Intervention de Alain Richard

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 mai 2013 : 1ère réunion
Adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'union européenne et des engagements internationaux de la france — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain RichardAlain Richard, rapporteur :

Nous légiférons dans le cadre de la mondialisation et de la construction européenne. De plus en plus, des phénomènes relevant du droit pénal sont transfrontaliers. Le présent projet de loi traite d'une quinzaine d'entre eux. En gestation depuis deux ans, il illustre la continuité de l'État. Je souligne sa bonne qualité juridique, résultant du travail de la Chancellerie, de multiples concertations, et du partenariat avec le Secrétariat général des affaires européennes puisqu'une bonne part des dispositions sont l'application d'engagements conclus par les instances européennes. Comme souvent, nous avons dépassé les délais de transposition - ce qui explique la procédure accélérée. La Chancellerie n'a instauré de nouvelles dispositions pénales que lorsque la transposition de nos engagements les rend strictement nécessaires.

Une partie des textes à transposer résulte de négociations entre pays dont les systèmes juridiques sont différents : il n'est pas aisé de trouver des vocables qui signifient, en droit ou en procédure, exactement la même chose. Le résultat est nécessairement un texte de compromis explicitant dans chaque langue les concepts d'autres pays - le piège étant de traduire mot à mot quand il existe déjà des termes équivalents, plus sobres et plus explicites, en droit français.

Nous avons à transcrire les documents suivants : une directive d'avril 2011 sur la lutte contre la traite des êtres humains, une directive d'octobre 2010 relative au droit à la traduction dans les procédures pénales, une décision-cadre de février 2009 sur la reconnaissance mutuelle entre les États-membres des condamnations prononcées par contumace, une directive de décembre 2011 sur la lutte contre les abus sexuels sur les enfants et la pédopornographie, une décision-cadre de novembre 2008 relative à l'exécution des condamnations à une peine privative de liberté entre pays de l'Union européenne, et une décision de décembre 2008 relative au fonctionnement d'Eurojust. La qualification de ces textes change en fonction de leur date : depuis le traité de Lisbonne, l'Union européenne n'adopte plus de décisions-cadre dans le domaine de la justice et des affaires intérieures mais des directives.

Nous procédons à une transposition fidèle de ces textes. Sur la reconnaissance mutuelle des condamnations par contumace et l'application des peines, de nombreuses dispositions sont introduites dans le code pénal ou le code de procédure pénale parce qu'il s'agit de droits nouveaux.

Nous transposons aussi quelques autres textes internationaux : les protocoles additionnels récents à la convention de Genève de 1949 sur les signes humanitaires (il y a eu des controverses sur l'emploi du signe de la Croix-Rouge), une résolution de 2010 du Conseil de sécurité qui organise la fin des deux tribunaux pénaux internationaux ad hoc sur la Yougoslavie et sur le Rwanda, une convention internationale relative à la protection contre les disparitions forcées, un accord de 2006 sur la coopération judiciaire de l'Union européenne avec l'Islande et la Norvège, et la convention d'Istanbul de mai 2011 sur les violences à l'égard des femmes.

L'Assemblée nationale a ajouté à cela une mise en cohérence avec la décision de la Cour européenne des droits de l'homme, qui, en mars 2013, a annulé un jugement relatif à l'application du délit d'offense envers le chef de l'État. Cependant, les députés n'ont pas fait une interprétation exacte de cette décision : la Cour n'a pas déclaré que ce délit était contraire à la convention européenne des droits de l'homme, elle a simplement estimé que l'application qui en avait été faite au cas d'espèce n'était pas conforme à la convention.

Une remarque, à l'adresse de la Chancellerie : s'agissant de dispositions qui vont entrer dans les codes, il aurait été plus logique de les présenter dans l'ordre où elles vont s'insérer, plutôt que dans l'ordre chronologique des conventions ou directives.

Six ou sept sujets méritent une discussion de fond. Avons-nous besoin d'adopter une définition de l'esclavage en droit pénal français ? Y sommes-nous prêts ? Je ne le crois pas. Est-il judicieux de conférer au membre français d'Eurojust des pouvoirs directs, y compris de contrainte, en matière d'enquête ? L'Assemblée nationale l'a proposé ; je ne souhaite pas que nous la suivions. L'inclusion dans notre code pénal de dispositions précises relatives aux disparitions forcées justifie-t-elle une incrimination visant non seulement les États mais aussi les organisations politiques ? Après bien des hésitations, ma réponse est négative. Faut-il instaurer, en plus des dispositions qui figurent déjà dans la loi sur la presse de 1881 en matière de provocation et d'apologie, une infraction de provocation, d'incitation à la mutilation sexuelle ne passant pas par un moyen public ? Je suis d'accord pour suivre l'Assemblée nationale qui l'a proposé. Le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme au principe de légalité des délits et des peines la mention de l'inceste dans les dispositions pénales relatives aux atteintes et agressions sexuelles commises dans le cercle familial ou par personne ayant autorité. Il me paraît donc judicieux de mettre fin à cette mention dans le code pénal et le code de procédure pénale. Pour les dispositions nouvelles en matière de droit à la traduction, le partage entre ce qui relève du législatif et du réglementaire ne me paraît pas le bon : les exigences de procédure sont des garanties et relèvent de la loi. Les conséquences sur la durée, la complexité et surtout le coût des procédures seront considérables, je le signale ici : plusieurs dizaines de millions d'euros.

Enfin, quel sort réserver à cette idée de supprimer le délit d'offense au chef de l'État ? L'actuel intéressé ne s'en est pas autrement ému, mais cela créerait un vide juridique que je vous proposerai de combler.

Je vous propose d'adopter ce texte moyennant quelques modifications : il pourrait donc être adopté dans les temps sans que nous ayons le sentiment d'avoir conclu trop vite.

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