Intervention de Hugues Portelli

Réunion du 27 mai 2013 à 15h00
Adaptations dans le domaine de la justice en application du droit de l'union européenne — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mon propos ne sera pas exhaustif, car nous sommes en accord complet avec le projet de loi dans la rédaction proposée par la commission des lois, qui du reste l’a adopté à l’unanimité.

Notre soutien est justifié par deux raisons : d’une part, nous sommes d’accord avec la trame générale des dispositions qu’il est question d’introduire dans notre droit ; d’autre part, nous trouvons excellent le travail qui a été accompli par notre rapporteur et nous approuvons les modifications que la commission des lois a adoptées sur son initiative.

De surcroît, le travail dont ce projet de loi est issu n’a pas commencé en juin 2012 ; il a été amorcé sous la précédente législature par les services de la Chancellerie. Nous avons donc un bel exemple de ce que nous aimons appeler la continuité de l’État : le gouvernement, quel qu’il soit, respecte les engagements internationaux pris par la France, que ce soit dans le cadre de l’Union européenne, dans l’espace du Conseil de l’Europe ou dans celui des Nations unies.

Permettez-moi de mettre brièvement en relief trois aspects du projet de loi.

Premièrement, les différents textes que nous nous apprêtons à transposer dans notre droit montrent que nous sommes aujourd’hui entrés dans l’ère d’un droit pénal international. Autrement dit, nous sommes sortis de la vieille conception régalienne du droit pénal, suivant laquelle celui-ci est l’un des attributs de la souveraineté de l’État. Si ce droit évolue aujourd’hui, c’est pour deux raisons.

D’abord, supérieure à la répression, il y a la protection des droits de l’homme. Or, à propos de la définition des droits de l’homme, un consensus existe qui se manifeste dans les textes très parallèles que sont la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les différents textes signés dans le cadre des Nations unies.

Comme le Conseil constitutionnel l’a rappelé à plusieurs reprises, il n’y a pas de spécificité française en matière de droits de l’homme, excepté quelques aspects que, les uns et les autres, nous connaissons bien. En définitive, il y a une base commune en ce qui concerne les droits fondamentaux, qui surplombent le droit régalien visant à réprimer tel ou tel type d’infraction.

Ensuite, comme M. le rapporteur l’a signalé à juste titre en commission, nous assistons à une internationalisation de la criminalité organisée qui rend nécessaire l’adoption de normes internationales, ou en tout cas de normes qui vaillent sur le plan international. Ce résultat peut être obtenu soit en enjambant les frontières, soit en permettant aux États de reconnaître les sanctions prononcées dans les États voisins, notamment ceux qui appartiennent au même espace juridique et judiciaire. Il y a là un impératif absolu, surtout pour les crimes les plus graves : ceux qui portent atteinte aux droits des personnes, notamment de la femme ou de l’enfant. C’est pourquoi il est nécessaire d’introduire dans le droit français ces textes adoptés à l’échelon européen ou à l’échelle mondiale.

Deuxièmement, comme M. le rapporteur l’a également souligné en commission, nous devons faire preuve à la fois d’une grande loyauté dans la manière d’intégrer ces normes internationales dans l’ordre juridique français et d’une grande clarté – je ne dirai pas d’une grande prudence –, pour la raison qu’en matière de droit pénal la plupart des normes n’ont pas de définition internationale ; elles sont le fruit des traditions nationales. C’est ainsi qu’on essaie, notamment dans le cadre de l’Union européenne, de trouver des éléments communs à des traditions juridiques souvent extrêmement différentes, non pas tant sur le plan du droit pénal proprement dit que sur le plan de la procédure pénale. De fait, on sait très bien que le droit anglo-saxon et le droit continental présentent des différences considérables : on n’emploie pas les mêmes concepts, on n’utilise pas les mêmes procédures et, du coup, on ne tombe pas d’accord.

En ce qui concerne le parquet européen, je me souviens que, lors des auditions organisées par la commission des affaires européennes sur le programme de Stockholm il n’y a pas si longtemps, on nous a très bien expliqué que le problème essentiel résidait dans l’impossibilité d’un accord entre les Britanniques et les continentaux, sans compter que, même au sein de l’espace judiciaire continental, il y avait des différences non négligeables, par exemple sur le rôle du parquet et la place de la procédure accusatoire.

De la même façon, dans la préparation des directives prévues par le programme de Stockholm – seule une sur trois a déjà été rédigée –, le fait qu’un avocat puisse assister les personnes dès le début des poursuites semble faire consensus ; de ce point de vue, d’ailleurs, les Allemands sont en avance sur nous. Cependant, quand on demande aux Allemands ce qu’ils ont prévu en matière d’aide judiciaire, on réalise qu’ils n’ont quasiment rien prévu. Ainsi, par rapport à l’Allemagne, nous sommes en retard sur le plan de la procédure, mais nous sommes en avance sur le plan de la couverture sociale des personnes. Le problème n’est pas seulement de reconnaître des droits, mais aussi de s’assurer qu’ils peuvent être appliqués, ce qui est loin d’être le cas en Allemagne.

Madame la garde des sceaux, je pense donc qu’il y a du travail à faire pour que les différents États parlent des mêmes notions et pour que les procédures dans leurs détails soient mises en œuvre concrètement, non seulement sur le plan juridique mais aussi sur le plan administratif et même social.

Troisièmement, en ce qui concerne l’article 17 bis du projet de loi, que la commission des lois n’a pas cru devoir maintenir, je tiens à répondre à ceux qui demandent la suppression du délit d’offense au chef de l’État.

Je rappelle, notamment à nos collègues du RDSE, que ce délit appartient à la tradition républicaine. Lorsqu’il a été instauré, en 1881, cela faisait moins d’un an que les républicains avaient remporté la majorité ici même et qu’un républicain avait été élu à la présidence de la République, ce qui est la moindre des choses. Aussi bien, ce délit n’a pas du tout été créé sur l’initiative de Mac Mahon et des défenseurs de la monarchie : il visait à protéger un président de la République républicain ! On a profité que la loi sur la liberté de la presse était en cours de préparation pour l’y introduire.

Bien sûr, autres temps, autres mœurs ; je comprends parfaitement qu’on veuille ne plus maintenir une disposition, certes républicaine et vénérable, mais qui n’est peut-être plus dans l’air du temps. Reste que, comme nous l’avons rappelé en commission des lois, étant donné que l’article 68 de la Constitution doit théoriquement être modifié, ce qui nous permettrait d’examiner le statut du chef de l’État, notamment son statut pénal, il serait préférable d’attendre ce débat pour envisager l’intégralité des dispositions relatives à ce statut. Peut-être alors fera-t-on un sort au délit d’offense au chef de l’État.

À ce propos, madame la garde des sceaux, je vous rappelle que nous tenons beaucoup à l’adoption de la loi organique qui permettrait une entrée en application complète des dispositions votées lors de la révision constitutionnelle du 23 février 2007, dont certaines ne sont toujours pas mises en œuvre, notamment en ce qui concerne la mise en accusation du Président de la République. À cet égard, je crois que la droite peut battre sa coulpe ! La procédure est toujours en cours et sénateurs et députés ont voté des textes différents. Il faudra bien un jour se mettre d’accord pour que ces dispositions entrent en vigueur !

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