Les projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue) sont d'étranges objets juridiques. La France étant la lanterne rouge de l'Europe en matière de transposition des directives, peut-être en raison de l'engorgement chronique de l'ordre du jour du Parlement, ils s'imposent néanmoins. Ce gouvernement a repris à son compte l'engagement de son prédécesseur de présenter à un rythme annuel des textes thématiques intégralement consacrés à la transposition de directives, c'est une bonne chose.
Je regrette un calendrier peu satisfaisant. Le Ddadue a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 6 mars dernier. La procédure accélérée a alors été demandée par le Gouvernement. Le texte a été examiné en commission le 10 avril, pour être discuté en séance publique les 15 et 17 mai. Au Sénat, il nous faut le prendre en commission dès le 22 mai, pour l'examiner en séance publique le 27 ! Cela ne me paraît guère satisfaisant, pour un texte comportant, dans sa version initiale, pas moins de 31 articles, auxquels l'Assemblée nationale a ajouté 11 articles, abordant autant de sujets différents, et dont certains sont particulièrement longs et complexes. Or il n'y aura qu'une seule lecture dans chaque assemblée! Je crains que le souci du Gouvernement d'aller vite pour tenir les délais de transposition fixés à Bruxelles, l'ait poussé à négliger quelque peu les droits du Parlement, et singulièrement ceux du Sénat.
Le titre 1er comprend un ensemble de dispositions relatives à l'environnement, à la santé et au travail. Les articles 1 à 5 transposent en droit interne la directive Seveso III du 4 juillet 2012, qui remplacera celle de 1996 à compter du 1er juin 2015. Il était devenu nécessaire d'aligner la liste des substances concernées sur le nouveau système de classification des substances dangereuses du règlement CLP relatif à la classification, l'étiquetage et l'emballage des substances chimiques. La directive Seveso III renforce également les exigences en matière d'information et de participation du public, conformément à la convention d'Aarhus de 1998.
Le Gouvernement, que j'ai interrogé, estime que le nombre de sites classés Seveso devrait rester inchangé. Certains établissements sortiront du champ de la directive et d'autres, a priori en nombre équivalent, y entreront. Le coût de la mise à niveau pour les uns sera compensé par la baisse des obligations pour les autres. Je vous propose d'adopter sans modification ces articles 1 à 5, qui opèrent une transposition rigoureuse et précise de la directive.
Les députés ont ajouté six articles additionnels afin d'améliorer la réglementation relative aux plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Introduits par la loi Bachelot de 2003, ces plans ont pour objectif de maîtriser l'urbanisation autour des sites industriels à risque, en prescrivant notamment des expropriations, ou encore des travaux de renforcement du bâti pour les propriétaires et les entreprises installés à proximité. En pratique, la mise en place des PPRT a pris beaucoup de retard. Seulement 228 des 407 plans prescrits ont été approuvés.
Ce retard tient aux lourdeurs des démarches administratives pour les collectivités, et, surtout, aux difficultés de financement des travaux pour les riverains. Dans cette optique, les députés ont réintroduit un article que nous avions approuvé à l'occasion de la dernière loi de finances dans le cadre de l'avis budgétaire de Philippe Esnol : il retranscrit un accord entre les représentants des principales fédérations professionnelles et les représentants de l'Association des maires de France afin de participer, à hauteur de 25 % chacun, à la prise en charge des coûts des travaux.
Ces nouveaux articles encadrent dans le temps le droit de délaissement pour les communes, et rationalisent la procédure d'enquête publique pour les expropriations. Nous sommes tous sensibles à ce souci de simplification des normes pour les collectivités.
L'article 6 adapte le droit français au règlement de 2012 relatif à la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des produits biocides. L'Agence européenne des produits chimiques devient l'autorité coordinatrice de l'évaluation des substances actives. Une autorisation de mise sur le marché délivrée au niveau européen est créée. Enfin, le texte introduit de nouvelles obligations pour les articles traités par des produits biocides : la mise sur le marché d'articles traités avec des substances interdites est désormais impossible et des obligations d'étiquetage sont prévues.
L'article 7 crée un nouveau chapitre dans le code de l'environnement, spécialement dédié aux produits dangereux que sont les explosifs, les articles pyrotechniques, ou encore les équipements sous pression. Il ouvre la possibilité d'ordonner le retrait des produits, d'interdire leur commercialisation, de restreindre leur mise sur le marché, ou encore de rappeler et détruire les produits qui présentent un risque grave. L'article 8 coordonne avec le code de la défense les dispositions relatives aux explosifs.
L'article 10 propose la ratification de cinq ordonnances relatives à l'environnement, à la santé et au travail. Les quatre premières correspondent à des adaptations rendues nécessaires par l'évolution du droit européen. La cinquième, l'ordonnance du 11 janvier 2012, a un lien plus lâche avec l'objectif d'adaptation au droit de l'Union européenne. Composée d'une trentaine d'articles, elle refond les polices du code de l'environnement, et entrera en vigueur le 1er juillet prochain, avec en général un alignement par le haut des sanctions prévues en cas d'infractions au code de l'environnement. Voilà un signal fort pour la protection de l'environnement. Bien que le calendrier auquel nous avons été soumis ne nous autorise pas à examiner sereinement l'impact des modifications importantes qu'introduit cette ordonnance, j'ai toutefois repéré des erreurs ou insuffisances par rapport au droit antérieur, que je vous proposerai de corriger.
Le titre II concerne des dispositions relatives aux transports. L'article 12, sur la modulation des péages applicables aux véhicules de transport routier de marchandises, transpose les modifications récentes de la directive « Eurovignette ». Il renvoie au décret la fixation de l'amplitude maximale des modulations obligatoires et facultatives de ces péages, afin d'anticiper de nouvelles évolutions. Un amendement adopté à l'initiative du Gouvernement à l'Assemblée nationale ajoute des possibilités de dérogation, prévues d'ailleurs par la directive elle-même, s'agissant de la modulation obligatoire des péages en fonction des classes d'émission EURO des véhicules. Cet ajout vient compléter utilement notre dispositif.
Les articles 13 à 23 sont consacrés aux droits sociaux des gens de mer. Ils transposent la directive du 16 février 2009, elle-même traduisant l'accord conclu entre professionnels de la mer à l'échelon européen et reprenant une partie de la Convention du travail maritime de l'OIT signée en 2006 et dont l'entrée en vigueur est prévue pour le 20 août prochain. L'imbrication de ces textes nationaux, communautaires et internationaux témoigne de la complexité du droit maritime et explique la difficulté qu'ont les Etats, y compris européens, à s'entendre et à plus forte raison à faire respecter un minimum de droits sociaux pour les travailleurs en mer. Evelyne Didier nous en a saisis l'an passé avec le cabotage maritime, nous y sommes revenus cette année avec le projet de loi portant diverses dispositions relatives aux transports. Le Ddadue ajoute sa pierre à un édifice très loin d'être achevé.
Au niveau international, la France a joué un rôle moteur dans la définition de normes sociales relatives aux conditions d'emploi, à la protection sociale des gens de mer et à la vie à bord. La Convention du travail maritime de 2006 constitue un véritable code du travail international pour les gens de mer, c'est-à-dire, au-delà des seuls marins, pour tous ceux qui travaillent sur les navires. L'élargissement des droits des marins à l'ensemble des gens de mer est en lui-même un progrès. Les Etats signataires entendent lutter contre le dumping social et les conditions de travail indignes que certains armateurs sans scrupules, des voyous des mers, font endurer aux marins des pays pauvres, en profitant de la complexité des règles et des nombreux vides de la protection juridique du travail maritime.
Cette convention très complète encadre les règles d'aptitude aux métiers de mer, les conditions de travail à bord, la protection sociale des gens de mer, l'instauration attendue d'une pièce d'identité des gens de mer. Elle prévoit également des mécanismes de contrôle, fondés sur la certification des entreprises maritimes et des navires : désormais, les autorités portuaires pourront s'assurer, à travers ce certificat, du respect des règles sociales définies par la convention du travail maritime. Mieux, les marins du monde entier qui font escale dans nos ports pourront déposer plainte auprès des autorités françaises, qui auront une base juridique claire pour agir. La responsabilité sociale de l'armateur sera la règle universelle : l'imbrication inextricable des responsabilités sociales entre l'armateur et l'employeur n'empêchera plus d'agir. En outre, la création d'un délit d'abandon d'équipage apporte une réponse concrète au problème récurrent des navires abandonnés dans nos ports maritimes. Des règles similaires s'appliqueront à la pêche, qui a fait pour sa part l'objet d'une autre convention de l'OIT, signée en 2007.
En matière de transport de marchandises comme de pêche, les règles nouvelles ne désavantageront pas les navires français, qui sont bien au-dessus des standards internationaux. Les autres armements, moins vertueux, seront plus contrôlés.
Le contrôle effectif, c'est-à-dire suffisamment précis et fréquent sur tous les navires, est le véritable enjeu de ces conventions. Or les mécanismes de contrôle prévus par la Convention du travail maritime ont été détachés à l'échelon européen pour faire l'objet de deux autres directives : l'une sur le contrôle dit de l'Etat du port, c'est-à-dire des navires étrangers qui viennent dans nos ports, l'autre sur le contrôle de l'Etat du pavillon, c'est-à-dire des flottes battant pavillon national. Ces deux directives n'en sont qu'au stade du projet : la Commission européenne a fait ses propositions l'an passé - nous aurons donc à en reparler. Le projet initial est ambitieux, puisque la Commission affiche l'objectif de contrôler 100% des navires faisant escale dans les ports européens, mais chacun sait ici que la réalité du contrôle dépend de sa teneur et de sa fréquence et que, face au dumping social, le défaut d'harmonisation est le talon d'Achille de l'Union européenne. Restons vigilants.
En attendant, je vous proposerai d'adopter conformes les onze articles tels qu'ils nous viennent, fortement modifiés, de l'Assemblée nationale, à l'exception de l'article 20, relatif à l'application des règles nouvelles aux outre-mer.
L'article 26 prévoit la ratification de cinq ordonnances qui transposent des dispositions européennes dans les domaines suivants : le développement des systèmes de transport intelligent, le temps de travail des conducteurs indépendants, les redevances aéroportuaires et l'aviation civile. La suppression de la limitation dans le temps de l'autorisation de recourir au scanner millimétrique dans les aéroports a attiré mon attention. Cette autorisation avait été donnée par la LOPPSI de mars 2011, pour trois ans, afin qu'un bilan de ce qui avait alors été présenté comme une expérimentation soit dressé. A ce jour, il ne l'a pas été.