Séance en hémicycle du 21 mai 2013 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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La séance, levée à douze heures quinze, est reprise à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer (proposition n° 460, texte de la commission n° 572, rapport n° 571).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une proposition de loi importante qui est soumise aujourd’hui à votre examen. C’est un texte de santé publique et c’est aussi un texte d’égalité visant à mettre un terme à des pratiques discriminantes appliquées en outre-mer depuis bien trop longtemps.

En effet, depuis des années, les habitants des outre-mer consomment des aliments – principalement des boissons et des spécialités laitières – qui présentent des surdosages en sucre par rapport aux mêmes produits de mêmes marques commercialisés en France hexagonale.

Depuis des années, des citoyens français, sur des territoires français, consomment dès leur plus jeune âge des aliments et des boissons dont la composition en sucre a des effets désastreux sur la santé, comme le prouve la prévalence du diabète et de l’obésité outre-mer. Et, depuis des années, après l’indifférence, nous entendons les dénégations des industriels qui n’hésitent pas à affirmer que les habitants des outre-mer sont, comme naturellement, plus friands de sucre que les autres Français et qu’ils sont eux-mêmes demandeurs de ces excès !

Ce texte de loi est la seconde tentative de mettre un terme à ces pratiques. Il y a deux ans, à l’Assemblée nationale, malgré des faits, des analyses, des chiffres, des enquêtes épidémiologiques, malgré des preuves incontestables qui avaient suscité la stupéfaction des députés découvrant l’existence de pratiques ahurissantes, la proposition de loi que je défendais alors comme parlementaire avait été rejetée à quelques voix près. Pourtant, nous ne demandions qu’une chose : que les taux de sucre dans les aliments et les boissons outre-mer soient alignés sur ceux qui sont pratiqués dans l’Hexagone !

Outre les raisons purement politiciennes qui furent à l’origine de ce rejet in extremis, les arguments d’alors sont, à peu de chose près, ceux que nous avons pu entendre de nouveau en commission et dans les débats à l’Assemblée nationale : « C’est du domaine réglementaire… Un simple décret et le tour est joué… Pourquoi ne pas conclure des chartes de bonne conduite avec les industriels ?... »

Nous étions en octobre 2011 et, je le dis avec gravité, nous avons perdu un temps précieux durant lequel il ne s’est rien passé. Rien : ni décret ni engagement volontaire des industriels ! Les pratiques condamnables ont perduré. Depuis quelques semaines, cependant, il semble se produire une accélération puisque l’on a porté à ma connaissance la signature de quelques chartes ici ou là…

Il revient donc au Sénat de permettre de faire cesser ces pratiques en adoptant à son tour cette proposition de loi qui va dans le sens de l’un des trente engagements du Président de la République. Celle-ci bénéficie du soutien du Gouvernement, soutien que j’ai exprimé à l’Assemblée nationale avec mon collègue Guillaume Garot qui, je le précise au passage, vous prie de bien vouloir excuser son absence, car il est retenu par d’autres obligations.

Oui, mesdames et messieurs les sénateurs, ce texte mérite d’autant plus d’être voté qu’il a été sensiblement étoffé et amélioré par rapport à sa version de 2011 grâce au concours des parlementaires, et en particulier de la députée de la Guadeloupe, Hélène Vainqueur-Christophe, qui en était le rapporteur à l’Assemblée nationale. Il ne vise plus uniquement à réguler les taux de sucre ajouté ; il porte désormais plus largement sur l’amélioration de la qualité de l’offre alimentaire outre-mer, et ce toujours dans une optique d’égalité.

Car en travaillant sur le sujet, d’autres discriminations frappant les outre-mer dans le domaine alimentaire ont été mises en lumière. Je veux parler d’une autre pratique condamnable : celle des dates limites de consommation, ou DLC, différenciées pour un même produit vendu dans l’Hexagone et exporté dans les outre-mer. Cette pratique consiste à prolonger la date limite de consommation de certains produits à l’export.

À l’origine, les yaourts étaient visés, car certains ont une date limite de trente jours à Paris ou ailleurs dans l’Hexagone, quand elle peut être de cinquante jours à Saint-Denis ou à Fort-de-France. Toutefois, à mesure que le sujet a été fouillé et expertisé, il est apparu que plus de trois cents produits frais faisaient en réalité l’objet d’une date limite de consommation différenciée, la différence pouvant aller de quelques jours à plusieurs mois !

Ainsi, tel fromage – j’espère que vous ne prendrez pas cette information pour de la stigmatisation, mais il s’agit du reblochon, pour être précis

Sourires.

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel

Bien sûr, cela pose la question de l’égalité dans la République. Mais cela soulève également une autre question, qui est au cœur des réflexions actuelles sur le gaspillage alimentaire : si les DLC pour les outre-mer apparaissent à l’évidence si longues, c’est peut-être aussi que celles en vigueur dans l’Hexagone sont trop courtes et que l’on envoie ainsi à la poubelle des tonnes d’aliments encore sains.

Les industriels doivent aux consommateurs la vérité et la transparence sur ce sujet ; nous y reviendrons, j’en suis sûr, dans nos débats. Nous pourrions évoquer les mannes de Schumpeter, la « destruction créatrice », ou encore trouver des arguments en faveur de l’emploi. Quoi qu’il en soit, la question mérite d’être posée et un débat public devrait, à mon sens, être engagé.

Enfin, je tiens à souligner une disposition tout à fait importante qui a été ajoutée durant les débats en commission à l’Assemblée nationale, à savoir l’obligation qui sera faite aux collectivités de tenir compte du critère de performance en matière de développement des approvisionnements directs en produits de l’agriculture dans l’attribution des marchés de restauration collective. Cela concerne aussi bien les cantines scolaires et les hôpitaux que les restaurants d’entreprise.

Cette disposition présente l’intérêt de participer à la structuration et au renforcement des filières de production locale. Ainsi, ce sont notamment les fruits et légumes produits localement, en circuits courts, qui verront leur accès favorisé avec des garanties de volumes significatifs. Cette mesure est donc favorable à un développement endogène.

Le postulat est intéressant : une meilleure qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire, dès le plus jeune âge, peut-elle aller dans le sens d’une stratégie offensive de développement des économies des outre-mer ?

Pour toutes ces raisons, je le répète, cette proposition de loi est un texte très important. Je tiens à saluer le travail conséquent et remarquable qui a été conduit par le Sénat, en particulier par la présidente de la commission des affaires sociales, Annie David, ainsi que par le rapporteur, Michel Vergoz. Nous espérons que cette proposition de loi sera très vite adoptée afin qu’elle soit rapidement opérationnelle et qu’elle puisse contribuer à améliorer l’offre alimentaire dans les outre-mer. §

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vergoz

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, les consommateurs ultramarins sont frappés par une double inégalité quant à la qualité des produits alimentaires auxquels ils ont accès. Ces inégalités sont inacceptables, d’autant qu’elles sont susceptibles d’entraîner des effets néfastes sur la santé des personnes.

La première de ces inégalités concerne la teneur en sucres de certains produits alimentaires. En Martinique, des yaourts aux fruits produits localement contiennent ainsi de 27 % à 50 % de plus de sucres ajoutés que les spécialités comparables disponibles dans l’Hexagone. De fait, la recette de certains produits est adaptée lorsqu’ils sont distribués sur le marché ultramarin, en raison d’une prétendue préférence pour le sucre des consommateurs des outre-mer, qualifiée par les industriels de « goût local ».

Or plusieurs indices tendent à démontrer qu’il est nécessaire de limiter la consommation de sucres pour protéger la santé des personnes les plus fragiles.

Des études ont en effet mis en évidence le rôle spécifique de la consommation de boissons sucrées dans l’apparition du surpoids et de l’obésité chez l’enfant.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, le surpoids et l’obésité constituent d’importants facteurs de risque pour le développement de certaines pathologies non transmissibles et chroniques telles que le diabète, les troubles musculo-squelettiques, certains cancers et surtout les maladies cardiovasculaires, première cause de décès dans le monde.

Au total, selon un rapport de 2004 de l’AFSSA, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui n’était pas encore l’ANSES, il est certain qu’un régime alimentaire présentant un index ou une charge glycémique élevés a « des effets délétères sur la santé, au moins dans certaines catégories de la population » comme les sujets en surpoids et les personnes diabétiques.

Plusieurs organismes ont d’ailleurs émis des recommandations concordantes afin de diminuer la quantité de sucres consommés chaque jour, notamment de sucres ajoutés. Dans sa Stratégie mondiale de 2004 pour l’alimentation, l’exercice physique et la santé, l’OMS recommande ainsi aux pouvoirs publics d’adopter des mesures pour « réduire […] la teneur en sucre des boissons et en-cas ».

Nous sommes conscients que l’obésité est un problème de santé multifactoriel qui ne pourra être endigué par la seule baisse de la teneur en sucres de l’offre alimentaire. Cependant, au regard de ces éléments, il semble nécessaire d’intervenir.

La question est d’autant plus importante que la fréquence du surpoids, de l’obésité et du diabète est particulièrement forte parmi les populations ultramarines : la prévalence de l’obésité atteindrait 22 % en Martinique et 23 % en Guadeloupe, alors qu’elle n’est que de 14, 5 % dans l’Hexagone.

L’obésité touche particulièrement les femmes et les enfants : 9 % des enfants seraient obèses en Guadeloupe et en Martinique contre 3, 5 % dans l’Hexagone, soit près du triple.

Par ailleurs, les outre-mer figurent en France parmi les territoires les plus touchés par l’épidémie de diabète.

Quelques mesures, timides, ont été prises ces dernières années pour remédier à la progression constante de ces problèmes liés à l’excès de poids. Elles paraissent cependant très insuffisantes, ce qui justifie une intervention législative visant à mettre en œuvre des mesures plus contraignantes.

Le programme national nutrition santé, ou PNNS, créé en 2001, et le plan obésité ont fait l’objet d’une déclinaison spécifique en direction des populations d’outre-mer. Si les mesures préconisées se sont traduites par plusieurs initiatives intéressantes au niveau local, les effets de ces instruments tardent à se faire sentir.

Des actions ont également été entreprises en direction des industriels de l’agroalimentaire dans le cadre du PNNS 2 et du programme national pour l’alimentation : il leur a été proposé, sur la base du volontariat, de signer des chartes visant à améliorer la qualité nutritionnelle de leur production. Cependant, à l’heure actuelle, une seule charte concernant spécifiquement la question des taux de sucres dans les produits distribués outre-mer a été signée. La méthode de la concertation semble donc avoir atteint ses limites.

La seconde inégalité qui frappe les consommateurs ultramarins concerne les dates limites de consommation : quelques industriels apposent sur les produits très périssables qu’ils fabriquent sur le continent tels que, par exemple, les yaourts, un étiquetage indiquant une date limite de consommation différente selon qu’ils sont destinés au marché hexagonal ou au marché ultramarin.

Ainsi, tandis que l’étiquetage de la plupart des yaourts distribués en France hexagonale comporte une date limite de consommation calculée en fonction d’un délai de trente jours à compter de leur date de fabrication, ce délai peut atteindre cinquante-cinq jours – soit pratiquement le double – pour les mêmes produits lorsqu’ils sont commercialisés en outre-mer.

Si cette pratique ne concerne heureusement qu’un nombre restreint de fabricants, elle pose une question de principe qui ne peut être négligée, d’autant qu’elle pourrait être à l’origine de risques sanitaires inacceptables.

Les obligations posées par le droit communautaire sont justifiées par le fait que les produits microbiologiquement très périssables tels que les yaourts « sont susceptibles, après une courte période, de présenter un danger immédiat pour la santé humaine ». Raison pour laquelle la date limite de consommation de leurs produits doit être déterminée par les industriels eux-mêmes, sous leur responsabilité et à partir d’analyses de risque.

Or, dans le cas de la pratique de la double date limite de consommation, la fixation d’une date plus éloignée pour les produits destinés aux marchés ultramarins répond à une préoccupation uniquement commerciale : les denrées produites en France hexagonale doivent en effet être acheminées par bateau vers ces marchés, ce qui implique un délai de transport conséquent. La date limite de consommation de trente jours est donc souvent presque atteinte lorsque ces denrées arrivent à destination.

De telles modalités de transport impliquent pourtant un risque sanitaire plus important, en raison notamment des dangers de rupture de la chaîne du froid : en toute logique, la date limite de consommation des produits destinés au marché ultramarin devrait être rapprochée et non reculée !

La pratique de la double date limite de consommation, qui résulte d’une interprétation erronée des industriels sur la réglementation applicable, pourrait exposer les populations ultramarines à un risque sanitaire inacceptable.

On peut également relever que la présence sur le marché ultramarin de produits provenant de France hexagonale et disposant d’un délai de consommation plus long que le délai habituellement constaté crée une situation de concurrence déloyale à l’encontre des producteurs locaux respectant ce dernier délai.

Ce sont ces inégalités que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à corriger.

Le texte initial reprenait en partie les dispositions de la proposition de loi déposée par M. Victorin Lurel à l’Assemblée nationale, adoptée en commission des affaires sociales avant d’être rejetée en séance publique, à neuf voix près, en octobre 2011.

À l’origine, ce texte s’intéressait uniquement à la question de la teneur en sucres des produits alimentaires disponibles sur le marché ultramarin. Sont venus s’y ajouter, lors de l’examen à l’Assemblée nationale, le sujet des doubles dates limites de consommation et celui de la qualité nutritionnelle des repas distribués par les entreprises de restauration collective.

Au final, le texte qui nous est proposé porte sur la question plus globale de la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, ce dont je me félicite. Ses dispositions seront applicables dans les collectivités mentionnées à l’article 73 de la Constitution, c’est-à-dire en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à la Réunion et à Mayotte, ainsi qu’à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.

L’article 1er de ce texte vise à fixer une teneur maximale en sucres ajoutés pour les produits alimentaires distribués dans les outre-mer par référence à la teneur maximale constatée dans les produits comparables commercialisés dans l’Hexagone.

Deux catégories de produits sont concernées par ce plafond : d’une part, les denrées similaires et de même marque distribuées à la fois en outre-mer et en métropole et, d’autre part, les denrées alimentaires exclusivement distribuées dans les outre-mer et assimilables à celles de la même famille commercialisées dans l’Hexagone, dont la liste sera précisée par voie réglementaire.

Dans le cas où la teneur en sucres ajoutés des denrées équivalentes distribuées en métropole diminuerait, une période d’adaptation d’une durée maximale de six mois est prévue afin de permettre aux opérateurs d’écouler leurs stocks.

Le contrôle de ces dispositions est confié aux agents publics compétents, notamment à ceux de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF.

Monsieur le ministre, lors de la préparation de ce texte, mon attention a été attirée sur le fait que la DGCCRF, qui fournit un travail remarquable, fait face à la fois à un élargissement de ses compétences et à une réduction de ses moyens. Cet effet ciseau pourrait être susceptible d’entraver la pleine application de ce texte.

Afin de permettre aux industriels d’adapter leur production aux nouvelles contraintes, l’article 2 fixe un délai de transition de six mois à compter de la promulgation du texte, ce qui me semble raisonnable.

L’article 3 concerne les dates limites de consommation et dispose que, « lorsque la mention d’une date indiquant le délai dans lequel une denrée alimentaire doit être consommée est apposée sur l’emballage de cette denrée, ce délai ne peut être plus long […] que le délai prévu pour la même denrée de même marque distribuée en France hexagonale ».

Afin de lever toute ambiguïté de rédaction, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser que la formulation retenue concerne bien les « dates limites de consommation » figurant sur les emballages des denrées alimentaires microbiologiquement très périssables et non les fameuses « dates limites d’utilisation optimale », ou DLUO, utilisées pour les produits présentant une relative stabilité microbiologique ?

L’article 4, enfin, vise à rendre obligatoire la prise en compte des performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture dans les critères d’attribution des marchés publics de restauration collective.

L’article 53 du code des marchés publics prévoit déjà que les pouvoirs adjudicateurs peuvent prendre en compte ce critère pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse. Lui conférer un caractère obligatoire permettra de promouvoir une meilleure qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire en restauration collective en favorisant l’approvisionnement en produits frais et de saison et incitera aussi au développement des filières agricoles locales, en encourageant le développement des circuits courts.

Au final, mes chers collègues, cette proposition de loi constituera un pas important pour l’amélioration de la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire à destination de populations ultramarines particulièrement touchées par le surpoids et l’obésité. Elle permettra surtout d’assurer enfin l’égalité entre les consommateurs, et c’est pourquoi je vous demande, au nom de la commission des affaires sociales, d’approuver ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi doit être appréhendée, selon mon groupe, sous les deux angles de la santé publique et du pouvoir d’achat.

S’agissant de la santé publique, les chiffres qui nous ont été communiqués sont terribles : selon l’étude ObEpi-Roche, 32, 3 % des adultes en métropole sont en surpoids, contre près de 40 % outre-mer ; 15 % d’entre eux sont considérés comme obèses dans l’Hexagone, contre 30 % outre-mer ; en métropole, moins de 5 % des enfants sont concernés, contre plus de 8 % outre-mer !

Ces chiffres ont été confirmés par d’autres études qui ont, elles aussi, souligné que le surpoids et l’obésité sont significativement plus élevés chez les femmes.

Par ailleurs, outre-mer, la prévalence de l’obésité et des autres pathologies associées – diabète, hypertension artérielle, maladies cardiovasculaires – est plus élevée qu’en métropole.

L’État a tenté de prendre quelques mesures en direction des populations d’outre-mer, notamment dans le plan obésité 2010-2013, ou encore dans le programme national nutrition santé 2011-2015, dont vous avez parlé, monsieur le rapporteur.

Une des mesures préconisées dans ce programme visait à « faire en sorte que, pour une gamme comparable de produits, la teneur moyenne en sucre soit identique dans les territoires des départements d’outre-mer et en métropole ». Cela mettait en évidence la responsabilité des industriels de l’agroalimentaire dans la progression de l’obésité.

Hélas ! rien n’indique que cette recommandation ait été prise en compte. Vous le rappeliez à l’instant, monsieur le ministre, rien n’a été fait depuis la discussion à l’Assemblée nationale de la proposition de loi dont vous étiez l’auteur.

Ce sont non seulement les producteurs ultramarins qui sont visés, mais aussi les fabricants de l’Hexagone qui, pour leurs productions destinées à l’outre-mer, augmentent les taux de sucre.

Ainsi, un même produit d’une même marque comporte plus de sucre s’il est destiné à la Réunion, à la Martinique, à la Guyane ou à la Guadeloupe, que s’il était vendu à Strasbourg, Toulouse, ou même à Grenoble, pour citer une ville du département dont je suis l’élue. Cette différence peut aller jusqu’à 50 %, au nom d’une supposée appétence des populations d’outre-mer pour le sucre. L’argument est complètement faux. Il est même méprisant pour ces populations qui, en réalité, n’ont pas vraiment le choix, puisque tous les produits de consommation sont plus sucrés sur ces territoires qu’en métropole.

Il n’est pas non plus possible de cautionner l’explication avancée dans l’introduction du programme national nutrition santé, selon lequel « la spécificité de la situation alimentaire en outre-mer est étroitement liée aux particularités culturelles et économiques mais aussi aux particularités géographiques et climatiques, donc aux productions agricoles ».

Ainsi, au prétexte que l’outre-mer produit du sucre, les populations d’outre-mer devraient en consommer plus !

On peut, en revanche, s’arrêter un instant sur ce que sont les « particularités économiques » de l’outre-mer. Un rapport de l’Agence française de développement, l’AFD, a mis l’accent sur l’indice de développement humain, ou IDH, dans tous les outre-mer. Cet indicateur prend en compte des données de 2010 relatives à l’éducation, aux revenus mais aussi à la santé.

En les comparant aux résultats enregistrés dans l’Hexagone, nous ne pouvons que constater que les retards sont flagrants : ils se montent à vingt ans, en moyenne. La Réunion, elle, accuse un retard de vingt-cinq ans. Pour la Guadeloupe, le retard se monte à douze ans, et pour la Polynésie, à vingt-huit ans !

Bien évidemment, cela se traduit aussi dans le PIB : en moyenne, pour l’année 2009, les PIB des départements d’outre-mer sont inférieurs de 75 % à la moyenne des PIB de l’Union européenne.

Le contexte socioéconomique est donc extrêmement difficile. La question du coût de la vie et du pouvoir d’achat est particulièrement importante. Récemment, comme l’avaient fait il y a quelques mois les habitants des Antilles et de la Réunion, les Calédoniens sont descendus dans la rue pour manifester contre la vie chère.

En outre-mer, une grande partie de la population vit avec un faible pouvoir d’achat, alors que le coût de la vie y est nettement supérieur à la moyenne nationale. Il y a là une inégalité inacceptable, qui en entraîne une autre, tout aussi inadmissible.

En effet, une analyse a montré que plus le niveau de revenus était élevé, moins la prévalence de la surcharge pondérale était importante. Par voie de conséquence, malheureusement, plus le pouvoir d’achat est faible, plus la prévalence de l’obésité est importante. Pour des raisons financières, en plus d’hésiter à se faire soigner, les familles les plus modestes ne peuvent acheter de produits alimentaires dits sains.

Il existe une troisième injustice, tout aussi inacceptable. Je veux parler de la question des dates limites de consommation. Comment peut-on justifier que certains produits périssables, comme les yaourts, aient une date de péremption plus longue en outre-mer qu’un produit identique, de même marque, vendu sur le territoire métropolitain ? Cet écart, mes chers collègues, peut parfois atteindre vingt-cinq jours !

Je dois le dire, mes chers collègues, Monsieur le ministre, c’est cette inégalité qui m’a le plus étonnée. Il n’y a aucune raison à une différence des dates de péremption. Vous citiez l’exemple du reblochon, monsieur le ministre, pour lequel je ne vois vraiment pas comment deux dates de péremption différentes peuvent être fixées !

Cette loi, si elle est adoptée, va donc permettre de supprimer non seulement quelques injustices, mais également des inégalités, ce qui est le plus important.

Néanmoins, il reste encore beaucoup de travail pour faire reculer le surpoids et l’obésité, et, ainsi, réduire les risques de maladies cardiovasculaires.

Il conviendrait, par exemple, de prendre les dispositions nécessaires pour que les préconisations du programme national nutrition santé soient enfin mises en œuvre. Celui-ci proposait, je le rappelle, d’« agir sur l’offre alimentaire en milieu scolaire », « de valoriser les ressources et la production agroalimentaire locales » ou d’« agir sur le dispositif d’aide alimentaire ».

C’est bien la question de l’approvisionnement des marchés qui se pose. L’article 4 de la présente proposition de loi vise à promouvoir les denrées issues des circuits courts de distribution, afin de favoriser l’approvisionnement des sites de restauration collective en produits frais et de saison.

L’intention est louable ; on ne peut qu’y adhérer. Mais – faut-il le rappeler ? – la loi Grenelle 1 ou la loi de modernisation agricole, entre autres, envisageaient déjà cette possibilité.

Or, comme souvent, les dispositions permettant de prendre en compte les spécificités de l’outre-mer n’ont jamais été prises. Ces spécificités ont trait à l’étroitesse des marchés locaux et à l’éloignement de ce que l’on appelle les « grands marchés », qui sont – histoire oblige – ceux de la France métropolitaine et de l’Europe.

Comme nous l’a souvent expliqué mon collègue et ami Paul Vergès, cette situation de dépendance économique est la traduction d’un développement qui s’est toujours fait dans le même sens : les anciennes colonies avec la « mère patrie », puis avec l’Europe.

Derrière cela se trouve donc la question des accords de partenariat économique. Bien évidemment, il s’agit, avant tout, de promouvoir la production locale. Celle-ci doit être non seulement préservée mais surtout renforcée pour promouvoir des prix supportables, dans l’intérêt des consommateurs.

On ne peut donc occulter la question de la diversification des sources d’approvisionnement. Cela doit se traduire par la prise en compte de la situation spécifique de la Réunion et des autres départements d’outre-mer, dans le cadre des accords de partenariat économique. C’est un chantier qu’il reste encore à mener à terme. Monsieur le ministre, le groupe CRC compte sur votre action ferme et déterminée pour faire valoir ces spécificités.

Pour l’heure, le groupe CRC votera la présente proposition de loi sur l’offre alimentaire en outre-mer.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’objet principal de la présente proposition de loi est de s’attaquer à deux problèmes affectant la qualité de l’offre alimentaire ultramarine : la teneur en sucres ajoutés de certains produits et les dates limites de consommation, parfois différenciées pour les territoires ultramarins.

Plus précisément, le texte vise, d’une part, à fixer une teneur maximale en sucres ajoutés pour les produits alimentaires distribués dans les outre-mer et, d’autre part, à disposer que le délai limite de consommation ne peut être plus long pour les produits destinés à l’outre-mer que celui prévu pour la même denrée alimentaire distribuée dans l’Hexagone.

Bien sûr, nous partageons le constat fait dans le rapport.

Il est totalement anormal que la teneur en sucre des boissons sucrées et des yaourts puisse être supérieure en outre-mer que dans l’Hexagone. Les chiffres dont nous a fait part notre rapporteur sont édifiants : l’écart entre la teneur en glucides de boissons sucrées distribuées localement et dans l’Hexagone peut aller jusqu’à 47 %.

L’allégation par les industriels d’une prétendue préférence locale pour le sucre laisse sans voix. De deux choses l’une : soit, effectivement, cette préférence est culturelle, mais alors elle ne doit pas être entretenue, pour des raisons évidentes de santé publique, soit, au contraire, cette préférence est fictive, et elle se justifie encore moins. Il n’est pas non plus interdit de s’interroger sur la motivation réelle de cette explication.

Cela m’amène à la seconde question, celle des dates limites de consommation. Même constat et même réaction : qu’il puisse y avoir des dates limites de consommation selon que le produit est destiné au marché hexagonal ou au marché ultramarin est totalement injustifiable et totalement aberrant.

C’est, en tout cas, une illustration parfaite de l’anecdote que nous contait il y a peu Mme la garde des sceaux – certains ici s’en souviendront, sans doute –, qui, en arrivant en France, n’a pas retrouvé dans l’Hexagone le gruyère de son enfance. Et pour cause, ce dernier « picotait » !

Plaisanterie mise à part, encore une fois, les chiffres mentionnés par M. le rapporteur sont édifiants : il est tout bonnement invraisemblable que le délai de péremption affiché pour la consommation d’un produit soit de cinquante-cinq jours en outre-mer, quand il n’est que de trente jours en France.

Nous rejoignons votre raisonnement implacable, monsieur le rapporteur : compte tenu des conditions de transport desdits produits, s’il y avait un délai limite de consommation différencié, il devrait être avancé et non reculé ! Ou bien serait-ce que les produits en question contiennent davantage de conservateurs ? Soit dit en passant, il faudrait peut-être, d’ailleurs, reculer toutes les dates de péremption, y compris dans l’Hexagone.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, pour nous, la question du sucre et celle des dates de péremption sont liées. On le sait, le sucre conserve. Il est donc probable que l’une des raisons à l’intensification en sucre de certaines denrées microbiologiquement instables – les yaourts en sont l’exemple typique – soit de leur permettre de durer plus longtemps.

Cela, bien sûr, n’excuse rien et doit être combattu. C’est de la santé des habitants des territoires ultramarins qu’il est question.

Encore une fois, nous partageons le constat fait sur le surpoids, l’obésité et le diabète, tel qu’il a été rappelé par Mme David. Ces affections sont particulièrement fortes en outre-mer. Il n’est pas normal, et encore moins acceptable, que le taux de prévalence de l’obésité y soit de 23 %, contre 14, 5 % dans l’Hexagone. Il est même près de trois fois plus important en Guadeloupe et en Martinique qu’en métropole. Il en va de même pour le diabète, dont le taux de prévalence à la Réunion est le double de celui de l’Hexagone.

Évidemment, ces pathologies ont des causes multiples, même si le lien avec la surconsommation de sucre est bien établi.

Si, donc, nous partageons le constat global fait par les auteurs de la proposition de loi, nous différons, en revanche, quant aux solutions à apporter au problème.

Tout d’abord, je voudrais, sans malice, faire observer qu’il y a comme un hiatus entre l’intitulé du texte, ambitieux, et son contenu véritable. Lorsqu’il ne s’agit que de légiférer sur le taux de sucre et sur la date de péremption de certains produits, on ne peut pas dire que l’on garantit de manière globale la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, sauf à considérer que l’outre-mer n’a vraiment aucun autre problème en la matière, ce qui, chacun le sait, est loin d’être le cas !

Ensuite, et plus fondamentalement, nous ne pensons pas que, en l’occurrence, le recours à la loi – à tout le moins, à une proposition de loi aussi circonstanciée – se justifie.

Encore une fois, de deux choses l’une : soit il n’est effectivement question que de traiter du taux de sucre et de la date de péremption de certains produits, et il ne revient donc pas à la loi de le faire, soit, au contraire, on entend traiter globalement les problèmes d’alimentation et de santé publique, et c’est alors d’un texte d’une autre envergure dont nous aurions aimé être saisis.

J’en reviens à la première branche de l’alternative : les seules questions du taux de sucre et de la date de péremption ne relèvent pas de la loi. Le rapporteur, lui-même, l’a dit : la question relève de divers plans et programmes, comme le programme national nutrition santé ou le plan obésité, qui ont fait l’objet de déclinaisons spécifiques pour l’outre-mer, ou encore le programme national pour l’alimentation.

Autrement dit, la proposition de loi qui nous est soumise couvre un champ qui est de nature strictement réglementaire.

En revanche, qu’il faille une grande loi de santé publique, qui revoit toutes les questions se posant en la matière, oui ! D’ailleurs, nous l’appelons fermement de nos vœux. La dernière date de 2004. Depuis, les choses ont évolué. Les sujets sont nombreux, ils vont de la fiscalité comportementale à l’éducation à la santé, en passant par la problématique des alicaments.

Cette loi nous a été annoncée à plusieurs reprises, mais nous ne la voyons pas venir. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

En attendant cette grande loi de santé publique, nous ne pouvons que regretter que, une fois de plus, les questions ultramarines ne soient pas traitées dans leur globalité. C’était déjà le sens de mon intervention sur la proposition de loi prorogeant le bonus exceptionnel outre-mer.

En même temps que nous appelons de nos vœux une grande loi de santé publique, nous réclamons aussi de véritables réformes, qui marqueraient un net progrès pour les collectivités ultramarines.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Jean-Paul Emorine applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la qualité de l’alimentation devrait être un droit imprescriptible pour chaque citoyenne et citoyen. La semaine dernière, la Haute Assemblée a adopté une proposition de résolution européenne déposée par nos collègues du groupe UDI-UC, et tendant à la création d’un droit européen pour le consommateur à la maîtrise et à la parfaite connaissance de son alimentation, qui touche aussi à cette problématique, ô combien essentielle.

De ce point de vue, l’injustice dont souffrent les populations ultramarines – du fait d’industriels peu scrupuleux, elles consomment des produits souvent beaucoup plus sucrés que ceux qui sont vendus en métropole, de surcroît avec une date de consommation qui est repoussée jusqu’à parfois vingt-cinq jours – est incompréhensible et intolérable !

La présente proposition de loi est donc un texte de « bon sens ». Il n’y a aucune raison pour qu’un même produit ait un taux de sucres ajoutés plus élevé, jusqu’à parfois plus de 50 %, quand il est destiné aux consommateurs ultramarins.

L’obésité et le surpoids, qui peuvent avoir les conséquences dramatiques que nous connaissons sur la santé, touchent très durement les populations ultramarines. En mettant fin à la pratique commerciale injustifiable consistant à sucrer davantage, car le sucre est moins cher, les produits vendus en outre-mer, la présente proposition de loi contribuera à la réduction d’un tel fléau.

Certes, la réduction du taux de sucre dans les yaourts ou les sodas ne résoudra pas à elle seule l’obésité et les risques pour la santé qui en découlent : diabète, hyper-tension, accidents cardio-vasculaires… Il faudra également renforcer la prévention et l’éducation alimentaire. Le ministre délégué chargé de l’agroalimentaire a annoncé qu’il avait engagé une concertation avec les industriels pour pouvoir améliorer la composition de certains ingrédients alimentaires et revoir leurs teneurs en sucre, sel et graisse. J’espère vivement qu’une telle démarche aboutira rapidement et contribuera à renforcer la prise en compte de la santé des consommateurs.

De plus, s’il me paraît utile de recourir au véhicule législatif pour encadrer la qualité de l’alimentation, il est également indispensable de nous assurer que les règles seront respectées et que les contrôles et sanctions seront adaptés. L’expérience a montré que nous ne pouvions pas nous reposer sur des chartes de « bonne conduite » de la part des industries agroalimentaires. Il y en a déjà eu plus d’une trentaine, et le moins qu’on puisse dire est que leur efficacité en matière de protection des consommateurs et de santé s’est révélée très limitée.

La présente proposition de loi prévoit que les manquements aux nouvelles obligations concernant les différences de taux de sucre dans les produits vendus en France métropolitaine et en outre-mer sont constatés par les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF. Mais encore faut-il, et la question se pose sur l’ensemble du territoire français, que cette dernière ait les moyens humains et financiers d’effectuer tous les contrôles qui sont de son ressort.

En effet, ses missions sont de plus en plus vastes, les types de fraudes sont de plus en plus variés et ils évoluent de plus en plus vite. Mais, pendant ce temps, les moyens de la DGCCRF sont en chute libre. Notre collègue Robert Tropeano a déjà dénoncé le phénomène dans une question d’actualité voilà quelques semaines. C’est un enjeu majeur. Nous ne pourrons pas garantir la qualité de notre alimentation si l’effectivité des contrôles et des sanctions contre les abus n’est pas assurée.

Le projet de loi relatif à la consommation que nous examinerons dans les prochains mois aborde les mêmes problématiques. Il renforce les sanctions contre les différents types de fraudes à l’encontre des droits des consommateurs et élargit les pouvoirs de la DGCCRF, mais la question des moyens de cette administration demeure en suspens... Or nous devons à nos concitoyens de donner à cette direction les moyens nécessaires pour lui permettre de protéger efficacement les consommateurs et leur santé.

Je referme cette parenthèse pour revenir à la proposition de loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer. Le texte, qui concernait seulement à l’origine l’interdiction de la différence de taux de sucre entre la composition des produits manufacturés et vendus dans les régions d’outre-mer et celle des mêmes produits vendus dans l’Hexagone, a été utilement précisé et complété à l’Assemblée nationale.

Les articles 1er et 2 concernent le sucre, et l’article 3 porte sur les dates limites de consommation. La pratique de certains industriels consistant à apposer une date limite de consommation différente pour des produits fabriqués en France hexagonale selon que ceux-ci sont destinés au marché hexagonal ou au marché ultramarin n’est pas plus acceptable que le fait d’ajouter davantage de sucres.

Cela montre combien la notion d’information et de protection du consommateur peut être manipulée. Ainsi, les consommateurs métropolitains jettent des produits dits « périmés » qui sont considérés comme encore consommables en outre-mer. Or, selon la directive européenne concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires, pour les denrées microbiologiquement très périssables, comme les yaourts, « au-delà de la date limite de consommation, une denrée alimentaire est dite dangereuse ».

Par conséquent, comment nous assurer qu’un tel allongement de la date limite de consommation par rapport au produit vendu en métropole ne présente aucun risque en matière de santé pour les consommateurs ultramarins ?

Il faudrait, me semble-t-il, mettre la question des dates de péremption des denrées alimentaires sur la table, si j’ose dire, au niveau européen. En effet, les fabricants sont libres de fixer ces dates, dans la mesure où ils respectent un certain nombre de garanties sanitaires. Mais force est de constater que les dates ne permettent pas d’assurer une bonne information du consommateur à l’heure actuelle.

D’une manière générale, la transparence de l’étiquetage et la traçabilité des denrées alimentaires doit être renforcée ; la législation européenne actuelle comporte trop de failles sur ces points. Je vous renvoie à la discussion que nous avons eue mercredi dernier lors de l’examen de la proposition de résolution de nos collègues du groupe UDI-UC dont j’ai parlé voilà quelques instants. J’espère que cette résolution portera rapidement ses fruits et que des avancées significatives seront prochainement actées au niveau communautaire.

La rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée nationale a également fait adopter un quatrième article, visant à promouvoir l’approvisionnement des sites de restauration collective – cantines scolaires, hôpitaux... – par des circuits courts de distribution. Il rend obligatoire, pour l’attribution de marchés publics de restauration collective, la prise en compte du critère de performance en matière de développement des approvisionnements directs en produits de l’agriculture.

C’est un apport majeur. En effet, les outre-mer ont souvent des productions locales de fruits et légumes importantes et diversifiées, mais dont une part très faible seulement est consommée dans les lieux de restauration collective. Ainsi, seuls 8 % des 90 000 tonnes de fruits et légumes produits chaque année à la Réunion sont consommés dans les écoles ou les hôpitaux de l’île. Ce dispositif est donc essentiel et mériterait probablement d’être étendu à la pêche et à l’aquaculture.

Le quatrième article de la proposition de loi contribuera donc à garantir une offre alimentaire de qualité dans les lieux de restauration collective, et en particulier à l’école, pour les enfants, tout en favorisant les producteurs locaux. Je rappelle cependant que seuls un tiers des établissements scolaires en Guyane disposent d’une cantine. Or la nécessité de disposer de telles infrastructures est une priorité avant de pouvoir garantir l’accueil et l’alimentation saine des enfants.

Quoi qu’il en soit, l’article 4 de la proposition de loi, en favorisant les circuits courts, permet à la fois de protéger la santé de nos concitoyens, de dynamiser le tissu économique local et de réduire l’impact environnemental lié au transport de marchandises. C’est donc une mesure de bon sens, aussi bien pour les territoires ultramarins que pour tous les territoires de l’Hexagone. J’espère vivement que d’autres textes s’en inspireront.

Pour conclure, la proposition de loi, qui répond à des exigences de justice, d’équité et de santé publique, mérite un soutien unanime de tous les parlementaires, qu’ils soient d’outre-mer ou de métropole. Tous nos concitoyens en saisissent l’importance et les enjeux. C’est pourquoi l’ensemble des membres du RDSE voteront pour ce texte.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Aline Archimbaud

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme cela a déjà été souligné, la surconsommation de sucre est un grave sujet de santé publique. Le groupe écologiste du Sénat se réjouit que l’on ait pris l’initiative, via la présente proposition de loi, d’inscrire cette question à l’agenda.

Chaque fois que l’occasion nous en est donnée, et notamment lors de l’examen de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous rappelons que la santé publique ne doit pas être abordée simplement sous l’angle curatif ; elle doit aussi s’inscrire dans une démarche constante de prévention et de promotion de la santé publique.

C’est l’option qui est retenue ici, et nous nous en félicitons.

Le texte s’inscrit également dans une autre logique : la lutte contre les inégalités qui frappent les consommateurs ultramarins par rapport aux consommateurs de la France hexagonale.

En effet, comment concevoir que les produits de consommation courante en outre-mer aient une concentration en sucre supérieure à celle des mêmes produits de mêmes marques en France hexagonale ?

Par exemple, un Fanta Orange comporte 9, 446 grammes de sucre pour 100 grammes à Paris, mais 44 % de sucre en plus en Guadeloupe, 48 % de sucre en plus en Guyane, 45 % de sucre en plus en Martinique et 42 % de sucre en plus à Mayotte…

Cette pratique inadmissible, qu’aucun argument objectif ne justifie, a des effets directs sur la santé des populations. En effet, et cela a déjà été dit, les sucres sont l’une des causes principales – nul ne le conteste – de l’épidémie d’obésité, qui n’a jusqu’ici pas été suffisamment traitée en outre-mer. Ainsi, 25 % des enfants et adolescents et plus d’un adulte sur deux sont touchés par des problèmes de surcharge pondérale en outre-mer. Or l’obésité favorise la survenue de diabète, d’hypertension, de maladies cardiovasculaires et respiratoires et d’atteintes articulaires sources de handicaps.

L’enjeu est donc extrêmement important sur le plan sanitaire.

D’ailleurs, lors de l’examen du projet de loi relatif à la vie chère en outre-mer, à l’automne dernier, notre groupe avait déjà déposé un amendement correspondant au contenu de l’article 1er de la proposition de loi, que nous soutiendrons bien entendu de nouveau aujourd’hui.

Un seul élément nous préoccupe sur l’article 1er : c’est un arrêté ministériel qui doit déterminer « la liste des denrées alimentaires » concernées.

Car si l’article 2 précise bien que l’article 1er « entre en vigueur dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi », le risque est que la publication de cet arrêté provoque une certaine inertie.

D’ailleurs, un arrêté était-il bien nécessaire, puisque tous les produits contenant du sucre sont concernés ?

De plus, le fait que cet arrêté relève de quatre ministères, trois ministères en plus du celui de l’outre-mer, n’est pas rassurant quant à l’objectif de l’effectivité rapide de cette mesure.

Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour que la concertation et la prise de décision entre les quatre ministères se fassent aussi vite que possible. Nous ferons preuve d’une grande vigilance à cet égard !

Il n’y a pas que les dispositions relatives au taux de sucre. Le groupe écologiste se félicite également des deux articles additionnels dont nos collègues députés ont enrichi le texte.

J’évoquerai d’abord les dates de consommation recommandée. De deux choses l’une : soit les dates pratiquées en France hexagonale sont justes, et il n’y a alors aucune raison que les consommateurs ultramarins se voient pratiquer des délais de consommation recommandée supérieurs ; soit les dates pratiquées en France sont largement sous-estimées, et on pourrait voir une volonté inadmissible de pousser les ménages à la consommation en leur faisant jeter, gaspiller des aliments encore propres à la consommation pour en acheter de nouveaux. Dans les deux cas, il faut éclaircir la situation, qui n’est pas acceptable.

J’en viens au développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture locale, notamment par le biais des marchés publics de restauration collective. Nous nous félicitons de cette juste mesure. En encourageant les circuits courts, cette disposition sera source de création d’emplois locaux non délocalisables, renforcera l’indépendance économique et l’autosuffisance alimentaire des territoires ultramarins et constituera même un outil de lutte contre la vie chère.

Le double enjeu de santé publique et d’égalité des territoires – vous avez employé à juste titre l’expression « lutte contre les discriminations », monsieur le ministre – dont nous débattons aujourd’hui est tel que la seule action réglementaire n’aurait pas suffi.

Compte tenu des résistances et de la longueur des délais – nous débattons de ce sujet depuis des années –, c’est bel et bien d’un débat public et d’un vote du Parlement dont nous avons besoin pour manifester la volonté d’une prise de décision énergique.

Certes, nous sommes nous aussi, écologistes, pour une grande loi de santé publique régulant notamment la sécurité alimentaire. Mais ce ne serait pas une bonne idée de renoncer aujourd'hui à la présente proposition de loi au nom de la grande loi à venir ; ce serait même un acte de mauvaise foi. Il ne nous semble pas possible de différer une nouvelle fois et de renvoyer la décision à plus tard.

Le groupe écologiste du Sénat votera donc pour cette proposition de loi, en espérant qu’elle pourra rapidement entrer en vigueur.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui pose une vraie question de santé publique : la lutte contre l’obésité est un enjeu majeur pour tous les Français, dans l’Hexagone comme outre-mer.

Vous connaissez les chiffres de la dernière enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité : près de 7 millions de Français seraient considérés comme obèses, soit le double d’il y a quinze ans. Ces données sont inquiétantes, et la situation dans les territoires ultramarins est encore plus grave, ainsi que M. le rapporteur l’a souligné.

L’obésité, qui est un problème comportemental, touche, en effet, 15 % à 20 % de la population adulte de la Guadeloupe, de la Réunion et de la Martinique.

L’obésité concerne 10, 5 % des enfants des quatre départements d’outre-mer, contre 3 % des enfants en métropole. Cette différence est inacceptable !

Au total, sur ces territoires, près d’un quart des enfants et adolescents, et plus de la moitié des adultes sont touchés par des problèmes de surcharge pondérale.

Nous savons bien que l’obésité constitue un facteur de risque aggravant pour le développement de maladies comme le diabète, l’hypertension artérielle ou les maladies coronariennes.

Ce texte repose donc sur un diagnostic que nous partageons tous, sur toutes les travées.

Vous avez raison, monsieur le rapporteur, lorsque vous dites que la situation en outre-mer exige une mobilisation renforcée des autorités sanitaires et des professionnels de l’alimentation : il faut améliorer la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire et encourager nos concitoyens à adopter des comportements alimentaires plus favorables à leur santé.

Je rappelle qu’une alimentation équilibrée, associée à une activité physique, permet une meilleure prévention des maladies cardiovasculaires, du diabète, des cancers et de l’obésité. Il est donc nécessaire de promouvoir de saines pratiques alimentaires.

Il existe d’ores et déjà des outils pour lutter contre l’obésité. Avec la troisième édition – la première datant de 2001 – du programme national nutrition santé pour les années 2011 à 2015, notre pays s’est doté d’une politique nutritionnelle ambitieuse afin d’améliorer l’état de santé de nos concitoyens. Ce programme comprend une déclinaison spécifique à l’outre-mer, ainsi qu’un plan obésité.

Le secteur de l’alimentation a, d’ores et déjà, réalisé des efforts : selon le site du ministère de la santé, trente-trois chartes d’engagements volontaires de progrès nutritionnel ont été signées par des centaines d’entreprises, alors même qu’il n’existe pas d’obligation réglementaire fixant la teneur en sucre des produits.

Par ailleurs, un programme national de l’alimentation a été mis en place en 2010 pour inciter les opérateurs du secteur agroalimentaire à mettre en œuvre des accords collectifs par famille de produits avec des objectifs en matière de qualité nutritionnelle.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser les avancées réalisées depuis la mise en place de ces programmes nationaux ?

J’en viens aux dispositions de la proposition de loi.

Le premier objectif de ce texte est d’éviter qu’un produit de même marque soit plus sucré outre-mer qu’en métropole.

Les produits concernés seraient, notamment, les yaourts, les sodas, les jus de fruit, etc.

Si nous sommes totalement favorables à la suppression de cette différence, nous voulons souligner le risque de distorsion de concurrence qui pourrait survenir entre les entreprises françaises et celles d’autres pays, notamment les États-Unis, en particulier aux Antilles.

Il est donc essentiel, tant d’un point de vue sanitaire qu’économique, de renforcer la promotion des comportements alimentaires plus favorables à la santé.

Le deuxième objectif de ce texte est d’interdire la fixation, pour une denrée alimentaire distribuée en outre-mer, d’une date limite de consommation emportant un délai de consommation plus long que le délai prévu pour la même denrée de même marque distribuée dans l’Hexagone.

Nous nous réjouissons que des solutions soient recherchées pour remédier à cette situation. Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour empêcher que des entreprises européennes non françaises ne contournent cette disposition afin de conserver des dates limites de consommation différentes ?

Le troisième et dernier objectif de ce texte est la promotion de l’agriculture locale.

Pour louables que soient ces objectifs, ils ne correspondent pas réellement à la lutte contre l’obésité.

Régulièrement, le Gouvernement annonce le dépôt d’un projet de loi de santé publique. Ce texte sera un véhicule législatif approprié pour prendre en compte de manière beaucoup plus globale les problèmes liés à la prévalence de l’obésité et à ses conséquences sur les populations.

Néanmoins, il ne pourra se limiter à traiter ces seuls problèmes. Il devra aussi aborder les questions relatives aux addictions, notamment chez les jeunes.

L’annonce de cette nouvelle loi de santé publique ouvre, par ailleurs, la possibilité de donner une nouvelle impulsion à la politique de lutte contre les troubles mentaux.

Pour conclure, même si ce texte part d’une bonne intention, les mesures proposées nous semblent a minima pour atteindre les objectifs visés. C’est pourquoi une grande partie du groupe UMP s’abstiendra.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée est appelée aujourd’hui à examiner une proposition de loi visant à mettre fin à une situation discriminatoire et injustifiée : dans nos territoires d’outre-mer, certains produits alimentaires comme les sodas ou les yaourts contiennent bien plus de sucre que leurs équivalents vendus en métropole.

Aucun impératif de conservation ne saurait être invoqué pour justifier cet état de fait, sinon pour quelles raisons les délais de péremption d’un produit alimentaire seraient-ils plus longs en outre-mer que partout ailleurs sur le territoire ?

Les industriels font état d’une prétendue appétence des Ultramarins pour le sucre. Cette affirmation n’est fondée sur aucune étude scientifique et ne saurait constituer un argument valable. Comme chacun le sait, le sucre appelle le sucre. Consommé régulièrement, il peut même devenir une véritable addiction.

On sait aujourd’hui que cette différence de traitement, qui avait déjà fait l’objet d’une proposition de loi en 2011, rejetée par la précédente majorité, est en partie responsable du surpoids, de l’obésité, mais aussi de pathologies graves associées telles que le diabète, l’hypertension artérielle ou les maladies cardiovasculaires, qui touchent aujourd’hui plus durement les Ultramarins que les Hexagonaux.

Certes, l’obésité ne trouve pas son origine dans la seule teneur élevée en sucre de l’alimentation. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Mais il est essentiel de donner aux populations ultramarines la possibilité de choisir de mieux se nourrir.

Il y a encore cinq ans, faute d’enquête spécifique, la situation du diabète à Mayotte n’était pas connue. La première grande étude transversale de la population réalisée en 2008, afin d’estimer la prévalence du diabète et des facteurs de risque cardiovasculaire, a révélé que 35 % des hommes et 32 % des femmes étaient en surpoids, et que l’obésité touchait 17 % des hommes et 47 % des femmes. La prévalence du diabète s’élevait à 10, 5 % alors qu’elle est de 4, 9 % en France métropolitaine. Chez les plus de trente ans, une personne sur dix était atteinte ; chez les plus de soixante ans, une personne sur cinq. Et plus d’une personne sur deux ignorait qu’elle était diabétique !

L’émergence de ces « nouvelles maladies » à Mayotte a correspondu avec la transition socioéconomique à laquelle l’île a fait face ces dernières années.

Certaines organisations telles que l’Association des jeunes diabétiques de Mayotte, l’AJD 976, et Rédiab Ylang 976, dont je tiens ici à saluer le travail, relayent les campagnes nationales et jouent un rôle essentiel en matière d’éducation thérapeutique du patient. Il faut encourager ces organisations et davantage les aider.

En prévoyant d’aligner le taux de sucre en outre-mer sur celui de l’Hexagone, cette proposition de loi ne tend à rien de moins qu’au rétablissement de l’égalité. Les inégalités territoriales en matière de santé sont particulièrement importantes entre nos territoires et la métropole. Ce texte a le mérite de mettre un terme à l’une d’elles.

Il est également l’occasion de rappeler les bienfaits d’une alimentation saine et équilibrée, et d’insister sur l’importance des campagnes d’information et de sensibilisation, notamment dans les écoles.

Ce texte répond, enfin, à la onzième des trente propositions faites par François Hollande en faveur des outre-mer lors de sa campagne électorale.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Félix Desplan

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, le sucre a écrit les premières pages de l’histoire de la Guadeloupe.

Plus de trois siècles après, il nous réunit pour mettre fin à une autre injustice : celle de l’inégalité entre consommateurs. Les Ultramarins n’ont pas droit à la même qualité alimentaire. Cela n’est pas juste !

Cette proposition de loi vise donc à rétablir l’égalité face à des disparités discriminatoires justifiées par des prétextes fallacieux.

Nous avons tous, sans exception, une appétence innée pour le sucre. Carburant indispensable, il est à la fois le meilleur et le pire de nos aliments. Sa carence ou son absence nous est fatale ; mais son excès, qui est de nos jours beaucoup plus courant, est tout aussi dangereux.

Aujourd’hui, la consommation de sucre, comportement ubiquitaire des sociétés industrialisées, dépasse des niveaux plus que nécessaires.

Pourquoi celle des Ultramarins devrait-elle être plus importante ? Doit-on laisser notre destin aux mains de la dictature du sucre raffiné ? Doit-on laisser de nouveau s’orchestrer un crime organisé, basé sur le commerce du sucre, ce doux poison, ce doux assassin ?

Dans le cadre du projet guadeloupéen de société, nous, élus, réunis en congrès le 21 décembre 2013 sur la thématique « santé et alimentation », avions déjà été édifiés de l’état de santé des Guadeloupéens.

Afin de faire évoluer les pratiques alimentaires, la nécessité de mener des politiques publiques et d’établir des plans d’actions s’est peu à peu imposée dans nos agendas.

Une mauvaise alimentation tue bien plus de personnes chaque année que les drogues. Notre consommation de certains aliments est telle qu’elle s’apparente à une addiction à des drogues dures.

Disons-le : le sucre est bel et bien une drogue contemporaine. Il participe directement à l’apparition de plusieurs maladies et problèmes de santé, notamment l’obésité et le diabète. Mais, non content de causer des dégâts durables sur notre santé physique, il fragilise notre équilibre mental. Un nombre croissant de recherches scientifiques démontre que, en surconsommation, il peut influencer l’humeur et les comportements humains, dont l’agressivité, la violence. En effet, une hypoglycémie favorise l’irritabilité et l’agression impulsive.

Ces études sont principalement d’origines étrangères, je l’admets. Mais doit-on attendre des confirmations en France avant d’agir ? Peut-on rester les bras croisés ?

Les maux dont souffre ce bout de terre, qui m’est cher, sont déjà bien suffisants. La violence et l’insécurité qui la malmènent sont l’expression de pathologies sociétales. S’il est des facteurs exogènes, comme le sucre en provenance de nos assiettes, qui la rongent de l’intérieur, il est de notre devoir de les éliminer.

Le Président de la République a porté lors de sa campagne cette grande idée d’égalité des territoires. Lors de la conférence de presse du 16 mai, il a de nouveau rappelé cette ligne de conduite : « Je fais en sorte que là où il y a plus d’inégalités, nous fassions davantage. […] La promesse de l’égalité, ce n’est pas une nostalgie, ça reste une ambition. »

Cette valeur est une part de notre identité, une promesse sur laquelle la France s’est historiquement construite et à laquelle nous nous devons d’être fidèles. Donnons-nous l’ambition de la tenir, en commençant par réconcilier tous ceux qui font la France. Traduisons en actes, dès aujourd’hui, cette belle idée d’égalité, ce droit intangible. Faisons-en une réalité concrète pour les ultramarins !

Je voterai donc cette proposition de loi, traduction du onzième engagement du carnet de campagne de François Hollande pour l’outre-mer.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Jean Boyer applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Antiste

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis plusieurs années, on assiste en France hexagonale et dans les collectivités d’outre-mer à une augmentation de la prévalence du surpoids, de l’obésité et du diabète de type 2.

Cette augmentation a une origine multifactorielle : le patrimoine génétique, la trop faible activité physique quotidienne ou encore le déséquilibre alimentaire.

Cependant, pour les ultramarins, à ces facteurs s’ajoute une véritable inégalité de traitement, à savoir, jusqu’à aujourd’hui, des teneurs en sucre qui ne sont pas les mêmes dans certaines denrées alimentaires selon qu’elles sont distribuées dans l’Hexagone ou en outre-mer.

Or, cette problématique de teneur en sucres élevée des produits alimentaires de consommation courante revêt une importance vitale en termes de santé publique dans les territoires d’outre-mer, où l’obésité représente un véritable fléau, sans commune mesure avec la situation sanitaire que connaît l’Hexagone.

Ainsi, en Martinique, le constat est très inquiétant, puisqu’un enfant sur quatre est atteint d’obésité. À titre d’illustration, une canette de soda contient 14 grammes de sucres ajoutés en Martinique, contre 10 grammes sur le territoire métropolitain. Il en est de même pour le yaourt, qui contient 15, 8 grammes de glucides dans l’Hexagone, contre 20 grammes en Guadeloupe.

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé de pallier cette situation. Voilà quelques années, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments a supprimé la collation du matin dans les écoles, car elle pouvait favoriser l’augmentation de l’obésité. En 2001, était parue une circulaire qui visait à interdire les distributeurs de friandises et de boissons sucrées dans les établissements scolaires. Cette décision s’était alors heurtée aux proviseurs ainsi qu’aux parents d’élèves qui considéraient que les distributeurs limitaient les sorties des élèves pendant les interclasses.

Par ailleurs, un nombre croissant de scientifiques et de médecins affirment que la menace constituée par la consommation excessive de sucre, en particulier du fructose et du glucose, est telle qu’elle justifie la mise en place de mesures comparables à celles qui sont prises pour limiter la consommation de tabac et d’alcool.

En effet, c’est ce sucre raffiné, que nous consommons dans les aliments industriels, qui provoque une certaine dépendance et un appauvrissement des défenses immunitaires. Et que dire de certains industriels qui ont justifié la nature plus sucrée de leurs produits par un plus grand attrait des populations d’outre-mer pour le sucre ? De telles aberrations se passent de commentaires !

Enfin, en ce qui concerne la « date limite de consommation » apposée sur les yaourts, j’ai été heureux de constater qu’il en avait été pris bonne note dans ce présent texte, comme je vous l’avais demandé, monsieur le ministre, dans une de mes questions écrites en décembre dernier. Il est en effet impensable et injuste que les yaourts fabriqués en France hexagonale et expédiés dans les départements d’outre-mer aient une DLC différente de celle des mêmes yaourts vendus en métropole.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à rappeler brièvement ma préoccupation. Certains fabricants de métropole allongent la DLC en la portant à soixante jours afin que les produits arrivant en outre-mer soient commercialisables et restent donc à la vente plus longtemps en rayons dans les magasins d’alimentation.

Je rappelle que la durée de vie d’un aliment est définie comme la période durant laquelle le produit répond à des spécifications en termes de sécurité – innocuité – et de salubrité – absence d’altération –, dans les conditions prévues de stockage et d’utilisation, y compris par le consommateur. C’est ce qui s’appelle la date limite de consommation, la DLC, qu’il faut distinguer de la date limite d’utilisation optimale, la DLUO. La durée de vie d’un produit dépend donc de ses caractéristiques physico-chimiques, qui résultent de différents facteurs tels que la nature des ingrédients, le procédé de fabrication, le type de conditionnement et les modalités de conservation.

Ainsi, il est anormal qu’un produit fabriqué en métropole ait une DLC à 55 ou 60 jours, alors que les produits locaux identiques sont soumis à une DLC à 30 jours, ce qui conduit à avoir des produits fabriqués et importés qui affichent une DLC plus longue qu’un produit fabriqué ultérieurement. Cette pratique constitue pour les producteurs de yaourts des DOM une atteinte au libre jeu de la concurrence et revêt dès lors un caractère déloyal au sens de la législation nationale et européenne. Je me réjouis donc que le Gouvernement ait pris la pleine mesure de cette injustice et qu’il ait introduit dans ce texte, par voie d’amendement, un alignement de la DLC des yaourts vendus outre-mer sur celle des yaourts vendus en France métropolitaine.

Monsieur le ministre, je tiens toutefois à nuancer mes propos. Si je suis favorable à une DLC commune entre la métropole et l’outre-mer, je m’inquiète des conséquences que pourrait avoir ce texte sur le pouvoir d’achat du consommateur ultramarin. En effet, je sais à quel point le Gouvernement a été soucieux de lutter contre la vie chère dans nos départements puisque nous avons adopté dernièrement une loi dans ce but.

Cependant, l’alignement des DLC pour les yaourts, mais aussi pour l’ensemble des produits frais et autres denrées périssables, risque d’entraîner une hausse des prix de revient de plus de 250 %. Comme vous le savez, les DLC des produits frais de métropole ne sont pas soumises à la contrainte du temps de transport, qui représente de 15 à 25 jours pour le transport maritime en direction des DOM. Et l’importation de ces mêmes produits par avion renchérirait inévitablement les prix. Une telle issue serait, vous en conviendrez, contraire à l’esprit des actions que nous avons engagées contre la cherté de la vie.

Au regard de ces éléments, pouvez-vous, monsieur le ministre, me préciser les mesures envisagées par le Gouvernement pour garantir une sécurité sanitaire maximale, tout en évitant une hausse des prix des produits frais ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est la première fois que nous évoquons les questions relatives à la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer dans cet hémicycle.

En tant que président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, je m’en félicite, car il s’agit d’un problème ô combien important pour le devenir de nos territoires et de nos populations !

En plus de limiter la teneur en sucre des produits consommés en outre-mer, nos collègues députés ont, à raison, élargi le champ de cette proposition de loi à la question de la date limite de consommation des denrées périssables, ce qui constitue un pas de plus vers l’égalité de traitement avec les consommateurs hexagonaux.

Notre débat d’aujourd’hui sur cette proposition de loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer arrive à point nommé. En effet, année après année, scandale après scandale, l’actualité est venue tristement nous démontrer à quel point nous vivons dans une contradiction à cet égard. Plus les normes sont rigoureuses en vue de protéger le consommateur, plus on découvre à quel point certains exploitants ne se soucient de rien d’autre que de leurs marges bénéficiaires.

Ainsi, aux Antilles, nous vivons sous la menace d’un puissant poison, la chlordécone, dont la rémanence va altérer la santé des dix prochaines générations. Non seulement nous mourons à cause des pesticides avec lesquels nos terres et nos eaux ont été polluées, mais nous mourons également des choix qui sont faits délibérément quant à la composition de nos produits alimentaires industriels.

De quoi s’agit-il ? À produit comparable, les denrées alimentaires fabriquées en outre-mer contiennent généralement plus de sucres que celles produites en Europe. Cela est particulièrement vrai s’agissant des produits laitiers, des sodas et des jus de fruits. Question de goût, répondent les industriels ! Les produits sont plus sucrés parce que cela correspondrait à une attente du consommateur ultramarin.

Il ne faut pas confondre attente et besoin : l’attente, c’est le besoin réinterprété par celui qui l’exprime. Il ne faut pas non plus confondre attente et habitude. Que les consommateurs ultramarins aient l’habitude de consommer plus sucré, c’est un fait. Que cette habitude soit assimilée à une attente, c’est tout autre chose.

D’où nous vient cette habitude ? D’abord de l’histoire même de nos contrées : la Martinique, la Guyane, la Guadeloupe, la Réunion ont souvent été appelées des « îles à sucre ». Jusqu’à l’avènement de la betterave, ces colonies fournissaient à la métropole l’ensemble du sucre dont elle avait besoin. De fait, la monoculture du sucre, jusque dans les années cinquante et soixante, a dessiné le paysage et formé les goûts. Il est normal que l’on mange beaucoup de sucre là où son accès est abondant et aisé.

L’autre caractéristique de nos pays tropicaux, et donc chauds et humides, c’est qu’avant l’électricité et les moyens de réfrigération modernes, il n’existait que trois façons d’assurer la conservation des aliments : les épices, le sel et le sucre. Cette contrainte a forgé nos goûts et notre relation particulière avec le très épicé, le très salé et le très sucré.

Tout cela ne serait qu’anecdotique si c’était sans conséquence. Mais tel n’est pas le cas. Vous aurez tous noté, dans les rapports qui vous ont été adressés, les conséquences de cette alimentation : la propension à l’obésité, la prévalence du diabète et la fréquence des maladies cardiovasculaires et des accidents vasculaires cérébraux.

Il est donc vital de changer ces habitudes alimentaires.

À cet égard, l’argument des industriels selon lequel les consommateurs n’achèteront plus leurs produits si le taux de sucre est diminué n’est pas recevable.

Il n’est pas recevable car nous savons tous que, passé les premières semaines un peu frustrantes, nous sommes capables d’ajuster nos habitudes alimentaires.

Il n’est pas recevable car le texte prévoit non pas que les produits destinés à l’outre-mer soient sous-dosés en sucre, mais tout simplement qu’ils comportent la même dose de sucre que les produits commercialisés dans les régions de France hexagonale.

Enfin, il n’est pas recevable, tout simplement parce qu’aucun argument économique ou commercial ne peut primer sur une question de santé publique.

Par conséquent, mes chers collègues, je voterai ce texte sans hésiter ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Cornano

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui est aujourd’hui soumise à notre examen revêt une importance essentielle en termes de santé publique pour les collectivités d’outre-mer.

Toutefois, la santé publique n’est pas le seul enjeu : à l’heure où le Parlement étudie la gestion des déchets et le gaspillage alimentaire, notre réflexion doit être guidée par l’objectif global de développement durable.

Les problématiques soulevées par ce texte sur les dates limites de consommation et les dates limites d’utilisation optimale des produits alimentaires me donnent le sentiment que nous ne faisons qu’entrevoir un problème sanitaire beaucoup plus vaste à l’échelle nationale et que les pratiques des industriels de l’agroalimentaire sur les marchés des collectivités d’outre-mer sont, en réalité, symptomatiques.

Les questions relatives au taux de sucre et aux dates de consommation des produits vendus outre-mer que nous évoquons aujourd’hui concernent également la gouvernance de l’économie locale et montrent une nouvelle fois les difficultés que rencontrent nos collectivités pour trouver les moyens de favoriser la production locale et le contrôle des produits. De ce point de vue, l’article 4 du présent projet constitue une avancée intéressante. Néanmoins, il aurait été possible d’aller plus loin ; j’y reviendrai tout à l’heure.

Afin que la proposition de loi « visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer » soit à la hauteur de son intitulé, il est nécessaire que la réflexion soit poursuivie au-delà du présent texte, que les mesures futures soient encore plus ambitieuses et que nous continuions à résister aux injonctions de certains lobbys industriels. Je dis bien « certains » car il est inutile de stigmatiser les industriels de l’agroalimentaire et de leur faire supporter la charge de tous les problèmes de santé publique et d’inégalité de traitement entre les consommateurs ultramarins et métropolitains.

Toutefois, chacun doit prendre ses responsabilités. À cet égard, la responsabilité des pouvoirs publics est d’intervenir pour faire cesser ces pratiques, qui ne sont pas illégales et ont notamment pu perdurer en raison du vide juridique en la matière.

J’en profite pour souligner de nouveau les incohérences d’un système dans lequel on veut absolument soumettre aux règles de droit rédigées pour la métropole des territoires dont les contextes, notamment environnementaux, sont différents. Est-il normal que les producteurs et industriels ultramarins soient soumis aux mêmes réglementations des guides de bonnes pratiques d’hygiène que les industriels métropolitains ? Avec des normes différentes à l’égard de nos industriels, précédées d’études scientifiques adaptées à nos milieux naturels, différents de la métropole – le plus souvent tropicaux –, nous n’en serions peut-être pas là.

Par ailleurs, je suis certain qu’il sera bien utile de nous réunir à nouveau d’ici quelque temps pour réétudier les incidences pratiques du présent texte et de revoir les dispositifs de sanctions à l’encontre de ceux qui auraient trouvé des stratégies pour contourner la loi.

Le texte de loi qui nous est soumis constitue une avancée intéressante et démontre la politique volontariste menée par le Gouvernement à l’égard de nos outre-mer. Par conséquent, je le voterai ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vergoz

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je constate que nous sommes tous d’accord sur le diagnostic. En revanche, il ressort de l’intervention de nos collègues Joël Guerriau et Alain Milon que nous divergeons sur les solutions.

Je veux témoigner de la bonne foi de tous ceux qui se sont penchés sur ce dossier.

Mon cher collègue Joël Guerriau, soyez assuré que nous avons totalement épuisé les voies de concertation – et je pèse mes mots !

Tout à l'heure, vous avez fait allusion aux programmes nationaux nutrition santé, les PNNS. Nous sommes engagés dans cette démarche depuis 2001, soit depuis douze ans. Trois PNNS se sont succédé, et le dernier en date – le PNNS 2011-2015 – a été doublé d’un plan obésité spécifique pour les populations d’outre-mer. Qu’en est-il sorti ? Pas grand-chose, et c’est un euphémisme…

Notre collègue Alain Milon a évoqué les chartes d’engagement. Trente-trois ont été signées, mais une seule concerne les DOM : il s’agit de la charte signée avec Créolailles sur le sel à la Réunion. Vous le voyez, nous sommes loin d’être à la hauteur de la problématique…

Si certains industriels ont affiché leur bonne volonté, force est de constater qu’ils ne sont pas allés jusqu’au bout de leur démarche, peut-être parce qu’ils avaient tout simplement peur de se lier les mains et de subir une concurrence pour eux déloyale.

En outre, vous appelez de tous vos vœux la future loi de santé publique. C’était en 2009 qu’il fallait adopter une telle loi, comme le précédent gouvernement s’y était engagé ! Or, en 2009, il n’y a rien eu et, depuis, les désordres de santé publique se sont aggravés.

Pardonnez-moi cette expression un peu brutale, mais nous formons, en France, une « sous-population » ! Dans ces conditions, ne pas réagir rapidement me semble relever de la non-assistance à population en danger. Il faut agir, et seule la régulation publique peut le faire ! Nous avons le devoir d’envoyer un message fort aux populations domiennes et de leur témoigner le respect que nous leur devons. Cela devient urgent !

Pour terminer, nous nous sommes attaqués à la triple peine qui frappe les DOM, avec des produits aujourd'hui plus chers, plus sucrés et plus vieux. Félicitons-nous que le Gouvernement apporte des réponses à cet important problème. C’est du pragmatisme !

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel

Je veux remercier toutes les sénatrices et tous les sénateurs qui ont participé à ce débat nourri.

Je veux également remercier la présidente de la commission des affaires sociales ainsi que le rapporteur, M. Vergoz, lequel vient de faire une intervention qui m’aidera, tout à l'heure, à vous répondre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, beaucoup de questions ont été posées sur les dates limites de consommation et sur les dates limites d’utilisation optimale. Permettez-moi d’y répondre au moment où nous discuterons de l’article 3 : nous aurons alors probablement, sur ces sujets, un débat plus approfondi et juridiquement plus précis.

Je veux commencer par évoquer une différence, sinon idéologique, du moins philosophique : j’ai entendu M. Milon dire que l’obésité relèverait d’un problème d’ordre comportemental. Nous avons là une vraie divergence. Bien sûr, l’obésité relève de la responsabilité individuelle ; on ne saurait dire le contraire ! Néanmoins, il ne s’agit pas que de cela et on ne peut ignorer ce qui se passe depuis toujours, ce que l’on impose à ces populations. La distinction entre habitude et attente établie par M. Serge Larcher est, de ce point de vue, éclairante. Par conséquent, permettez-moi de ne pas partager le point de vue selon lequel les populations domiennes achèteraient délibérément des produits de mauvaise qualité nutritionnelle !

Il y va, selon moi, d’un problème d’inégalité. Chacun achète en fonction de ses capacités, de ses possibilités, de ses ressources. Or, quand on touche un petit revenu, quand on est « économiquement faible » – l’expression est affreuse –, on achète, hélas ! de mauvais produits : les plus salés, les plus sucrés et, peut-être, les plus gras.

Par ailleurs, je fais appel à mon expérience personnelle : dans les années cinquante et soixante, je n’avais pas le sentiment de manger plus sucré ou plus salé. En tout état de cause, malgré la proximité des plantations de canne à sucre, manger plus sucré ou plus salé n’a jamais été une habitude de consommation ! À l’époque, les études épidémiologiques n’existaient pas encore. Quarante ans plus tard, on vient nous dire qu’il s’agit d’une habitude acquise depuis longtemps dans les DOM, qui sont des territoires à sucre. Mais, que je sache, dans l’Hexagone, on tire du sucre de la betterave. Est-ce pour autant que l’on consomme plus de sucre ? La réponse est non !

Hélas ! l’imposition structurelle de produits de mauvaise qualité est une réalité. Néanmoins, si la consommation de ces produits est devenue une habitude, elle ne constitue pas une attente.

Aujourd'hui, avec le niveau d’éducation qui a progressé, les habitants des outre-mer ont d’autres attentes : ils veulent consommer mieux et à des prix raisonnables. Cette proposition de loi vise, du reste, à satisfaire ces attentes.

D'ailleurs, sans verser dans un enthousiasme excessif, permettez-moi de dire que ce texte réunit plusieurs qualités et comporte des avancées considérables.

Il garantit, autant que cela est possible, la qualité de l’offre alimentaire. Certes, nous n’avons pas l’ambition d’épuiser le sujet : il y a bien autre chose à entreprendre pour améliorer la qualité de cette offre. Cela étant, il faut bien commencer !

Dans le même temps, il s’agit de permettre un développement plus durable, plus écologique, plus soutenable, mais aussi de développer la production locale, tout en respectant la législation européenne et la législation nationale.

Dans ce texte, nous nous sommes attaqués à ce que d’aucuns considéraient comme la quadrature du cercle. Que souhaiter de mieux ?

Du reste, nous sommes très heureux de pouvoir réunir ces différents aspects en un texte bref, appelant peu de mesures d’application, puisqu’un seul arrêté devra être pris – nous avions déjà eu ce souci avec la loi relative à la régulation économique outre-mer, dont l’application, me semble-t-il, ne nécessitait que quatre décrets. La présente loi sera donc immédiatement applicable.

Nous espérons que la production locale pourra, à terme, se développer et que, au lieu d’importer des yaourts ou du jambon frais, on en fabriquera sur place, à partir de lait importé ou de viande importée.

Par ailleurs, vous avez tous reçu cette liste que vous ont envoyée l’industrie agroalimentaire et les commerçants.

M. le ministre brandit ledit document.

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel

Vous avez pu constater que la plupart des produits, notamment les plus périssables, microbiologiquement fragiles, doivent être consommés dans les vingt-cinq à trente jours, ce qui reste tout à fait compatible avec un transport par voie maritime.

L’argument consistant à dire qu’il faut nécessairement prévoir leur transport par avion, ce qui multiplierait les prix par 2, 5, comme l’a évoqué M. Antiste, émane des industriels ou des commerçants et ne concernera que quelques produits comme les crèmes et autres desserts chocolatés, sur les trois cents dont l’industrie s’est autorisée à vous envoyer la liste, de façon à mon sens très contreproductive. En tout cas, cette méthode n’est absolument pas probante.

Nos points de vue sont philosophiquement opposés. J’estime que l’obésité n’est pas simplement le résultat d’un comportement individuel et qu’elle résulte aussi des choix opérés par les uns et imposés à d’autres, à savoir les consommateurs en situation de faiblesse.

J’en viens aux interventions des sénateurs Michel Vergoz et Jean-Claude Requier sur les moyens de la DGCCRF.

Oui, messieurs, j’ai plaidé la semaine dernière encore – je participe assez activement, je le crois, au projet de loi porté par mon collègue Benoît Hamon – pour un renforcement des pouvoirs des agents de la DGCCRF. Je souhaite avant tout que ces lois ne soient pas vidées de leur substance et que leur application ne soit pas soustraite à tout contrôle. Nous sommes conscients de ce risque.

Monsieur Guerriau, vous préféreriez attendre la grande loi de santé publique qui est annoncée. M. le rapporteur a déjà répondu sur ce point : cette loi sera adoptée au plus tôt au cours du premier semestre 2014.

Lorsque nous avons pris connaissance des chiffres de la prévalence de certaines pathologies, et pas simplement l’obésité – les caries dentaires, les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’hypertension artérielle et j’en passe –, à travers les résultats de l’enquête épidémiologique PODIUM menée par des médecins ici et dans les outre-mer, nous avons tout de suite déposé une proposition de loi. C’était en 2011 ; or, nous sommes en 2013, et rien n’a été fait !

On m’a demandé de fournir des informations concernant les progrès réalisés par la signature des chartes nutritionnelles et la mise en œuvre des PNNS successifs, autant de développements que j’ai suivis avec attention. Nous en sommes à la troisième édition du PNNS, et je me permets de vous le dire un peu brutalement, mesdames, messieurs les sénateurs, que rien n’a changé !

Nous avons, certes, constaté une petite accélération, car la présente proposition de loi sera probablement adoptée par la majorité, avec une abstention, je le crois, constructive de la part de l’opposition. Toutefois, je le répète, rien n’a été mis en œuvre à ce jour. On nous a dit qu’il faudrait quatre ou cinq ans pour commencer à diminuer les taux de sucres dans les produits alimentaires.

Au demeurant, la fixation de seuils maximaux dans cette loi n’est pas incompatible avec la rédaction de chartes contenant des dispositions plus restrictives.

Enfin, pourquoi vouloir différer ce que nous pouvons faire aujourd’hui ?

Il est un autre argument que j’ai souvent entendu marteler au cours de la présente discussion : cette question serait de nature réglementaire et ne pourrait en aucun cas être réglée par la loi. Permettez-moi de contester cette position.

Mesdames, messieurs les sénateurs, même si le code des marchés publics est plutôt de nature réglementaire lorsqu’il est question de rapports entre opérateurs privés, en revanche, dès qu’il s’agit de marchés passés avec les collectivités, la libre administration territoriale, liberté fondamentale des collectivités, est en jeu. Or l’article 4 du présent texte concerne précisément les marchés passés avec les collectivités.

Par ailleurs, les libertés d’entreprendre, d’échanger et d’exercer un commerce sont des principes à valeur constitutionnelle qui ne peuvent être modifiés par un décret. Il serait par exemple impossible de sommer, par voie réglementaire, une collectivité d’intégrer dans ses marchés publics des critères de performance. Une telle mesure pourrait être contestée à tout moment et annulée.

À l’occasion de l’examen de la proposition de loi que j’avais déposée à l’Assemblée nationale en 2011, la commission s’était d’ailleurs ralliée à cette position, selon laquelle de telles dispositions relèvent de la loi. Cet argument avait été longuement développé, comme tous les autres points de droit constitutionnel, dans mon rapport du 28 septembre 2011.

Madame Archimbaud, vous nous avez fait part à juste titre de vos craintes au sujet de l’arrêté ministériel visé par l’article 1er. J’avoue que j’ai eu le même doute que vous, mais, dans la mesure où plusieurs ministres sont intéressés par cette question, cette solution s’imposait. Je prends ici l’engagement que les décrets nécessaires seront pris, comme je l’ai fait lors de l’examen du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer.

Deux décrets ont déjà été pris, même si celui portant sur l’Observatoire des prix, des marges et des revenus n’a peut-être pas encore été publié, et que la tarification bancaire reste en cours de discussion. Par conséquent, les quatre décrets d’application de la précédente loi devraient rapidement être publiés. D’ici là, le texte s’applique et fait déjà l’objet de contrôles et d’un bilan à mi-étape.

En l’espèce, un arrêté devra être pris dans les plus brefs délais. D’ailleurs, la loi a été réécrite pour éviter trop de lenteurs. À l’époque, on avait prévu que les taux maximaux soient fixés par le Haut Conseil de la santé publique. Le présent texte prévoit une moyenne, et j’espère que l’arrêté pourra être rapidement publié.

L’argument du risque de concurrence déloyale entre entreprises françaises et étrangères a souvent été avancé. J’y répondrai par plusieurs remarques.

Je tiens tout d’abord à préciser que les produits concernés sont peu nombreux, même si cela ne peut, je le sais, constituer un argument juridique. En fait, il s’agit de niches, principalement constituées des desserts industriels contenant de la crème ou des œufs et de la charcuterie fraîche. Les dispositions que j’ai évoquées voilà quelques instants s’appliqueraient à ces produits, mais cela ne remettrait pas fondamentalement en cause la situation concurrentielle de l’industrie hexagonale.

Ensuite, les circuits rapides vers les outre-mer se font à partir des ports français. Les produits étrangers partent donc avec un fort handicap concurrentiel en termes de délais.

Enfin, plutôt que de tenir à bout de bras un système qui, selon nous, incite au gaspillage, mieux vaut – et ce n’est pas du protectionnisme – favoriser la production locale, privilégier les circuits courts et les produits frais, pour lesquels il n’y a pas de problème de livraison.

L’Association nationale des industries alimentaires, l’ANIA, nous a récemment fait parvenir ce dossier

M. le ministre montre de nouveau ledit document.

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel

Mesdames, messieurs les sénateurs, je pense avoir répondu à toutes vos questions. J’apporterai simplement une dernière précision à M. Antiste au sujet de la possible augmentation des prix qu’il a évoquée.

Monsieur le sénateur, cet argument a été martelé avant la discussion de la présente proposition de loi. Je vous invite à consulter, dans le document de l’ANIA, la liste des trois cents produits susceptibles d’être concernés par ces dates limites de consommation. La DLC des crèmes vanillées, par exemple, est portée à vingt-huit jours si elles sont exportées, contre dix-neuf jours pour une commercialisation en France. Si le transport devait se faire par avion – choix qui résulte d’un calcul interne fait par un groupe d’entreprises –, selon l’ANIA, le prix de revient net passerait de 0, 47 centime à 0, 843 centime. Le prix de vente passerait quant à lui de 69 centimes à 1, 23 euro. Et tout est à l’avenant…

Ces chiffres sont intéressants. Nous les analyserons, et vous verrez qu’ils cachent quelques surprises.

Si l’on excepte les produits figurant sur la première page du document de l’ANIA, à savoir les desserts, on constate que les dates limites de consommation des produits sont compatibles avec un transport par bateau. Le fret n’est pas en cause et l’argument de la hausse de prix ne tient donc pas la route. C’est un argument qui émane de groupes de pression : je peux l’entendre, mais je ne l’approuve en rien. C’est pourquoi je ferai une déclaration interprétative de l’article 3 de la présente proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.

(Non modifié)

Le chapitre II du titre unique du livre II bis de la troisième partie du code de la santé publique est complété par des articles L. 3232-5 à L. 3232-7 ainsi rédigés :

« Art. L. 3232 -5. – Aucune denrée alimentaire de consommation courante destinée au consommateur final distribuée dans les collectivités mentionnées à l’article 73 de la Constitution ainsi que dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon ne peut avoir une teneur en sucres ajoutés supérieure à celle d’une denrée similaire de la même marque distribuée en France hexagonale.

« Lorsque la teneur en sucres ajoutés d’une denrée alimentaire de consommation courante distribuée en France hexagonale diminue, les responsables de la mise sur le marché des denrées similaires de la même marque distribuées dans les collectivités mentionnées au premier alinéa sont autorisés à poursuivre leur commercialisation jusqu’à épuisement des stocks et dans un délai maximal de six mois.

« Art. L. 3232 -6. – La teneur en sucres ajoutés des denrées alimentaires de consommation courante destinées au consommateur final distribuées dans les collectivités mentionnées à l’article 73 de la Constitution ainsi que dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, mais non distribuées par les mêmes enseignes en France hexagonale, ne peut être supérieure à la teneur en sucres ajoutés la plus élevée constatée dans les denrées alimentaires assimilables de la même famille les plus distribuées en France hexagonale.

« Un arrêté des ministres chargés de la santé, de l’agriculture, de la consommation et des outre-mer détermine la liste des denrées alimentaires soumises aux dispositions du premier alinéa.

« Lorsque la teneur en sucres ajoutés la plus élevée mentionnée au premier alinéa diminue au sein d’une famille de denrées alimentaires distribuées en France hexagonale, les responsables de la mise sur le marché des denrées alimentaires assimilables de la même famille distribuées outre-mer soumises aux dispositions du même premier alinéa sont autorisés à poursuivre leur commercialisation jusqu’à épuisement des stocks et dans un délai maximal de six mois.

« Art. L. 3232 -7. – Les manquements aux articles L. 3232-5 et L. 3232-6 sont constatés par les agents mentionnés au 1° du I de l’article L. 215-1 du code de la consommation dans les conditions prévues au livre II de ce même code. »

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Cornano

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si je ne suis pas pour une inflation législative qui restreindrait les libertés de chacun de consommer ce qu’il souhaite et comme il le souhaite, force est de constater que la possibilité offerte aux producteurs de prévoir les taux de sucres qu’ils veulent, dans les produits alimentaires proposés à la vente outre-mer, constitue un véritable scandale sanitaire.

Les données épidémiologiques sont alarmantes mais néanmoins insuffisantes quant aux causes et conséquences à venir pour la santé de nos compatriotes en outre-mer.

La surconsommation de sucre outre-mer est le résultat direct de la volonté d’accoutumer le consommateur ultramarin à des taux de sucre élevés dans les denrées qu’il consomme quotidiennement. Je le redis, il faut que chacun assume ses responsabilités.

Je souhaite souligner deux éléments qui me semblent importants.

Tout d’abord, il est nécessaire de mener une étude d’ampleur sur l’impact en matière de santé – l’obésité et ses conséquences : diabète et maladies cardiovasculaires notamment – résultant de l’absence de contraintes pesant sur les producteurs en matière de sucres utilisés dans les produits alimentaires vendus outre-mer.

Comme l’a souligné dans son rapport notre collègue Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteur pour la commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale, les mesures prises dans le cadre de la lutte contre l’obésité révèlent des insuffisances en outre-mer. Concernant le programme national nutrition santé adapté à l’outre-mer, il est indiqué dans le rapport que « force est de constater que, plus d’un an après son lancement, la traduction concrète sur le terrain de nombre de ces mesures se fait encore attendre et semble bien impuissante à enrayer les tendances à l’œuvre ».

Ensuite, alors que l’avenir de l’éducation en France est au cœur des débats, il me semble indispensable de réfléchir aux moyens d’éduquer nos enfants à la bonne hygiène alimentaire, en introduisant notamment dans les programmes d’éducation à la santé et à la citoyenneté une éducation nutritionnelle spécifique à l’outre-mer, afin que les jeunes populations soient éveillées quant à la composition et aux apports nutritionnels des produits qui leur sont proposés à la consommation sur le marché de la collectivité d’outre-mer où ils vivent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Le bien-manger et le bien-boire, y compris dans leur mission de lien social, font partie du socle culturel de la France, qui est commun à la métropole et aux outre-mer et qui est somme toute bien partagé par de nombreuses couches de la population.

La complexité des circuits modernes de production et de commercialisation alimentaire et la difficulté accrue de la traçabilité des produits de consommation, en dépit d’un arsenal juridique ayant évolué en faveur du contrôle de la qualité, ont créé des disparités inacceptables entre les territoires de la République. De surcroît, cette situation va de pair avec de graves problèmes de santé publique, en particulier dans les outre-mer, non pas en raison d’éventuelles contraintes techniques mais tout simplement à cause des pressions exercées par des groupes d’intérêts économiques et financiers.

Comme M. le rapporteur l’a rappelé, le résultat médiocre des chartes d’engagements de progrès nutritionnels quant à la réduction de la teneur des sucres ajoutés met en lumière la résistance des industriels, appuyée par la complicité des précédents gouvernements, contre l’amélioration de l’offre nutritionnelle outre-mer.

Cette volontaire absence d’alignement indique également la voie à suivre : l’inscription dans une norme obligatoire. Par ailleurs, elle souligne une exigence : vérifier que les producteurs ne tenteront pas, en modifiant l’apparence de leur offre, de perpétuer leurs pratiques malsaines.

L’article 1er du présent texte, en introduisant la notion de denrées similaires, permettra un alignement effectif des outre-mer sur la métropole.

S’il s’agit de valoriser les circuits locaux de production et de commercialisation, inscrits dans le respect des normes sanitaires définies au niveau national, c’est une véritable avancée juridique à la hauteur des enjeux de développement des outre-mer. En effet, la préférence locale se fonde non pas sur des lobbies, mais sur la stricte application du cadre législatif et réglementaire.

Voilà pourquoi, au-delà de tout l’argumentaire développé par mes collègues concernant les enjeux sanitaires de l’offre alimentaire outre-mer – surpoids, obésité, maladies cardiovasculaires, diabète, etc. –, j’en tire un enseignement politique et idéologique majeur. La gauche humaniste aux affaires est la seule à même de placer les femmes, les hommes et les territoires de la République à la fois au centre des préoccupations et dans un destin partagé.

Pour l’ensemble de ces raisons, j’apporte un soutien appuyé à cet article.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.

L'article 1 er est adopté.

(Non modifié)

L’article 1er entre en vigueur dans un délai de six moisà compter de la promulgation de la présente loi. –

Adopté.

(Non modifié)

Lorsque la mention d’une date indiquant le délai dans lequel une denrée alimentaire doit être consommée est apposée sur l’emballage de cette denrée, ce délai ne peut être plus long, lorsque celle-ci est distribuée dans les collectivités mentionnées à l’article 73 de la Constitution ou dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, que le délai prévu pour la même denrée de même marque distribuée en France hexagonale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Cornano

« À consommer jusqu’au », « à consommer avant le », « à consommer de préférence avant le », ces mentions figurent sur les emballages de nos produits alimentaires. Cependant, comment savoir ce qu’elles signifient réellement ?

La problématique fondamentale revêt un double aspect : comment concilier nos préoccupations relatives à la santé et les défis environnementaux engendrés par le gaspillage alimentaire et qu’il convient de relever ? Les enjeux de la lutte contre ce gaspillage sont la réduction de l’impact environnemental de l’alimentation, l’aide aux personnes les plus démunies et l’optimisation de l’agriculture. Ces impératifs de développement durable sont aujourd’hui incontournables.

À mon sens, la question du gaspillage alimentaire s’inscrit dans une réflexion d’ensemble à mener pour l’avenir de notre société et non seulement à l’égard des outre-mer.

Si je me félicite de voir étudiée la question posée par la vente de produits alimentaires différemment datés selon qu’ils sont vendus en métropole ou outre-mer, je reste dubitatif quant au problème dans son ensemble. Soit des aliments sont distribués outre-mer et, au mieux – si je puis m’exprimer ainsi –, ils sont dénués de qualités organoleptiques et nutritionnelles sans constituer un danger immédiat pour la santé ; soit la France est face à un véritable scandale environnemental, économique et social, résultant d’un gaspillage alimentaire institutionnalisé. À cet égard, les pouvoirs publics sont tout aussi responsables que les industriels de l’agroalimentaire, parce qu’ils les laissent faire.

En effet, si nous sommes confrontés à de tels problèmes, c’est essentiellement en raison du vide juridique lié à l’absence de dispositions légales et réglementaires concernant les DLC et les DLUO.

Dès lors, il apparaît que le sujet doit être étudié en amont et qu’il nous faut – pourquoi pas ? – repenser toute la méthodologie d’évaluation et de validation des documentations sur lesquelles se fondent les professionnels des secteurs.

En attendant cette refonte plus profonde et salutaire du système, il est possible d’introduire une obligation de prévoir, dans la rédaction des guides nationaux de bonnes pratiques et d’hygiène, des moyens et méthodes à mettre en œuvre afin de répondre aux objectifs sanitaires relatifs aux aliments, à l’intention des professionnels souhaitant vendre leurs produits dans les collectivités d’outre-mer.

De fait, parmi les principes de la méthode HACCP, système qui identifie, évalue et maîtrise les dangers significatifs au regard de la sécurité des aliments, l’étude scientifique et les avis rendus par les différents comités d’experts spécialisés ne font presque jamais mention de l’évolution des produits dans les contextes naturels ultramarins. Il s’agirait là d’un moyen de s’assurer de la bonne analyse des dangers biologiques – identification, caractérisation, exposition –, chimiques ou physiques à prendre en compte en fonction des produits ou productions considérés et des procédés utilisés dans l’environnement spécifique aux outre-mer.

Par ailleurs, au cours de la procédure de validation des guides nationaux de bonnes pratiques et d’hygiène, le protocole distingue cinq étapes, dont la première prévoit la notification du projet de guide aux trois directions – la direction générale de l’alimentation, ou DGAL, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ou DGCCRF, et la direction générale de la santé, la DGS – par la branche de secteur et la désignation d’une administration dite « pilote » par le comité interministériel de suivi des guides afin d’être l’interlocuteur principal du professionnel sur le projet de guide.

À mes yeux, il est indispensable que le ministère des outre-mer soit systématiquement associé aux discussions entre l’administration pilote et les professionnels des secteurs. Les guides ont pour objectif d’aider ceux-ci à maîtriser la sécurité sanitaire des aliments et à respecter leurs obligations réglementaires. Dès lors, pourquoi exclure de leurs champs d’études les collectivités d’outre-mer et risquer de mettre en péril la santé de nos concitoyens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

La teneur plus élevée en sucre de certaines denrées alimentaires n’est pas la seule différence de traitement que subissent les consommateurs ultramarins du fait de leur lieu de résidence, comme l’ont souligné nos collègues députés en élargissant, avec raison, le champ de la présente proposition de loi à la question de la date limite de consommation, ou DLC.

Cette DLC indique un délai impératif qui s’applique à des denrées rapidement périssables telles que les yaourts, susceptibles de présenter, après une courte période, un danger immédiat pour la santé du consommateur.

Or certains industriels de l’Hexagone ont mis en place un système de double étiquetage selon la destination de leurs produits, afin de prendre en compte les temps de transport par bateau. Ainsi, le délai est fixé à trente jours après la fabrication pour les yaourts distribués en métropole et peut atteindre cinquante-cinq jours pour les mêmes produits acheminés outre-mer.

Dans ces conditions, on peut se demander s’il est réellement sans danger pour la santé humaine de consommer un même produit trente voire soixante jours après sa fabrication.

Cette pratique choquante brouille l’information. Surtout, elle est inadmissible du point de vue de l’égalité des droits entre les consommateurs d’un même territoire, le territoire français.

Par ailleurs, l’allongement de la DLC des yaourts fabriqués en métropole et exportés vers les départements d’outre-mer constitue une pratique inéquitable, car les producteurs locaux – les nôtres ! – prévoient quant à eux des délais de consommation plus courts afin de tenir compte de facteurs susceptibles d’altérer la qualité des produits après leur mise en circulation.

On peut ainsi aboutir à une situation paradoxale où des produits importés, dont la DLC a été allongée, expirent plus tard que des aliments équivalents dont la date de fabrication est plus récente. Cette dissymétrie biaise de manière déloyale le choix du consommateur, qui se tourne généralement vers le produit offrant la plus longue période de consommation, ce qui est synonyme, à ses yeux, de plus grande fraîcheur.

Si je ne peux qu’approuver cet article 3, pour des raisons évidentes de santé publique, je m’interroge sur le champ de ces dispositions. Le dispositif vise en effet « le délai dans lequel une denrée alimentaire doit être consommée ».

Monsieur le ministre, je souhaite savoir si cette disposition ne concerne que la DLC ou si elle s’étend aux denrées alimentaires préemballées présentant une relative stabilité microbiologique et qui, selon la réglementation européenne et française d’étiquetage, doivent faire apparaître une date limite d’utilisation optimale, ou DLUO.

En outre, les distributeurs de denrées alimentaires outre-mer évoquent les conséquences de cet alignement des DLC entre la métropole et les territoires ultramarins. Vous connaissez cette question, que vous venez d’ailleurs de mentionner. Selon ces distributeurs, cette nécessaire mesure de santé publique engendrerait une augmentation des prix de ces produits outre-mer, voire leur complète disparition des étals. Ils avancent que le surcoût résultant d’une modification inévitable du mode d’acheminement, par avion et non plus par bateau, risquerait de poser problème.

Cette intervention vise à vous faire réagir, comme vous l’avez promis, au sujet de l’article 3, afin que toute ambiguïté soit levée et que la situation soit la plus claire possible. Bien entendu, dans notre esprit, des arguments industriels ou commerciaux ne peuvent en aucun cas primer sur les impératifs de qualité des produits et de santé publique. §

M. Didier Guillaume remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel, ministre

En premier lieu, je tiens à apporter quelques compléments aux précisions que j’ai données il y a quelques instants, car je n’ai pas répondu à tous les orateurs à l’issue de la discussion générale.

J’ai été très intéressé par la comparaison historique qu’a dressée Félix Desplan. En effet, le sucre est pour partie à l’origine de notre histoire, et on sait dans quelles conditions : évoquer cette question aujourd’hui me semble tout à fait indiqué pour mieux domestiquer ce problème. Le sucre a bel et bien été à l’origine de l’esclavage : on a fait venir des esclaves dans les colonies pour produire non seulement du tabac et du coton mais aussi de la canne à sucre. Aujourd’hui, il ne faut pas que le sucre continue à dominer la vie quotidienne et l’avenir des outre-mer. J’ai vivement apprécié cette comparaison historique.

Par ailleurs, d’autres inquiétudes se font jour : d’aucuns redoutent qu’il ne soit plus possible de consommer certains produits frais outre-mer. Ils affirment qu’il faudrait acheminer ces aliments par avion, ce qui conduirait à une multiplication des prix. Toutefois, lorsque les ultramarins exportent leurs produits en métropole, notamment la banane ou l’ananas Victoria, ils ont recours au fret aérien, et le consommateur métropolitain accepte bien de payer un peu plus cher !

En conséquence, appliquons le principe de symétrie : si, outre-mer, on souhaite consommer des produits frais venant de métropole, peut-être faut-il accepter de les payer un peu plus cher. Je rappelle à cet égard que ce problème ne concerne guère que quelques aliments, à savoir des desserts et de la charcuterie.

J’espère comme beaucoup d’autres que l’on pourra opérer des substitutions d’importations et, donc, développer la production locale outre-mer.

Lorsque j’étais étudiant, je défendais la théorie du développement endogène, qui était proche de ma philosophie. Par la suite, j’ai contesté cette conception, en considérant qu’elle revenait à dire : « Il n’y a plus de solidarité nationale, il n’y a plus de crédits. Débrouillez-vous ! » Aujourd’hui, on octroie les moyens aux territoires d’outre-mer, notamment dans le domaine de la restauration collective.

Au-delà de la Guyane, qui fait partie d’un continent, quel est le problème des outre-mer ? C’est l’insularité. C’est la dimension et l’étendue des marchés, comme dirait Adam Smith. Les marchés sont peu étendus et regroupent peu de population.

On pourrait parvenir à accroître le marché, peut-être par la destruction créatrice. C’est ce qui est fait ici, en métropole. Pourquoi croyez-vous que l’on définit une date limite à quinze ou à dix-neuf jours pour le jambon frais, le jambon de Paris ou le jambon blanc, alors qu’il est encore consommable au-delà ?

Eh bien cela permet de préserver l’activité, de faire tourner les usines, de maintenir l’emploi ! Pourquoi ne peut-on pas répéter cet exemple-là, qui permet d’élargir le marché ? Derrière cette loi, il y a donc un autre objectif. Il faut par conséquent donner à l’industrie les moyens de se développer.

C’est le cas lorsqu’on dit aux agriculteurs et aux agro-transformateurs qu’un marché récurrent, quotidien, leur est proposé, celui de la restauration collective. À la réunion, me disait-on, il représente 36 millions de plats sur l’année ! C’est là un véritable marché ! Avant d’exporter, vous allez faire la conquête de votre marché intérieur. Nous n’allons pas sombrer pour autant dans l’illusion de l’indépendance alimentaire, mais vous aurez conquis une part du marché intérieur, vous aurez assuré des développements d’entreprises, et d’emplois, tout en favorisant un développement moins émetteur de gaz à effet de serre. Cette logique me semble vertueuse, et je tenais donc à vous apporter ce complément de réponse.

Une question a été posée, dont je n’ai peut-être pas saisi toute la subtilité, sur les accords de partenariat économique entre les territoires ultramarins et leur voisinage immédiat. Il faudrait peut-être en dresser le bilan, comme le Sénat l’a fait, dans un rapport qui a été remis.

De tels accords n’ont pratiquement été signés nulle part ailleurs que dans les outre-mer, c'est-à-dire dans la Caraïbe et, peut-être, dans l’océan Indien. En effet, l’Afrique s’est insurgée en affirmant que l’asymétrie de l’accord n'était pas conforme à ses intérêts, et ses représentants ont donc retenu leur plume.

En revanche, dans la Caraïbe, où nous n’étions pas représentés autour de la table – j’étais à l’époque président de région, et je m’étais invité au sein du CARIFORUM, qui est, comme on dit dans la Caraïbe, « la machine de négociation », afin d’obtenir des informations ; j’étais accompagné d’un compatriote de la Martinique, M. Jean Crusol, qui représentait la Guadeloupe et la Martinique –, l’accord a été signé avec une asymétrie pour une période d’une vingtaine d’années, à peu près. Les produits de dix-sept pays ACP ― Afrique, Caraïbes, Pacifique ― ou des pays et territoires d’outre-mer, ou PTOM, de la Caraïbe peuvent entrer librement en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Mais Saint-Barthélemy est aujourd’hui un PTOM et peut donc, si j’ose dire, légiférer et réglementer en matière de commerce extérieur.

Si les Français peuvent se rendre dans ces pays-là et y dépenser leur épargne, nos produits ne peuvent pas y être exportés. Ils se heurtent à ce que l’on appelle la negative list, qui estune sorte de liste de prohibition concernant plus de 200 produits qui ne peuvent pas pénétrer les marchés et entrer en concurrence avec les produits de la Caraïbe. Cela est peut-être vrai aussi pour l’océan Indien, même si il n’y a sans doute pas de liste de prohibition.

Il y a là une asymétrie, que la Commission européenne est libre de contracter, sans même l’accord de la France, conformément à ses prérogatives de négociation, dans le cadre d’un mandat.

À l’époque, je l’avoue, ce point n’avait pas fait l’objet d’une expertise suffisante. Il doit donc être réexaminé. M. le Premier ministre a nommé un parlementaire en mission – M. Serge Letchimy, député de la Martinique – pour faire des propositions tenant compte de ces accords de partenariat économique, de l’environnement immédiat, de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il s’agit de déterminer comment on peut agir avec ces contraintes et, par endroit, s’en émanciper. J’espère donc que nous aurons de nouveaux textes à étudier et de nouveaux accords à trouver.

En tout cas, quelle que soit la liberté du pouvoir de négociation de la Commission en matière de commerce international, il a été décidé de mieux tenir compte des intérêts de ces territoires, qui sont également européens.

Le processus bilatéral peut être catastrophique : on l’a vu en matière de banane, de rhum, ou de riz en Guyane. Il faut donc éviter de signer trop vite, sans évaluer les conséquences. En général, il n’y a pas d’étude d’impact. Nous avons déjà eu l’occasion de nous en mordre les doigts.

Pour le reste, je tenais à m’exprimer de manière précise, en lisant un texte, afin de bien répondre à vos interpellations, dont la dernière, celle du président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, le sénateur Serge Larcher. Je souhaite que cette réponse ait valeur interprétative et que demain, en cas de contentieux – qui sait ? –, elle puisse servir à éclairer le juge.

Tout d’abord, je souhaite vous dire mon plein accord avec le rapporteur, Michel Vergoz, quant à son interprétation de l’article 3 qui le conduit à préciser que seules les DLC sont concernées par cet article puisque la date limite d’utilisation optimale, la DLUO, n’est précisément pas une date au-delà de laquelle on ne peut plus consommer un produit.

Les inquiétudes de l’industrie agroalimentaire, qui défend l’utilisation de DLUO spécifiques à l’export, sont donc sans fondement. Cet article ne vise que les produits périssables dont la durée de commercialisation n’est que de quelques jours, ou de quelques semaines, et qui sont soumis à une obligation d’information sur leur délai impératif de consommation pour des raisons de sécurité sanitaire. Donc, uniquement la DLC.

Toutefois, même sur ce seul champ réduit des produits soumis à DLC, certains distributeurs ont soulevé un argument économique : l’allongement de la DLC serait nécessaire pour exporter par voie maritime dans les outre-mer, la voie aérienne engendrant un surcoût trop important.

Quelle est la portée exacte de cet argument ? Quels produits vise-t-il ? A-t-on soulevé un problème nouveau que personne n’avait vu, et quel est-il ?

Mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez comme moi été destinataires de ce document

M. le ministre brandit ledit document.

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel, ministre

Or que nous révèle cette liste ?

Elle nous apprend d’abord que pour une trentaine de produits, essentiellement des desserts industriels – mousse au chocolat, crème caramel, îles flottantes, riz au lait, baba au rhum, etc. –, la différence des DLC n’est que de quelques jours, d’une semaine au plus, comme cela apparaît sur la première page. Un si faible écart conduit à s’interroger sur la nécessité d’avoir deux dates.

Lorsque la DLC va de dix-sept à vingt et un jours en France hexagonale et de vingt-cinq jours à l’export – les outre-mer étant considérés comme territoires d’exportation, ces catégories sont pertinentes –, il s’agit d’un ajustement assez fin. Si ces desserts sont encore bons après vingt-cinq jours, pourquoi les jeter au bout de dix-sept jours ? C’est du gaspillage organisé ! Il y a une logique à cela... Le débat n’a pas été organisé sur ce sujet, mais la question se pose.

Ce document présente ensuite toute une série de produits, notamment des produits laitiers, avec des DLC ordinaires à vingt-cinq jours et des DLC à l’export à quarante, cinquante ou soixante jours. Je m’interroge franchement sur la logique des distributeurs. Ils nous disent qu’une DLC à l’export à vingt-cinq jours est suffisante pour vendre une mousse au chocolat malgré le délai de fret, mais qu’une DLC à vingt-cinq jours pour des yaourts ne l’est pas, et ils demandent donc quarante jours. Cela me paraît un peu contradictoire.

J’ai la même interrogation pour les tranches de jambon cuit. On entre vraiment dans le détail…

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel, ministre

Je vois dans cette liste un jambon avec une DLC à quinze jours en France hexagonale et à vingt-trois jours à l’export, qui voisine avec un autre jambon portant une DLC ordinaire à vingt-sept jours et à quarante jours à l’export. Ainsi, on a allongé la DLC de ce jambon de Paris à vingt-trois jours à l’export, mais elle reste plus courte que la DLC normale du second ― il s’agit de jambon blanc. Pourquoi ne pas se contenter de vendre le second dans les outre-mer ? Cela me pose donc un nouveau problème.

Mais il y a mieux, ou peut-être pire : je vois dans cette liste du gruyère râpé avec une DLC normale à 40 jours, bien suffisante pour exporter en outre-mer, et une DLC à l’export portée à 180 jours ! Six mois pour un produit frais ! Avez-vous essayé de garder six mois un paquet de gruyère râpé dans votre réfrigérateur ? Essayez ! Nous avions entendu une ministre dire qu’elle ne reconnaissait pas son gruyère. Nous avons connu cela et à l’époque, effectivement, ça piquait ! §Faites l’expérience, cela vous aidera à vous faire une opinion sur les doubles DLC.

Je vois aussi un camembert pasteurisé avec une DLC à 21 jours portée à 70 jours à l’export et un reblochon avec une DLC normale à 35 jours qui va jusqu’à 120 jours à l’export ! Nous savions que les ultramarins aimaient trop le sucre, je vois que les industriels pensent qu’ils raffolent aussi du fromage très affiné et qu’ils ont l’estomac solide. §

J’ai conservé pour la fin les plaquettes de beurre avec une DLC à 35 jours qui passe à 365 jours à l’export. Comme disait Alphonse Allais, « Une fois qu’on a passé les bornes, il n’y a plus de limites ». §

Mesdames et messieurs les sénateurs, je ne sais pas si ces dates sont exactes, mais ce sont celles que nous présentent les industriels qui contestent la suppression de la double DLC pour l’outre-mer. Si cela correspond bien à la réalité des pratiques, je crains que la sécurité sanitaire n’ait pas grand-chose à voir dans cette affaire et que ces DLC élastiques ne soient que le résultat d’un marketing irresponsable.

Je finirai en rappelant que le même argument a été utilisé pour le surdosage en sucre. Lorsque l’on vous dit que c’est votre goût, c’est faux ! C’est un argument commercial, parce que cela crée de la dépendance, de l’addiction. C’est également un facteur de meilleure et de plus longue conservation, de plus longue série, et donc, essentiellement, un problème de profit ! §

L'article 3 est adopté.

(Non modifié)

Dans les collectivités mentionnées à l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, les performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture sont obligatoirement prises en compte pour l’attribution des marchés publics de restauration collective.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Cornano

Cet article 4 vise à promouvoir les denrées issues des circuits courts de distribution dans le cadre de la passation des marchés publics de restauration collective outre-mer.

L’évolution du texte prévue par l’Assemblée nationale est tout à fait bienvenue et s’inscrit parfaitement dans les nécessaires objectifs de développement durable.

Je précise qu’il s’agit néanmoins déjà d’un critère d’offre de passation de marchés publics que les collectivités retiennent souvent. Sur l’île de Marie-Galante, c’est le cas et nous faisons tout notre possible pour que les producteurs locaux interviennent au maximum dans la fabrication des repas des restaurants scolaires.

Toutefois, je tiens à le souligner, il est nécessaire d’aller plus loin, ce que je ne manquerai pas de faire, notamment en proposant l’élargissement de la mesure prévue pour les produits frais locaux à des produits locaux transformés, ainsi qu’aux produits issus de l’agriculture biologiques.

L'article 4 est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.

La proposition de loi est définitivement adoptée.

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel, ministre

Je tiens à vous remercier, tous, pour le véritable progrès qui vient d’être accompli.

J’ai bien entendu le sénateur Jacques Cornano, mais la question de l’extension des dispositions de l’article 4 à d’autres produits et à d’autres secteurs sera traitée dans le cadre de la loi portée par mon collègue Stéphane Le Foll. Notre ambition est, en effet, de changer de modèle, de passer d’un modèle intensif à un modèle agro-écologique. Nous verrons alors si cette proposition peut être reprise.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques (proposition n° 447, texte de la commission n° 567, rapport n° 566).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Serge Larcher, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires économiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

M. Serge Larcher, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, « nous avons conscience d’avoir, par ce bref exposé, jeté un peu plus de lumière sur la trop vieille question des “50 pas géométriques” aux Antilles, que le Gouvernement a, enfin, décidé de résoudre ». Ainsi s’exprimait mon grand-oncle, Marius Larcher, avocat général à la retraite, dans un ouvrage intitulé La solution définitive de la question des cinquante pas géométriques aux Antilles

L’orateur brandit un exemplaire dudit ouvrage.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Plus de soixante ans après, nous examinons une proposition de loi – que j’ai déposée le 26 mars dernier avec l’ensemble des membres du groupe socialiste – qui porte sur ce véritable « serpent de mer » qu’est la problématique – essentielle aux Antilles – de la gestion de la zone des cinquante pas géométriques.

Avant d’en venir au contenu de ce texte, il ne me semble pas superflu de faire quelques rappels historiques, afin de vous expliquer ce qu’est la zone des cinquante pas géométriques, une zone bien connue en Guadeloupe et en Martinique, mais qui est, j’en suis sûr, un mystère pour vous, mes chers collègues de l’Hexagone !

Sous l’Ancien Régime a été créée une zone dite « des cinquante pas du roi », une bande de 81, 20 mètres située au bord du rivage. La création de cette réserve domaniale avait pour objectif d’assurer la défense des îles, l’avitaillement ainsi que l’entretien des navires.

L’édit de Saint-Germain-en-Laye de décembre 1674 a intégré la zone des cinquante pas au domaine de la Couronne. Les cinquante pas sont ainsi devenus inaliénables et imprescriptibles, ce qui a été confirmé par plusieurs textes, tels qu’un décret de 1790 sous la Révolution française et une ordonnance de février 1827 prise sous Charles X, sous la Restauration. Cette ordonnance indiquait qu’« aucune portion des cinquante pas géométriques réservés sur le littoral ne peut être échangée ni aliénée ».

Dès la fin du XVIIIe siècle, la zone des cinquante pas géométriques a commencé à être occupée par des personnes ne disposant pas de titres de propriété. Ainsi, l’abolition de l’esclavage a conduit les travailleurs des plantations à se diriger vers les terres disponibles du littoral afin de s’y établir, faute de moyens pour acquérir les terrains mieux situés, et pour cause ! L’administration a délivré dès le XIXe siècle des autorisations d’installation, en principe révocables mais qui sont progressivement devenues définitives.

Le fossé existant entre le droit et la réalité a conduit à modifier à plusieurs reprises – et dans des directions partiellement contradictoires – le régime de la zone des cinquante pas géométriques, pour tenter d’apporter des solutions au phénomène de l’occupation sans titre.

Deux décrets de 1882 et 1887 du président de la République ont introduit une exception à la règle de l’inaliénabilité du domaine public en autorisant, sous certaines conditions, la délivrance de titres de propriété.

Par ailleurs, un décret de juin 1955 a transféré la zone des cinquante pas dans le domaine privé de l’État, mettant fin à son imprescriptibilité. Il a permis de vendre des parcelles à certains occupants, tandis que les dispositions du code civil relatives à la prescription acquisitive ont pu s’appliquer.

En outre, la loi Littoral de 1986 a réincorporé les parcelles de la zone des cinquante pas géométriques dans le domaine public de l’État, tout en facilitant la cession aux communes et aux particuliers.

La zone des cinquante pas géométriques est finalement aujourd’hui régie par la loi du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d’outre-mer, une loi que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit de modifier.

La loi de 1996 a cherché à améliorer la situation des occupants, en leur permettant d’acheter des terrains, à assurer l’aménagement des zones et à faciliter le développement économique de ces zones. Permettez-moi de vous en exposer les principales dispositions.

Tout d’abord, la délimitation par le préfet, au sein de la zone des cinquante pas géométriques, des espaces urbains et des espaces naturels, ces derniers étant confiés en gestion au Conservatoire du littoral.

Ensuite, la fixation des modalités de cession des terrains situés dans les espaces urbains : ils peuvent être cédés gratuitement aux communes et aux organismes d’HLM pour la réalisation d’opérations d’aménagement ou d’habitat social. Ils peuvent être cédés à titre onéreux aux occupants ayant édifié ou fait édifier des résidences principales ou des locaux professionnels avant le 1er janvier 1995. Une aide financière spécifique est prévue pour les acquéreurs de terrains occupés au titre de leur habitation principale.

Enfin, dans chaque département antillais est créée une « agence des cinquante pas géométriques », établissement public d’État dont la durée de vie était initialement fixée à dix ans. Ces agences avaient alors pour mission d’établir un programme d’équipements des terrains situés dans les espaces urbains et d’émettre un avis sur les projets de cession.

L’objectif de la loi de 1996 était simple : sortir du cercle vicieux dans lequel l’État était entraîné par la rigueur du droit et par son incapacité à le faire respecter.

Ainsi, en un peu plus d’un siècle, quatre textes sont intervenus, dans des directions en partie contradictoires, pour modifier le régime de la zone des cinquante pas géométriques. Cette « frénésie » législative s’explique facilement : 15 % à 20 % de la population de chacun des départements antillais vit sur cette zone. Ce sujet est donc tout, sauf anodin.

Pour autant, la frénésie législative ne s’est pas arrêtée. La loi de 1996 a elle-même été modifiée à plusieurs reprises.

Ainsi, la durée de vie des agences des cinquante pas géométriques a été modifiée pas moins de trois fois au cours des dix dernières années.

La nomination des directeurs des agences n’étant intervenue qu’en 2001, la loi de 2003 de programme pour l’outre-mer, la LOPOM, a finalement fixé à quinze ans leur durée de vie.

Puis, la loi de 2009 pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, a prévu qu’un décret pourrait prolonger la durée de vie des agences pour cinq ans, renouvelable deux fois, soit jusqu’au 1er janvier 2027.

La loi Grenelle 2 de 2010 a, enfin, prévu que la durée de vie des agences ne pourrait être prolongée que de deux ans, soit jusqu’au 1er janvier 2014, les missions de régularisation foncière des agences devant être reprises à leur disparition par des établissements publics fonciers d’État, des EPFE.

Par ailleurs, la loi Grenelle 2 a procédé à d’autres modifications importantes de la loi de 1996.

Ainsi, les agences se sont vu confier la conduite du processus de régularisation des occupants sans titre, une mission exercée jusqu’alors par les services déconcentrés.

De plus, afin d’accélérer le processus de régularisation, une date limite de dépôt des demandes de cession a été fixée au 1er janvier 2013.

Tel est aujourd'hui l’état du droit.

Dix-huit ans après son adoption, la loi de 1996 présente un bilan mitigé.

Le processus de régularisation a pris du retard : un nombre limité de dossiers a été déposé et peu d’offres de cession ont été acceptées. En Guadeloupe par exemple, plus de 5 000 demandes ont été déposées : l’agence des cinquante pas géométriques a formulé 2 200 avis favorables, pour moins de 700 régularisations effectives. Plusieurs facteurs expliquent ce résultat.

Tout d’abord, la population concernée est pauvre : de nombreuses cessions n’aboutissent pas du fait du prix proposé au regard des ressources des demandeurs. À cet égard, il faudrait réfléchir, monsieur le ministre, à l’institution d’un dispositif de financement, complémentaire à l’aide financière, afin de permettre à tous les occupants régularisables d’être effectivement régularisés.

Ensuite, la procédure de régularisation est particulièrement complexe et longue.

Enfin, nombre de locaux sont situés en « zones rouges », inconstructibles au titre des plans de prévention des risques naturels. Il s’agit de terrains non cessibles et donc non régularisables.

Les modifications apportées par la loi Grenelle 2 ont cependant permis une accélération du processus, avec une forte augmentation du nombre de dossiers de régularisation déposés : 57 % des dossiers déposés en Guadeloupe l’ont été au cours des trois dernières années et, en Martinique, la proportion est proche de 40 %.

Pour ce qui concerne les travaux, le bilan de ces agences est également mitigé, notamment en Guadeloupe, où seuls onze chantiers d’équipement ont été menés à terme. En Martinique, en revanche, près de 30 millions d’euros de travaux ont été réalisés depuis 2006. Comme j’ai pu le constater sur le terrain, l’agence dispose d’une véritable expertise et constitue un interlocuteur privilégié pour les maires et les élus locaux. Elle est ainsi en mesure de fournir du foncier équipé pour la réalisation de logements sociaux.

J’en viens à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

La proposition de loi initiale comprenait deux articles : l’article 1er, qui permet la prolongation de la durée de vie des agences des cinquante pas géométriques jusqu’au 1er janvier 2016 ; l’article 2, lequel repousse au 1er janvier 2015 la date limite de dépôt des demandes de régularisation.

Au terme de mes travaux, qui m’ont conduit à auditionner les directeurs des deux agences des cinquante pas géométriques, les services de l’État en Guadeloupe et en Martinique, ainsi que le ministère des outre-mer, il apparaît que cette proposition de loi est bienvenue et même attendue dans les deux départements concernés. Il s’agit certes d’un texte d’urgence, mais qui n’a vocation à être, je tiens à le souligner, qu’un texte de transition.

La prolongation de la durée de vie des agences des cinquante pas géométriques est nécessaire car la création d’établissements publics fonciers d’État, qui auraient dû, conformément aux dispositions prévues dans le Grenelle 2, reprendre la mission de régularisation des agences, n’est plus d’actualité. Tant en Guadeloupe qu’en Martinique, les collectivités territoriales ont en effet décidé de mettre en place des établissements publics fonciers locaux, des EPFL. Un EPFL existe depuis juin 2011 en Martinique et un autre a été créé il y a quelques jours en Guadeloupe.

Dans ces conditions, la disparition de ces agences le 1er janvier 2014 risquerait de créer une rupture préjudiciable à la poursuite de la normalisation de l’occupation de la zone des cinquante pas géométriques.

Le report de la date limite de dépôt des demandes de régularisation est également nécessaire : on estime que plus de 3 000 dossiers de construction sont encore régularisables dans chacun des départements antillais.

Cette proposition de loi n’est cependant pas une fin en soi. J’estime que le délai de deux ans doit être mis à profit pour réfléchir à l’avenir des agences et, plus globalement, à la gestion de la zone des cinquante pas géométriques. Cette réflexion ne peut pas être déconnectée d’autres questions telles que la création des EPFL, la recherche de la mutualisation entre les différentes structures qui existent ou encore la mise en œuvre de la mission de reconstitution des titres de propriété.

Je me réjouis donc, monsieur le ministre, que vous ayez, avec la ministre de l’égalité des territoires et du logement, lancé, en avril dernier, une mission de l’Inspection générale de l’administration et du Conseil général de l’environnement et du développement durable sur la problématique générale du foncier dans les Antilles, la lettre de mission du 16 avril dernier évoquant clairement la problématique des cinquante pas géométriques. Le transfert des missions des agences en matière de régularisation foncière aux EPFL semble aujourd’hui clairement envisagé, notamment en Guadeloupe. Cette mission permettra donc d’y voir beaucoup plus clair.

Pour ce qui concerne l’avenir des agences et de la zone des cinquante pas géométriques, je souhaite formuler trois ultimes observations.

Si les agences sont amenées à disparaître, je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre, sur le sort qui sera réservé au personnel. Selon moi, le savoir-faire et l’expertise de ce personnel pourraient utilement être mis au service des structures qui succéderont aux agences.

Par ailleurs, si les EPFL reprennent les missions de régularisation des agences, ne serait-il pas temps de réfléchir au transfert de la domanialité de cette zone aux conseils régionaux, à l’instar de ce qui s’est passé à Saint-Martin ? Cette question mérite d’être posée.

Enfin, il convient de mener une réflexion sur la gestion par l’Office national des forêts, l’ONF, de la forêt domaniale littorale. Cette zone, qui relève du domaine privé de l’État, est dans les faits partiellement urbanisée : c’est ainsi que l’on compte plus de 500 occupations illicites en Martinique ! Or la gestion de cette situation par l’ONF est souvent jugée brutale – certains disent ferme, moi je dis brutale.

Pour en revenir à la proposition de loi, la commission des affaires économiques en a adopté à l’unanimité les articles 1er et 2. En outre, elle y a introduit un article supplémentaire, dont le champ géographique est plus large que les seuls départements antillais. Cet article 3, dont le Gouvernement est à l’initiative, comporte un dispositif très attendu dans nos outre-mer car portant sur une question majeure : la reconstitution des titres de propriété.

De fait, les outre-mer se caractérisent par l’absence massive de titres de propriété. Cette situation est liée à des successions non réglées et à des occupations de fait ou sans titre. Il s’agit d’un véritable fléau : on estime qu’il touche entre 45 % et 60 % du territoire de la Guadeloupe et de la Martinique, mais aussi de la Réunion et de Saint-Martin.

Ce problème a de graves conséquences sociales, puisque le titre de propriété est la base de l’accès au crédit bancaire et qu’il peut servir de garantie pour des engagements économiques ou permettre de bénéficier d’aides publiques. Par ailleurs, cette situation est un frein aux opérations d’aménagement et à la construction de logements sociaux, comme nos collègues Georges Patient et Éric Doligé l’ont souligné dans leur rapport sur le logement social.

Pour résoudre ce problème, l’article 35 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, a prévu, sur le modèle de l’exemple corse, la mise en place d’un groupement d’intérêt public, un GIP, chargé de reconstituer les titres de propriété dans les outre-mer. Seulement, quatre ans plus tard, ce GIP n’a toujours pas vu le jour, faute de parution du décret d’application, ce que j’ai dénoncé à plusieurs reprises en tant que rapporteur pour avis des crédits de la mission budgétaire « Outre-mer ». Une mission de préfiguration a présenté son rapport en mai 2011 et un projet de décret a été soumis au Conseil d’État, mais celui-ci a estimé que les dispositions réglementaires envisagées ne respectaient pas les termes de la loi, puisqu’elles prévoyaient la constitution d’une structure distincte pour chaque collectivité.

Monsieur le ministre, je salue l’initiative prise par le Gouvernement, qui devrait permettre le lancement du processus de reconstitution des titres de propriété dans les outre-mer. La mission de titrement sera confiée à une structure propre à chaque collectivité : soit un GIP, soit un organisme foncier existant – par exemple, dans les Antilles, l’établissement public foncier local –, cette seconde option permettant d’éviter la création de structures supplémentaires.

Pour conclure, mes chers collègues, je vous invite à adopter la présente proposition de loi, qui permettra d’apporter quelques réponses urgentes aux importantes difficultés rencontrées par nos outre-mer en matière de foncier. J’espère qu’à la suite de la commission des affaires économiques, notre Haute Assemblée la soutiendra à l’unanimité, démontrant ainsi une nouvelle fois son profond attachement à nos outre-mer.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – MM. Joël Labbé et Jean-Claude Requier ainsi que quelques sénateurs de l'UDI-UC et de l'UMP applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Cette visite illustre une nouvelle fois, s’il était nécessaire, l’excellence des relations franco-thaïlandaises. Après la visite en France, en juillet dernier, de la Première ministre de Thaïlande, Mme Yinluck Shinawatra, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault s’est rendu il y a quelques semaines à Bangkok, où de nouveaux partenariats entre nos deux pays ont été noués.

Je tiens tout particulièrement à souligner la qualité des échanges entre nos Parlements. Une délégation du groupe d’amitié France-Asie du sud-est, conduite par nos collègues Gérard Miquel et Bernard Saugey, s’est rendue en Thaïlande en septembre dernier ; elle a pu échanger longuement avec M. le président du Sénat et des membres du Parlement thaïlandais, notamment sur les questions de démocratie locale et de coopération décentralisée, chères à notre assemblée. Une délégation du groupe d’amitié Thaïlande-France, en visite à Paris, sera reçue à déjeuner demain par une dizaine de nos collègues du groupe d’amitié France-Asie du sud-est.

Nous formons le vœu que la présence au Sénat du président du Sénat thaïlandais soit l’occasion de resserrer davantage les liens entre nos assemblées et de conforter le dialogue entre nos deux nations. Monsieur le président, nous vous souhaitons la bienvenue au Sénat français !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi soumise à votre examen vient combler un vide juridique.

En effet, les agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques, créées en Guadeloupe et en Martinique par la loi du 30 décembre 1996, devaient disparaître au bout d’une période de quinze ans, soit à la fin de l’année 2011. Cette même loi avait prévu que leur existence pourrait être prolongée de deux ans par décret, ce qui a été fait en 2011. Depuis le 1er janvier 2013, ces deux agences, dont la mission est de conduire le processus de régularisation des occupants sans titre des terrains du domaine public littoral, ne peuvent plus recevoir de dossiers.

Le 4 décembre dernier, j’ai indiqué devant les députés que le Gouvernement était favorable à la prolongation de la durée de vie de ces agences pour deux années supplémentaires après le 31 décembre 2013, ainsi qu’à la prolongation pour la même durée du délai de dépôt des demandes de régularisation. Les articles 1er et 2 de la présente proposition de loi vont dans le sens de cet engagement du Gouvernement. Cette initiative permet d’aller vite.

À la disparition de ces agences, les missions qu’elles assurent devaient être attribuées à des établissements publics fonciers d’État. En définitive, ceux-ci ne devraient pas voir le jour, les régions de la Guadeloupe et de la Martinique ayant créé récemment des établissements publics fonciers locaux, que nous croyons tout à fait à même d’agir dans ce domaine. La prolongation de deux ans de la durée de vie des agences permettra de donner du temps à ces nouveaux établissements, afin qu’ils acquièrent les moyens de reprendre efficacement la mission de régularisation foncière sur la zone des cinquante pas géométriques.

En un peu plus de quinze ans, les agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques ont démontré leur utilité, en traitant d’un problème particulièrement prégnant sur ces deux territoires. Certes, comme M. le rapporteur l’a souligné, le bilan des régularisations est mitigé. Aux difficultés administratives liées à des procédures souvent trop lourdes pour une population plutôt âgée et pauvre s’ajoute le fait que les zones des cinquante pas géométriques continuent de connaître des occupations illicites, qui donnent à tout le processus des allures de travail de Sisyphe. Ce problème est on ne peut plus actuel et l’urgence de l’initiative sénatoriale est pleinement justifiée.

L’adoption de la présente proposition de loi est nécessaire, mais nous avons bien conscience qu’elle ne sera pas suffisante. Une réflexion globale doit être conduite par l’État, avec l’ensemble des collectivités territoriales, sur la gestion des zones littorales. C’est pourquoi le ministère de l’égalité des territoires et du logement et le ministère des outre-mer ont conjointement diligenté une mission de l’Inspection générale de l’administration et du Conseil général de l’environnement et du développement durable sur les problèmes fonciers en Guadeloupe et en Martinique.

Cette mission, lancée au milieu du mois d’avril et conduite par deux inspecteurs, doit fournir des préconisations sur les moyens de mettre en œuvre une stratégie foncière dans les zones urbanisées. Ces préconisations devront tenir compte des besoins en logements, des projets des collectivités territoriales, de la pérennisation des missions de régularisation foncière et d’aménagement dans la zone littorale, ainsi que des missions de reconstitution des titres de propriété. La mission devra aussi faire des propositions sur les différentes options possibles et notamment sur l’avenir des missions de régularisation et d’aménagement actuellement remplies par les agences.

Ce rapport doit être rendu le mois prochain ; si des mesures législatives s’avèrent nécessaires, elles pourront être introduites dans le projet de loi actuellement en préparation sur le logement et l’urbanisme. Il s’agit de se donner véritablement les moyens d’agir pour traiter au fond ces situations difficiles, aussi bien pour nos concitoyens concernés que pour les services de l’État et des collectivités territoriales.

C’est un fait que, dans certaines zones, comme M. le rapporteur l’a signalé, une pléthore d’organismes interviennent. §Il y a parfois le Conservatoire du littoral, l’ONF, certaines communes habilitées à intervenir, l’agence des cinquante pas géométriques et bientôt peut-être, après l’absorption de celles-ci, les établissements publics fonciers, qu’ils soient d’État ou locaux ; en Guadeloupe, il arrive même parfois, me dit-on, que le parc national intervienne aussi. Cela fait beaucoup !

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel, ministre

Il est vrai qu’il y a quelques interrogations sur l’évaluation faite par France Domaine du prix du mètre carré. J’espère que toutes ces questions seront abordées par le rapport dont je viens de parler.

D’ailleurs, l’article 3 de la proposition de loi va dans ce sens. Il vise à permettre la mise en œuvre « par une structure spécifique à chaque collectivité ultramarine concernée » d’une procédure de constitution ou de reconstitution des titres de propriété. C’était là encore un souhait que j’avais exprimé au nom du Gouvernement, en indiquant que nous étions tout à fait disposés à modifier l’article 35 de la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, afin de créer un groupement d’intérêt public chargé d’une mission de titrement destinée à reconstituer les titres de propriété et de combattre le fléau de l’indivision.

Comme l’a souligné M. le rapporteur, l’absence de titres de propriété pose de graves problèmes sociaux : pas d’accès aux crédits bancaires, pas de garantie ni d’aides publiques. Sans compter qu’elle rend très difficile l’accès à des ressources foncières sur lesquelles pourraient être réalisés les logements sociaux dont ces territoires ont tant besoin.

Pour reconstituer les titres de propriété dans les outre-mer, la LODEOM a prévu la mise en place d’un groupement d’intérêt public unique, mais celui-ci n’a jamais vu le jour, faute de parution du décret d’application. Il faut dire que l’idée de créer un seul GIP pour onze territoires était presque inapplicable ; elle l’aurait été même pour quatre ou cinq.

M. le rapporteur acquiesce.

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel, ministre

Grâce à l’article 3 de la proposition de loi, la mission de titrement pourra être confiée à une structure propre à chaque collectivité : soit un GIP, soit un organisme foncier existant, ce qui permettra d’éviter la création de nouveaux organismes. C’est, à notre sens, une solution plus souple et plus opérationnelle. L’article 3 l’étend d’ailleurs à Mayotte.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement accueille très favorablement cette proposition de loi et sera attentif aux débats que nous aurons dans un instant.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – MM. Joël Labbé et Jean-Claude Requier applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi nous renvoie au passé des départements d’outre-mer, puisque la zone dite aujourd’hui des cinquante pas géométriques est issue de la réserve domaniale, autrement dit des cinquante pas du roi, système qui visait à protéger les rivages des Antilles et de la Réunion contre des incursions ennemies.

Cette notion des cinquante pas géométriques concerne l’outre-mer, ou plutôt les outre-mer. En effet, dans ce domaine aussi, on peut noter des différences fondamentales entre les situations de la Réunion, de la Martinique et de la Guadeloupe. C’est ainsi qu’à la Réunion la zone des cinquante pas géométriques est devenue aliénable, donc prescriptible, dès 1922 ; à la suite de cette décision, la situation a été définitivement réglée pour la Réunion.

En revanche, le caractère prescriptible de la zone n’a pas été reconnu pour les Antilles par la jurisprudence. En Martinique et en Guadeloupe, pour mettre un terme aux problèmes liés à l’occupation sans titre de la zone des cinquante pas géométriques, la loi du 30 décembre 1996 a mis en place de nouveaux mécanismes de cession de ces terrains de cette zone relevant du domaine public maritime.

Parmi ces mécanismes figurait la création d’agences, qui constituent un instrument de coopération entre l’État et les communes, et sont chargées notamment de régulariser les occupations sans titre sur la zone.

Force est de le constater, les agences antillaises ont encore à faire : en effet, le nombre de « cessions-régularisations » reste très faible. Selon les chiffres qui nous ont été fournis, encore 8 000 occupants sont concernés.

Les autres missions de ces agences sont d’établir des programmes d’équipement des terrains mis à disposition, de vérifier la cohérence entre les cessions et ces programmes, de réaliser certains travaux d’équipement et de lutter contre l’habitat spontané.

L’habitat spontané est aussi, rappelons-le, une question d’une extrême importance outre-mer, au même titre que l’habitat insalubre, l’habitat précaire et, plus généralement, le logement.

Si la question humaine doit être mise en avant pour régler la situation existant aux Antilles, soulignons que les zones aménagées et équipées ne sont pas si nombreuses, tandis que les constructions illicites sur les espaces littoraux ont continué, quant à elles, à se développer.

Il n’est pas question de jeter la pierre à qui que ce soit. Nous dressons seulement le constat suivant : les quatre départements d’outre-mer regroupent 92 communes littorales au sens de la loi Littoral : 33 en Martinique, 25 en Guadeloupe, 15 en Guyane et 19 à la Réunion.

En 1999, la population des communes littorales des départements d’outre-mer approchait 1, 5 million d’habitants. La densité de population était forte sur le littoral de Martinique, de Guadeloupe et de la Réunion, avec environ 300 habitants par kilomètre carré. C’est le reflet d’une densité de population élevée sur l’ensemble du territoire de ces trois îles, amplifiée en bord de mer.

Cette densité est supérieure à la moyenne littorale métropolitaine, estimée, quant à elle, à 270 habitants par kilomètre carré, l’essentiel de la population des départements d’outre-mer se concentrant en effet en bord de mer.

Les raisons d’une telle situation sont simples : le relief est accidenté à l’intérieur des terres. À la Réunion se dressent le piton des Neiges et le piton de la Fournaise ; en Guadeloupe, sur la commune de Basse-Terre, c’est le massif de la Soufrière ; et en Martinique, c’est la montagne Pelée.

Une autre raison d’une telle densité tient à la progression démographique de l’outre-mer, à des taux très différents, certes. Ainsi, la densité de population a augmenté de 21 habitants par kilomètre carré dans les communes littorales des Antilles et de 47 habitants par kilomètre carré à la Réunion.

La pression humaine reste donc très forte et s’accroît sur un territoire restreint, qui possède d’ailleurs une haute valeur patrimoniale. On comprend dès lors tout l’enjeu du foncier.

Je rappellerai seulement que l’État dispose, au total, de quelque 7 770 hectares au titre de la zone des cinquante pas géométriques, dont 4 263 en Guadeloupe et 3 516 en Martinique.

La question est donc importante, et il convient que tout soit mis en œuvre pour que ni les populations ni les possibilités de développement économique ne soient remises en cause. Telle est bien la mission de ces agences.

Cette proposition de loi vise à reporter une nouvelle fois leur échéance, en la fixant cette fois au 1er janvier 2016.

Cependant, cela ne doit pas nous empêcher de constater qu’il s’agit bien d’une question de déclassement des espaces, du public vers le privé.

Cette « privatisation » a eu pour conséquence inéluctable de faire augmenter de façon considérable le prix du mètre carré, permettant à de grands groupes hôteliers d’occuper cet espace pour y construire des résidences de luxe, mais jouant considérablement en défaveur des agriculteurs.

Je voudrais conclure en rappelant la stratégie nationale pour la mer et le littoral, et notamment le volet spécifique à l’outre-mer, destiné à favoriser l’économie des territoires ultramarins.

Lors de son élaboration sous l’ancienne présidence, la mission d’accompagnement créée par le gouvernement Fillon en vue de l’exploitation d’hydrocarbures au large de la Guyane avait notamment été mise en avant. Il s’agissait aussi de soutenir les projets de développement des énergies marines renouvelables à la Réunion. Ces projets, malheureusement, ont connu un net ralentissement.

Mais le plus important reste la question de la protection et de l’aménagement du littoral. Les écosystèmes concernés sont aujourd’hui affectés par des pollutions, et on constate dans toutes les îles une érosion de cette zone, accentuée par les premiers effets du changement climatique.

Il n’est pas non plus inutile de rappeler que, au-delà de la question de l’occupation de la bande littorale, d’autres actions doivent être menées pour protéger cet espace. Elles portent sur la qualité des eaux, la prévention des risques naturels et de l’érosion, ainsi que la préservation de la biodiversité et des sites, le tout devant être fait sans pénaliser le développement des activités économiques.

C’est une question de juste équilibre à trouver, pour l’outre-mer comme pour tout le littoral français. Selon nous, cet équilibre est possible. Aussi, nous voterons en faveur de ce texte. §

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, j’aimerais saluer le travail de M. le rapporteur, président de la délégation à l’outre-mer, Serge Larcher, qui est également l’auteur de cette proposition de loi. Je félicite également le collaborateur qui a travaillé avec lui de la qualité de ses explications et de l’intérêt de toutes les remarques formulées.

Si l’objet de cette proposition de loi et son contenu peuvent paraître pointus, ils sont au contraire révélateurs de réalités difficiles pour nos territoires ultramarins. Ce texte est donc l’occasion non seulement de régler des problèmes juridiques concernant des situations particulières, mais aussi d’aborder en conscience des problèmes spécifiques aux départements d’outre-mer, avec leurs conséquences pour les habitants.

Dans un premier temps, je souhaite aborder le fonds même du texte, qui concerne les agences dites des cinquante pas géométriques. Il répond à une urgence en termes de calendrier, une probable insécurité juridique imposant au Gouvernement de réfléchir rapidement à l’avenir de la gestion du littoral guadeloupéen et martiniquais.

Comme cela a été rappelé, les deux agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques de nos deux départements antillais devaient disparaître à la fin de l’année 2011. La prolongation de deux ans accordée par le vote du Grenelle 2 arrivant à échéance au 1er janvier 2014, et les solutions de remplacement n’ayant pas fait l’objet d’un consensus, il était nécessaire que le législateur se mobilise pour trouver une solution rapide à cette situation, sous peine de créer une incertitude juridique ou de voir disparaître un outil utile à ces deux départements d’outre-mer.

Une prolongation de deux ans de la durée de vie des agences des cinquante pas géométriques et de la date limite de dépôt des demandes de régularisation des occupants sans titre me semble raisonnable, afin, d’une part, de poursuivre le travail entamé par ces agences et, d’autre part, de trouver une solution pour l’avenir concernant la gestion du littoral de Guadeloupe et de Martinique.

Comme le montre le rapport de Serge Larcher, il y a eu un important regain d’activité des deux agences depuis 2010. Cette augmentation, inédite depuis leur création, prouve la confiance qui leur est accordée et la qualité de leur travail, tout en soulignant l’aspect indispensable de leur existence. Naturellement, on peut aussi penser que, approchant de leur fin de vie, elles ont vu les dossiers affluer en raison de l’ignorance de l’avenir sur les situations d’occupations sans titre de cette zone littorale.

Cette prolongation de deux ans est non seulement raisonnable, mais aussi suffisante, monsieur le ministre, pour trouver une solution pérenne pour le remplacement de ces agences. Comme souvent en France, on crée des solutions provisoires qui durent. Il n’est pas question de revenir ici dans deux ans pour repousser encore la date limite d’existence des agences !

Si l’aïeul de M. le rapporteur, cité en introduction de son propos, pensait avoir trouvé une solution définitive à la question des cinquante pas géométriques, j’espère que l’aspect faussement définitif que je viens d’évoquer se transformera en réalité dans les deux ans à venir.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer d’ores et déjà sur les solutions potentielles ? Les établissements publics fonciers locaux pourraient-ils exercer ce rôle ?

Dans un second temps, je souhaite évoquer rapidement l’apport du Gouvernement, qui a souhaité ajouter un article 3, que M. le rapporteur a présenté, à cette proposition de loi. Il vise à modifier les modalités de mise en œuvre de la procédure de reconstitution des titres de propriété outre-mer prévue par l’article 35 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer. Cet article prévoit donc une « procédure de titrement » en Guadeloupe, Guyane, Martinique, à la Réunion, Mayotte et Saint-Martin. Cette nouvelle procédure est plus « décentralisée » que la précédente, car elle peut être conduite par un GIP constitué dans chacun des territoires ou par un opérateur public foncier local.

Une telle mesure apparaît plus sage et plus efficace pour les opérations de titrement, qui sont par nature complexes, chères et surtout très différentes suivant le territoire concerné.

Le rapporteur de la commission des affaires économiques a esquissé les choix qui pourraient être faits par les cinq départements, entre GIP et établissement public. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous les confirmer ? Cela nous rassurerait, dans le cadre de l’acceptation de cette nouvelle mesure.

Pour finir, j’aimerais aborder les difficultés spécifiques à l’outre-mer soulevées par les deux axes de cette proposition de loi.

Si les agences des cinquante pas géométriques ont encore besoin d’exister, c’est bien que les occupants sans titre de cette zone n’ont pas les moyens d’acquérir leur terrain ni même de trouver un autre logement. Sur l’ensemble des dossiers traités, moins de 20 % des offres de cession sont acceptées. Les aides proposées sont insuffisantes, surtout pour des populations pauvres et souvent âgées.

Néanmoins, nous ne pouvons pas laisser perdurer ces situations illégales, d’autant que le phénomène d’installation illégale, cela a été rappelé, continue d’exister.

Avec la question des procédures de titrement se pose celle de l’insécurité juridique pour les occupants. C’est finalement le problème du logement en outre-mer qui est soulevé. Son financement général, ainsi que celui du logement social, a largement été soutenu par de nombreux dispositifs fiscaux avantageux. Il est temps d’évaluer l’efficacité économique de ces niches au regard des résultats réels pour les départements ultramarins.

Il y a quelques mois, nous votions une proposition de loi de notre collègue député Serge Letchimy sur l’habitat indigne en outre-mer. À la fin du mois de février, l’arrêté fixant le barème de l’aide financière versée pour compenser la perte de domicile des habitants de logis insalubres ou dangereux était publié. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Cette aide facilitera le relogement des occupants ou des bailleurs sans titre de terrains publics ou privés expulsés à la suite d’une opération d’aménagement.

Dans le cadre des prochaines lois sur le logement, présentées par votre collègue chargée de ces questions au Gouvernement, allez-vous, monsieur le ministre, proposer des mesures spécifiques à l’outre-mer ? Si la règle générale doit s’appliquer partout de la même manière, il est des situations et des héritages qui nécessitent une attention particulière et des coups de pouce plus grands. Tel est le cas des départements d’outre-mer.

Pour l’ensemble de ces raisons, les sénateurs du groupe UDI-UC voteront tout naturellement en faveur de cette proposition de loi consensuelle, et attendue. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet des agences « des cinquante pas géométriques » peut sembler a priori assez technique et circonscrit, puisque celles-ci existent uniquement en Martinique et en Guadeloupe.

Pourtant, cette proposition de loi, tout comme celle qui est relative à la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer et que nous venons tout juste d’adopter, porte sur des enjeux essentiels pour tous.

Dans le cas présent, il s’agit notamment d’enjeux sociaux, au travers de la délivrance d’un titre de propriété pour des personnes qui en sont dépourvues et ne peuvent, de ce fait, accéder à un certain nombre de prestations publiques ou privées, telles qu’un crédit bancaire. Mais le régime applicable à la zone des cinquante pas géométriques recouvre aussi des questions d’aménagement du territoire et de protection des zones littorales.

Cet espace, qui a vu le jour il y a plus de trois siècles sous le nom de « zone des cinquante pas du roi » – je trouve cette formule assez jolie ! –, devait initialement servir à la protection des îles, l’avitaillement et l’entretien des navires. Elle a été très tôt confrontée au phénomène d’« occupation sans titre », auquel différentes réformes ont tenté d’apporter des solutions, sans qu’aucune ne se révèle jusqu’à présent réellement efficace.

Dès le XIXe siècle, des autorisations d’installation fondées sur des motivations économiques ont été délivrées. L’adoption de textes parfois contradictoires a eu pour conséquence une grande incertitude quant au régime juridique applicable à la zone des cinquante pas géométriques. Cela a rendu délicate la gestion des héritages et a conduit à ce que des milliers de concitoyens ultramarins construisent leurs habitations sur des terrains qui ne leur appartenaient pas. Aujourd’hui, près de 15 % de la population de la Guadeloupe et de la Martinique vit dans cette zone.

La loi du 30 décembre 1996 a créé, dans chaque département antillais, une « agence pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques », chargée d’assurer un « développement harmonieux de la zone » et d’en « organiser l’aménagement ».

Initialement créées pour dix ans, ces agences ont vu leur durée de vie modifiée à plusieurs reprises. Théoriquement, elles devaient cesser d’exister au 1er janvier 2014, date à laquelle leurs missions auraient dû être reprises par des établissements publics fonciers d’État. Mais il apparaît aujourd’hui que ces derniers ne seront pas créés puisque les collectivités de Guadeloupe et de Martinique ont décidé de constituer des établissements publics fonciers locaux.

En attendant que la question de la poursuite des missions des agences des cinquante pas géométriques soit clarifiée, il est donc indispensable de prolonger la durée de vie de ces agences, comme le prévoit l’article 1er de la présente proposition de loi.

Depuis la loi dite « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010, les missions des agences des cinquante pas géométriques ont évolué. La mission d’aménagement est devenue secondaire, tandis que la régularisation des occupants sans titre et l’établissement de programmes d’équipement de la zone sont devenus les missions prioritaires des agences.

Comme le rapporteur l’a très bien souligné, les différents bilans de l’action de ces agences sont mitigés : le nombre de régularisations reste faible et les installations illicites dans la zone des cinquante pas géométriques se poursuivent. Actuellement, même si aucun chiffrage précis n’a été établi, il y aurait environ 17 000 constructions illicites en Guadeloupe et 15 000 en Martinique. Un certain nombre de ces constructions menacent la sauvegarde du littoral dans les départements concernés.

Le bilan du processus de régularisation pour les occupants sans titre établi au 31 décembre dernier montre que sur plus de 5 000 dossiers déposés dans chacun des deux départements antillais, seuls 689 en Guadeloupe et 1 166 en Martinique ont abouti à des acceptations d’offres de cession, soit un taux respectif de 13, 4 % et de 21, 9 %. Ce résultat s’explique notamment par la situation financière fragile d’une grande partie de la population habitant cette zone. Le montant de l’aide publique dont peuvent bénéficier les personnes dont le dossier de régularisation est accepté pour acquérir leur résidence principale se révèle apparemment très insuffisant. Il serait souhaitable de trouver des solutions complémentaires pour permettre à ces personnes d’obtenir enfin en toute légalité un titre de propriété pour leur logement.

À ces difficultés financières s’ajoutent une certaine complexité et une certaine longueur du processus administratif, puisque le mécanisme de régularisation ne comprend pas moins de vingt-deux étapes.

Par ailleurs, un nombre important de dossiers ne peuvent aboutir car ils concernent des logements situés en « zones rouges » inconstructibles au titre des plans de prévention des risques naturels.

Il semble donc indispensable de trouver une solution de relogement pour les personnes vivant dans la zone des cinquante pas géométriques et dont la situation n’est pas régularisable, soit parce que leurs habitations sont situées en « zones rouges », soit pour d’autres raisons.

Enfin, comme l’a souligné le rapporteur, il est indispensable de mettre un terme à l’installation de nouveaux occupants sans titre dans la zone des cinquante pas géométriques, faute de quoi le problème de l’occupation sans titre dans cette zone ne sera jamais résolu.

Outre la question de la régularisation des occupants sans titre dans la zone des cinquante pas géométriques, il est également primordial de renforcer les efforts d’aménagement pour permettre aux familles qui sont installées dans cette zone d’avoir accès aux équipements publics essentiels, tels que l’assainissement.

Selon les estimations du ministère des outre-mer communiquées dans le rapport de notre collègue Serge Larcher, « les besoins financiers estimés étant de l’ordre de 280-300 millions d’euros sur le rythme actuel, il faudrait entre 10 et 15 ans pour mener à bien les travaux à leur terme ». Une telle attente pour nos concitoyens vivant dans ces zones n’est pas acceptable ; il faut donc trouver d’urgence des solutions pour leur permettre de vivre avec un titre de propriété et dans des conditions décentes.

Pour conclure, si la présente proposition de loi est nécessaire et répond à une urgence, elle n’apporte qu’une solution temporaire à la question de l’occupation sans titre. Elle vise à prolonger la durée de vie des agences ainsi que la date limite de dépôt des dossiers de régularisation de deux ans. En effet, environ 3 000 constructions seraient encore régularisables dans chacun des deux départements des Antilles. Il est donc utile de prolonger ce délai.

Toutefois, ces deux années supplémentaires ne suffiront ni pour achever la régularisation, ni pour finaliser l’aménagement de ces zones. Comme l’a souligné le rapporteur, il faudra apporter de nouvelles réponses à la difficulté que constitue l’absence massive de titres de propriété, laquelle dépasse largement la zone des cinquante pas géométriques et concerne non seulement les Antilles, mais aussi d’autres territoires ultramarins, comme le précise l’intitulé de la proposition de loi. Le Gouvernement devrait par conséquent profiter des deux prochaines années pour mener une réflexion globale sur le foncier en outre-mer.

À ce titre, je me réjouis que la commission ait ajouté à la proposition de loi initiale l’article 3, qui traite de la reconstitution des titres de propriété dans les outre-mer et qui offrira à chaque collectivité ultramarine une certaine souplesse pour utiliser un organisme foncier existant ou créer une nouvelle structure – par exemple un groupement d’intérêt public – chargée de mener cette mission de « titrement ».

Bien que n’apportant qu’une réponse partielle et transitoire aux problématiques de la zone des cinquante pas géométriques et de l’absence massive de titres de propriété en outre-mer, cette proposition de loi n’en est pas moins une étape importante et nécessaire, que l’ensemble des membres du RDSE soutiendront par leur vote unanime. §

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà trois jours, je n’avais jamais entendu parler de l’existence de la zone des cinquante pas géométriques ! Je commencerai donc mon intervention par un petit cours d’histoire.

La zone des cinquante pas géométriques, anciennement appelée les « cinquante pas du Roi », a été créée dans les Antilles sous l’Ancien Régime. Selon l’arrêt du Conseil supérieur du 3 mars 1670, « les cinquante pas du Roi doivent commencer leur hauteur du lieu où les herbes et arbrisseaux commencent à croître, et à continuer à mesurer dudit lieu, jusqu’à la longueur desdits cinquante pas. »

Si j’ai bien compris, la largeur de cette zone serait de l’ordre de 82, 2 mètres.

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel, ministre

Elle s’établit à 81, 2 mètres !

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Je vous remercie de cette précision, monsieur le président de la commission.

Depuis leur origine, ces cinquante pas géométriques sont « inaliénables et imprescriptibles sans le consentement et le concours de la Nation ».

De nombreux particuliers se sont progressivement approprié des parcelles sur cette zone. La loi du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d’outre-mer a pris le parti d’ouvrir les droits de cession et de régularisation des occupants fonciers sans titre dans les espaces urbanisés, les espaces naturels étant confiés au Conservatoire du littoral.

Un amendement déposé par le Gouvernement lors de l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement visait à accélérer les processus de régularisation.

Nous en sommes bien conscients, depuis plus d’un siècle, la possession de la terre sur cette zone est devenue un enjeu symbolique fort pour la population locale, notamment depuis l’abolition de l’esclavage.

Comme cela est mentionné dans le rapport de Serge Larcher, 15 % de la population de Guadeloupe et de Martinique vit dans cette zone. Nous comprenons donc l’intérêt de régulariser les situations qui peuvent l’être et, par conséquent, la nécessité de prolonger l’existence des agences d’aménagement, couramment appelées « agences des cinquante pas géométriques ».

En effet, à compter du 1er janvier 2014, la mission de régularisation foncière qu’elles exercent devait être attribuée à des établissements publics fonciers d’État. Or la création de ces derniers n’est plus d’actualité, notamment à la suite de la décision des collectivités territoriales de créer leurs établissements publics fonciers.

De fait, si ces agences disparaissent, à cette date, aucun organisme ne sera en mesure de reprendre leurs missions de régularisation foncière et d’aménagement. La présente proposition de loi répond donc à une urgence. Elle est bienvenue.

Néanmoins, la prolongation de la durée de vie de ces agences ne résoudra pas à elle seule les problèmes liés à l’aménagement des espaces concernés.

Il convient de rappeler que les cessions ne doivent pas être effectuées en privatisant le littoral. Il est indispensable que les pouvoirs publics assurent le respect du libre accès au littoral et l’arrêt de l’accaparement des espaces naturels.

On le sait, malgré tout, le phénomène d’occupation sans titre sur la zone des cinquante pas géométriques continue de se développer. Et le bilan qui peut être dressé des différentes lois est décevant. Le Gouvernement établissait déjà le même constat à l’occasion de l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement. Près de quinze ans après la loi de 1996, le nombre des cessions-régularisations reste très faible, les zones aménagées et équipées sont peu nombreuses, et les constructions illicites sur les espaces littoraux ont continué à se développer, compromettant ainsi la sauvegarde du littoral pour les générations futures.

Ce bilan s’explique notamment par le fait que, depuis plus d’un siècle, tous les dispositifs mis en place pour tenter de régulariser la situation foncière sur ces espaces ont entretenu le sentiment que, de régularisation en régularisation, la zone des cinquante pas géométriques était un territoire ouvert, sur lequel il était possible de s’installer.

Le flux de nouveaux occupants sans titre doit cesser. Cela ne pourra être le cas qu’avec un soutien actif et fort des maires et des collectivités locales.

Plusieurs défis sont à relever : protéger le littoral en luttant contre les nouvelles installations illicites ; permettre un accès au littoral à tous, comme partout ailleurs ; lutter contre l’urbanisation exagérée de ces espaces et définir de justes perspectives pour l’utilisation de ceux-ci ; régulariser la situation foncière d’une population majoritairement âgée et pauvre, qui n’a bien souvent pas les moyens d’acquitter le prix demandé malgré l’aide financière exceptionnelle de l’État et qui, pour partie, est illettrée – ce paramètre doit effectivement être pris en compte ; assurer à ces populations les équipements publics essentiels, notamment pour ce qui concerne l’eau et l’assainissement ; proposer des relogements aux occupants sans titre non régularisables, car vivant en « zones rouges », c’est-à-dire en zones inconstructibles en vertu des plans de prévention des risques naturels.

C’est pourquoi, si la présente proposition de loi constitue une avancée nécessaire, que nous voterons, la réflexion doit se poursuivre, afin que soit organisé sur ces espaces un aménagement équilibré, en concertation avec les habitants et les collectivités locales. §

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la situation de la zone des cinquante pas géométriques en outre-mer est étroitement liée à l’histoire et à l’évolution de la conception du droit de la propriété.

À cet égard, l’occupation sans titre de cette zone est un phénomène ancien, qui a engendré le développement d’un habitat spontané, renforcé plus tard par la pénurie de logements sociaux.

Mais cette situation correspond aussi à la réalité physique de l’outre-mer, caractérisée par la rareté du foncier du fait de l’insularité, accentuée sous le double effet de la pression démographique et du développement de l’urbanisation.

En 1986, après plusieurs modifications de régime juridique pour tenter d’apporter une solution durable à l’occupation sans titre, la loi Littoral a réincorporé la zone des cinquante pas géométriques dans le domaine public de l’État.

Les occupations sans titre, la résorption de l’habitat spontané sont ainsi au cœur de la mission des agences des cinquante pas géométriques, objet de la présente proposition de loi, nées pour harmoniser leur régularisation.

À cette mission principale se mêlent d’autres enjeux, tels que l’aménagement du territoire, la préservation du littoral et du patrimoine écologique, ou encore le développement économique.

Créées en 1996, ces agences sont en effet devenues l’outil au service de la recherche du nécessaire équilibre à trouver entre ces multiples problématiques et les moyens d’y répondre. Il s’agit de l’équilibre entre préservation du littoral et réponse sociale à la situation des occupants, entre préservation de la ressource et développement économique.

Le problème de la zone des cinquante pas géométriques renvoie donc à une question multiforme, qui dépasse la seule propriété et qui a fait l’objet d’un certain nombre de rapports, parmi lesquels celui qu’ont remis en 2004 Catherine Bersani et Gérard Bougrier.

Au sein de ce document, dans le volet relatif à l’occupation, les auteurs évaluaient entre 15 000 et 18 000 le nombre de familles concernées par l’occupation sans titre et soulignaient, par ailleurs, l’imbrication des enjeux autour de la zone des cinquante par géométriques.

Toutefois, parler des agences des cinquante pas géométriques, c’est en premier lieu aborder indirectement le sujet du logement, par le biais de la régularité de l’occupation. Dans le contexte que l’on connaît en outre-mer, ce sujet mérite toujours la plus grande attention.

L’intervention des agences a mis fin à de nombreuses situations d’occupation irrégulières au regard du droit et à la précarité qui en découle. Elle a en outre contribué à la sécurité des personnes, particulièrement exposées aux dangers liés aux phénomènes climatiques en bordure de mer et résidant dans un habitat souvent insalubre.

Quant aux programmes d’équipement, ils ont participé à la dynamisation économique des littoraux.

Enfin, en matière de préservation, il convient de relever le travail mené de concert avec le Conservatoire du littoral qui gère, respectivement en Guadeloupe et en Martinique, plus de 1 200 hectares et plus de 71 hectares situés dans la zone des cinquante pas géométriques.

Autant dire que la mission des agences est à la confluence du social, de l’économique et de l’écologique. Cela fait de ces structures l’acteur charnière du mouvement de régularisation et de préservation de cette zone.

En dépit du travail accompli, le maintien du nombre de dossiers de demande de cession déposés, voire son augmentation, montre que les différentes campagnes de sensibilisation de la population ont été fructueuses.

Si la conduite de la politique de régularisation a nécessité des ajustements au fil du temps, c’est sans doute en raison de la subtilité et d’une forme de complexité qui la caractérise, justifiant l’ajustement symétrique de son instrument fondamental. Tel est donc l’objet de la présente proposition de loi.

Ainsi au cours des dix dernières années, la programmation de la disparition des agences des cinquante pas géométriques a été revue pas moins de trois fois, comme vous le rappeliez, monsieur le rapporteur.

Elle l’a été tout d’abord en 2003, au travers de la loi de programme pour l’outre-mer, pour tirer les conséquences du retard pris dans la mise en place des agences. Puis, en 2009, la loi pour le développement économique des outre-mer leur a attribué une durée de vie potentielle jusqu’en 2027, avant que la loi Grenelle 2 ne revienne sur cette disposition et ramène l’échéance à 2014.

Bien qu’ayant raccourci leur espérance de vie, ce texte a fort opportunément élargi les compétences des agences pour la gestion du foncier, favorisant une accélération de la régularisation et accroissant l’efficacité de leur action.

C’est pourquoi il nous semble incontestable que les agences ont vocation à demeurer l’interlocuteur privilégié des différents acteurs de la régularisation – État, collectivités et occupants – dès lors que les établissements publics fonciers d’État prévus par la loi Grenelle 2 n’ont pas encore vu le jour.

Laisser disparaître les agences en l’absence d’établissements de relais laisserait un vide évidemment préjudiciable. Celui-ci serait d’ailleurs préjudiciable à double titre, en mettant un frein au processus en cours avec, de plus, le risque de voir se développer d’autres zones d’habitat spontané dans le même temps.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre opinion sur le rôle joué par les agences des cinquante pas géométriques étant particulièrement positive, tant leur mission nous semble globale, nous ne pouvons qu’approuver la démarche de Serge Larcher consistant à proroger leur existence au-delà du 1er janvier 2014.

En outre, comme je le rappelais, par leurs campagnes publiques, les agences des cinquante pas géométriques ont joué efficacement leur rôle dans la régularisation de l’occupation, par l’incitation des occupants à l’acquisition de titres de propriété.

Dans cette optique, il nous semble aussi que l’article 2 tend à introduire un dispositif pertinent en prévoyant, d’un côté, une date butoir à destination des publics concernés et, de l’autre, une période de gestion du stock de demandes du point de vue des agences. Nous souscrivons également à cette disposition.

Mais cette problématique du titrement en outre-mer dépasse largement la seule zone des cinquante pas géométriques. La loi pour le développement économique des outre-mer l’avait prise en compte et avait prévu la mise en place d’un GIP afin de centraliser la reconstitution des titres en outre-mer et à Saint-Martin.

L’article 3 de la présente proposition de loi a pour objet de décentraliser le procédé général de reconstitution des titres de propriété tout en laissant aux collectivités le choix de l’instrument. Celles-ci pourront soit s’appuyer sur une structure existante disposant de l’expérience, voire ayant anticipé le traitement de cette question, soit créer un GIP ad hoc.

Chaque collectivité pourra donc trouver la réponse la mieux adaptée à son contexte – je pense en particulier à Saint-Martin ou à Mayotte – et, en cela, cet article est pragmatique.

J’en profite d’ailleurs pour souligner l’extension du processus de titrement à Mayotte, qui nous semble en cohérence non seulement avec la récente départementalisation, mais aussi avec la situation estimée par la mission de préfiguration du GIP prévu par la LODEOM, dans ce département, en matière de titrement.

Enfin, l’adoption de la proposition de loi de notre collègue Serge Larcher à l’unanimité en commission des affaires économiques est le signe du caractère consensuel de ce texte, dont nous partageons la philosophie.

Comme vous l’indiquez, monsieur le rapporteur et cher collègue, il s’agit avant tout d’une mesure d’urgence destinée à ne pas fragiliser le mouvement de régularisation en cours. Le groupe UMP y souscrit et votera donc ce texte. §

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Antiste

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la zone dite des « cinquante pas géométriques » qui nous préoccupe encore aujourd’hui a une histoire longue et très ancienne. Sa dénomination première en est bien la meilleure preuve : les « cinquante pas du Roi ».

Inaliénable et imprescriptible depuis l’origine, cette zone littorale sera occupée çà et là, et dès le XVIIIe siècle. Cette occupation sans titre va voir son régime évoluer à travers de nombreux textes de la fin du XIXe siècle à 1996, année de la création et de la mise en place des agences des cinquante pas géométriques, dont la durée de vie avait été fixée à dix ans par la loi de l’époque.

Ces agences ont pour mission de mettre en valeur les espaces urbanisés de cette zone. Celle-ci représente 3 543 hectares en Martinique, répartis en deux zones : une zone naturelle de plus de 2 500 hectares à protéger et une zone urbaine de près de 1 000 hectares sur laquelle vivent 15 000 foyers occupants sans titre, soit une densité d’environ 4 000 habitants au kilomètre carré. Ainsi, 15 % de la population se concentre sur 1 % du territoire ! En Guadeloupe, la zone des cinquante pas géométriques totalise 4 450 hectares.

Conscient de l’excellent travail entrepris par ces agences dans chacun des départements antillais, le législateur a, par trois fois déjà, jugé bon de prolonger leur durée de vie, leur expiration étant finalement fixée au 1er janvier 2014.

Si le travail effectué est de très grande qualité, il faut reconnaître que les difficultés de tous ordres n’ont pas manqué. Je suis très à l’aise pour en parler, d’abord pour être maire d’une ville côtière comptant 36 kilomètres de côtes, avec deux quartiers littoraux en fin d’aménagement, ensuite pour avoir été administrateur au sein du conseil d’administration de l’agence de la Martinique. Mais il reste tellement à faire !

Toutes les prévisions législatives, quoique louables dans leurs objectifs, ne sont pas prêtes à être appliquées et cela pose évidemment un réel problème : on risque de voir l’oiseau Agence abattu en plein vol, et il ne le faut pas ! C’est bien là l’objet de cette proposition de loi, que nous sommes nombreux à avoir signée.

Effectivement, beaucoup reste à faire, d’autant que les zones concernées ont continué à se modifier et dans les surfaces occupées et dans le nombre d’occupants, compliquant la tâche des agences, sans compter que celles-ci ont à relever un véritable challenge urbanistique : valoriser avec un maximum de cohérence des espaces occupés sans aucune logique d’aménagement.

Le chemin parcouru est bon, voire excellent, et il s’agit d’aller plus loin sans jeter les outils qui ont été utilisés jusqu’à présent. Prolongeons donc la durée de ces agences au-delà du 1er janvier 2014, soit jusqu’au 1er janvier 2016. De plus, repoussons la date limite de dépôt des demandes de régularisation des occupants sans titre.

Je suis conscient que ces seules mesures ne suffisent pas, comme le précise l’excellent rapport de notre collègue Serge Larcher, …

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Antiste

… mais je sais que les pouvoirs publics se donnent les moyens de fixer définitivement l’occupation, condition indispensable à la réussite et à l’achèvement de la mission.

Mon devoir serait incomplet si je n’attirais pas votre attention, monsieur le ministre, sur mon inquiétude quant à l’après-2016 car si ce n’est pas demain, c’est bien après-demain : les établissements publics fonciers locaux seront-ils déjà opérationnels lors du grand rendez-vous ?

Je veux aussi attirer votre attention sur la nécessité de rendre plus équitable l’assujettissement à la taxe spéciale d’équipement, qui alimente le budget des agences : elle ne concerne que les contribuables des villes littorales.

Le montant attendu et voté par le conseil d’administration de l’agence, après avis des conseils municipaux des communes concernées, pourrait être mieux réparti si la taxe était supportée par l’ensemble des contribuables du département. Après tout, sur une petite île, la mer n’est jamais bien loin et tous en profitent largement. Ce sont d’ailleurs les habitants les plus éloignés de la côte qui ont souvent cherché à occuper ces espaces.

N’oublions pas non plus le sort qu’il faudra réserver au personnel des agences quand celles-ci n’existeront plus.

Aussi donnons-nous les moyens de poursuivre toute la réflexion de manière à assurer nos objectifs, hors toute précipitation. Pour ma part, je suis prêt à apporter ma pierre à l’édifice. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Cornano

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, six minutes me suffisent pour vous confirmer que les agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des « cinquante pas géométriques » de Guadeloupe et de Martinique apportent aux services de l’État et des collectivités une aide incontournable au règlement de situations d’occupation du domaine public maritime.

Si leur utilité et leur efficacité sont indéniables, le travail à effectuer reste très important sur ces zones exposées à une occupation humaine en expansion continue et dont l’histoire est fortement imprimée dans notre mémoire collective.

Ainsi, je félicite notre rapporteur d’avoir été à l’initiative de cette proposition qui vise à prolonger l’existence des agences afin de permettre, dans l’attente de la mise en place des établissements publics fonciers, la poursuite des missions de régularisation foncière et d’aménagement.

La gestion de la régularisation de demandes est loin d’être achevée et la suppression des agences aurait eu des effets tout à fait préjudiciables pour les demandeurs vivant dans les zones du domaine public maritime et dont les situations financières et humaines sont souvent très difficiles.

En Guadeloupe et en Martinique, ce sont environ 3 000 constructions dont le dossier doit encore faire l’objet d’un traitement et l’expérience montre que le rythme de dépôt des demandes de régularisation par les occupants sans titre de propriété peut atteindre jusqu’à 1 000 demandes par an.

À ce gisement de matériel de bâtis, il convient d’ajouter un chantier inattendu résultant de la nécessité d’assurer un accompagnement de nature sociale personnalisé aux demandeurs de bonne foi dont les dossiers ont fait l’objet d’un refus, notamment parce que leur habitat se situe sur une zone supportant de forts risques naturels et qu’ils doivent être relogés.

Par ailleurs, les agences assurent un service d’équipement en voirie et réseaux divers des quartiers informels et la mise à disposition des communes de parcelles équipées pour la réalisation de logements sociaux est loin d’être achevée, comme le souligne le rapport de la commission des affaires économiques. Pourtant, cette mission essentielle ne saurait être prise en charge par nulle autre structure en raison de sa faible rentabilité financière.

Par conséquent, la création des établissements publics fonciers devra permettre de mettre en place des stratégies foncières afin de mobiliser du foncier et de favoriser le développement durable, mais elle devra également bien concilier et conforter le caractère social du rôle de ces structures à l’égard des occupants, ainsi que permettre l’aménagement des zones en protégeant les espaces naturels.

L’identification et la circonscription des priorités des établissements publics seront donc essentielles à la réussite des missions qui seront assignées à ceux-ci.

Nombre de questions demeurent en suspens quant à ces futurs établissements publics fonciers, qui seront a priori locaux. Nous espérons que des objectifs opérationnels seront strictement fixés et que les missions s’inscriront dans un calendrier à tenir avec rigueur.

Monsieur le ministre, pourriez-vous m’indiquer les raisons de l’exclusion d’établissements publics fonciers de l’État dans les départements de Guadeloupe et de Martinique, alors même que l’article L. 321–12 du code de l’urbanisme prévoit une telle possibilité et que c’est le cas en Guyane ? Le rapport de notre collègue Serge Larcher indique seulement que « deux établissements publics fonciers ne pouvant cohabiter en Martinique et en Guadeloupe, le projet de créer des EPF d’État a été écarté ».

Par ailleurs, il nous paraît indispensable de souligner l’importance de la protection de l’environnement dans ces zones en front de mer et la nécessité de maintenir le rôle fondamental de l’ONF dans les processus décisionnels.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’apporte certes aucune mesure nouvelle, mais comble un éventuel vide juridique, dont les conséquences auraient été véritablement catastrophiques pour nombre de nos concitoyens. Ainsi, je voterai ce texte avec l’espoir de voir fonctionner les nouveaux établissements publics fonciers guadeloupéen et martiniquais le plus rapidement possible. La Guadeloupe et la Martinique méritent une réflexion ambitieuse sur l’avenir de leur littoral. §

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’ambition de cette proposition de loi est de combler un vide juridique qui pourrait être fort préjudiciable à la Guadeloupe et à la Martinique en matière de régularisation foncière de la zone littorale et de pallier l’inexécution de l'article 35 de la LODEOM, adoptée en 2009, relatif à la mission de titrement qui avait été confiée à un GIP unique, ce qui s’est avéré – nous avons pu le constater – inapplicable. Le Gouvernement a très bien compris l’intérêt de cette proposition de loi, qu’il soutient.

Je l'ai dit dans mon propos liminaire, une mission d'inspection a été diligentée : elle doit nous permettre d’avoir une vision d’ensemble de la question. Sitôt son rapport remis, ce qui sera fait dans quelques mois, nous n'hésiterons pas à en tirer des conclusions qui seront, je l'espère, significatives, et à proposer un dispositif plus global et définitif dans le véhicule législatif qui sera porté par Cécile Duflot.

Nous sommes bien conscients – en ce qui me concerne, pour l’avoir vécu personnellement – de la confusion qui s'est installée depuis longtemps sur ces zones. Nous avions déjà l’ONF et les agences des cinquante pas géométriques, dont l’existence a été prorogée à plusieurs reprises, avec une taxe spéciale d’équipement portée uniquement par les communes littorales. Nous aurons bientôt les EPF, de l’État ou locaux, qui seront financés au moyen d’une redevance.

La question se pose de savoir pourquoi – c'est, me semble-t-il Jacques Cornano qui a soulevé ce point intéressant – la plupart des collectivités ont écarté la formule de l'établissement public foncier d'État. Le Gouvernement a bien compris que, au regard de l'esprit de la décentralisation, l’EPFE représente en quelque sorte une forme de recentralisation d'une politique très importante pour les collectivités : la politique foncière et, demain, la politique du logement, en particulier du logement social.

Je me suis renseigné, les EPFE fonctionnent très bien. Mais le directeur est nommé par l'État, il est l'ordonnateur de l'établissement public. En revanche, un EPFL relève des élus locaux : ce sont eux qui désignent, qui gèrent et qui assument pleinement les responsabilités. Cette formule fonctionne bien à la Réunion, où l’EPFL mène une politique de réserve foncière. En Guadeloupe, l’ensemble des collectivités a été consulté : la plupart d’entre elles se sont prononcées pour un EPFL. Un rapport d'inspection a été fait. L'État avait proposé un EPFE, mais il s'est rendu compte que cette formule se heurtait à la forte volonté des élus de domicilier le pouvoir local dans les territoires. Attentif au souhait des élus, le Gouvernement a préféré proposer un EPFL.

La question de l'après-2016 a été posée par de nombreux orateurs, dont Jacques Cornano et Joël Guerriau. Nous avons différents scenarii selon les choix faits par les collectivités.

Je vérifierai ce qu’il en est pour Saint-Martin où je me rendrai très bientôt. Après avoir discuté avec les élus, la situation est la suivante. En Guadeloupe, c’est un EPFL. En Martinique, il y a l'agence et un EPFL a été créé. J'ai bien entendu la demande du sénateur Antiste d’attendre de voir si le dispositif fonctionne avant d’envisager une absorption par un nouvel organisme. Il faut s'assurer du caractère opérationnel de la formule choisie.

En Guyane, il y a l’établissement public d'aménagement guyanais, qui fera probablement l'objet d’un examen en vue d’une éventuelle révision. Un EPFL pourrait être créé, si tant est que cela soit le choix des élus guyanais.

À la Réunion, l’EPFL a été créé.

Mayotte, qui entre également dans le périmètre de la mission de titrement, doit encore être consultée : ce sera soit un GIP, soit un EPFE ou un EPFL. Compte tenu du choc institutionnel que Mayotte devra absorber, un dialogue opiniâtre, ou à tout le moins soutenu, devra être mené avec les institutions et les élus pour faire le choix définitif de la structure qui sera chargée des deux missions. Un EPFE est envisageable, si la collectivité le souhaite, compte tenu du choc institutionnel que Mayotte devra absorber, je le répète, à compter du 1er janvier 2014. Nous prenons de nombreuses ordonnances, car nous ne pouvons pas faire autrement. Le code général des impôts devra désormais être appliqué sur ce territoire, ce qui suppose de nouveaux impôts ; sont également en cours une mission cadastre, et une mission état civil, qui s’achève. Ensuite, il y aura l'octroi de mer. Un énorme travail notamment en matière de cadastre doit être effectué. Il faudra donc être très attentif à la situation.

En tout cas, on peut retenir la souplesse de loi : elle sera adaptée en fonction de la volonté des élus locaux et selon les réalités locales.

Le bilan des agences des cinquante pas géométriques, évoqué par Serge Larcher, est mitigé, je le reconnais. Ce n’est pas une stigmatisation. Leur durée de vie a été prolongée, et le sera sans doute encore jusqu'en 2016. Après un certain nombre d’années de fonctionnement, on ne peut nier qu’elles rencontrent des difficultés. Une formule appropriée devra être trouvée. C’est pourquoi – j’hésite à vous le dire, mais c’est dans l’ordre des choses –, selon le contenu du rapport qui nous sera remis par les deux inspecteurs, des conclusions devront être tirées. Faudra-t-il aller jusqu'à l'absorption des agences par les établissements publics fonciers ou, comme cela a été fait à la Réunion, aller jusqu’à donner les terres aux communes et, depuis 1922, les titrements ont été faits ? Voilà un exemple qui n'a pas été évoqué !

Si l'on veut éviter de créer trop d'institutions, trop d’instances, trop de « zinzins », diraient certains, une réflexion ne doit-elle pas être menée sur ce sujet ?

Je sais bien que des inquiétudes existent quant au personnel, à la pérennisation, aux institutions. Mesdames, messieurs les sénateurs, toutes ces questions seront mises sur la table et nous reviendrons bien évidemment devant vous.

Une autre question pose problème, sur laquelle j’ai, là aussi, demandé à l'inspection de nous éclairer : il s’agit des différences d'évaluation des terrains en Martinique et en Guadeloupe. Je ne comprends pas les méthodes employées.

J'ai bien entendu tous les intervenants demander des aides plus importantes pour aider les occupants de ces zones, qui sont des populations défavorisées. Mais, dans mon budget, 500 000 euros sont inscrits sur une ligne budgétaire unique. La distribution de ces crédits est très certainement pertinente, mais elle n’est peut-être pas parfaitement appropriée. Le montant est-il suffisant ? J'ai voulu évacuer un affreux soupçon porté par certains élus, lesquels estimaient qu’avec des évaluations aussi élevées, on reprenait d'une main ce qu’on donnait de l’autre avec des subventions déjà insuffisantes. Il faudra soulever toutes ces questions et trouver la meilleure solution, je n'ose dire la moins mauvaise, compte tenu de la situation des finances publiques.

Sur la lourdeur des procédures, évoquée par Jean-Claude Requier, vingt-deux étapes nécessaires pour régulariser, c’est long.

S’agissant des zones rouges, la question de leur gestion se pose : faut-il reloger les occupants actuels ? Comment le faire ? Je n'ai pas aujourd’hui la réponse.

J'ai déjà répondu à Joël Labbé, qui s'est excusé de devoir partir, la réflexion se poursuivra.

Je tiens à remercier tous les groupes, en particulier l'UMP, qui va voter ce texte de consensus. Je profite de l’occasion pour remercier le groupe l’UDI-UC, qui, ayant changé de position, a voté en faveur de la précédente proposition de loi.

Enfin, nous devrons poursuivre une réflexion sur le financement. Nous n’avons pas évoqué ce point, mais à l'époque où les textes ont été discutés au Parlement, 60 % du financement provenait de l'État, contre 40 % des collectivités. §

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

(Non modifié)

Le premier alinéa de l’article 4 de la loi n° 96–1241 du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d’outre-mer est ainsi modifié :

1° À la deuxième phrase, les mots : « maximale de deux ans » sont remplacés par les mots : « qui ne peut excéder le 1er janvier 2016 » ;

2° La dernière phrase est supprimée.

L'article 1 er est adopté.

(Non modifié)

Au deuxième alinéa de l’article L. 5112–5 et au troisième alinéa de l’article L. 5112-6 du code général de la propriété des personnes publiques, la date : « 1er janvier 2013 » est remplacée par la date : « 1er janvier 2015 ». –

Adopté.

L’article 35 de la loi n° 2009–594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer est ainsi rédigé :

« Art. 35. – I. – En Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte et à Saint-Martin, il peut être mis en œuvre une procédure, dite procédure de titrement, ayant pour objet :

« - de collecter et d’analyser tous les éléments propres à inventorier les biens fonciers et immobiliers dépourvus de titres de propriété ainsi que les occupants ne disposant pas de titres de propriété ;

« - d’établir le lien entre un bien et une personne, afin de constituer ou de reconstituer ces titres de propriété.

« II. – La procédure de titrement mentionnée au I peut être conduite :

« - soit par un groupement d’intérêt public qui peut être constitué, dans chacun des territoires concernés, dans les conditions prévues au chapitre II de la loi n° 2011–525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.

« Chaque groupement est constitué de l’État, de la région d’outre-mer concernée ou, selon le cas, du Département de Mayotte ou de la collectivité de Saint-Martin, ainsi que d’associations d’élus locaux et de représentants des notaires. Compte tenu des compétences spécifiques exigées par la procédure de titrement qui lui est confiée, le groupement peut, par exception aux dispositions du 3° de l’article 109 de la loi n° 2011–525 du 17 mai 2011 précitée, recruter directement et en tant que de besoin des agents contractuels de droit public ou de droit privé ;

« - soit par un opérateur public foncier, sous réserve que le statut de cet opérateur soit complété par des dispositions permettant la mise en œuvre de cette nouvelle mission.

« L’organe délibérant de cet opérateur est alors complété par les représentants des personnes mentionnées au troisième alinéa du présent II.

« III. – L’opérateur public foncier ou le groupement d’intérêt public chargé de la procédure de titrement crée et, le cas échéant, gère l’ensemble des équipements ou services d’intérêt commun, et effectue les travaux et missions connexes ou complémentaires rendus nécessaires par la conduite de la procédure de titrement.

« Pour l’accomplissement de sa mission, l’opérateur public foncier ou le groupement d’intérêt public chargé de la procédure de titrement peut créer un fichier de données à caractère personnel dans les conditions définies par la loi n° 78–17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

« Sans que puisse leur être opposé le secret professionnel, l’opérateur public foncier ou le groupement d’intérêt public chargé de la procédure de titrement ainsi que les personnes qu’il délègue peuvent se faire communiquer par toute personne, physique ou morale, de droit public ou de droit privé, tous documents et informations nécessaires à la réalisation de la procédure de titrement, y compris ceux contenus dans un système informatique ou de traitement de données à caractère personnel.

« Les agents de l’opérateur public foncier ou du groupement d’intérêt public chargé de la procédure de titrement et les personnes qu’il délègue sont tenus de respecter la confidentialité des informations recueillies au cours de leur mission sous peine des sanctions prévues aux articles 226–13, 226–31 et 226–32 du code pénal.

« Ces informations sont communiquées aux officiers publics ministériels concernés, aux représentants de l’État ainsi qu’aux responsables des exécutifs des collectivités territoriales. »

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 14

Après le mot :

communiquées

insérer les mots :

aux pétitionnaires,

II. - Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Les informations mentionnées à l’alinéa précédent sont consultables par toute personne intéressée en préfecture. »

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel, ministre

L’ordre d’examen des amendements me donne la priorité, mais je souhaite répondre par anticipation à un amendement tout à fait judicieux présenté par M. Lenoir.

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel, ministre

Nous comprenons son amendement, qui tend à améliorer le texte, et voulons en tenir compte.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement vous propose simplement de préciser que les informations concernées sont aussi communiquées aux pétitionnaires et peuvent être consultées par toute personne intéressée – par exemple, des contestataires. L’information sera donc parfaite.

Sous le bénéfice de cet engagement, je serai donc conduit à vous demander, monsieur Lenoir, de bien vouloir retirer votre amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Lenoir, est ainsi libellé :

Alinéa 14

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

« Un décret d’application précise les conditions dans lesquelles les informations collectées par l’opérateur public ou le groupement d’intérêt public chargé de la procédure du titrement sont portées à la connaissance des personnes concernées. »

La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les compliments que je viens d’entendre justifient pleinement mon initiative et le temps que j’ai passé avec vous sur un sujet intéressant et important, dont j’ai autrefois eu à connaître à l’occasion d’une mission effectuée dans le cadre de responsabilités au sein l’administration centrale.

Vous avez souhaité, monsieur le ministre, que je retire mon amendement au profit du vôtre, mais je me permets de le résumer brièvement au moins à l’intention des lecteurs du Journal officiel, car si tous les sénateurs ici présents sont parfaitement avertis de la question, il convient cependant d’exposer le problème posé.

Le Gouvernement a déposé un amendement concernant la procédure de titrement, confiée soit à un groupement d’intérêt public, soit à un opérateur public foncier. Aux termes de cet amendement, d'ailleurs fort long et donc très précis, l’opérateur public travaillait sous le sceau de la confidence, ce qui est tout à fait justifié, et les informations finalement recueillies par lui étaient transmises aux autorités locales, aux officiers ministériels etc.

Or, lorsque cet amendement est parvenu à la commission, il est apparu que l’on ne savait pas comment ces informations étaient finalement connues des personnes concernées. D’où l’amendement que j’ai déposé, qui prévoit un décret d’application destiné à préciser le dispositif.

Le ministre fait très justement observer qu’un décret d’application s’ajoutant à d’autres, cela risque d’engendrer des complications et des retards. Loin de moi l’idée d’ajouter à la frénésie législative à laquelle notre rapporteur faisait allusion tout à l'heure ! Je voulais simplement que les choses fussent précisées.

Je maintiens néanmoins mon amendement, pour le cas où celui du Gouvernement ne serait pas adopté §– hypothèse assez peu vraisemblable, j’en conviens –, afin de nous ménager en quelque sorte un parachute ventral !

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

L’amendement de notre collègue Lenoir prévoit qu’un décret d’application précise les conditions dans lesquelles les informations recueillies par la structure chargée de la procédure de titrement sont portées à la connaissance des personnes concernées. Il s’agit d’obtenir une information plus complète que celle qui est recueillie dans le cadre de la procédure de titrement. Fort bien !

Cependant, cet amendement pose deux problèmes.

D’une part, sur la forme, il est ambigu : quelles personnes vise-t-il exactement ? S’agit-il des personnes qui vont bénéficier d’un titre de propriété ? Ou bien des autorités, notaires, représentants de l’État, élus locaux ?

D’autre part, cet amendement pose un problème sur le fond : je rappelle que le décret d’application initialement prévu par l’article 35 de la loi pour le développement économique des outre-mer de 2009 n’a toujours pas été publié, au bout de quatre ans. C'est d'ailleurs pour cela que le dispositif législatif a été modifié. Vous comprenez dons aisément que je ne puisse pas être favorable à un amendement ayant pour effet de ne rendre le dispositif prévu applicable qu’après la publication d’un décret.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Souhaitant répondre aux inquiétudes de notre collègue, le Gouvernement a déposé un amendement tendant à renforcer l’information des personnes concernées par la procédure de titrement en prévoyant qu’elles pourront consulter à la préfecture les informations transmises aux autorités.

L’amendement de notre collègue paraît, dans ces conditions, satisfait. La commission est donc favorable à l’adoption de l’amendement du Gouvernement et souhaite le retrait de celui de Jean-Claude Lenoir.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Comme je l’ai dit en commission, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois manifeste cette préoccupation en permanence : un certain nombre de lois demeurent inapplicables, faute de parution de leurs décrets d’application.

L’intention de Jean-Claude Lenoir était tout à fait louable…

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. … et, d'ailleurs, nous avions invité notre collègue à déposer un amendement. Je suis donc très content, monsieur Lenoir, que vous ayez obéi à cette amicale injonction, même si vous avez été « doublé » par le Gouvernement.

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Mais, d’une façon générale, chers collègues, évitez donc de prévoir des décrets d’application dans vos propositions de loi, car cela peut renvoyer aux calendes grecques la mise en œuvre de vos initiatives…

Vous le voyez, monsieur Lenoir, j’interviens plutôt sur la forme et non sur le fond, pour lequel vous avez satisfaction.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Je n’ai pas l’intention de prolonger les débats. Un échange très intéressant et sympathique a eu lieu. Nous sommes donc d’accord sur le fond. Sur la forme, mon amendement aura permis au Gouvernement de remarquer qu’il manquait quelque chose à celui qu’il avait déposé la semaine dernière… Le but est atteint et, dans ces conditions, je vais retirer mon amendement.

On peut se rallier au propos général du président de la commission : en effet, trop de décrets d’application sont prévus. J’avais d’ailleurs le sentiment que son admonestation s’adressait au Gouvernement plutôt qu’aux sénateurs, qui ne produisent pas énormément de propositions de loi, dans lesquelles ils ne renvoient au surplus que rarement à des décrets d’application.

M. le président de la commission s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Cela dit, je retire mon amendement, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L'amendement n° 1 rectifié est retiré.

La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote sur l’amendement n° 2.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que l’histoire coloniale de Mayotte soit plus récente que, par exemple, celle des Antilles, mon département possède, lui aussi, sa zone des pas géométriques héritée d’un passé douloureux.

Dans une île où coexistent deux sortes de propriétés, la propriété coutumière et la propriété dite « titrée », la première catégorie, qui concerne la quasi-totalité des villes et des villages, pose à ce jour d’énormes problèmes aux Mahorais. Plusieurs parcelles situées sur les rivages de l’île, souvent habitées, se trouvent dans la zone des pas géométriques. Or la plupart de ces parcelles sont possédées sans titre malgré un processus de régularisation engagé depuis les années quatre-vingt-dix.

Par ailleurs, la réglementation de la régularisation foncière, qui résulte notamment des décrets dits Fillon, se révèle injuste – je dirais même particulièrement injuste. Elle aboutit en effet à demander à des propriétaires coutumiers, plusieurs générations après une installation sur des terres leur ayant toujours appartenu et transmises par leurs ancêtres, d’acheter ces terrains à l’État.

C'est pourquoi je me réjouis de l’article 3 de la présente proposition de loi, qui instaure une procédure dite « de titrement ».

Eu égard à la situation financière des collectivités de Mayotte, et parce qu’il est de la responsabilité de l’État de « boucler » la régularisation foncière avant le transfert des compétences décentralisées, j’appelle de mes vœux la mise en place très rapide d’un organisme étatique afin de régler, une fois pour toutes, la problématique foncière de la zone des pas géométriques

Je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre, sur le « choc institutionnel » que connaît ce département, qui milite avec d’autant plus de force en faveur de cet organisme étatique. Il y va de la réussite du développement de ce département et de sa réforme fiscale, programmée au 1er janvier 2014.

Il s’agira, par ailleurs, de rendre justice aux propriétaires coutumiers mahorais, qui risquent une véritable spoliation si la situation demeure inchangée. C'est pourquoi je ne peux qu’être favorable à l’article 3 de cette proposition de loi, et demander que le processus de titrement, pour reprendre les termes de cet article, soit rapidement mis en œuvre à Mayotte.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Je voulais simplement préciser à notre collègue Jean-Claude Lenoir que le message que j’ai lancé s’agissant des décrets d’application concernait bien entendu les propositions de loi, mais qu’en aucune façon je n’ai changé de position concernant les projets de loi déposés par les gouvernements, quels qu’ils soient ! J’avais même souhaité, devant une autre majorité sénatoriale, que les projets de loi soient accompagnés de leurs projets de décrets d’application…

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.

Je mets aux voix l'article 3, modifié.

L'article 3 est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Je vais mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?...

Je mets donc aux voix l’ensemble de la proposition de loi, dont la commission a ainsi rédigé l’intitulé : « Proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques et à faciliter la reconstitution des titres de propriété en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte et à Saint-Martin ».

La proposition de loi est adoptée.

Debut de section - Permalien
Victorin Lurel, ministre

M. Victorin Lurel, ministre. Je tiens à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs. Si toutes les lois que je défends étaient votées avec pareille unanimité dans les deux assemblées, je serais un ministre totalement heureux… Heureux, je le suis, mais je le serais encore davantage !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 21 mai 2013, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 313-13 du code de la construction et de l’habitation (participation des employeurs à l’effort de construction) (2013-332 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (projet n° 441, texte de la commission n° 569, rapport n° 568, avis n° 570 et 537).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Vincent Peillon

Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, madame la rapporteure, madame, monsieur les rapporteurs pour mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une grande fierté pour moi que de vous présenter ce projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

Je salue d’abord très chaleureusement et sincèrement le travail qui a été mené en commission. Durant sept heures de débat – ce n’est pas rien ! –, 426 amendements ont été examinés et 135 amendements ont été adoptés. Soixante-cinq d’entre eux émanaient de la commission, mais tous les groupes ont vu certains de leurs amendements adoptés ; je salue par conséquent vos méthodes de travail.

Je le dis d’autant plus que j’attends beaucoup de ce débat, pour l’école elle-même, bien sûr, mais au-delà, pour une certaine conception de la République, puisqu’il s’agit de la refondation de l’école de la République.

La première chose – elle est ancienne –, c’est que la loi, déclaration publique et solennelle de la volonté générale sur un objet d’intérêt commun, suppose la délibération, et par conséquent les lumières. Lorsque l’on pénètre dans une salle de classe, comme nous l’ont enseigné nos maîtres de l’école primaire, on apprend tout d’abord à l’élève à se décentrer : je n’ai pas raison tout seul. Comme le disait Anatole France dans ses beaux ouvrages, le chien de M. Bergeret se croit toujours le centre du monde. Ce n’est pas bon pour la démocratie.

L’école de la République est l’idée même de la rationalité. Elle cherche à décentrer les points de vue. « Je m’écoute, mais se croire, c’est ce qu’il y a de pire », disait Alain. J’essaie de prendre en compte le point de vue de l’autre. C’est que nous sommes plus intelligents à plusieurs que tout seul, mesdames, messieurs les sénateurs.

De ce point de vue, le travail parlementaire, qui a déjà été bien conduit à l’Assemblée nationale, est essentiel à l’intelligence de la loi. Je considère que, en laissant les débats se dérouler – j’ai veillé à ne pas être présent en commission pour que les parlementaires œuvrent comme ils l’entendaient –, nous participons aussi de cet esprit.

La deuxième chose – et elle est centrale, pour moi, dans ce débat au Sénat, parce que j’ai été surpris par la première lecture à l’Assemblée nationale –, c’est que nous devons et nous pouvons nous rassembler autour de l’école de la République. Comme je n’ai cessé de le répéter, il s’agit d’un nouveau pacte entre l’école et la nation. L’école n’appartient pas aux uns ou aux autres, elle appartient à tout le monde. C’est d’ailleurs une idée que vous avez défendue dans les amendements que vous avez proposés, y compris à l’égard des parents.

Je ne vois pas pourquoi, lorsque l’on adopte le point de vue qui fut le nôtre, celui de la clarté, de la simplicité, de la méthode, en commençant par ce qui est élémentaire et donc fondamental, ce sur quoi nous allons construire, on devrait se diviser ! Certains ne comprennent pas ce que « fondation » veut dire. La fondation, c’est ce sur quoi l’école repose. Elle est d’une simplicité que personne n’a été capable de mettre en œuvre, dans notre pays, non pas depuis cinq, dix, vingt ans, mais depuis plus d’un siècle : c’est la priorité au primaire.

Qui peut nous dire, alors que, pour la première fois, nous proposons une loi de refondation de l’école de la République qui accorde la priorité au primaire, avec des moyens programmés et l’ambition de nouvelles pédagogies, que nous ne pouvons pas nous rassembler autour de cette idée ? J’ai connu d’anciens ministres de l’éducation nationale – certains membres de cette confrérie siègent d’ailleurs dans votre noble assemblée – qui ne sont pas de ma famille politique et qui soutiennent cette priorité au primaire.

Pour quelle raison ? Lorsque 25 % des élèves qui entrent au collège aujourd’hui sont en difficulté pour lire, écrire, compter et entrent dans le processus de l’échec que nous connaissons et, à terme, du décrochage, les difficultés se sont créées avant. Chacun convient donc que, pour ces apprentissages fondamentaux, l’effort doit être fourni avant. Or, de tous les pays développés de l’OCDE, nous sommes celui qui accorde le moins à l’école primaire. Je ne parle pas encore de la formation des enseignants, mais j’évoque ici les moyens humains qui sont mis devant les élèves. Notre taux d’encadrement des élèves du primaire est le plus faible de tous les pays de l’OCDE.

Nous avons choisi d’accorder la priorité au primaire pour permettre la réussite de tous les élèves, en veillant à programmer des moyens dans la transparence, pour un tiers vers le secondaire et pour deux tiers, c'est-à-dire le double, vers le primaire.

Les besoins, dans les zones en difficulté – qu’elles soient urbaines, rurales ou dans les territoires d’outre-mer – sont criants. Nul n’est venu contester, lorsque nous avons présenté le collectif budgétaire prévoyant 1 000 postes supplémentaires pour le primaire au printemps dernier, ni à présent que les postes sont prévus pour la rentrée prochaine, que le fait de ne pas fermer une classe dans un village, d’être capable de ne pas en fermer une dans une zone urbaine sensible n’est ni de gauche ni de droite, mais républicain, dans l’intérêt des élèves et donc dans l’intérêt, demain, de la nation.

Debut de section - Permalien
Vincent Peillon, ministre

Certains, dont le sénateur Carle, nous disent – et ils ont raison – qu’il faut accorder aux apprentissages précoces toute leur importance. Certainement ! L’accueil des moins de trois ans était de plus de 30 % en 2002, mais de 10 % lorsque j’ai pris mes fonctions. Il fait partie de nos priorités.

Lorsque nous sommes face à notre conscience, face aux raisons profondes de notre engagement dans la vie politique, considérant ce bien commun qu’est l’école de la République depuis deux siècles, nous devons dépasser les positionnements, les petitesses, les rancœurs, les habiletés, parce que la priorité au primaire est bonne pour le pays.

C’est simple, mais ce sont les fondements. Vous voulez construire du solide pour le collège et le lycée ? Construisez d’abord les fondements du primaire ! En 2002, sous la présidence de Jacques Chirac, certains ont tenté, je m’en souviens, de diviser par deux les effectifs des cours préparatoires, puis l’idée s’est égarée en route ; c’est dommage.

Nous devons à la fois accorder les moyens et changer les pédagogies là où les besoins sont les plus grands. C’est ce que nous faisons, et c’est essentiel.

Le deuxième axe – et il est lié – est celui de la formation des enseignants. Depuis la loi Guizot et le début de la IIIe République, chacun sait que l’école de la République, l’école qui a créé la République, qui en est comme le cœur battant, s’est construite d’abord autour de la formation des maîtres, dans des conditions très difficiles, des querelles ayant divisé durement le pays jusqu’en 1905. Les instituteurs furent souvent mal traités, vous le savez, par rapport aux professeurs du secondaire ou du supérieur. Cependant, la formation telle qu’elle était prodiguée dans les écoles normales a permis à des générations entières de « hussards noirs » d’assurer au pays une espérance par la promotion républicaine. C’est que, mesdames, messieurs les sénateurs, ces instituteurs ressemblaient à leurs élèves, ils étaient comme eux immigrés polonais installés dans les corons du Nord, dans les zones rurales en Bretagne ou ailleurs. La nation leur avait permis de s’intégrer et d’aimer la France, et de reproduire ainsi le modèle adopté.

Cela s’est tari avec la mastérisation : cinq ans d’études supérieures sans aucun moyen pour les conduire. Comment, lorsqu’on est enfant d’un milieu populaire, peut-on suivre ces études ? La sociologie de nos professeurs, aujourd'hui, n’est plus la même. Les emplois d’avenir professeur commencent à y remédier. Ils le feront davantage dans les années qui viennent, en assumant à nouveau ce mouvement de justice et d’espérance qui fait, je crois, l’essentiel des valeurs que nous partageons, à un moment où notre pays et notre jeunesse, dont 25 % est au chômage, souffrent d’un accroissement des inégalités et ont besoin de cet engagement de toute la nation.

La création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation a certes un coût. Sur la programmation des 54 000 postes que je vous propose, 27 000 postes sont destinés à permettre aux jeunes gens qui se destinent à ce métier de bénéficier, comme nous-mêmes auparavant, d’une année de stage, de la professionnalisation et de l’entrée progressive dans le métier afin de l’apprendre et de le vivre au mieux.

Quand nous débattons de l’école, nous sommes capables de parler de tout ce qui est accessoire, mais très peu de ce qui est essentiel, ce mouvement d’élévation qui va contre le mouvement d’abaissement, parce que l’élève devient capable, comme ceux qui, par le passé, et nous en sommes, ont reçu de bons enseignements, de clarté, de distinction, de simplicité.

On évoquera sans doute une foule de sujets, puisque l’on demande tout à l’école, mais l’essentiel, c'est-à-dire la capacité pour les élèves d’apprendre à lire, à écrire, à compter, à se cultiver, « l’éducation libérale » dont parlait Jules Ferry, ce droit de se perfectionner qui est au cœur de la nature humaine et que l’État doit considérer comme son devoir dans une République qui a conjugué République sociale et République libérale depuis un siècle, de cela, nous ne parlons pas !

L’essentiel, c’est la priorité donnée au primaire, c’est la formation des enseignants, avec la création, par une loi de programmation, chose rare dans des circonstances budgétaires aussi difficiles, de 27 000 postes dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation.

Ces écoles, je l’entends aussi, seraient des IUFM revisités. Mais pas du tout ! Les ESPE, saluées aujourd'hui dans toute l’Europe et même au sein de l’OCDE – car la France est parfois regardée pour ce qu’elle fait de positif –, sont un nouveau modèle. Nous avons changé la place du concours ; nous avons réécrit entièrement toutes les maquettes de concours de recrutement. Nous avons également revu ce que l’on désigne sous le vilain vocable de « référentiel métier ».

Nous souhaitons par ailleurs que les étudiants, dès la troisième année, puissent être accompagnés par des professionnels, à la fois des universitaires pour les différentes disciplines, pour la didactique, mais aussi des praticiens exerçant dans les établissements où nos étudiants auront demain à enseigner.

J’ai réuni, la semaine dernière encore, les chefs de projets, les recteurs, la conférence des présidents d’université, afin que nous ne reproduisions pas les mêmes erreurs. Ce qui a coûté très cher au système d’éducation français et que nous essayons de dépasser ici, c’est la division permanente entre les uns et les autres : le mépris du professeur du secondaire pour le professeur du primaire, du professeur de l’université pour le professeur du secondaire, sans oublier l’incompréhension à l’égard des éducateurs, comme nous avons pu l’observer à l’occasion de la réforme des rythmes scolaires.

Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation rassembleront tous ceux qui ont vocation à enseigner et qui doivent avoir non seulement des savoir-faire, des savoir-être, mais aussi une connaissance de l’enfant, de l’élève dans la totalité de son développement, de son parcours et de son insertion dans la société. Ils doivent aussi apprendre à se connaître.

Par ce projet de loi, nous proposons de mieux travailler la liaison entre l’école et le collège ; il faut que les enseignants partagent des moments communs.

Nos enseignants, recrutés à bac + 5 – même pour la maternelle, fierté française depuis un siècle et en faveur de laquelle nous allons remettre en place une formation spécifique –, sont des fonctionnaires non pas d’exécution mais bien de conception. Il s’agit un métier qui nécessite du tact – c’est tout un art – et donc des connaissances générales, ainsi qu’une approche précise. La recherche, comme dans certains pays, doit participer en permanence de cette interrogation qui fait à la fois la sensibilité et, bien entendu, la confiance qu’un élève peut trouver dans le regard de son professeur.

Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation portent cette ambition, et sur tous les aspects : sur le service public du numérique, sur les enfants en situation de handicap et l’école inclusive qui, à juste titre, nous tient à cœur mais pour laquelle il convient d’être formé, ainsi que sur l’instruction morale et civique – la morale laïque -, car la République doit défendre ses valeurs et les enseigner !

Debut de section - Permalien
Vincent Peillon, ministre

Nous avons besoin de former nos maîtres à tout cela.

Les questions de violence, nous les rencontrons tous les jours, que ce soit, comme la semaine dernière, dans une école parisienne ou aujourd’hui à Strasbourg, avec les menaces d’un internaute. Nous avons mis en place, pour la première fois, des protocoles de gestion des crises et créé le métier d’assistant de prévention et de sécurité. De même, j’ai institué, à l’intérieur du ministère, une délégation à la prévention des violences.

Nous devons être capables, dans ces écoles aussi, de former nos enseignants. Tout cela est également vrai de l’égalité entre filles et garçons – et il n’y aura pas ici, je l’espère, de faux débat sur le genre, dont j’ai déjà dit tout ce que je pensais – et de la lutte contre les discriminations, trop fortes dans notre pays. Nos enseignants doivent donc être formés à tous ces cas de figure ; il s’agit d’un effort considérable de la nation.

Si nous avons réussi autrefois pour le primaire, vous le savez, nous n’avons jamais su bien faire pour le secondaire et le supérieur. Raison pour laquelle nous connaissons aujourd’hui un tel taux d’échec chez tous ceux qui ne sont pas préparés, en particulier dans le supérieur.

C’est pourquoi nous nous devons d’avoir une immense ambition pour ces écoles supérieures. Nous y mettons les moyens. Certes, j’en suis conscient, une loi ne transformera pas d’elle-même la réalité. Certes, j’en suis également conscient, il faudra du temps, de l’obstination, de la persévérance pour faire en sorte que ce que nous allons décider ensemble se traduise réellement et que les 40 000 étudiants que nous avons recrutés cette année – comme quoi il s’agit bien d’un métier qui est encore valorisé dès lors que l’on n’en détourne pas les uns et les autres – trouvent à s’épanouir dans leur vocation.

Il faudra perfectionner le dispositif au fil du temps. Tout ne sera pas parfait dès la rentrée, m’objecte-t-on parfois. Mais bien évidemment ! Je ne peux que répondre, avec toute la modestie qui est la nôtre collectivement, que l’être parfait, ce n’est pas nous ! Ceux qui veulent occuper la place d’un soi-disant dieu mort ou d’un Prométhée se sont trompés et le vingtième siècle est là pour nous le rappeler.

Nous, nous tâtonnons ; nous, nous avons le droit à l’erreur, à condition que nous cheminions dans la bonne direction et la priorité au primaire, c’est la bonne direction ; personne ne peut le contester. La formation des enseignants, c’est la bonne direction ; personne ne peut le contester.

Permettre aux enfants de tous les milieux d’avoir un parcours d’éducation artistique et culturelle, c’est renouer avec notre grande tradition. Il n’y a pas d’alternative entre les apprentissages fondamentaux et l’éducation libérale, laquelle était déjà au cœur de l’aspiration des premiers républicains. C’est précisément lorsque, chez vous, vous n’avez pas accès à la culture, à la connaissance des arts, à la connaissance scientifique, que vous avez besoin de cette éducation qui est le patrimoine de ceux qui n’ont rien. C’est à l’école qu’il revient de vous permettre cet accès, et c’est bien le sens de ce que nous faisons.

Nous savons aussi, et c’est pourquoi je créerai le conseil économie-éducation avec le Premier ministre au mois de juin prochain, que l’école doit permettre l’insertion professionnelle. Comment pourrions-nous oublier un instant, dans un pays où 25 % de nos jeunes sont au chômage, que c’est de notre responsabilité ?

Oui, il est de notre responsabilité d’émanciper les individus, de leur permettre de construire leur autonomie et de se donner à eux-mêmes leurs règles. Oui, il est de notre responsabilité d’en faire des citoyens éclairés, capables de faire leur choix démocratique en toute connaissance de cause.

Mais il est aussi de notre responsabilité de leur permettre de s’insérer. Or, vous le savez, l’une des faiblesses profondes de notre système éducatif, c’est l’orientation, que l’on aborde souvent, lorsque l’on veut m’en parler, sous l’angle de l’orientation négative qui a lieu à la fin de la troisième, quand il faut choisir entre les différentes filières et les trois lycées.

Nous voulons donc mettre en place le parcours d’orientation et d’information, afin que chacun ait les mêmes droits : l’information, c’est du pouvoir ; l’information, c’est de la liberté ! Connaître les formations et les métiers qui existent, c’est le début de la construction pour soi d’un parcours autonome.

De la même façon, j’ai entendu les débats qui ont eu lieu ces derniers jours sur l’apprentissage précoce d’une langue étrangère. Il s’agit d’une question tout à fait fondamentale.

Debut de section - Permalien
Vincent Peillon, ministre

M. Vincent Peillon, ministre. Les défenseurs des langues régionales – ils sont nombreux ici, et nous leur donnons pleinement raison – nous disent très souvent qu’apprendre une autre langue n’empêche pas d’apprendre sa langue nationale. Au contraire, cela facilite les apprentissages

M. Jean-Michel Baylet acquiesce.

Debut de section - Permalien
Vincent Peillon, ministre

Il en va de même des langues étrangères, et c’est pourquoi le fait d’étendre cet apprentissage au cours préparatoire – ce que la précédente majorité avait d’ailleurs commencé à faire – est utile non seulement à l’intelligence du monde par les élèves d’aujourd’hui, mais aussi à la compétitivité de la France.

La situation de l’emploi, je le déplore, constitue notre problème premier. Elle est souvent associée à la compétitivité de notre pays, ce qui n’est pas tout à fait nouveau. Beaucoup d’entre vous font de la politique depuis un petit moment : ces discours-là, nous les entendons régulièrement. La crise, ceux qui sont nés après 1974 n’ont connu que cela ! Il n’est que de constater comment, sur des décennies, nous sommes passés à des millions de chômeurs et à une précarisation accrue.

Toutefois, si l’on veut relever les défis qui sont ceux de la France, ce serait une erreur cruelle de ne pas considérer que l’investissement dans l’éducation, dans l’intelligence, est l’investissement premier.

Les pays qui réussissent – par exemple, notre voisin allemand, auquel on nous compare souvent et qui a saisi la portée du choc provoqué par les résultats aux tests PISA – sont ceux qui ont compris que, pour s’insérer professionnellement et être, comme on le dit vilainement, compétitif, pour pouvoir réussir ensemble, il faut d’abord élever le niveau de qualification et de culture de toute sa population.

Nous sommes dans une économie de la connaissance et il nous faut donc relever les défis d’une économie de la connaissance. Pour ce faire, nous devons permettre à tous nos jeunes d’élever leur niveau de qualification et d’instruction. Mais cela va plus loin : l’initiative, la coopération – et je remercie ceux qui ont enrichi le texte autour de ce thème de la coopération – ne sont-elles pas utiles à l’esprit d’entreprise, de compétitivité, de réussite ? Tout cela doit s’apprendre à l’école.

Je relisais, il y a quelque temps, un ouvrage méconnu de Jules Michelet : Nos fils. Dans ce testament, il disait déjà de l’école, en 1869 – c’est incroyable ! –, qu’on y oblige les enfants à rester assis six heures et à répéter tous la même chose, tels des grenouilles qui coassent ! Ce faisant, on invalide l’activité, alors que l’activité est le dieu de la modernité, disait Jules Michelet ! Et après cela, nous attendons des citoyens qu’ils s’engagent, qu’ils soient actifs, qu’ils aient des jugements libres, qu’ils fassent preuve d’initiative, qu’ils soient capables de coopérer ?...

L’école doit être capable de développer ces qualités humaines, ces vertus humaines.

Debut de section - Permalien
Vincent Peillon, ministre

Or notre école est aujourd’hui en contradiction avec les attentes qui sont les nôtres. C’est pourquoi la réforme que nous portons est aussi, bien entendu, une grande réforme pédagogique.

Dans cette loi de refondation, nous posons les fondements : priorité au primaire, formation des enseignants, programmation budgétaire. J’insiste sur ce dernier aspect car, chacun le sait, s’il n’y a pas les moyens, il n’y aura ni formation des enseignants, ni classes qui ne fermeront pas dans les zones rurales, ni possibilité de remplacement des professeurs, ni infirmières scolaires, ni adultes pour lutter contre les incivilités à l’école.

Ces moyens, il nous les faut. Ils sont nécessaires, ils ne sont pas suffisants – en tout cas, je ne le pense pas une seule seconde. Nous devons les utiliser pour réformer en profondeur et nous unir dans cette réforme.

On parle peu du service public du numérique éducatif. Il s’agit pourtant d’un aspect essentiel de ce texte. Vous le savez, si la France ne conduit pas aujourd’hui cette réforme d’ampleur, alors, et c’est déjà le cas, ce domaine sera entièrement occupé par les entreprises privées et les logiciels pédagogiques nous viendront de l’étranger.

Il s’agit d’un combat qui vaut plus que la question de l’enseignement des langues étrangères. Si l’on veut défendre patriotiquement notre nation, nous avons besoin non seulement de former par le numérique – ce procédé peut permettre à un grand nombre d’élèves de réussir, c’est pourquoi nous nous devons mettre en place ce service public, alors que des sociétés privées fournissent déjà ce genre de service aux parents qui en ont les moyens –, mais nous devons aussi former au numérique, parce qu’il comporte nombre de dangers et qu’il est de la responsabilité de l’école d’inscrire les devises de la République dans les territoires numériques du XIXe siècle.

Des organismes comme la Caisse des dépôts et consignations l’ont fait pour les écoles au XIXe siècle. Ils doivent s’impliquer fortement aujourd’hui pour rendre possible l’accès de tous les territoires au haut débit, pour nous rendre capables de former nos enseignants – et nous devons aider nos éditeurs à construire une filière du numérique pédagogique française.

M. Christian Bourquin s’exclame.

Debut de section - Permalien
Vincent Peillon, ministre

Vous qui connaissez les collectivités locales, vous savez les efforts qu’elles ont réalisés ces dernières années – car cela relevait de votre responsabilité– pour trouver et donner aux établissements les moyens nécessaires en termes de matériels. Mais les professeurs n’étaient pas formés aux usages pédagogiques du numérique.

Nous avons donc là un projet considérable qu’il faut mener à bien rapidement et qui appellera également des réorganisations au sein du ministère de l’éducation nationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi comporte de nombreux aspects ; c’est toujours le cas dans une loi scolaire. Je veux m’en tenir à ce qui est simple, à ce que nous pouvons partager, à ce que je viens d’indiquer.

Notre pays traverse une crise profonde qui est bien entendu une crise matérielle mais aussi une crise morale, une crise civique, une crise d’espérance. La France est le pays qui est le plus pessimiste sur son avenir. Il est vrai que beaucoup des choix faits ces dernières années ne sont pas en faveur de l’avenir. Nous avons décidé, à travers des interventions multiples, de faire en sorte que cet avenir soit ce qui peut nous rassembler : lorsqu’il s’agit de nos enfants, lorsqu’il s’agit des élèves de l’école de la République, lorsqu’il s’agit de la possibilité de leur offrir les conditions de la réussite scolaire, je crois profondément que nous pouvons nous rassembler.

Il y a longtemps de cela, au cours de débats tenus dans cet hémicycle, un grand républicain disait très simplement que les élèves, et c’est l’évidence, sont les messagers de l’avenir. Ce que nous faisons de notre école au cœur de la République, c’est ce que nous attendons de la France de demain. Il s’agit, pour chacune et chacun d’entre nous, d’une responsabilité très lourde.

J’ai été, je vous l’ai dit dès le début de mon propos, heureux du travail conduit en commission : bien des amendements adoptés permettent d’enrichir le texte, notamment son nouvel article 3 A, sur les finalités que nous poursuivons. Quelle école voulons-nous et donc quel projet de société ?

Lorsque nous parlons d’inclusion scolaire pour les enfants en situation de handicap – vous êtes revenus de façon unanime sur l’amendement qui avait provoqué, lors du débat à l’Assemblée nationale, une émotion légitime –, lorsque nous parlons de mixité sociale, lorsque nous voulons la réussite de tous – parce que son absence se traduit par un échec terrible pour des individus privés de cette capacité à s’insérer, à s’épanouir et dont l’état de santé traduit parfois cette difficulté, mais aussi parce qu’avoir 150 000 décrocheurs chaque année est pénalisant pour la France –, nous voulons aussi associer tous ceux qui contribuent à ce pacte entre la nation et l’école, en particulier les parents que vous avez, au travers de vos amendements, permis de mieux convier à notre travail.

Vous avez ajouté des éléments qui viennent clarifier un certain nombre des fondamentaux présents dans cette loi : je pense au Conseil supérieur des programmes, au Conseil national d’évaluation du système éducatif – on connaît les polémiques de ces dernières années – et, bien entendu, au socle commun de compétences, de connaissances et de culture.

Pourquoi ces fondamentaux ? Ce qui a beaucoup pénalisé l’école, ce sont des débats très théoriques, souvent au sein même de l’éducation nationale, opposant aux pédagogues les républicains autoproclamés et ignorant souvent les sources elles-mêmes. Devrions-nous en conclure que Jules Ferry, Ferdinand Buisson, Jules Steeg, Johann Heinrich Pestalozzi, Jean-Jacques Rousseau n’étaient pas des pédagogues, ni des républicains ?

Ces clivages entre instruction et éducation existaient déjà à l’époque de Condorcet. Pourtant, être capable de produire des connaissances précises, être capable d’instruire son jugement, être capable de discriminer entre ses sources, être capable de construire une argumentation, être capable de respecter sa tradition, ce n’est pas seulement s’instruire, c’est déjà s’éduquer ; Michelet disait-il autre chose ?

Si notre vision est globale, vous avez donc, de votre côté, contribué à enrichir le texte, mesdames, messieurs les sénateurs. Vous l’avez fait, également, sur les questions de santé scolaire. En la matière, je vous le dis, la situation est alarmante, à un moment où, comme dans toute période de crise, la pauvreté regagne du terrain dans notre pays.

Vous avez aussi précisé le parcours d’éducation artistique et culturelle, et indiqué la manière dont le numérique éducatif devait contribuer à l’innovation pédagogique. L’État enseignant, en effet, ce n’est pas l’État Léviathan. Pour l’État enseignant, la République se doit de toujours placer l’individu émancipé au-dessus de toute raison d’État. C’est la grande leçon de l’affaire Dreyfus, le grand moment de la réconciliation nationale. Nous ne devons jamais oublier cette leçon.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez également souhaité indiquer que cette école de la confiance – car c’est une forme de foi que de croire en l’éducabilité de chacun – appelle aujourd’hui des modes d’évaluation qui mesurent mieux la progression de l’élève, qui aident à progresser plutôt qu’ils ne sanctionnent. Nous avons, en effet, une vision très particulière de ces sujets, en France. Vous avez voulu, de la même manière, le préciser pour les redoublements.

Tout cela est dans l’esprit de ce que nous essayons de faire, et je vous en remercie.

Je souhaite profondément que ce débat soit l’occasion de dire à quel point nous sommes tous attachés à l’école de la République, à quel point nous voulons et nous portons ensemble ce projet, qui vise à faire réussir tous les élèves, quelle que soit leur origine, quel que soit leur territoire, quelle que soit leur croyance, quelles que soient leurs opinions.

Nous le savons, cela ne date pas d’hier, l’état de la France s’est beaucoup détérioré. Nous avons fait des choix, parfois budgétaires, parfois pédagogiques – ceux-là sont plus anciens – qui n’ont pas été les bons.

Nous agissons pour que l’école retrouve le bon chemin. Il faudra du temps, je le sais. Si nous en sommes capables, ce que nous faisons pour l’école vaudra, par sa capacité d’entraînement, pour toute la nation.

Il faut être capable de parler de l’école avec raison, plutôt qu’avec une certaine émotion. Il faut être capable de le faire avec le sens du temps long, aussi, et de lutter contre la dictature de l’instant, qui prend tant de place dans la vie politique et dans les politiques publiques. Il faut être capable d’amorcer ce mouvement.

Je vous l’ai dit, j’ai été surpris des débats à l’Assemblée nationale. Comme si les priorités que je propose pour l’école dans ce projet de loi, auxquelles nous avons réfléchi depuis tant d’années, devaient diviser ! Au contraire, mesdames, messieurs les sénateurs, si elles ont été choisies avant même que ne soient abordées les questions relatives au lycée professionnel ou au collège, par exemple, c’est qu’elles constituent précisément les éléments sur lesquels nous devons pouvoir nous rassembler.

J’espère que le Sénat, dans sa sagesse, sera capable d’envoyer ce signal important pour notre jeunesse, mais également pour un pays qui cherche son chemin vers l’espoir.

Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Monsieur le président, monsieur le ministre de l’éducation nationale, madame la ministre déléguée chargée de la réussite éducative, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, Pierre Mendès France affirmait : « Si notre République […] est capable de comprendre l’espérance des filles et des garçons de France, d’épouser cette espérance, de la servir dans chacune de ses décisions, alors elle n’a rien à craindre des […] extrémistes, car elle sera toujours plus forte et plus vivante, portée par sa jeunesse, ardemment défendue, et chaque jour renouvelée par elle ».

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Monsieur le ministre, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République que vous portez, et que j’ai l’honneur de rapporter au Sénat, s’inscrit pleinement dans cette belle ambition.

Ce texte, issu d’un long travail de concertation, dont il faut saluer l’ampleur et la qualité, est au cœur du projet politique du Président de la République.

Aujourd’hui, notre société est traversée par des crises multiples : crise majeure du chômage, crise de l’exclusion et de la stigmatisation, crise des repères et du sens collectif.

C’est un fait, le redressement de notre pays est pleinement lié à notre capacité à redonner à notre système éducatif des orientations claires et des moyens, indispensables.

L’école française souffre de plusieurs maux. Elle ne corrige pas les inégalités sociales, elle les cristallise en inégalités scolaires. Les résultats, tous niveaux confondus, ne sont pas satisfaisants et, pis, régressent au lieu de progresser. Un nombre inacceptable de jeunes sortent du système scolaire sans qualification.

C’est un fait, également, notre école est désorientée, elle a été abîmée par les coups subis ces dernières années.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Je pense notamment à la suppression massive des postes, effectuée sans discernement, à la multiplication des expérimentations en tous sens et en tous genres, faite sans évaluation, et à la dureté du quotidien scolaire vécu par nombre de jeunes et de professeurs.

Oui, c’est bien de refondation qu’a besoin notre école, de la redéfinition d’un cap et d’engagements forts sur les moyens indispensables à la réalisation de ces objectifs.

Telle a bien été la volonté de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat dans ses travaux préparatoires, au cours desquels soixante-dix auditions ont été conduites, sur plus de cent heures, et plusieurs déplacements effectués.

Par l’adoption de 138 amendements, émanant de tous les groupes politiques, nous sommes parvenus à approfondir et à enrichir le projet de loi.

En préambule de cette discussion générale, je souhaite donc revenir sur ces différents apports.

Afin de réaffirmer la démocratisation du système scolaire, condition de notre cohésion nationale, la commission a estimé qu’il était nécessaire de clarifier l’ambition que nous avons pour l’école, de préciser le sens qu’elle revêt. Cette démarche constitue, pour la commission, la première pierre de l’édifice refondé.

Ainsi, elle s’est largement employée à fixer le cap et à rappeler les valeurs fondamentales qui doivent permettre à tous les enfants de se construire. Elle tenait à les voir inscrites dans le premier article du code de l’éducation.

C’est également au regard du nouvel article 3 A du présent projet de loi, fruit de plusieurs amendements, que les autres dispositions adoptées par la commission doivent être appréhendées.

Ainsi, nous avons souhaité rompre avec l’idée selon laquelle certains élèves étaient condamnés à l’échec. Parce qu’il n’y a pas de fatalité qui inscrirait irrémédiablement des élèves dans une scolarité chaotique, nous réaffirmons le principe selon lequel tout enfant est capable d’apprendre et de progresser. L’éducation nationale doit garantir l’universalité du droit à l’éducation, par un renforcement de l’obligation d’inclusion scolaire de tous les enfants, indépendamment de leurs origines, de leur milieu ou de leur condition de santé. Elle doit aussi assumer la mission fondamentale de lutte contre les inégalités culturelles et sociales.

En portant les efforts sur le premier degré et les enfants les plus fragiles, grâce, notamment, à la création de 14 000 postes d’enseignants titulaires, le Gouvernement opère, à cet effet, une véritable révolution copernicienne, et elle était indispensable.

Face aux difficultés diverses, rencontrées dès la petite enfance, l’école primaire constitue, en effet, le lieu d’épanouissement privilégié. C’est pourquoi 3 000 postes seront destinés à l’accueil des enfants de moins trois ans, en particulier dans les zones d’éducation prioritaire, dans les territoires ruraux et en outre-mer. Cette préscolarisation, remise en cause ces dernières années, est essentielle pour un certain nombre d’enfants. Elle leur permet de développer leur langage, de s’ouvrir au monde du réel et du sensible, acquis indispensables à la réussite des apprentissages fondamentaux dispensés à l’école primaire.

En construisant des parcours pédagogiques adaptés, qui tiennent compte des différences de rythme et de maturité de chaque enfant, les difficultés scolaires, sources d’échec, seront surmontées. C’est pourquoi 7 000 postes seront affectés aux mesures de soutien dans les zones prioritaires, notamment au dispositif « plus de maîtres que de classes ».

Aujourd’hui, l’ensemble des recherches et des études sur ce sujet a conclu à l’inefficacité des systèmes scolaires qui procèdent à des orientations précoces vers l’alternance ou la formation professionnelle. Le projet de loi a donc prévu de renforcer le collège unique, qui conditionne à terme l’élévation du niveau de qualification globale.

Dans la refonte de la régulation du système éducatif au service de la démocratisation, le Conseil supérieur des programmes et le Conseil national d’évaluation du système éducatif auront un rôle clef à jouer.

Notre commission a prévu que les personnalités qualifiées nommées ne pourront pas siéger au sein des deux conseils. Par souci de transparence, elles pourraient être aussi nommées après avis des commissions chargées de l’éducation.

Dans le nouvel article 3 A, introduit par la commission, les valeurs fondamentales que sont le respect de l’égale dignité des êtres humains, la liberté de conscience et la laïcité, ont également été inscrites. Elles sont celles que le service public de l’éducation doit incarner et transmettre, en même temps que les connaissances, les compétences, et la culture.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

C’est au nom de ces mêmes valeurs que la commission entend encadrer plus strictement la mise à disposition des locaux et des équipements scolaires à des tiers, afin que la neutralité et la laïcité du service public soient pleinement respectées.

En application des recommandations qu’elle avait émises dans le rapport d’information sur la carte scolaire, notre commission a également assigné explicitement au service public de l’éducation la mission de veiller à la mixité sociale au sein des établissements scolaires.

L’assouplissement de la carte scolaire, qui devait donner aux parents une plus grande liberté dans le choix des établissements, et devait être favorable, notamment, aux élèves issus de milieux sociaux défavorisés, a agi en trompe-l’œil. Cette réforme s’est faite, contrairement à son objectif initial, au bénéfice des familles qui maîtrisent le mieux les parcours scolaires, celles dont le capital socioculturel est le plus grand. En sous-entendant l’existence de bons et de mauvais établissements, elle n’a fait de surcroît qu’entretenir une concurrence préjudiciable, au détriment des personnes déjà victimes de la ségrégation, qui ont vu leur ghettoïsation et leur homogénéité sociale renforcées.

Dans ce système, les options et les parcours spécifiques sont devenus, le plus souvent, des outils au service de stratégies de dérogation et ne servent plus, à proprement parler, le projet pédagogique. Ils sont devenus un instrument de différenciation sociale entre les établissements, et à l’intérieur même de ces derniers. Si la solution n’est pas dans un retour à une sectorisation stricte, elle réside de manière certaine dans l’élaboration de nouveaux instruments de régulation et de nouveaux critères d’affectation.

C’est sur la base de ce constat, monsieur le ministre, que vous avez indiqué, dans la circulaire de rentrée 2013, que les demandes de dérogation formulées sur la base d’un parcours scolaire particulier ne seraient plus prioritaires. C’est un premier pas.

En partant des préconisations de la mission, notre commission a intégré dans ce texte l’élargissement des secteurs de recrutement des collèges, sous l’autorité des conseils généraux, afin qu’ils puissent définir des secteurs communs à plusieurs collèges publics dans un même périmètre de transport urbain, favorisant ainsi un brassage des publics.

Afin de faire émerger une nouvelle école, ouverte vers ses partenaires, où la coconstruction est la règle, et non un obstacle, l’article 3 A précise également que l’école se construit nécessairement avec les parents et, plus généralement, par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative.

Cette approche, nous la retrouvons dans la réforme des rythmes scolaires. Écoles, collectivités territoriales, associations culturelles et sportives ou encore mouvements d’éducation populaire auront l’occasion de mener, ensemble, des actions qui organisent de manière globale les temps éducatifs de l’enfant, à travers les projets éducatifs territoriaux. Certes, cette entreprise commune n’est pas ancrée dans les pratiques, et elle ne sera pas facile à mettre en place. Elle est cependant indispensable. C’est en favorisant la cohérence et la synergie entre tous les partenaires de l’école que nous ferons naître des approches nouvelles.

Cette démarche partenariale, que nous soutenons, a pris corps, plus globalement, dans une série d’amendements concernant l’ensemble des acteurs de la communauté éducative.

Ainsi, notre commission a intégré les associations éducatives complémentaires de l’enseignement dans la définition de la « communauté éducative » inscrite dans le code de l’éducation. De la qualité du dialogue qui sera ainsi noué dépendra la réussite de nombreux projets.

Le rapport issu de la concertation reprenait, par ailleurs, la notion d’une coéducation entre les parents et l’école. Notre commission en a fait un axe fort de son travail. Elle a cherché à établir, par plusieurs amendements, un véritable pacte de confiance et de responsabilité avec les familles.

Tout d’abord, notre commission a souhaité rappeler son attachement au principe fondamental de l’école inclusive.

C’est pourquoi elle considère à l’unanimité de ses membres que l’accord des parents doit rester un préalable à toute décision de changement d’orientation d’un élève handicapé.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Parce que toute rupture entre la sphère familiale et la sphère scolaire serait préjudiciable au suivi de l’enfant, nous avons maintenu le principe d’un accord des parents et d’une mise en œuvre conjointe avec l’équipe éducative de tous les dispositifs d’aide personnalisés.

D’une manière générale, le texte de la commission pose un principe directeur : l’éducation nationale doit mener un travail approfondi de dialogue avec les parents pour établir des relations de confiance. Il est d’ailleurs primordial de s’efforcer de tisser des liens avec les familles les plus éloignées de l’école.

À cette fin, la commission a inséré plusieurs dispositions qui devraient permettre, à terme, de rapprocher les familles de l’institution scolaire. D’abord, dans les missions des enseignants figureraient l’information et l’aide aux parents pour leur permettre de suivre la scolarité de leur enfant. Ensuite, dans chaque établissement scolaire, un espace serait aménagé à l’usage des parents et de leurs délégués ; ils pourraient s’y retrouver et échanger. Enfin, le conseil d’administration des collèges et des lycées dresserait chaque année un bilan des actions menées à destination des parents d’élèves.

De surcroît, dans un esprit de responsabilisation des parents d’élèves, notre commission a choisi d’inscrire dans un cadre légal l’autorisation de mener une expérimentation sur trois ans en matière d’orientation à la fin de la classe de troisième. La décision serait confiée aux parents avec le souci de lutter contre l’orientation subie par défaut, bien souvent à la source du décrochage scolaire.

Lorsque nous avons abrogé la loi Ciotti, qui visait prétendument à enrayer l’absentéisme scolaire par la menace financière, à savoir la suspension des allocations familiales, nous ne défendions pas autre chose. §Cette disposition injuste, inefficace…

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

… et univoque, était une double peine infligée à des familles souvent fragilisées et démunies.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Mme Françoise Cartron, rapporteur. Elle risquait par conséquent de les éloigner durablement, voire définitivement d’un système de soutien pérenne.

Marques d’approbationsur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

À l’inverse, nous avions introduit des mesures d’accompagnement des parents selon les difficultés analysées, ainsi que des actions de remédiation et de soutien personnalisé auprès de l’élève en rupture, en mobilisant les professionnels compétents. Il s’agit donc d’associer et non plus de compartimenter, de stigmatiser ou d’exclure.

Notre commission a souhaité accorder une place toute particulière aux langues. Outre l’enseignement de langue étrangère obligatoire, prévu dès le premier degré, il est proposé que les enfants puissent recevoir une sensibilisation à la diversité linguistique. Dans ce cadre, les langues parlées dans les familles allophones ou bilingues pourraient être favorisées. Les langues régionales trouvent toute leur place dans une telle ouverture vers les cultures qui contribuent à la richesse de nos territoires.

Afin de faire émerger une nouvelle école, ouverte sur son environnement et en phase avec les exigences de son temps, la commission a précisé que l’organisation du service public d’éducation, les méthodes d’enseignement et la formation des maîtres devront favoriser la coopération entre les élèves.

Reconnaissons-le, l’approche élitiste de l’enseignement qui a longtemps prévalu caractérise malheureusement un système qui, sous couvert d’excellence, produit toujours plus de décrocheurs et toujours moins de bons élèves.

La modernisation pédagogique que nous proposons tend à faire en sorte que l’école soit le lieu non plus d’une compétition effrénée, mais de la coopération entre eux.

Cela sera rendu possible par le rétablissement d’une formation des maîtres ambitieuse. Conséquence de l’échec avéré de la mastérisation, le texte prévoit la mise en place dès la rentrée prochaine des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Ni IUFM ni écoles normales, ces structures nouvelles porteront l’ambition de répondre aux besoins actuels de formation initiale et continue, ainsi qu’aux nouvelles exigences pédagogiques. Ce sont 27 000 postes qui seront créés à cette fin.

Comme il est précisé dans le projet de loi, ces écoles contribueront au développement d’une culture professionnelle partagée par tous les enseignants, en proposant des modules de formation de la maternelle à l’enseignement supérieur.

Notre commission, en prévoyant la présence de représentants de l’établissement intégrateur au sein du conseil de l’ESPE, entend assurer une coopération étroite et fructueuse, à des fins pédagogiques, entre l’école et les unités de recherche. Par ailleurs, elle a souhaité consacrer la diversité des formateurs professionnels intervenant dans ces structures, qui doivent comprendre aussi bien des enseignants exerçant dans le milieu scolaire et des universitaires que des acteurs de l’éducation populaire, de l’éducation artistique et culturelle et de l’éducation à la citoyenneté.

Il convient également de prévoir un renforcement de la formation des cadres de l’éducation nationale – je pense notamment aux inspecteurs –, qui apparaît aujourd’hui insuffisante. La commission a souhaité qu’ils puissent bénéficier d’une formation les préparant à l’ensemble des missions d’évaluation, d’inspection et d’expertise, mais aussi d’animation pédagogique qui leur sont assignées. À défaut, l’impulsion donnée par la loi risquerait de s’épuiser sur le terrain, faute de relais efficaces.

Dans ce sursaut pédagogique, les nouvelles technologies joueront un rôle éminent pour le renouvellement tant des moyens d’enseignement que des méthodes d’apprentissage. Elles favoriseront à n’en pas douter la coopération entre les élèves et la transversalité des enseignements.

À cet égard, la création d’un service public du numérique éducatif et de l’enseignement à distance donnera le cadre qui manque aux actions en faveur numérique à l’école. La formation des enseignants à l’utilisation des outils et des ressources numériques constituera également une avancée importante. De même, les enfants bénéficieront de l’information nécessaire sur les chances, mais aussi sur les risques liés à internet.

Notre commission a souhaité apporter quelques précisions. Elle a notamment choisi d’élargir le rôle des services numériques mis à disposition des écoles et des établissements d’enseignement à l’innovation des pratiques et aux expérimentations pédagogiques favorisant la coopération entre élèves.

Condition indispensable à un développement effectif des usages, des outils et des ressources numériques en milieu scolaire, l’exception pédagogique mériterait par ailleurs un élargissement de son champ, afin d’établir un dispositif plus simple, plus sécurisé mais aussi suffisamment large pour correspondre à la réalité des activités d’enseignement et de recherche.

La loi portant refondation de l’école constitue la matrice des transformations à venir. Elle n’épuise cependant pas les mesures devant y concourir. Les dispositions réglementaires de mise en œuvre seront décisives.

Dans une telle ambition pour notre jeunesse, le Parlement joue aussi son rôle. Je salue le travail accompli à l’Assemblée nationale et par notre commission ici, au Sénat. Je voudrais remercier tous les collègues ayant participé à ces longues séances, ainsi que les fonctionnaires de la commission, qui nous ont assistés et ont effectué un travail considérable.

Les débats qui vont s’ouvrir aujourd’hui et l’examen des 524 amendements qui ont été déposés nous amèneront, je n’en doute pas, à réaffirmer ce que François Hollande rappelait jeudi dernier en conclusion de sa conférence de presse : la promesse de l’égalité n’est pas une nostalgie, cela reste une ambition.

C’est tout l’enjeu de cette loi de refondation que vous portez, monsieur le ministre et dans laquelle nous pouvons tous nous retrouver.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt-et-une heures quarante, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.