Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui a pour objet de transposer plusieurs directives et décisions de l’Union européenne et d’adapter la législation française à diverses conventions ou résolutions de l’ONU.
Les thèmes abordés relèvent tous de la mise en place du programme de Stockholm visant à créer un espace judiciaire européen en matière de lutte contre les violences et contre la criminalité organisée. Ils concernent des domaines variés, tous aussi importants les uns que les autres. La lutte contre la criminalité organisée, la lutte contre les violences faites aux femmes, la lutte contre les violences domestiques ou la lutte contre les abus sexuels, notamment ceux qui sont commis contre les enfants, sont en effet des sujets d’une haute importance.
Compte tenu du temps qui nous est imparti, je ne reviendrai pas sur les différents points de ce projet de loi que Mme et M. les rapporteurs ont déjà pris le soin d’exposer. J’évoquerai pour ma part l’article 1er, qui a pour objet de transposer la directive de 2011 relative à la lutte contre la traite des êtres humains. Cette transposition devait être effectuée avant le 6 avril 2013 : nous avons donc un mois de retard, ce qui explique l’examen de ce texte en procédure accélérée. Cependant, cela ne doit pas nous empêcher d’étudier dans le détail un sujet aussi important que la définition de l’infraction de traite des êtres humains.
La traite des êtres humains est à l’origine de violations des droits de l’homme comptant parmi les plus graves. Il faut que notre arsenal législatif permette de poursuivre et de condamner efficacement ces pratiques attentatoires aux droits les plus fondamentaux, notamment à la dignité humaine. Il convient donc, mes chers collègues, de veiller à ce que la transposition de la directive dans notre droit interne ne joue pas en défaveur des victimes, avec l’introduction d’éléments constitutifs de cette infraction qui rendrait plus difficile son établissement.
La définition de l’infraction de traite des êtres humains repose, dans le droit européen, sur un triptyque : l’action, les moyens utilisés par l’auteur et l’objectif poursuivi. Seuls les deux derniers éléments de ce triptyque font l’objet d’une modification par le projet de loi. Le champ des agissements répréhensibles – recrutement, transport, transfert, hébergement, accueil de personnes – reste inchangé.
Concernant l’objectif poursuivi, le projet de loi apporte des améliorations indiscutables via des références nouvelles au prélèvement d’organe, à l’esclavage et au travail forcé, qui viennent compléter et préciser la définition actuelle.
Nous approuvons bien entendu cette extension qui couvre les faits commis aux fins d’exploitation, que celle-ci soit liée au proxénétisme, aux agressions et atteintes sexuelles, à l’exploitation de la mendicité, aux conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine, à la soumission à un travail forcé, à la servitude, à l’esclavagisme ou encore au prélèvement illicite d’organes. L’introduction de ces nouveaux éléments, venant parachever la liste des objectifs poursuivis par le traitant, contribuera à rendre plus efficace la lutte contre ce fléau.
Concernant l’adjonction dans notre définition en droit interne de la traite d’une liste de moyens employés par le ou les prétendus traitants, nous sommes beaucoup plus circonspects. Cela nous a amenés à déposer un amendement sur ce sujet.
En effet, dans le droit actuel, le recours à la contrainte, aux violences ou à un abus d’autorité ou l’exploitation de la vulnérabilité de la victime sont des circonstances aggravantes, qui permettent d’alourdir la peine encourue par les traitants. Ces circonstances aggravantes n’ont pas à être réunies pour caractériser l’infraction. Or le projet de loi prévoit qu’elles deviendront des éléments constitutifs de l’infraction de traite des êtres humains, au côté de la rémunération du traitant ou de sa promesse de rémunération.
Cette modification soulève un double problème, dont il faut prendre la mesure. L’un a été résolu au travers d’un amendement adopté, en séance publique, à l’Assemblée nationale, l’autre reste en suspens.
Le premier est relatif à la peine encourue. Le recours à des contraintes, les violences, l’exploitation de la vulnérabilité d’une personne, définis actuellement en tant que circonstances aggravantes, sont punis de dix ans de prison. En tant qu’éléments constitutifs de l’infraction, ils ne seront punis que de sept ans de prison. Cela aurait pu être compris comme un geste en faveur des coupables, mais l’Assemblée nationale a adopté un amendement permettant, de manière habile, de ne pas diminuer le quantum de la peine.
Le second problème a trait à l’énumération, certes alternative, mais limitative, des moyens employés par les traitants, dont l’usage devra être prouvé par la victime pour que la traite soit caractérisée. Dans la définition figurant actuellement dans notre code pénal, contrairement à ce que prévoit la définition consacrée par le protocole de Palerme et par la directive que nous tentons de transposer, il n’est pas nécessaire que la victime établisse le recours à de tels moyens pour que l’infraction puisse être caractérisée.
Aussi, en faisant de la définition internationale de la traite une infraction aggravée, le droit français ne se contente pas de respecter les engagements internationaux, il va au-delà, en étendant aux majeurs la protection réservée aux seuls mineurs dans le protocole de Palerme.
Cette définition plus large est à l’honneur de la France, car elle renforce la répression de la traite des êtres humains. La lutte contre ce fléau sera d’autant plus efficace que, dans notre pays, la tentative et la complicité de traite sont punissables, ce qui permet de remonter relativement loin la chaîne des comportements pouvant aboutir à la traite d’une personne.
Cette différence avec le protocole de Palerme est justifiée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, que du reste le Gouvernement aurait pu saisir pour avis, car, pour une commission chargée d’éclairer le législateur sur les questions ayant trait aux droits de l’homme, quel sujet plus important que la traite des êtres humains ? Peut-être s’agit-il, là encore, d’un manque de temps.
Dans son avis du 18 décembre 2009 sur la traite et l’exploitation des êtres humains en France, cette commission rappelle que, l’exploitation étant considérée comme l’une des atteintes aux droits fondamentaux les plus graves, les moyens employés par l’auteur importent peu ; seuls comptent ses agissements et le mobile poursuivi par lui. C’est la raison pour laquelle nous présenterons un amendement tendant à maintenir la définition interne plus protectrice. En effet, si nous nous alignons complètement sur la définition européenne, plus difficile à caractériser, le nombre de condamnations pour traite d’êtres humains diminuera, alors qu’il est déjà très faible par rapport à ce qu’il devrait être.
Au demeurant, l’Union européenne n’a jamais reproché à la France d’avoir une loi plus protectrice. Nous disposons d’une marge de manœuvre délimitée par le respect des politiques pénales internes. D’ailleurs, l’article 1er de la directive du 5 avril 2011 prévoit que celle-ci n’établit que « des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine de la traite des êtres humains ». La France peut donc être plus sévère.
Permettez-moi, pour conclure, d’annoncer le second amendement que nous avons déposé, relatif au délit d’offense au chef de l’État. La commission des lois a voté la suppression de l’article 17 bis, que la commission des lois de l’Assemblée nationale avait introduit dans le projet de loi pour abroger ce délit. Loin de tout esprit de « fayotage », pour reprendre un mot utilisé en commission sur un ton humoristique, nous vous proposerons de rétablir les dispositions que l’Assemblée nationale a adoptées !