Vous qui connaissez les collectivités locales, vous savez les efforts qu’elles ont réalisés ces dernières années – car cela relevait de votre responsabilité– pour trouver et donner aux établissements les moyens nécessaires en termes de matériels. Mais les professeurs n’étaient pas formés aux usages pédagogiques du numérique.
Nous avons donc là un projet considérable qu’il faut mener à bien rapidement et qui appellera également des réorganisations au sein du ministère de l’éducation nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi comporte de nombreux aspects ; c’est toujours le cas dans une loi scolaire. Je veux m’en tenir à ce qui est simple, à ce que nous pouvons partager, à ce que je viens d’indiquer.
Notre pays traverse une crise profonde qui est bien entendu une crise matérielle mais aussi une crise morale, une crise civique, une crise d’espérance. La France est le pays qui est le plus pessimiste sur son avenir. Il est vrai que beaucoup des choix faits ces dernières années ne sont pas en faveur de l’avenir. Nous avons décidé, à travers des interventions multiples, de faire en sorte que cet avenir soit ce qui peut nous rassembler : lorsqu’il s’agit de nos enfants, lorsqu’il s’agit des élèves de l’école de la République, lorsqu’il s’agit de la possibilité de leur offrir les conditions de la réussite scolaire, je crois profondément que nous pouvons nous rassembler.
Il y a longtemps de cela, au cours de débats tenus dans cet hémicycle, un grand républicain disait très simplement que les élèves, et c’est l’évidence, sont les messagers de l’avenir. Ce que nous faisons de notre école au cœur de la République, c’est ce que nous attendons de la France de demain. Il s’agit, pour chacune et chacun d’entre nous, d’une responsabilité très lourde.
J’ai été, je vous l’ai dit dès le début de mon propos, heureux du travail conduit en commission : bien des amendements adoptés permettent d’enrichir le texte, notamment son nouvel article 3 A, sur les finalités que nous poursuivons. Quelle école voulons-nous et donc quel projet de société ?
Lorsque nous parlons d’inclusion scolaire pour les enfants en situation de handicap – vous êtes revenus de façon unanime sur l’amendement qui avait provoqué, lors du débat à l’Assemblée nationale, une émotion légitime –, lorsque nous parlons de mixité sociale, lorsque nous voulons la réussite de tous – parce que son absence se traduit par un échec terrible pour des individus privés de cette capacité à s’insérer, à s’épanouir et dont l’état de santé traduit parfois cette difficulté, mais aussi parce qu’avoir 150 000 décrocheurs chaque année est pénalisant pour la France –, nous voulons aussi associer tous ceux qui contribuent à ce pacte entre la nation et l’école, en particulier les parents que vous avez, au travers de vos amendements, permis de mieux convier à notre travail.
Vous avez ajouté des éléments qui viennent clarifier un certain nombre des fondamentaux présents dans cette loi : je pense au Conseil supérieur des programmes, au Conseil national d’évaluation du système éducatif – on connaît les polémiques de ces dernières années – et, bien entendu, au socle commun de compétences, de connaissances et de culture.
Pourquoi ces fondamentaux ? Ce qui a beaucoup pénalisé l’école, ce sont des débats très théoriques, souvent au sein même de l’éducation nationale, opposant aux pédagogues les républicains autoproclamés et ignorant souvent les sources elles-mêmes. Devrions-nous en conclure que Jules Ferry, Ferdinand Buisson, Jules Steeg, Johann Heinrich Pestalozzi, Jean-Jacques Rousseau n’étaient pas des pédagogues, ni des républicains ?
Ces clivages entre instruction et éducation existaient déjà à l’époque de Condorcet. Pourtant, être capable de produire des connaissances précises, être capable d’instruire son jugement, être capable de discriminer entre ses sources, être capable de construire une argumentation, être capable de respecter sa tradition, ce n’est pas seulement s’instruire, c’est déjà s’éduquer ; Michelet disait-il autre chose ?
Si notre vision est globale, vous avez donc, de votre côté, contribué à enrichir le texte, mesdames, messieurs les sénateurs. Vous l’avez fait, également, sur les questions de santé scolaire. En la matière, je vous le dis, la situation est alarmante, à un moment où, comme dans toute période de crise, la pauvreté regagne du terrain dans notre pays.
Vous avez aussi précisé le parcours d’éducation artistique et culturelle, et indiqué la manière dont le numérique éducatif devait contribuer à l’innovation pédagogique. L’État enseignant, en effet, ce n’est pas l’État Léviathan. Pour l’État enseignant, la République se doit de toujours placer l’individu émancipé au-dessus de toute raison d’État. C’est la grande leçon de l’affaire Dreyfus, le grand moment de la réconciliation nationale. Nous ne devons jamais oublier cette leçon.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez également souhaité indiquer que cette école de la confiance – car c’est une forme de foi que de croire en l’éducabilité de chacun – appelle aujourd’hui des modes d’évaluation qui mesurent mieux la progression de l’élève, qui aident à progresser plutôt qu’ils ne sanctionnent. Nous avons, en effet, une vision très particulière de ces sujets, en France. Vous avez voulu, de la même manière, le préciser pour les redoublements.
Tout cela est dans l’esprit de ce que nous essayons de faire, et je vous en remercie.
Je souhaite profondément que ce débat soit l’occasion de dire à quel point nous sommes tous attachés à l’école de la République, à quel point nous voulons et nous portons ensemble ce projet, qui vise à faire réussir tous les élèves, quelle que soit leur origine, quel que soit leur territoire, quelle que soit leur croyance, quelles que soient leurs opinions.
Nous le savons, cela ne date pas d’hier, l’état de la France s’est beaucoup détérioré. Nous avons fait des choix, parfois budgétaires, parfois pédagogiques – ceux-là sont plus anciens – qui n’ont pas été les bons.
Nous agissons pour que l’école retrouve le bon chemin. Il faudra du temps, je le sais. Si nous en sommes capables, ce que nous faisons pour l’école vaudra, par sa capacité d’entraînement, pour toute la nation.
Il faut être capable de parler de l’école avec raison, plutôt qu’avec une certaine émotion. Il faut être capable de le faire avec le sens du temps long, aussi, et de lutter contre la dictature de l’instant, qui prend tant de place dans la vie politique et dans les politiques publiques. Il faut être capable d’amorcer ce mouvement.
Je vous l’ai dit, j’ai été surpris des débats à l’Assemblée nationale. Comme si les priorités que je propose pour l’école dans ce projet de loi, auxquelles nous avons réfléchi depuis tant d’années, devaient diviser ! Au contraire, mesdames, messieurs les sénateurs, si elles ont été choisies avant même que ne soient abordées les questions relatives au lycée professionnel ou au collège, par exemple, c’est qu’elles constituent précisément les éléments sur lesquels nous devons pouvoir nous rassembler.
J’espère que le Sénat, dans sa sagesse, sera capable d’envoyer ce signal important pour notre jeunesse, mais également pour un pays qui cherche son chemin vers l’espoir.