Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Réunion du 21 mai 2013 à 9h30
Questions orales — Coopération européenne en matière de litiges familiaux transfrontaliers

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Madame la garde des sceaux, je suis heureuse d’avoir enfin l’occasion de vous interroger sur les litiges familiaux transfrontaliers, un sujet sur lequel j’ai déposé une question écrite il y a près d’un an. J’avais également déposé une question écrite sur l’exécution par la France d’un mandat d’arrêt allemand émis pour recouvrer une créance alimentaire d’environ 5 000 euros ; cette question est restée également sans réponse. Je perçois dans ces retards la marque d’une certaine gêne, qui me semble injustifiée.

En pointant les drames humains engendrés par les divorces transfrontaliers, je ne cherche en aucune façon à stigmatiser tel ou tel État. Je me réjouis d’ailleurs qu’une grande partie des divorces binationaux se résolvent sans drame. Restent des cas, minoritaires mais terriblement douloureux, dans lesquels des enfants sont coupés de tout lien avec l’un de leurs parents. Éluder les problèmes est une attitude qui ne me semble pas responsable ; elle mène inévitablement à un pourrissement auquel, profondément pro-européenne, je ne peux me résoudre.

Madame la garde des sceaux, vous m’avez écrit que « la coopération entre les autorités centrales françaises et allemandes est excellente ». Cette excellence ne viendrait-elle pas d’une tendance de l’autorité centrale française à se déclarer non compétente sur certains dossiers difficiles et à considérer comme forcément légitime toute requête allemande ?

Je ne peux que m’interroger devant les multiples cas qui me sont rapportés. Le temps qui m’est imparti ne me permet pas d’énumérer les problèmes récurrents, mais je voudrais souligner que ces problèmes ont été soulevés par des parents de toutes nationalités au sein d’instances internationales comme le Parlement européen et le Comité des droits de l’homme de l’ONU. La France serait-elle donc seule à juger qu’il n’y a pas de problème ? Combien faudra-t-il encore de vies brisées et de procédures kafkaïennes avant que notre pays ne réagisse ?

L’Allemagne n’est pas le seul État concerné. Du reste, il ne s’agit nullement de dénigrer les pratiques de nos partenaires, mais d’œuvrer en faveur d’une harmonisation minimale des législations familiales.

Certes, le droit de la famille constitue une prérogative souveraine des États, mais le principe juridique de l’intérêt supérieur de l’enfant est inscrit dans le droit international. Maintenir des contacts personnels avec les deux parents, la fratrie et les grands-parents constitue un droit fondamental des enfants, de même que le droit d’être élevé dans le respect des deux langues.

Les accords européens Bruxelles II bis et Rome III ont constitué une avancée appréciable en limitant les possibilités de recours au tribunal le plus avantageux. Toutefois, ils ont aussi des effets pervers dans la mesure où ils permettent l’application automatique des décisions d’un autre État de l’Union européenne. N’aurait-il pas fallu construire un socle minimal commun en matière de justice familiale avant de supprimer les exequatur ? Quelle est la volonté de la France de pousser à des efforts d’harmonisation des justices familiales en Europe ? Concrètement, dans quelles instances ces négociations pourront-elles se dérouler ?

Compte tenu des tensions observées au Parlement européen lorsque ce thème a été abordé, ne serait-il pas opportun de créer une plateforme favorisant un travail serein mais franc, en bilatéral ou en multilatéral ? Je pense, par exemple, à une commission rassemblant des responsables des administrations concernées, des professionnels de la justice familiale et des parlementaires, ainsi que les Défenseurs des droits et des enfants des États concernés ; elle pourrait travailler à la convergence des législations et des pratiques, mais aussi favoriser un déblocage des dossiers les plus sensibles, par exemple quand des autorités étrangères refusent de reconnaître des décisions de justice françaises.

Organiser des coopérations entre professionnels de la justice familiale des différents États membres pourrait également favoriser une harmonisation par le bas.

Par ailleurs, des efforts pourraient être menés à l’échelle franco-française. En particulier, un contrôle de proportionnalité pourrait être instauré avant l’exécution d’un mandat d’arrêt européen. Certes, un tel contrôle n’est pas explicitement prévu par la réglementation européenne, mais plusieurs pays l’appliquent, répondant en cela aux inquiétudes de la Commission européenne devant la multiplication des mandats d’arrêt européens pour des infractions mineures.

De même, un interlocuteur pourrait être désigné pour accompagner les parents dans les méandres de la coopération judiciaire internationale et les orienter vers des organismes adaptés lorsque l’autorité centrale s’estime non compétente. Dans de nombreux cas, en effet, les parents ne trouvent pas auprès de cette autorité le soutien et l’orientation dont ils ont besoin.

Aujourd’hui, 13 % des couples européens sont binationaux et cette proportion ne cesse d’augmenter ; l’enjeu est donc considérable. Nous ne pouvons plus fermer les yeux : les enfants d’aujourd’hui feront les adultes de demain, en Europe !

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