Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 21 mai 2013 à 14h30
Qualité de l'offre alimentaire en outre-mer — Article 3

Victorin Lurel, ministre :

En premier lieu, je tiens à apporter quelques compléments aux précisions que j’ai données il y a quelques instants, car je n’ai pas répondu à tous les orateurs à l’issue de la discussion générale.

J’ai été très intéressé par la comparaison historique qu’a dressée Félix Desplan. En effet, le sucre est pour partie à l’origine de notre histoire, et on sait dans quelles conditions : évoquer cette question aujourd’hui me semble tout à fait indiqué pour mieux domestiquer ce problème. Le sucre a bel et bien été à l’origine de l’esclavage : on a fait venir des esclaves dans les colonies pour produire non seulement du tabac et du coton mais aussi de la canne à sucre. Aujourd’hui, il ne faut pas que le sucre continue à dominer la vie quotidienne et l’avenir des outre-mer. J’ai vivement apprécié cette comparaison historique.

Par ailleurs, d’autres inquiétudes se font jour : d’aucuns redoutent qu’il ne soit plus possible de consommer certains produits frais outre-mer. Ils affirment qu’il faudrait acheminer ces aliments par avion, ce qui conduirait à une multiplication des prix. Toutefois, lorsque les ultramarins exportent leurs produits en métropole, notamment la banane ou l’ananas Victoria, ils ont recours au fret aérien, et le consommateur métropolitain accepte bien de payer un peu plus cher !

En conséquence, appliquons le principe de symétrie : si, outre-mer, on souhaite consommer des produits frais venant de métropole, peut-être faut-il accepter de les payer un peu plus cher. Je rappelle à cet égard que ce problème ne concerne guère que quelques aliments, à savoir des desserts et de la charcuterie.

J’espère comme beaucoup d’autres que l’on pourra opérer des substitutions d’importations et, donc, développer la production locale outre-mer.

Lorsque j’étais étudiant, je défendais la théorie du développement endogène, qui était proche de ma philosophie. Par la suite, j’ai contesté cette conception, en considérant qu’elle revenait à dire : « Il n’y a plus de solidarité nationale, il n’y a plus de crédits. Débrouillez-vous ! » Aujourd’hui, on octroie les moyens aux territoires d’outre-mer, notamment dans le domaine de la restauration collective.

Au-delà de la Guyane, qui fait partie d’un continent, quel est le problème des outre-mer ? C’est l’insularité. C’est la dimension et l’étendue des marchés, comme dirait Adam Smith. Les marchés sont peu étendus et regroupent peu de population.

On pourrait parvenir à accroître le marché, peut-être par la destruction créatrice. C’est ce qui est fait ici, en métropole. Pourquoi croyez-vous que l’on définit une date limite à quinze ou à dix-neuf jours pour le jambon frais, le jambon de Paris ou le jambon blanc, alors qu’il est encore consommable au-delà ?

Eh bien cela permet de préserver l’activité, de faire tourner les usines, de maintenir l’emploi ! Pourquoi ne peut-on pas répéter cet exemple-là, qui permet d’élargir le marché ? Derrière cette loi, il y a donc un autre objectif. Il faut par conséquent donner à l’industrie les moyens de se développer.

C’est le cas lorsqu’on dit aux agriculteurs et aux agro-transformateurs qu’un marché récurrent, quotidien, leur est proposé, celui de la restauration collective. À la réunion, me disait-on, il représente 36 millions de plats sur l’année ! C’est là un véritable marché ! Avant d’exporter, vous allez faire la conquête de votre marché intérieur. Nous n’allons pas sombrer pour autant dans l’illusion de l’indépendance alimentaire, mais vous aurez conquis une part du marché intérieur, vous aurez assuré des développements d’entreprises, et d’emplois, tout en favorisant un développement moins émetteur de gaz à effet de serre. Cette logique me semble vertueuse, et je tenais donc à vous apporter ce complément de réponse.

Une question a été posée, dont je n’ai peut-être pas saisi toute la subtilité, sur les accords de partenariat économique entre les territoires ultramarins et leur voisinage immédiat. Il faudrait peut-être en dresser le bilan, comme le Sénat l’a fait, dans un rapport qui a été remis.

De tels accords n’ont pratiquement été signés nulle part ailleurs que dans les outre-mer, c'est-à-dire dans la Caraïbe et, peut-être, dans l’océan Indien. En effet, l’Afrique s’est insurgée en affirmant que l’asymétrie de l’accord n'était pas conforme à ses intérêts, et ses représentants ont donc retenu leur plume.

En revanche, dans la Caraïbe, où nous n’étions pas représentés autour de la table – j’étais à l’époque président de région, et je m’étais invité au sein du CARIFORUM, qui est, comme on dit dans la Caraïbe, « la machine de négociation », afin d’obtenir des informations ; j’étais accompagné d’un compatriote de la Martinique, M. Jean Crusol, qui représentait la Guadeloupe et la Martinique –, l’accord a été signé avec une asymétrie pour une période d’une vingtaine d’années, à peu près. Les produits de dix-sept pays ACP ― Afrique, Caraïbes, Pacifique ― ou des pays et territoires d’outre-mer, ou PTOM, de la Caraïbe peuvent entrer librement en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Mais Saint-Barthélemy est aujourd’hui un PTOM et peut donc, si j’ose dire, légiférer et réglementer en matière de commerce extérieur.

Si les Français peuvent se rendre dans ces pays-là et y dépenser leur épargne, nos produits ne peuvent pas y être exportés. Ils se heurtent à ce que l’on appelle la negative list, qui estune sorte de liste de prohibition concernant plus de 200 produits qui ne peuvent pas pénétrer les marchés et entrer en concurrence avec les produits de la Caraïbe. Cela est peut-être vrai aussi pour l’océan Indien, même si il n’y a sans doute pas de liste de prohibition.

Il y a là une asymétrie, que la Commission européenne est libre de contracter, sans même l’accord de la France, conformément à ses prérogatives de négociation, dans le cadre d’un mandat.

À l’époque, je l’avoue, ce point n’avait pas fait l’objet d’une expertise suffisante. Il doit donc être réexaminé. M. le Premier ministre a nommé un parlementaire en mission – M. Serge Letchimy, député de la Martinique – pour faire des propositions tenant compte de ces accords de partenariat économique, de l’environnement immédiat, de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il s’agit de déterminer comment on peut agir avec ces contraintes et, par endroit, s’en émanciper. J’espère donc que nous aurons de nouveaux textes à étudier et de nouveaux accords à trouver.

En tout cas, quelle que soit la liberté du pouvoir de négociation de la Commission en matière de commerce international, il a été décidé de mieux tenir compte des intérêts de ces territoires, qui sont également européens.

Le processus bilatéral peut être catastrophique : on l’a vu en matière de banane, de rhum, ou de riz en Guyane. Il faut donc éviter de signer trop vite, sans évaluer les conséquences. En général, il n’y a pas d’étude d’impact. Nous avons déjà eu l’occasion de nous en mordre les doigts.

Pour le reste, je tenais à m’exprimer de manière précise, en lisant un texte, afin de bien répondre à vos interpellations, dont la dernière, celle du président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, le sénateur Serge Larcher. Je souhaite que cette réponse ait valeur interprétative et que demain, en cas de contentieux – qui sait ? –, elle puisse servir à éclairer le juge.

Tout d’abord, je souhaite vous dire mon plein accord avec le rapporteur, Michel Vergoz, quant à son interprétation de l’article 3 qui le conduit à préciser que seules les DLC sont concernées par cet article puisque la date limite d’utilisation optimale, la DLUO, n’est précisément pas une date au-delà de laquelle on ne peut plus consommer un produit.

Les inquiétudes de l’industrie agroalimentaire, qui défend l’utilisation de DLUO spécifiques à l’export, sont donc sans fondement. Cet article ne vise que les produits périssables dont la durée de commercialisation n’est que de quelques jours, ou de quelques semaines, et qui sont soumis à une obligation d’information sur leur délai impératif de consommation pour des raisons de sécurité sanitaire. Donc, uniquement la DLC.

Toutefois, même sur ce seul champ réduit des produits soumis à DLC, certains distributeurs ont soulevé un argument économique : l’allongement de la DLC serait nécessaire pour exporter par voie maritime dans les outre-mer, la voie aérienne engendrant un surcoût trop important.

Quelle est la portée exacte de cet argument ? Quels produits vise-t-il ? A-t-on soulevé un problème nouveau que personne n’avait vu, et quel est-il ?

Mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez comme moi été destinataires de ce document

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