Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article 7, relatif au socle commun de connaissances et de compétences, est l’un des plus importants du projet de loi. En effet, il a à voir avec la visée que l’on veut assigner au système public de l’éducation.
Avec la rédaction actuelle de l’article 7, le Gouvernement entend créer un socle de connaissances et de compétences nouveau, visant à l’émanciper de la vision que la droite lui a conférée.
Il le rebaptise, en lui ajoutant le terme : « culture ». Si cette reformulation n’est sans doute pas idéale, elle constitue une amélioration.
D’ailleurs, monsieur Legendre, l’école n’est bien sûr pas le seul lieu où se construit la culture, mais elle participe de la construction de la culture, le vivre-ensemble et le « partage-ensemble » étant constitutifs d’une construction culturelle. Je ferme là la parenthèse…
Le texte supprime également la phrase suivante, qui figurait à l’article L.122-1-1 du code de l’éducation : « Parallèlement à l’acquisition du socle commun, d’autres enseignements sont dispensés au cours de la scolarité obligatoire ». De cela aussi, mes chers collègues, je me félicite ! En effet, cette phrase venait conforter une vision a minima du socle, conçu comme un « SMIC éducatif », et non comme une visée globale et commune pour tous les élèves. D’ailleurs, dans le fait que les enseignements complémentaires dispensés venaient renforcer le socle, on pouvait voir l’aveu de l’insuffisance et de la conception véhiculée par ce dernier…
Cela suffit-il pour parler de « rupture » ?
Nous pensons qu’une école émancipatrice doit favoriser l’autonomie de pensée et l’esprit critique, impliquant une certaine forme de désintéressement et un rapport non utilitariste à l’apprentissage, érigeant la culture et la connaissance en objectifs ultimes de ce dernier – bien loin, donc, de la notion de « compétences » introduite dans les réformes précédentes et dont le Gouvernement ne semble pas vouloir totalement s’affranchir.
Entendons-nous bien : nous ne pensons pas que la notion de « compétences » doive être dénoncée en tant que telle ; elle peut évidemment faire sens.
Toutefois, elle ne doit pas être instaurée comme la seule finalité de l’école, car elle deviendrait alors problématique. De surcroît, ces « compétences » ne doivent pas non plus se résumer à celles d’entre elles qui sont les plus opérationnelles et les plus aptes à l’« employabilité » et au marché du travail, conformément à la vision qu’en a l’Europe.
C’est au travers de ce prisme que nous avons examiné l’article 7. Et, sur ces points, cet article ne nous semble pas constituer une rupture assez profonde.
En effet, dans la rédaction actuelle du texte, le socle demeure en fait le cœur de tout le système éducatif, alors qu’il mériterait sans doute qu’un travail public plus large lui soit consacré au sein de la majorité. Le socle est désormais introduit partout : collège, brevet, programmes, baccalauréat… Tout, dans l’éducation, vise à son acquisition et donc, avec lui, au développement de compétences. Le socle est devenu omniprésent.
En outre, nous avons proposé une réécriture de l’article 7, adoptée en commission, qui tente d’éloigner le plus possible le socle de son asservissement quasi exclusif aux « compétences », telles que définies par la loi Fillon. Nous avions proposé de supprimer purement et simplement le mot « compétences » de l’article, mais cela nous a été refusé. Nous avons donc dû nous contenter de réécrire une phrase de ce dernier, qui donne corps au socle en affirmant que celui-ci « doit permettre la poursuite d’études, la construction d’un avenir personnel et professionnel et de préparer à l’exercice de la citoyenneté ».
Ainsi, nous voulons conférer au socle une visée de haut niveau de connaissances pour tous.
Le Gouvernement entend néanmoins revenir sur cette modification pour rétablir la rédaction initiale, qui n’assigne pas de grands objectifs au socle mais affirme bien plus modestement que « la maîtrise du socle est indispensable pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation […] ».
Enfin, un autre élément nous fait craindre que la rupture annoncée ne soit qu’une redéfinition avec les mêmes objectifs : je veux évoquer la référence introduite en commission aux huit compétences clés européennes pour l’éducation et la formation tout au long de la vie, telles que définies dans la recommandation du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, compétences inscrites dans une vision complètement utilitariste.
Alors que le projet de loi initial gommait les références faites par la loi Fillon à certaines de ces compétences et renvoyait au décret la définition du socle, voilà que ces mêmes compétences sont réintroduites par voie d’amendement.
Le projet de loi fait donc exclusivement référence à la notion de compétences pour construire un nouveau socle. Qu’aura-t-il alors de nouveau ?
Ainsi, le texte délaisse la notion de culture, en fait une coquille vide, réduisant la réécriture du socle à une volonté de réforme qui ne trouvera pas, selon nous, à s’incarner.
Nous aurons l’occasion d’avancer des propositions au cours du débat, afin de revenir sur cet état de fait.