre choix des familles en matière d’accueil des jeunes enfants, d’articulation de dispositifs fiscaux et sociaux, d’aides en espèces et en nature. Cela va des allocations familiales au quotient familial, en passant par la PAJE ou le congé maternité.
La politique familiale est donc un tout à prendre dans son ensemble. Quant à ses limites, elles sont connues.
Premièrement son financement pourrait être qualifié d’antiéconomique. Alors que la politique familiale est universelle et obéit donc à une logique de solidarité nationale, elle demeure financée sur une base assurantielle par des cotisations sociales qui pèsent sur la production.
Deuxièmement, je l’ai déjà évoqué, l’offre de garde des enfants de moins de trois ans demeure globalement insuffisante. Il manquerait, semble-t-il, 300 000 places.
Troisièmement, les transferts globaux de la politique familiale seraient anti-redistributifs. C’est la question la plus délicate à appréhender : cette politique profiterait surtout aux plus modestes, mais également aux ménages les plus aisés.
Quatrièmement, depuis peu, la branche famille est déficitaire. Face à ce constat, notre inquiétude est double : d’une part, nous ne voyons pas se profiler de solution satisfaisante aux deux premiers problèmes, celui du financement et de l’insuffisance de l’offre de garde ; d’autre part, avec le rapport Fragonard, le Gouvernement entretient une confusion entre équité et comptabilité.
Je reviens sur chacun de ces points. Nous ne voyons pas se profiler de solution digne de ce nom à la question du financement et à celle de l’offre d’accueil.
Vous le savez, nous défendons une fiscalisation des branches à prestations universelles que sont la branche famille et la branche santé, l’une étant d’ailleurs liée à l’autre via la prise en charge des soins de maternité et le congé maternité. Or, en rejetant la TVA sociale ou toute autre solution fiscale, le Gouvernement semble avoir définitivement tourné le dos à cette solution, pourtant à nos yeux la seule capable d’impulser le choc de compétitivité dont notre pays a tant besoin.
Du côté de l’offre d’accueil, la prochaine convention d’objectifs et de gestion reprendra le même objectif de création de 100 000 nouvelles places, ce qui ne fait pas montre d’un volontarisme si fort ! Cela se comprend : certes, le Fonds national d’action sociale devrait augmenter de 7, 5 % par an au cours des cinq prochaines années, mais il devra, sur ses ressources, prendre en charge le coût lié à la réforme des rythmes scolaires, ce qui ne permet pas de dégager plus de crédits pour l’offre d’accueil.
Seule perspective d’augmentation véritable de crédit en la matière, la restriction du complément de libre choix d’activité, qui passera de trente-six à trente mois pour un parent, plus, éventuellement, six mois supplémentaires pour l’autre. Voilà un recul social pour une économie sans commune mesure avec les besoins en matière d’offre de garde ! À moins, madame la ministre, que vous n’ayez d’autres annonces à nous faire…
J’en arrive au rapport Fragonard. Ce qui le justifie, c’est le déficit de la branche. Or, chacun le sait, si la branche est aujourd’hui en déficit, c’est parce qu’on lui a fait supporter des charges qui ne devaient pas lui incomber : les majorations de durée de cotisation et de pension pour enfants, qui incombent normalement au Fonds de solidarité vieillesse.