Intervention de Philippe Madrelle

Réunion du 2 novembre 2010 à 9h30
Questions orales — Réforme de la formation des enseignants

Photo de Philippe MadrellePhilippe Madrelle :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la rentrée scolaire, de très nombreux rapports sur l’éducation ont été publiés dans notre pays. Leurs conclusions sont extrêmement alarmantes.

La gravité de tels constats exigerait des réponses fortes, capables de mettre un terme à ces échecs et de redonner au service public de l’éducation nationale un rôle prioritaire. On en est malheureusement très loin avec la réforme de la formation des enseignants, qui risque d’avoir des conséquences particulièrement néfastes sur l’ensemble du système éducatif.

La loi Fillon du 23 avril 2005, qualifiée de loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, précisait le rôle des IUFM, les instituts universitaires de formation des maîtres. Faisant alterner des périodes de formation théorique et de formation pratique, les cours dispensés par les IUFM donnaient satisfaction. Dès lors, pourquoi avoir imposé une telle réforme souvent qualifiée d’« aberrante » par les professionnels eux-mêmes ?

Les lauréats des concours de 2009 – avant cette réforme, donc – ont accompli une année de formation en alternance, alors que les lauréats des concours de 2010 sont passés directement des connaissances théoriques universitaires à une classe. Vous serez d’accord, monsieur le ministre, pour dire que le tout jeune enseignant que l’on plonge ainsi brutalement dans une classe doit être doté de solides qualités et équilibré psychologiquement pour réussir à se faire respecter.

Pourquoi avoir pris le risque d’accroître les difficultés des enseignants débutants, qui doivent assurer un service d’enseignement aussi lourd que celui des enseignants chevronnés ?

Pour passer les épreuves orales et écrites d’un master 2 effectué en deux ans ou plus, les étudiants devront faire face à un programme d’études ambitieux, avec de très nombreuses heures de cours, sans bénéficier d’une formation pédagogique digne de ce nom. Loin de les préparer au terrain, cette « universitarisation » subite et précipitée de la formation constitue une prise de risque dangereuse pour l’étudiant qui aura à participer à une course d’obstacles particulièrement difficile. En outre, cette « universitarisation » renforcera et amplifiera les inégalités sociales en raison de temps d’études de plus en plus longs, de coûts de plus en plus lourds, sans oublier une sélection de plus en plus sévère, voire cruelle.

Monsieur le ministre, permettez-moi de souligner le caractère paradoxal de telles mesures au moment où l’on assiste à la multiplication de dispositifs d’admission préférentielle destinés à aider les élèves les plus défavorisés. Hélas, ces dispositifs ne sont que cosmétiques, largement insuffisants pour ne pas dire inopérants !

Les étudiants qui se retrouvent dans ce parcours de mastérisation mi-universitaire, mi-professionnel ne bénéficient plus de véritable formation en alternance. Ils doivent se contenter de « compagnonnage » et de « stages en responsabilité ». On peut donc s’interroger sur les modalités de formation et de rémunération de ces « compagnons ». Selon quels critères les professeurs expérimentés seront-ils appelés à exercer ce tutorat sur les étudiants ? Aucun contenu précis ni aucune définition n’ont été apportés à cette formation.

Monsieur le ministre, vous en conviendrez, cette réforme a été décidée dans la plus grande confusion. Les textes d’application restent vagues, très flous et obscurs en ce qui concerne les orientations. Chaque académie va être libre d’interpréter les textes : on peut alors craindre que la mise en concurrence des universités, déjà effective par endroits, n’accentue les inégalités entre les rectorats, les départements et les régions. Une telle réforme peut engendrer de très bons étudiants, futurs précaires de l’éducation nationale, et non pas de bons enseignants. Enseigner est un métier, un métier qui s’apprend.

Lourde à mettre en œuvre, contraire à l’égalité républicaine, une telle réforme remet en cause la continuité du service public. Force est de constater que l’éducation nationale n’échappe pas elle non plus à cette idéologie de l’ultralibéralisme qui réduit les services publics et supprime les fonctionnaires. La politique d’éducation nationale est loin d’être à la hauteur des ambitions affichées.

Comme le remarque fort justement l’écrivain, réalisateur mais aussi professeur Philippe Claudel, « quand une société n’est plus capable de reconnaître le rôle civilisateur de l’éducation, de comprendre que cette fonction est essentielle et qu’elle doit s’exercer dans des conditions satisfaisantes, elle marche sur la tête. »

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