Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 21 mai 2013 à 9h30
Questions orales — Coopération européenne en matière de litiges familiaux transfrontaliers

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la sénatrice, je suis profondément désolée que nous ne puissions nous rencontrer qu’aujourd’hui pour traiter de la question que vous soulevez. Cependant, vous le savez, je n’ai aucune influence sur le calendrier des travaux du Sénat.

C’est avec plaisir que je m’apprête à vous répondre, encore que j’aie noté que votre question avait substantiellement changé de contenu. En effet, dans le texte de la question orale tel qu’il a été enregistré, vous évoquiez essentiellement les pétitions présentées devant le Parlement européen et mettant en cause l’Office allemand pour la protection de la jeunesse, dont les décisions se révèlent insatisfaisantes.

Vous êtes aujourd’hui dans une autre « dynamique » puisque vous proposez la mise en place d’une commission et d’un certain nombre de dispositifs permettant de traiter plus efficacement, de façon bilatérale ou multilatérale, les situations en cause. Vous l’avez dit vous-même, et je le confirme, la question concerne non pas uniquement l’Allemagne, mais, d’une manière générale, tous les pays.

Nous avons évidemment le souci de l’harmonisation du droit, sachant que l’absence d’une telle harmonisation peut peser sur les familles concernées.

Nous avons des principes juridiques communs, en l’occurrence ceux de la convention internationale des droits de l’enfant, que la France a signée et ratifiée. Aux termes de l’article 9 de cette convention, il est explicitement précisé que, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, des liens directs et réguliers sont maintenus avec le parent absent.

En revanche, nous n’avons pas un droit de la famille commun avec nos partenaires de l’Union européenne, tout simplement parce que ce droit ne relève pas de la compétence de celle-ci. Cela signifie que l’Union européenne ne peut pas concevoir un instrument juridique qui s’imposerait à tous les États.

Nous avons avec l’Allemagne quelques accords bilatéraux ; je pense notamment à celui qui concerne le régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts. Toutefois, en matière d’autorité parentale, rien de tel n’existe, compte tenu de la réelle difficulté à prendre en compte dans ce cadre les éléments liés à l’histoire, à la culture et à la sociologie des différents pays. Vous connaissez suffisamment le sujet, madame la sénatrice, pour avoir sur ce point la même appréciation que moi !

Pour autant, nous ne sommes pas démunis, même si j’ai bien entendu le jugement en demi-teinte que vous portez sur nos instruments européens et internationaux. Nous pouvons évidemment nous appuyer sur la convention de La Haye relative à l’enlèvement d’enfants, qui permet à la juridiction du pays où l’enfant a été déplacé de décider de son retour immédiat ou de prendre des mesures destinées à assurer la protection du droit de visite.

Cette convention internationale de 1980 a été complétée par un règlement européen adopté en 2003, dit Bruxelles II bis, que vous avez évoqué. Ce texte prévoit la compétence de la juridiction en question, ainsi que la reconnaissance et l’exécution de ses décisions, aussi bien en matière matrimoniale qu’en matière d’autorité parentale. Il s’agit malgré tout, d’une certaine manière, d’une norme juridique commune, dans la mesure où ce règlement s’impose à tous les pays européens. Il permet notamment de prévenir certains risques de décision contradictoire et de garantir la « circulation » des décisions entre les États.

Enfin, nous disposons de la convention de La Haye de 1993, selon laquelle l’autorité parentale définie dans un pays est maintenue en cas de déménagement dans un autre pays.

Mais j’ai bien conscience, madame la sénatrice, que vous connaissez tous ces dispositifs aussi bien que moi.

Sur le plan pratique, je peux simplement vous confirmer nos efforts d’harmonisation. Ils ne peuvent toutefois se déployer, à l’heure actuelle, que dans le cadre de Bruxelles II bis.

Il existe tout de même une certaine contradiction entre le nombre de pétitions présentées au Parlement européen, les alertes que vous recevez manifestement en votre qualité de sénatrice – je sais à quel point vous êtes mobilisée, depuis plusieurs années, sur ces sujets – et les chiffres présentés par le bureau d’entraide civile et commerciale internationale, qui relève de la Chancellerie.

Dans vos propos, vous avez pointé la tendance de ce bureau à se déclarer incompétent. Ce n’est pas ce que révèlent les chiffres, notamment pour l’Allemagne, pays pour lequel je suis en mesure de vous indiquer le nombre d’affaires traitées. Je ne manquerai pas, au demeurant, de vous communiquer le document retraçant ces éléments chiffrés.

Le nombre de dossiers et celui des décisions de retour sont à peu près équilibrés entre les deux pays.

Pour ce qui concerne les dossiers où l’Allemagne est le requérant, huit dossiers ont été clôturés en 2011 et deux en 2012. À ce jour, six dossiers sont en cours, datant de 2012 et 2013, ce qui donne une indication quant aux délais de traitement. Cela signifie en tout cas que notre bureau s’empare bien des dossiers qui lui sont confiés et procède à leur règlement.

Concernant les dossiers où la France est le requérant, cinq dossiers ont été clôturés en 2011 et douze en 2012, dont deux par décision de retour. Les autres clôtures ont été motivées par le désistement ou la carence du requérant, le caractère manifestement mal fondé de la demande ou, heureusement, un accord trouvé entre les parents. Je dis « heureusement » parce que, on le sait, ces contentieux familiaux sont extrêmement douloureux, que ce soit à l’intérieur de l’espace judiciaire européen ou qu’ils impliquent d’autres pays, dans le cadre de conventions bilatérales.

Je peux vous dire qu’il s’agit du contentieux le plus difficile à traiter, à telle enseigne que j’ai mis en place des commissions bilatérales, qui se réunissent parfois à Paris. Avec certains pays, les relations étaient rompues depuis cinq, six, voire dix ans. Face à la douleur des parents et des enfants, qui sont parfois très affligés, j’ai réenclenché tout cela. Ces contentieux doivent être appréhendés avec non seulement la rigueur du droit, mais aussi la délicatesse que suppose la nature du sujet.

Je propose que nous nous revoyions, madame la sénatrice, pour étudier comment nous pourrions mettre en place les propositions que vous formulez aujourd’hui et qui vont au-delà de celles que vous m’aviez initialement adressées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion