« Être illettré aujourd’hui, c’est être empêché de participer à l’essor économique de ce pays parce que l’on est privé des moyens minimum nécessaires à la promotion sociale et économique. Être illettré aujourd’hui, c’est être enfermé dans un cercle étroit de connivence et de proximité, coupé de la communication sociale et de la culture commune. Être illettré aujourd’hui, c’est être vulnérable face à des discours et à des textes dangereux portés par des individus sans scrupules. Être illettré enfin, c’est être plus immédiatement porté au passage à l’acte violent parce que l’argumentation, l’explication sont difficiles. »
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, madame la rapporteur pour avis, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, si j’ai choisi de citer en préambule le linguiste Alain Bentolila, c’est parce que les centristes estiment que le véritable enjeu de cette énième réforme de l’école, c’est bien l’illettrisme.
Aujourd’hui, 20 % des jeunes quittent le système scolaire entre seize et dix-sept ans sans diplôme, plus de 50 % sont en situation d’illettrisme, plus de 78 % ne décrocheront pas d’emploi stable. Les chiffres ont été rappelés et, pourtant, le mot « illettrisme » n’apparaît pas dans ce texte de loi. C’est un véritable paradoxe, l’année même où le Premier ministre a déclaré l’illettrisme « grande cause nationale » !
Au cours des trente dernières années, notre pays a relevé le défi de l’accès de tous à l’éducation et au savoir, mais la question de l’école bute toujours aujourd’hui sur le qualitatif. Il ne s’agit pas seulement de réussir l’exploit que chacun des 12 millions d’élèves ait un enseignant face à lui chaque matin, il faut que l’école pour tous soit aussi une école de la réussite de chacun.
À l’heure actuelle, 20 % des élèves qui entrent en sixième ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux : lire, écrire, compter. Ce résultat est d’autant plus préoccupant que notre dépense publique en matière d’éducation est l’une des plus élevées au monde. C’est bien la preuve qu’une addition de micro-réformes ne suffit pas. Et pourtant, aujourd’hui, on nous en propose une nouvelle !
Il serait question de refondation : refonder l’école de la République et refonder la République par l’école ! Nous souscrivons tous à ces nobles intentions, mais objectivement, le présent texte n’est pas une véritable refondation de notre système éducatif. En témoigne d’ailleurs son architecture complexe et illisible. Au projet de loi proprement dit, on a ajouté un rapport annexé, rapport bavard et peu hiérarchisé dont on ne perçoit pas la qualité normative.
Avant tout, une réelle refondation aurait impliqué la prise en compte des rythmes scolaires dans le projet de loi, et que ces rythmes ne soient pas chamboulés dans la précipitation, par décret, quelques semaines avant le dépôt du texte.
En même temps, le rapport annexé prévoit que les rythmes scolaires seront ultérieurement amenés à être encore modifiés ! Ces annonces, déconnectées les unes des autres, qui modifient le temps de la journée et de la semaine sans commencer par ce qui était le préalable, allonger l’année, dénotent un manque de cohérence dans l’approche.
Et pourtant, l’aménagement du temps de l’enfant, articulant soigneusement le temps scolaire et le temps périscolaire, et ce en concertation avec les collectivités locales qui en assument les politiques, ou encore les acteurs de la petite enfance, aurait dû être à la base de la réflexion du Gouvernement sur la refondation de l’école.
On mesure aujourd’hui l’efficacité de la méthode : perplexes, une très grande majorité d’élus ont repoussé l’application de cette réforme à 2014. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans mon département, sur 589 communes, seules 77 se sont lancées pour la prochaine rentrée.
Si l’on parle de refondation, il faut aborder tous les sujets. Ainsi, je trouve très regrettable, alors que l’on se penche sur la formation des enseignants, et c’est une bonne chose, que la question du statut des personnels du monde éducatif soit totalement occultée, qu’il s’agisse du statut des enseignants, de celui des directeurs de cycle primaire ou encore, alors que l’intégration des handicapés est un impératif républicain, de celui des auxiliaires de vie scolaire.
Une vraie « refondation » de l’école aurait dû passer par là, par une réflexion sur les missions des maîtres dans un monde qui, on l’avouera, a tout de même bougé depuis 1950, date du dernier décret qui fixe ce statut.
Autre question non posée, celle du statut et de l’autonomie des établissements qui permettraient de donner une vraie réalité et, surtout, une véritable efficacité aux projets d’établissement, le tout dans un cadre national, qu’il s’agisse des programmes ou du statut des enseignants.
C’est la condition pour remettre l’ascenseur scolaire en marche. Nous sommes convaincus qu’il faut passer d’une logique très concentrée, très centralisée, à une logique de projets adaptés en fonction des enfants.
On n’appréhende pas les apprentissages fondamentaux de la même façon selon que les enfants vivent dans le VIIe arrondissement de Paris, à Argenteuil, où certains parents éprouvent parfois eux-mêmes des difficultés avec la langue française, ou dans un village de Seine-Maritime dont le niveau socioculturel sera plus faible.
Il est des besoins d’individualisation des parcours et d’accompagnement auxquels nous n’apportons toujours pas de réponses suffisantes. Il y a ici et là, de la part d’enseignants, des initiatives remarquables qui mériteraient valorisation et reconnaissance...
L’école doit avant tout garantir la réussite de chaque élève, ce qui nécessite une adaptation à chaque élève. Cela démontre l’importance de l’orientation, dont je ne comprends pas bien en quoi elle est réformée par le présent texte.
Sur ce sujet, je trouve complètement dépassé, en tout cas déconnecté du marché de l’emploi, le regard que porte l’actuel gouvernement sur la formation professionnelle et l’apprentissage, et ce alors que le nombre d’élèves sortant sans diplôme du système éducatif ne cesse de croître chaque année.
Je suis pour une orientation choisie, mûrement réfléchie, mais aussi un parcours souple au service de l’élève. Il y a cette obsession du collège unique, mais, je tiens à le souligner, « unique » ne veut pas dire « uniformisation » !
Ma collègue Françoise Férat s’attardera plus longuement tout à l’heure sur cet attachement des centristes à la promotion de la diversité des intelligences.
Cette réussite de chaque élève passe aussi par la formation des enseignants. Je déplore en ce sens l’absence de mesures précises quant à la formation continue, et je m’interroge sur le contenu des enseignements qui leur seront délivrés au sein des ESPE.
Je vous ai bien écouté, monsieur le ministre, et je vous le dis, il ne faudrait pas retomber dans les écueils des IUFM d’antan ! Pendant des années, les instituts universitaires de formation des maîtres ont développé des recherches parallèles à celles des universités, qui auraient pourtant pu enrichir beaucoup plus le contenu et la manière d’enseigner en France.
Pendant des années, aussi, à la différence des écoles normales, les IUFM ont ignoré la réalité du terrain et préféré se constituer en annexe du CNRS. Il nous faut des enseignants ayant eu une formation en pédagogie et un apprentissage des réalités du terrain, ainsi qu’une réelle ouverture au monde professionnel.
Pour en revenir à l’enjeu essentiel qu’est l’illettrisme, je voulais souligner le point positif du texte qui est de décider d’investir sur le primaire, sur les classes où tout s’apprend et où tout se joue ; c’est le seul moyen par lequel nous pourrons lutter efficacement contre les problèmes de lecture et d’écriture.
Cela faisait partie des préconisations centristes pour le projet présidentiel et législatif, nées du constat de la grande distorsion des moyens accordés au lycée et au collège, au détriment du primaire.
Notre proposition était aussi d’aller plus loin dans le rapprochement de l’école primaire et du collège au sein d’un même établissement public. J’approuve donc la mise en avant du cycle primaire par le projet de loi, tout comme la scolarisation des enfants de moins de trois ans dans toutes les zones urbaines sensibles et les zones rurales isolées.
En revanche, nous déplorons l’écrasement du socle commun de compétences et de connaissances défini par la loi de 2005. Au regard du phénomène croissant et socialement dévastateur que constitue l’illettrisme, le socle commun – lire-écrire-compter – doit être considéré en effet non comme un minimum, mais comme un préalable au succès de toute scolarité.