Ce débat n’est pas neutre.
Ce qui caractérise et ce qui a, d'ailleurs, fait la place de l’école dans notre République, c’est une certaine conception de l’individualisme républicain. Cette conception est assez simple. Elle consiste à considérer qu’un individu a besoin, pour se construire, de règles communes, et même d’un certain soutien de la puissance publique.
Cette conception peut avoir une traduction matérielle : je pense aux secours, à la justice, aux assurances… En vertu d’une tradition continue, nous avons toujours considéré qu’elle trouve un autre terrain d’application dans l’éducation. En effet, pour être vraiment soi-même, il faut souvent passer par des règles communes. Je pense, madame Duchêne, que vous avez transmis cette idée vertueuse à vos élèves !
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, on n’est pas tout de suite un grand peintre, un grand poète, un grand mathématicien ou un grand philosophe, et ceux qui ont appris les règles sont aussi ceux qui, au final, peuvent le mieux exprimer leur individualité.
Or, depuis quelques années, cette idée de base, cette idée simple, qui organise tout notre système civique mais aussi éducatif, se perd. Depuis quelques années, on s’acharne à célébrer l’individu, à exalter la différence et à appeler à une éducation pour chacun.
Toutefois, à l’instar du sur-mesure dans la confection, une telle éducation serait quelque peu coûteuse puisqu’elle nécessiterait beaucoup de postes d’enseignant. En outre, elle n’aurait pas les vertus que l’on attend d’une école, ne garantissant ni le partage de valeurs communes ni les conditions permettant aux élèves de se constituer comme individus. En effet, faire croire que l’on devient un individu sans passer par des règles communes et des apprentissages revient à jouer contre l’école elle-même.
Ces dernières années, cette conception a fait l’objet d’une opposition très virulente et, à mon avis, fondée sur rien. Il me semble très important que nous renouions avec l’idée que l’école vise à faire partager du commun et qu’elle ne lutte pas pour autant contre les natures individuelles – pour ma part, j’assume pleinement cette vision ! Bien au contraire, une école qui produit du commun permet à l’individu de s’émanciper – j’ai souvent entendu Mme Brigitte Gonthier-Maurin le dire –, de se construire – je le répète, on n’est pas immédiatement savant, poète ou citoyen – et, en même temps, de se délivrer.
Cela dit, si vous êtes favorable à des pédagogies différenciées, sachez qu’elles se pratiquent depuis très longtemps, sans pour autant relever de l’individualisation au sens où nous l’entendons aujourd'hui.
Je terminerai par un point sur lequel les débats ne m’ont pas encore donné l’occasion de revenir : l’aide individualisée, telle qu’elle a été pratiquée, sur des journées alourdies, en plus des six heures de cours, pour les enfants en difficulté, et dont le rapport d’une inspection a d'ailleurs montré que le résultat était assez nuancé.
Nous avons remplacé cette aide individualisée par des activités pédagogiques complémentaires, qui, je l’espère, seront davantage bénéfiques aux enfants. Je souhait qu’il n’y ait pas de débat théorique à cet égard. D’aucuns ont en effet affirmé que nous avions supprimé cette aide individualisée. Non, nous ne l’avons pas supprimée ! Nous l’avons repensée de manière à la rendre plus efficace pour les enfants en difficulté.
Pour conclure, faisons attention à ne pas opposer l’individu et le commun : c’est ainsi que l’on mine les fondements mêmes de notre école.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.