Intervention de Michel Vergoz

Réunion du 21 mai 2013 à 14h30
Qualité de l'offre alimentaire en outre-mer — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel VergozMichel Vergoz :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, les consommateurs ultramarins sont frappés par une double inégalité quant à la qualité des produits alimentaires auxquels ils ont accès. Ces inégalités sont inacceptables, d’autant qu’elles sont susceptibles d’entraîner des effets néfastes sur la santé des personnes.

La première de ces inégalités concerne la teneur en sucres de certains produits alimentaires. En Martinique, des yaourts aux fruits produits localement contiennent ainsi de 27 % à 50 % de plus de sucres ajoutés que les spécialités comparables disponibles dans l’Hexagone. De fait, la recette de certains produits est adaptée lorsqu’ils sont distribués sur le marché ultramarin, en raison d’une prétendue préférence pour le sucre des consommateurs des outre-mer, qualifiée par les industriels de « goût local ».

Or plusieurs indices tendent à démontrer qu’il est nécessaire de limiter la consommation de sucres pour protéger la santé des personnes les plus fragiles.

Des études ont en effet mis en évidence le rôle spécifique de la consommation de boissons sucrées dans l’apparition du surpoids et de l’obésité chez l’enfant.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, le surpoids et l’obésité constituent d’importants facteurs de risque pour le développement de certaines pathologies non transmissibles et chroniques telles que le diabète, les troubles musculo-squelettiques, certains cancers et surtout les maladies cardiovasculaires, première cause de décès dans le monde.

Au total, selon un rapport de 2004 de l’AFSSA, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui n’était pas encore l’ANSES, il est certain qu’un régime alimentaire présentant un index ou une charge glycémique élevés a « des effets délétères sur la santé, au moins dans certaines catégories de la population » comme les sujets en surpoids et les personnes diabétiques.

Plusieurs organismes ont d’ailleurs émis des recommandations concordantes afin de diminuer la quantité de sucres consommés chaque jour, notamment de sucres ajoutés. Dans sa Stratégie mondiale de 2004 pour l’alimentation, l’exercice physique et la santé, l’OMS recommande ainsi aux pouvoirs publics d’adopter des mesures pour « réduire […] la teneur en sucre des boissons et en-cas ».

Nous sommes conscients que l’obésité est un problème de santé multifactoriel qui ne pourra être endigué par la seule baisse de la teneur en sucres de l’offre alimentaire. Cependant, au regard de ces éléments, il semble nécessaire d’intervenir.

La question est d’autant plus importante que la fréquence du surpoids, de l’obésité et du diabète est particulièrement forte parmi les populations ultramarines : la prévalence de l’obésité atteindrait 22 % en Martinique et 23 % en Guadeloupe, alors qu’elle n’est que de 14, 5 % dans l’Hexagone.

L’obésité touche particulièrement les femmes et les enfants : 9 % des enfants seraient obèses en Guadeloupe et en Martinique contre 3, 5 % dans l’Hexagone, soit près du triple.

Par ailleurs, les outre-mer figurent en France parmi les territoires les plus touchés par l’épidémie de diabète.

Quelques mesures, timides, ont été prises ces dernières années pour remédier à la progression constante de ces problèmes liés à l’excès de poids. Elles paraissent cependant très insuffisantes, ce qui justifie une intervention législative visant à mettre en œuvre des mesures plus contraignantes.

Le programme national nutrition santé, ou PNNS, créé en 2001, et le plan obésité ont fait l’objet d’une déclinaison spécifique en direction des populations d’outre-mer. Si les mesures préconisées se sont traduites par plusieurs initiatives intéressantes au niveau local, les effets de ces instruments tardent à se faire sentir.

Des actions ont également été entreprises en direction des industriels de l’agroalimentaire dans le cadre du PNNS 2 et du programme national pour l’alimentation : il leur a été proposé, sur la base du volontariat, de signer des chartes visant à améliorer la qualité nutritionnelle de leur production. Cependant, à l’heure actuelle, une seule charte concernant spécifiquement la question des taux de sucres dans les produits distribués outre-mer a été signée. La méthode de la concertation semble donc avoir atteint ses limites.

La seconde inégalité qui frappe les consommateurs ultramarins concerne les dates limites de consommation : quelques industriels apposent sur les produits très périssables qu’ils fabriquent sur le continent tels que, par exemple, les yaourts, un étiquetage indiquant une date limite de consommation différente selon qu’ils sont destinés au marché hexagonal ou au marché ultramarin.

Ainsi, tandis que l’étiquetage de la plupart des yaourts distribués en France hexagonale comporte une date limite de consommation calculée en fonction d’un délai de trente jours à compter de leur date de fabrication, ce délai peut atteindre cinquante-cinq jours – soit pratiquement le double – pour les mêmes produits lorsqu’ils sont commercialisés en outre-mer.

Si cette pratique ne concerne heureusement qu’un nombre restreint de fabricants, elle pose une question de principe qui ne peut être négligée, d’autant qu’elle pourrait être à l’origine de risques sanitaires inacceptables.

Les obligations posées par le droit communautaire sont justifiées par le fait que les produits microbiologiquement très périssables tels que les yaourts « sont susceptibles, après une courte période, de présenter un danger immédiat pour la santé humaine ». Raison pour laquelle la date limite de consommation de leurs produits doit être déterminée par les industriels eux-mêmes, sous leur responsabilité et à partir d’analyses de risque.

Or, dans le cas de la pratique de la double date limite de consommation, la fixation d’une date plus éloignée pour les produits destinés aux marchés ultramarins répond à une préoccupation uniquement commerciale : les denrées produites en France hexagonale doivent en effet être acheminées par bateau vers ces marchés, ce qui implique un délai de transport conséquent. La date limite de consommation de trente jours est donc souvent presque atteinte lorsque ces denrées arrivent à destination.

De telles modalités de transport impliquent pourtant un risque sanitaire plus important, en raison notamment des dangers de rupture de la chaîne du froid : en toute logique, la date limite de consommation des produits destinés au marché ultramarin devrait être rapprochée et non reculée !

La pratique de la double date limite de consommation, qui résulte d’une interprétation erronée des industriels sur la réglementation applicable, pourrait exposer les populations ultramarines à un risque sanitaire inacceptable.

On peut également relever que la présence sur le marché ultramarin de produits provenant de France hexagonale et disposant d’un délai de consommation plus long que le délai habituellement constaté crée une situation de concurrence déloyale à l’encontre des producteurs locaux respectant ce dernier délai.

Ce sont ces inégalités que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à corriger.

Le texte initial reprenait en partie les dispositions de la proposition de loi déposée par M. Victorin Lurel à l’Assemblée nationale, adoptée en commission des affaires sociales avant d’être rejetée en séance publique, à neuf voix près, en octobre 2011.

À l’origine, ce texte s’intéressait uniquement à la question de la teneur en sucres des produits alimentaires disponibles sur le marché ultramarin. Sont venus s’y ajouter, lors de l’examen à l’Assemblée nationale, le sujet des doubles dates limites de consommation et celui de la qualité nutritionnelle des repas distribués par les entreprises de restauration collective.

Au final, le texte qui nous est proposé porte sur la question plus globale de la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, ce dont je me félicite. Ses dispositions seront applicables dans les collectivités mentionnées à l’article 73 de la Constitution, c’est-à-dire en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à la Réunion et à Mayotte, ainsi qu’à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.

L’article 1er de ce texte vise à fixer une teneur maximale en sucres ajoutés pour les produits alimentaires distribués dans les outre-mer par référence à la teneur maximale constatée dans les produits comparables commercialisés dans l’Hexagone.

Deux catégories de produits sont concernées par ce plafond : d’une part, les denrées similaires et de même marque distribuées à la fois en outre-mer et en métropole et, d’autre part, les denrées alimentaires exclusivement distribuées dans les outre-mer et assimilables à celles de la même famille commercialisées dans l’Hexagone, dont la liste sera précisée par voie réglementaire.

Dans le cas où la teneur en sucres ajoutés des denrées équivalentes distribuées en métropole diminuerait, une période d’adaptation d’une durée maximale de six mois est prévue afin de permettre aux opérateurs d’écouler leurs stocks.

Le contrôle de ces dispositions est confié aux agents publics compétents, notamment à ceux de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF.

Monsieur le ministre, lors de la préparation de ce texte, mon attention a été attirée sur le fait que la DGCCRF, qui fournit un travail remarquable, fait face à la fois à un élargissement de ses compétences et à une réduction de ses moyens. Cet effet ciseau pourrait être susceptible d’entraver la pleine application de ce texte.

Afin de permettre aux industriels d’adapter leur production aux nouvelles contraintes, l’article 2 fixe un délai de transition de six mois à compter de la promulgation du texte, ce qui me semble raisonnable.

L’article 3 concerne les dates limites de consommation et dispose que, « lorsque la mention d’une date indiquant le délai dans lequel une denrée alimentaire doit être consommée est apposée sur l’emballage de cette denrée, ce délai ne peut être plus long […] que le délai prévu pour la même denrée de même marque distribuée en France hexagonale ».

Afin de lever toute ambiguïté de rédaction, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser que la formulation retenue concerne bien les « dates limites de consommation » figurant sur les emballages des denrées alimentaires microbiologiquement très périssables et non les fameuses « dates limites d’utilisation optimale », ou DLUO, utilisées pour les produits présentant une relative stabilité microbiologique ?

L’article 4, enfin, vise à rendre obligatoire la prise en compte des performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture dans les critères d’attribution des marchés publics de restauration collective.

L’article 53 du code des marchés publics prévoit déjà que les pouvoirs adjudicateurs peuvent prendre en compte ce critère pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse. Lui conférer un caractère obligatoire permettra de promouvoir une meilleure qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire en restauration collective en favorisant l’approvisionnement en produits frais et de saison et incitera aussi au développement des filières agricoles locales, en encourageant le développement des circuits courts.

Au final, mes chers collègues, cette proposition de loi constituera un pas important pour l’amélioration de la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire à destination de populations ultramarines particulièrement touchées par le surpoids et l’obésité. Elle permettra surtout d’assurer enfin l’égalité entre les consommateurs, et c’est pourquoi je vous demande, au nom de la commission des affaires sociales, d’approuver ce texte.

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