Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 24 octobre 2008 à 15h00
Revenu de solidarité active — Vote sur l'ensemble

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Monsieur le haut-commissaire, nous avons pu constater, au cours de nos débats, à quel point vous étiez attaché à ce projet de loi. Nul ne met en doute votre sincérité quand vous le défendez. Vous y croyez et vous ne ménagez pas votre peine pour nous faire partager vos convictions.

Néanmoins, nous ne sommes pas convaincus. Il faut dire que nous avons d’excellentes raisons de nous méfier des projets de loi déposés par ce gouvernement. En deux ans, le code du travail a été entièrement réécrit. Au nom de la modernisation, c’est l’état de droit dans l’entreprise qui a été mis à bas. Dans quel but ?

Denis Kessler, ancien numéro 2 du MEDEF, l’avouait benoîtement dans une interview au magazine Challenge : « La liste des réformes du Gouvernement peut donner une impression de patchwork, personne n’arrive à en voir la logique. Mais en réalité la logique existe, il s’agit de défaire méthodiquement tout ce qui a été fait en France, après la guerre, à partir du programme du Conseil national de la résistance. »

On a pu constater, dans la réalité, les effets concrets de cette accumulation de réformes.

Dans une série de reportages diffusés ce dimanche dans le magazine Capital, on a pu voir des salariés subir un chantage à la délocalisation pour les conduire à accepter de travailler 40 heures payées comme s’ils en avaient effectué 35. Ceux d’entre eux qui refusaient de se plier à cet oukase ont été licenciés facilement grâce à la fameuse négociation de gré à gré censée mettre sur un pied d’égalité l’employeur et l’employé. Des cadres au forfait en jours ont vu la durée de leur travail exploser et leur salaire horaire baisser. Le titre de l’un des reportages était d’ailleurs explicite : Ces entreprises qui profitent du chômage.

Lorsque nous avons dénoncé ces risques dans cet hémicycle, la droite n’a pas manqué de nous accuser de sectarisme, de nous reprocher notre lecture idéologique de ces réformes. La réalité nous a malheureusement donné raison.

Aujourd’hui, à votre tour, vous refusez d’admettre que certaines de nos craintes puissent être fondées, notamment celles qui sont relatives à l’exercice d’une pression à la baisse sur les salaires dans le cadre d’un emploi à temps partiel subi.

Malheureusement, vous n’offrez pas d’autre réponse à ces questions que votre intime conviction.

Nous dénonçons le fait qu’une société dans laquelle le travail ne paie pas est une société qui sape la valeur du travail. Si fournir un complément de revenu à ceux qui travaillent à perte est une nécessité pour eux, une telle démarche met le couvercle, si je puis dire, sur la mise en œuvre d’une véritable politique salariale. Ce n’est pas pour rien qu’à l’université d’été du MEDEF nombre de patrons se frottaient les mains en disant que le RSA réglerait les revendications salariales concernant leur secteur d’activité.

C’est d’autant plus vrai que le projet de loi en faveur des revenus du travail, que nous examinerons lundi et mardi prochains, porte en germe la fin du SMIC

Votre projet de loi, monsieur le haut-commissaire, s’inscrit dans un contexte qui fragilise votre démarche. Il recèle également en son sein des effets pervers qui justifient nos réticences.

Vous ne nous avez pas convaincus sur la prise en charge de l’accompagnement social, indispensable pourtant pour ceux qui sont éloignés de l’emploi. Or c’est le manque de fonds disponibles pour l’accompagnement qui explique largement l’échec du volet « insertion » du revenu minimum d’insertion, le « I » du sigle RMI.

Le financement du RSA, pour sa part, pose un problème moral dont nous avons longuement débattu. Le fait que les plus riches des Français échappent à leur devoir de solidarité grâce au bouclier fiscal est choquant. Nous vous l’avons déjà dit et répété, ce qui est en cause, c’est non pas le montant des sommes en jeu, mais le symbole, à savoir celui de l’existence d’une caste de privilégiés exonérés de tout devoir de solidarité.

Mais nous avons surtout un désaccord de fond. Je sais que tel n’est pas votre objectif, monsieur le haut-commissaire, mais cette droite qui a multiplié le nombre de travailleurs pauvres, précarisé le travail et appauvri les salariés instrumentalise ce texte pour se refaire à peu de frais une virginité. Sa soudaine vocation charitable n’en est que plus insupportable.

Prendre acte ainsi du fait que le travail n’a plus vocation à assurer l’autonomie de l’homme, c’est accepter l’exploitation, et demander à la société de se substituer à l’employeur pour payer le prix réel du travail n’est en aucun cas une avancée sociale.

Néanmoins, monsieur le haut-commissaire, des milliers de personnes vont bénéficier de ce revenu de solidarité active qui vous tient à cœur.

Certaines d’entre elles ont un nom et un visage pour moi. Ce sont des mères de famille qui prennent le risque de laisser dormir leurs jeunes enfants seuls, de les laisser se réveiller et se préparer seuls pour aller à l’école parce qu’elles n’ont trouvé comme emploi que le nettoyage de 240 bureaux à Paris, alors qu’elles habitent à vingt kilomètres de là, soit trois heures de ménage, à cinq heures du matin, pour une rémunération équivalente au SMIC. La perception de 100 euros ou de 200 euros supplémentaires sera précieuse pour ces femmes, notamment.

Par ailleurs, nous savons que ce gouvernement prépare encore nombre de réformes qui ne feront qu’aggraver la situation de ces personnes les plus fragiles, les plus en difficulté.

Nous savons aussi que le patronat, parce qu’il est inconditionnellement soutenu par le Gouvernement le plus dur que nous connaissions depuis longtemps, n’hésitera pas à profiter du RSA pour développer encore les emplois à temps partiel subi, rémunérés le moins possible.

C’est pourquoi, monsieur le haut-commissaire, avec regret, les membres de mon groupe ne voteront pas en faveur de votre projet de loi et s’abstiendront.

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