Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Réunion du 27 mai 2013 à 15h00
Adaptations dans le domaine de la justice en application du droit de l'union européenne — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Najat Vallaud-Belkacem :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que vient de vous présenter Mme la garde des sceaux n’est pas, vous l’aurez compris, une succession d’ajustements techniques. Il fait progresser très concrètement la réponse que les pouvoirs publics apportent aux victimes dans de nombreux domaines.

En premier lieu, ce projet de loi tend à renforcer la lutte contre la traite des êtres humains dans toutes ses dimensions, en élargissant sa définition et en retenant plusieurs conditions alternatives, et non plus cumulatives, constitutives de l’infraction. De plus, le prélèvement d’organe, l’esclavage, le travail forcé, la servitude seront désormais visés par la lutte contre la traite des êtres humains.

Au-delà du respect des engagements de la France et de la nécessaire réaction aux condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l’homme, il s’agit, au travers de ce texte, de se donner les moyens de mieux lutter contre la traite des êtres humains.

J’ai rencontré ce matin les associations membres du dispositif national d’accueil et de protection des victimes de la traite des êtres humains, le réseau Ac.Sé, qui assure la sécurité des anciennes victimes de la traite. C’est une réalité absolument dramatique, qui évolue vite, au rythme des épisodes géopolitiques. Elle prend sur notre territoire des formes très diverses et souvent difficiles à appréhender. La lutte contre la traite des êtres humains appelle une mobilisation interministérielle et, au-delà, une action conjointe avec les partenaires associatifs et territoriaux.

Dans cette perspective, nous avons mis en place la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, la MIPROF, qui se consacrera totalement à ce chantier. Elle est chargée d’élaborer, pour le mois d’octobre prochain, un plan gouvernemental de lutte contre la traite des êtres humains, faisant écho aux recommandations du Conseil de l’Europe. Ce travail, je le sais, est attendu par les associations concernées et les partenaires étrangers de la France. La création de cette mission interministérielle, composée d’experts issus des différentes administrations concernées, marquera un changement de rythme et de méthode.

En deuxième lieu, le renforcement de la coopération judiciaire avec Eurojust permettra de mieux lutter contre la criminalité transfrontalière, notamment contre la traite des êtres humains. Mme Taubira l’a dit, nous sommes déterminés à nous donner les moyens de barrer la route à ces réseaux.

En troisième lieu, ce projet de loi permettra aux justiciables de bénéficier d’une procédure judiciaire compréhensible dans leur langue, grâce à de nouvelles obligations de traduction des pièces.

En quatrième lieu, ce texte renforcera la lutte contre les agressions sexuelles sur mineurs, y compris les simples tentatives, ce qui n’était pas le cas auparavant, et alourdira les peines encourues. Il renforcera également la lutte contre la pédopornographie : les faits seront mieux sanctionnés.

Enfin, et je m’attarderai davantage sur ce point, le projet de loi vise à adapter notre droit pénal à la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, signée à Istanbul le 11 mai 2011 et qui marque une étape importante dans l’histoire des droits des femmes.

J’ai présenté voilà quelques jours en conseil des ministres le projet de loi de ratification de cette convention, à laquelle notre droit n’est pour l’heure pas tout à fait conforme.

Le champ de cette convention couvre un ensemble très large de violences faites aux femmes : violences sexuelles, violences physiques et psychologiques, harcèlement, mariages forcés, mutilations ou encore « crimes d’honneur ».

Cette convention prend acte d’une réalité fondamentale pour le mouvement de lutte contre les violences faites aux femmes : il y a un continuum des violences sexistes, qui commence avec les stéréotypes à l’origine des inégalités entre les hommes et les femmes et se prolonge, dans son aspect le plus dramatique, avec les violences, voire les crimes.

Ce continuum des violences appelle, en retour, une réponse globale des pouvoirs publics. La convention y fait écho à travers la prévention, la protection, l’aide aux victimes, la poursuite, la sanction et le suivi des auteurs des violences.

Notre droit pénal est déjà largement conforme aux obligations qui figurent dans cette convention, mais il ne l’est pas encore totalement. Or nous devons être exemplaires à cet égard.

La France a voulu que ce texte constitue un levier formidable, y compris au-delà des frontières du Conseil de l’Europe. Nous avons par exemple invité les pays francophones à y adhérer, à l’occasion du dernier Forum mondial des femmes francophones, organisé par la France en mars dernier.

Le présent projet de loi nous permettra de faire progresser la lutte contre les mariages forcés.

Ainsi, nous introduisons un nouveau délit dans le code pénal, constitué par le fait de tromper quelqu’un pour l’emmener à l’étranger et lui faire subir un mariage forcé.

Le droit français nous donne d’ores et déjà toutes les armes utiles pour lutter contre les mariages forcés sur notre territoire, mais, on le sait bien, c’est à l’étranger que les femmes vivant en France subissent le plus souvent ces violences. Avec Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l’étranger, nous avons décidé de mobiliser les postes consulaires sur cette question, afin de prévenir les mariages forcés et d’informer et d’aider les victimes. L’introduction de ce nouveau délit permettra de mieux lutter contre ces pratiques.

Au travers de ce projet de loi, nous faisons aussi avancer le combat contre l’excision.

La France avait connu un certain nombre de progrès dans ce domaine, mais nous avons décidé d’aller plus loin. Désormais, le fait d’inciter un mineur à subir une mutilation sexuelle sera en lui-même constitutif d’un délit.

En outre, grâce à un amendement présenté par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, le fait d’inciter à faire subir à un mineur une mutilation sexuelle sera également constitutif d’un délit.

Nous pouvons être fiers du rôle de pionnier joué par notre pays en matière de lutte contre les mutilations sexuelles, et nous réjouir de la mobilisation de la communauté internationale, aujourd’hui unie dans ce combat : on l’a vu le 20 décembre dernier, lorsque l’assemblée générale de l’ONU s’est prononcée à l’unanimité en faveur de l’abolition de la pratique des mutilations sexuelles. On n’en compte pas moins, de par le monde, entre 100 millions et 140 millions de victimes de l’excision, dont 50 000 en France. Cela justifie largement l’introduction de ces deux nouvelles incriminations pénales.

Au-delà, il faut prévenir et détecter de telles mutilations. À cet égard, je souligne que nous avons lancé un vaste plan de formation à l’intention de celles et ceux qui sont au contact des victimes, afin de leur permettre de mieux déceler ce type de violences.

Parallèlement, la sensibilisation des populations susceptibles d’être concernées est également une réponse essentielle. Nous y travaillons avec les associations du collectif « Excision, parlons-en ! », qui préparent une mobilisation nationale à l’occasion de la journée internationale contre les mutilations sexuelles, le 6 février prochain.

Enfin, nous voulons pouvoir dire aux victimes que leur souffrance n’est pas nécessairement définitive, lorsque mutilation sexuelle il y a eu. Le protocole chirurgical de réparation, élaboré grâce à des médecins engagés, est désormais intégré à la nomenclature de l’assurance maladie. C’est là un progrès considérable pour les victimes.

D’autres dispositions issues de la convention d’Istanbul seront introduites dans notre droit via le texte qui vous est présenté aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs : je pense à la pénalisation de la tentative d’avortement forcé, d’une part, et à l’information des victimes se trouvant en danger du fait de l’évasion de l’auteur des violences qu’elles ont subies, d’autre part. Il s’agissait, là encore, d’une faille de notre droit.

Nous estimons donc que ce texte améliorera très concrètement notre droit et renforcera nos outils en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et de protection des victimes. Je sais que la Haute Assemblée est très attentive à ces questions et je tenais à réaffirmer devant elle mon engagement, au côté de Mme la garde des sceaux. §

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