Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous occupe cet après-midi est fondamental, car il porte sur le devenir de notre politique familiale. C’est pourquoi je veux à mon tour saluer l’initiative de notre collègue Isabelle Pasquet.
Ce débat est fondamental, disais-je. En effet, souvenons-nous : notre politique familiale est issue du compromis social et politique de la Libération et du plan français de sécurité sociale ; elle consiste à cibler les familles en tant que groupe social ayant des besoins particuliers.
Les objectifs principaux de la politique familiale sont, comme l’a rappelé Jean Desessard, de pouvoir contribuer à une forte natalité, d’assurer une compensation financière cohérente des charges des familles, d’aider plus spécialement les familles vulnérables et, enfin, de permettre la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle des parents.
Dans un récent article du Monde, Jeanne Fagnani et Dominique Méda ont dressé un certain nombre de constats au sujet de notre politique familiale. Selon elles, cette politique « passe par deux canaux, celui de la fiscalité et celui de la branche famille de la sécurité sociale, qui verse des prestations en espèces et subventionne des modes d’accueil, par exemple les crèches. Chacun des deux systèmes poursuit deux objectifs à la fois : la redistribution verticale des plus riches vers les plus pauvres et la redistribution horizontale des ménages sans enfant vers les ménages avec enfants ».
Notre politique familiale constitue un ensemble dans lequel les Français ont particulièrement confiance, sentiment qu’il me semble indispensable de conforter.
Un rapport de l’OCDE intitulé Assurer le bien-être des familles, datant d’avril 2011, et un avis du Comité économique et social européen intitulé Le rôle de la politique familiale dans le processus de changement démographique afin de partager les meilleures pratiques dans les États membres citent la France comme exemple, et ce à juste titre puisque notre pays figure parmi les nations de l’OCDE qui investissent le plus dans la politique familiale : 4 % à 6 % du PIB, contre 2, 2 % en moyenne dans les autres pays considérés. C’est sans doute l’une des raisons qui expliquent un taux de fécondité dynamique de deux enfants par femme.
François Hollande s’est réjoui de cette réussite, tout en souhaitant « renforcer notre politique familiale, notamment en la rendant plus juste, car c’est la condition d’une égale liberté de choix ». Il ajoutait : « Sans justice, notre politique familiale ne saurait être largement approuvée ni s’inscrire dans le temps. Nous devons nous donner les moyens de mieux aider les familles les plus fragiles – familles nombreuses, familles aux revenus modestes, familles monoparentales –, afin de lutter contre la pauvreté infantile et d’offrir une réelle égalité des chances à tous les enfants de notre pays. » C’est bien là tout l’enjeu de la refonte de notre politique familiale !
C’est bien sûr dans ce cadre qu’il convient d’inscrire la problématique des allocations familiales. Ce dispositif bénéficie aujourd’hui à 4, 7 millions de ménages, sans que soient fixées des conditions de ressources. Dès lors, comme l’écrivent Jeanne Fagnani et Dominique Méda, il est légitime de penser qu’une réforme des allocations familiales doit être inscrite à l’ordre du jour. Elles précisent en effet : « Dans un contexte d’accroissement des inégalités sociales et de développement de la précarité, cela pourrait être l’occasion de procéder à la refonte radicale d’une politique dont la légitimité est affaiblie par la multiplicité des objectifs poursuivis. »
Quels aménagements peut-on apporter à cette politique sans remettre en cause la natalité, point fort de notre démographie ?
Dans son rapport récemment remis au Premier ministre, Bertrand Fragonard propose plusieurs scénarios en vue de combler le déficit de plus de 2 milliards d’euros de la branche famille. Parmi ses suggestions figurent la réduction des allocations familiales pour les ménages « les plus aisés », la baisse du quotient familial, la suppression de l’avantage fiscal pour les enfants scolarisés, la réduction de la prime de naissance ou encore l’unification du complément familial et de la PAJE. La question de la fiscalisation des allocations est également posée.
À mon sens, la nécessaire réforme qui doit être engagée ne peut pas être guidée par la seule volonté de faire des économies. Il nous faut préserver les bienfaits de cette politique tout en la rendant plus juste. La justice passe par une politique venant soutenir non seulement les foyers modestes, en particulier les familles monoparentales, mais aussi les classes moyennes.
Lors de son intervention du 28 mars, François Hollande a écarté, à juste titre me semble-t-il, une éventuelle fiscalisation des allocations familiales. Cette piste avait, selon moi, deux inconvénients majeurs : elle aurait engendré une hausse de la fiscalité et aurait touché l’ensemble des foyers imposables, soit près d’un Français sur deux.
L’une des lacunes du système actuel réside dans le fait que la France est le seul pays en Europe à ne pas verser d’allocations aux familles n’ayant qu’un seul enfant. Notre collègue Michelle Meunier a très bien exposé notre position en la matière. À l’heure actuelle, les allocations sont versées selon un seul critère : le nombre d’enfants du foyer. Il me semble donc qu’il conviendrait de mieux cibler certaines prestations et surtout de renforcer les aides au bénéfice des familles fragiles.
Mes chers collègues, je suis convaincu que la modulation des allocations familiales est l’une des pistes à privilégier : elle préserve l’universalité des prestations tout en parvenant à combler le déficit de la branche famille de la sécurité sociale d’ici à 2016, sachant que celle-ci reviendra spontanément à l’équilibre d’ici à 2019. Cependant, j’appelle votre attention sur la sémantique utilisée, en particulier sur l’expression de « famille aisée » ou de « famille riche ». Selon les critères établis, on risque en effet de toucher les couples biactifs considérés comme riches dès lors qu’ils percevraient plus de 3 885 euros de salaires. Sans doute faut-il faire preuve de vigilance à cet égard.
L’insuffisance des différents modes de garde offerts constitue également une des lacunes de notre politique familiale. Je le rappelle, seuls 7 % des enfants de moins de trois ans sont accueillis en crèches collectives.
Face à cette situation de forte pénurie, beaucoup de parents choisissent des modes de garde individuels promus et subventionnés par les collectivités. Par ailleurs, beaucoup de mères se résignent à interrompre leur activité.
La crèche collective reste en outre inaccessible aux familles les plus modestes. En France, il manquerait entre 300 000 et 500 000 places en crèche pour accueillir les enfants de moins de trois ans.
Madame la ministre, face à cette situation, le Gouvernement affiche son objectif : créer entre 80 000 et 100 000 places supplémentaires d’ici à 2017, ce dont je me réjouis. En effet, il me semble important de laisser le choix aux familles et en particulier aux femmes.
Nous pouvons du reste nous poser cette question très simple : la société laisse-t-elle réellement le choix aux familles ? En France, l’État verse au parent au foyer un complément de libre choix d’activité, anciennement appelé allocation parentale d’éducation, et ce pendant trois ans dès le deuxième enfant. Ce dispositif permet au parent de suspendre son activité ou de la réduire afin de s’occuper de son enfant. Or, aujourd’hui, les études montrent que l’intégration des femmes dans les entreprises permet de créer de la croissance. Ainsi, l’OCDE a calculé que si le taux d’activité des femmes se rapprochait sensiblement de celui des hommes, le PIB augmenterait en moyenne de 12 % en vingt ans.
Désormais, ce qui caractérise les familles à venir, c’est une aventure personnelle et non plus de couple et des ruptures dans le cadre de cet accomplissement personnel, qu’elles soient familiales ou professionnelles. Aussi notre politique familiale se doit-elle d’apporter des solutions pour tous, dans le respect des choix des familles, sans condamner ou privilégier un schéma plutôt qu’un autre.
Madame la ministre, dans cette tâche, le groupe socialiste sera à vos côtés.