Intervention de Hélène Luc

Réunion du 22 décembre 2004 à 21h00
Ouverture du capital de dcn — Exception d'irrecevabilité

Photo de Hélène LucHélène Luc :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à deux jours de Noël, le cadeau du Gouvernement a un goût amer pour l'industrie de défense navale et pour ses personnels.

En effet, c'est dans la précipitation que nous discutons un projet de loi relatif à l'ouverture du capital de DCN, lequel est, à ce jour, détenu à 100 % par l'Etat.

Je sais, madame la ministre, que vous vous défendez d'un tel empressement, mais les faits sont là : nous avons assisté à un véritable marathon pour sceller en quinze jours le sort de DCN, alors qu'il était question d'examiner ce projet au mois de janvier.

Les réserves émises, avec raison, par le Conseil d'Etat, sur la méthode consistant à procéder par voie d'amendement sur le projet de loi de finances rectificative, auraient dû vous inciter à engager une réflexion approfondie et à lancer, comme je le réclame pour la troisième fois, un débat national sur l'industrie de défense et, au-delà, sur la défense nationale. Vous m'aviez donné, madame la ministre, une réponse positive lors de la discussion du projet de budget de la défense pour 2005. Pourquoi, dès lors, ne pas avoir attendu que ce débat ait lieu ?

L'objet même du projet de loi que vous nous soumettez aujourd'hui fait partie intégrante d'un tel débat.

En vérité, vous avez fait un choix politique, que vous voulez imposer aux salariés ainsi qu'au Parlement. Il fallait en effet faire vite devant la forte mobilisation des salariés, que vous avez dû recevoir le 16 décembre dernier, sur-le-champ, lors de leur grande manifestation.

Il est évident que la question de l'ouverture du capital de DCN se voit transcendée par celle, plus large, des perspectives des entreprises de l'armement françaises et européennes, de leur nature, de la place qui doit être la leur et des autorités compétentes pour les gérer.

Vous le voyez bien, madame la ministre, c'est à une conception et à une méthode que nous nous opposons.

Le lien étroit existant entre la défense nationale et l'industrie de l'armement motive le dépôt de cette motion d'irrecevabilité.

Bien qu'ayant changé de statut en 2001 - j'étais alors intervenue, au nom du groupe communiste, républicain et citoyen, pour m'inquiéter des possibles dérives de cette décision et m'y opposer -, la DCN fait figure d'entreprise particulière, dont la place dans le paysage industriel est liée à la longue histoire des arsenaux français.

Les enjeux en matière de défense et de souveraineté nationale sont primordiaux, et l'on ne peut pas envisager l'industrie de défense comme une industrie, fabriquant de simples marchandises et dont la recherche du profit dicte les règles.

C'est la raison pour laquelle nous estimons que DCN fait partie des entreprises concernées par le préambule de 1946, selon lequel « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Or le projet de loi va à l'encontre même de ce principe.

Par ailleurs, le rôle de la défense nationale est défini par l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense. Dès l'article 1er, il est inscrit : « La défense a pour objet d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population. »

Force est de constater, dans ces conditions, l'étroite relation d'interdépendance entre la mise en oeuvre de la défense nationale et deux piliers ayant valeur constitutionnelle, à savoir la garantie de l'indépendance nationale de notre pays - c'est l'article 5 de la Constitution - et la mise en oeuvre de la souveraineté nationale - c'est l'article 3.

Le double enjeu de la souveraineté nationale et de l'indépendance nationale doit s'incarner dans l'exercice direct du pouvoir par l'Etat, sous la seule responsabilité des pouvoirs publics.

Or, le présent projet de loi ouvre la boîte de pandore en permettant l'insertion de capitaux étrangers dans l'industrie de l'armement. En effet, rien n'empêchera, par exemple, les capitaux américains - c'est l'une des justifications avancées - de gangrener nos industries. Les dispositions concernant la commission des participations et des transferts ou encore le contrôle spécifique de l'Etat sous forme d'autorisation préalable n'apportent aucune garantie dans ce domaine. Cela doit être dit clairement !

Des exemples, justifiant mon propos, existent déjà en Europe. Il suffit de regarder les chantiers navals allemands HDW, détenus à 25 % par des fonds de pension américains, ou encore BEA Systems, la principale entreprise britannique dans le secteur de la construction navale, dont 47 % des capitaux sont américains et 10 % d'une nationalité autre que britannique.

Est-ce cela que vous allez offrir à DCN ? Est-ce cela qui va garantir notre indépendance nationale ? Assurément pas !

Un autre point pose un véritable problème en matière de légalité : le secret de la défense nationale. L'ordonnance de 1959 est claire en ce domaine : la défense s'exerce en tout temps et concerne tous les secteurs d'activité, qu'il s'agisse de la défense militaire du pays, de la défense civile, de la sécurité intérieure, ou encore - c'est le point important - de la protection des activités économiques ou industrielles.

Il est donc obligatoire de respecter ce secret. Ce dernier s'applique à toute personne, à tout département ministériel et à tout organisme public ou privé où sont émises, reçues, traitées, mises en circulation ou conservées des informations intéressant la défense nationale et la sûreté de l'État, selon l'ordonnance du 7 janvier 1959.

Il faut avouer que les industries de l'armement comme DCN entrent tout à fait dans ce cadre. Il est vraiment dangereux de laisser les seuls actionnaires privés être maîtres d'oeuvre. A partir du moment où la possibilité est donnée à toute personne privée de dicter les règles dans un domaine aussi sensible, il y a un risque pour la sécurité nationale. Vos réponses à l'Assemblée nationale sur ce point ne m'ont pas convaincue.

Par extrapolation, ce risque irait croissant dans l'hypothèse où l'Etat de désengagerait progressivement de DCN. Je sais, madame la ministre, que vous vous défendez d'une telle perspective. Mais les faits et les pratiques gouvernementales de ces dernières années, avec Air France, ADP, EDF-GDF, ainsi qu'avec le changement de statut très récent des aéroports qui seront en partie privatisés, ne nous laissent que peu d'illusions pour DCN.

Je ferai une dernière référence à l'ordonnance de 1959. L'article 16 dispose : « Le ministre chargé des armées est responsable, sous l'autorité du Premier ministre, de l'exécution de la politique militaire, et en particulier de l'organisation, de la gestion, de la mise en condition d'emploi et de la mobilisation de l'ensemble des forces ainsi que de l'infrastructure militaire qui leur est nécessaire. »

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