Certains, dont le sénateur Carle, nous disent – et ils ont raison – qu’il faut accorder aux apprentissages précoces toute leur importance. Certainement ! L’accueil des moins de trois ans était de plus de 30 % en 2002, mais de 10 % lorsque j’ai pris mes fonctions. Il fait partie de nos priorités.
Lorsque nous sommes face à notre conscience, face aux raisons profondes de notre engagement dans la vie politique, considérant ce bien commun qu’est l’école de la République depuis deux siècles, nous devons dépasser les positionnements, les petitesses, les rancœurs, les habiletés, parce que la priorité au primaire est bonne pour le pays.
C’est simple, mais ce sont les fondements. Vous voulez construire du solide pour le collège et le lycée ? Construisez d’abord les fondements du primaire ! En 2002, sous la présidence de Jacques Chirac, certains ont tenté, je m’en souviens, de diviser par deux les effectifs des cours préparatoires, puis l’idée s’est égarée en route ; c’est dommage.
Nous devons à la fois accorder les moyens et changer les pédagogies là où les besoins sont les plus grands. C’est ce que nous faisons, et c’est essentiel.
Le deuxième axe – et il est lié – est celui de la formation des enseignants. Depuis la loi Guizot et le début de la IIIe République, chacun sait que l’école de la République, l’école qui a créé la République, qui en est comme le cœur battant, s’est construite d’abord autour de la formation des maîtres, dans des conditions très difficiles, des querelles ayant divisé durement le pays jusqu’en 1905. Les instituteurs furent souvent mal traités, vous le savez, par rapport aux professeurs du secondaire ou du supérieur. Cependant, la formation telle qu’elle était prodiguée dans les écoles normales a permis à des générations entières de « hussards noirs » d’assurer au pays une espérance par la promotion républicaine. C’est que, mesdames, messieurs les sénateurs, ces instituteurs ressemblaient à leurs élèves, ils étaient comme eux immigrés polonais installés dans les corons du Nord, dans les zones rurales en Bretagne ou ailleurs. La nation leur avait permis de s’intégrer et d’aimer la France, et de reproduire ainsi le modèle adopté.
Cela s’est tari avec la mastérisation : cinq ans d’études supérieures sans aucun moyen pour les conduire. Comment, lorsqu’on est enfant d’un milieu populaire, peut-on suivre ces études ? La sociologie de nos professeurs, aujourd'hui, n’est plus la même. Les emplois d’avenir professeur commencent à y remédier. Ils le feront davantage dans les années qui viennent, en assumant à nouveau ce mouvement de justice et d’espérance qui fait, je crois, l’essentiel des valeurs que nous partageons, à un moment où notre pays et notre jeunesse, dont 25 % est au chômage, souffrent d’un accroissement des inégalités et ont besoin de cet engagement de toute la nation.
La création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation a certes un coût. Sur la programmation des 54 000 postes que je vous propose, 27 000 postes sont destinés à permettre aux jeunes gens qui se destinent à ce métier de bénéficier, comme nous-mêmes auparavant, d’une année de stage, de la professionnalisation et de l’entrée progressive dans le métier afin de l’apprendre et de le vivre au mieux.
Quand nous débattons de l’école, nous sommes capables de parler de tout ce qui est accessoire, mais très peu de ce qui est essentiel, ce mouvement d’élévation qui va contre le mouvement d’abaissement, parce que l’élève devient capable, comme ceux qui, par le passé, et nous en sommes, ont reçu de bons enseignements, de clarté, de distinction, de simplicité.
On évoquera sans doute une foule de sujets, puisque l’on demande tout à l’école, mais l’essentiel, c'est-à-dire la capacité pour les élèves d’apprendre à lire, à écrire, à compter, à se cultiver, « l’éducation libérale » dont parlait Jules Ferry, ce droit de se perfectionner qui est au cœur de la nature humaine et que l’État doit considérer comme son devoir dans une République qui a conjugué République sociale et République libérale depuis un siècle, de cela, nous ne parlons pas !
L’essentiel, c’est la priorité donnée au primaire, c’est la formation des enseignants, avec la création, par une loi de programmation, chose rare dans des circonstances budgétaires aussi difficiles, de 27 000 postes dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation.
Ces écoles, je l’entends aussi, seraient des IUFM revisités. Mais pas du tout ! Les ESPE, saluées aujourd'hui dans toute l’Europe et même au sein de l’OCDE – car la France est parfois regardée pour ce qu’elle fait de positif –, sont un nouveau modèle. Nous avons changé la place du concours ; nous avons réécrit entièrement toutes les maquettes de concours de recrutement. Nous avons également revu ce que l’on désigne sous le vilain vocable de « référentiel métier ».
Nous souhaitons par ailleurs que les étudiants, dès la troisième année, puissent être accompagnés par des professionnels, à la fois des universitaires pour les différentes disciplines, pour la didactique, mais aussi des praticiens exerçant dans les établissements où nos étudiants auront demain à enseigner.
J’ai réuni, la semaine dernière encore, les chefs de projets, les recteurs, la conférence des présidents d’université, afin que nous ne reproduisions pas les mêmes erreurs. Ce qui a coûté très cher au système d’éducation français et que nous essayons de dépasser ici, c’est la division permanente entre les uns et les autres : le mépris du professeur du secondaire pour le professeur du primaire, du professeur de l’université pour le professeur du secondaire, sans oublier l’incompréhension à l’égard des éducateurs, comme nous avons pu l’observer à l’occasion de la réforme des rythmes scolaires.
Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation rassembleront tous ceux qui ont vocation à enseigner et qui doivent avoir non seulement des savoir-faire, des savoir-être, mais aussi une connaissance de l’enfant, de l’élève dans la totalité de son développement, de son parcours et de son insertion dans la société. Ils doivent aussi apprendre à se connaître.
Par ce projet de loi, nous proposons de mieux travailler la liaison entre l’école et le collège ; il faut que les enseignants partagent des moments communs.
Nos enseignants, recrutés à bac + 5 – même pour la maternelle, fierté française depuis un siècle et en faveur de laquelle nous allons remettre en place une formation spécifique –, sont des fonctionnaires non pas d’exécution mais bien de conception. Il s’agit un métier qui nécessite du tact – c’est tout un art – et donc des connaissances générales, ainsi qu’une approche précise. La recherche, comme dans certains pays, doit participer en permanence de cette interrogation qui fait à la fois la sensibilité et, bien entendu, la confiance qu’un élève peut trouver dans le regard de son professeur.
Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation portent cette ambition, et sur tous les aspects : sur le service public du numérique, sur les enfants en situation de handicap et l’école inclusive qui, à juste titre, nous tient à cœur mais pour laquelle il convient d’être formé, ainsi que sur l’instruction morale et civique – la morale laïque -, car la République doit défendre ses valeurs et les enseigner !