Intervention de Jean Bizet

Réunion du 27 mai 2013 à 21h00
Adaptations au droit de l'union européenne dans le domaine du développement durable — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qu’il nous est proposé de discuter aujourd’hui est d’un abord complexe. Il comporte en effet de multiples entrées : transposition de six directives européennes, ratification de douze ordonnances transposant elles-mêmes chacune plusieurs directives européennes et adaptation du droit national à une série de règlements... Les seuls points communs à ces textes sont d’émaner de l’échelon européen et de concerner l’environnement.

Ce texte de trente et un articles aborde aussi bien les conditions de travail des gens de mer que les transports routiers et aériens, les risques industriels ou encore les réseaux d’énergie. Comme cela a déjà été dit, nous avons affaire à un texte touffu et dense, puisqu’il prévoit la transposition en droit français de six directives et de plusieurs règlements ou directives déjà transposés et la ratification de douze ordonnances. Les sujets abordés sont extrêmement disparates, et le projet de loi n’en est que plus complexe.

La France, qui se veut l’un des moteurs de l’Europe, rencontre de sérieuses difficultés à transposer en temps et en heure les directives adoptées à Bruxelles. Notre pays a longtemps figuré, même si sa position s’est récemment améliorée, en queue du classement des États membres dans cet exercice. C’est malheureusement la triste réalité.

Le retard à transposer les directives entraîne plusieurs conséquences dommageables comme l’insécurité juridique, la fragilisation de la position de la France à l’égard de la Commission européenne et de nos partenaires, mais aussi la multiplication des procédures contentieuses et le risque, à terme, d’être condamné au versement d’amendes ou d’astreintes.

Le bilan annuel de gouvernance pour l’année 2011 publié par le commissaire européen chargé du marché intérieur et des services, notre ancien collègue Michel Barnier, montre une amélioration réelle. Toutefois, la position de notre pays reste finalement assez médiocre. Ainsi, la France atteint tout juste l’objectif de moins de 1 % de déficit de transposition, ce qui classe notre pays au quatorzième rang sur vingt-sept États membres, ex-æquo avec l’Espagne. La France se situe aussi au quatorzième rang pour les délais de transposition. Nous aurions intérêt à nous inspirer de l’attitude des pays anglo-saxons, qui transposent a minima – nous y reviendrons au sujet de la traduction du mot « biofuel » –, mais font preuve d’une forte implication très en amont de l’édification d’une directive, dans l’élaboration d’un Livre vert ou d’un Livre blanc. Si l’on veut faire du lobbying afin d’écrire un texte comme on le souhaite, il faut s’y prendre dix ans avant son élaboration et non pas après coup pour y ajouter des modifications.

Mais il ne suffit pas de transposer dans les délais : encore faut-il transposer correctement. À cet égard, la France présente un « déficit de compatibilité » de son droit national de 1, 3 %, qui la classe dans les tout derniers États membres, seuls le Portugal et l’Italie faisant moins bien.

Par ailleurs, vous me permettrez de regretter, mes chers collègues, les mauvaises conditions de l’examen de ce texte, qui ont été soulignées notamment par les rapporteurs. Ce projet de loi a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 6 mars dernier. La procédure accélérée a alors été demandée par le Gouvernement. Le texte a été examiné en commission le 10 avril, pour être discuté en séance publique les 15 et 17 mai. Il a été examiné au Sénat le 22 mai, pour en débattre en séance publique ce soir !

Cela ne nous paraît guère satisfaisant pour un texte comportant, dans sa version initiale, pas moins de trente et un articles, auxquels l’Assemblée nationale a ajouté onze articles supplémentaires, abordant autant de sujets différents, dont certains sont particulièrement longs et complexes. Or il n’y aura qu’une seule lecture dans chaque chambre !

Je crains que le souci du Gouvernement d’aller vite pour tenir les délais de transposition fixés à Bruxelles ne l’ait poussé à négliger quelque peu – encore une fois ! – les droits du Parlement, et particulièrement ceux du Sénat, ce que nous ne pouvons pas tolérer. Le Sénat offre toujours, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, une valeur ajoutée sur le plan législatif, étant plus précis et plus affiné que l’autre chambre dans sa lecture.

Enfin, ce qui nous frappe avec ce texte, c’est le déficit d’information. L’étude d’impact est vide, ou presque : cela devient une habitude, qu’il faut, à mon sens, rapidement corriger ! Pour comprendre un tel projet de loi, l’on aurait besoin de disposer également du texte de la directive concernée. Cela permettrait de vérifier que l’on ne va pas au-delà de la transposition, comme c’est souvent le cas en France, où il arrive fréquemment que l’on profite de la transposition pour insérer, sans publicité, des dispositions qui ne figurent pas dans la directive censée être transposée !

C’est sur ce genre de texte qu’il faudrait concentrer notre attention pour agir en amont contre les réglementations qui asphyxient notre pays, ce dont nous prenons tout doucement conscience. Nous ne le faisons malheureusement pas assez. Au fil du temps, car cela ne date pas d’aujourd’hui, nous accumulons les excès de ces transpositions, sous la pression sociétale, pour ne pas dire d’un certain nombre d’ONG, sans écouter le monde de l’entreprise.

Or cette surcharge de normes et de règles, ces procédures administratives longues et complexes finissent par entraîner des distorsions de concurrence. Voilà pourquoi aujourd’hui les deux principales économies de l’Union européenne, celles de l’Allemagne et de la France, divergent fondamentalement. Certes, ce manque de convergence n’est pas dû qu’à cela ; bien évidemment, d’autres raisons concourent à un tel résultat, mais ce phénomène y participe. C’est la raison pour laquelle je pense que la convergence économique entre la France et l’Allemagne devient de plus en plus urgente. Le Président de la République lui-même l’a reconnu. J’espère que ses déclarations seront suivies d’effets.

Parmi cette multitude de dispositions, je limiterai mon propos à quelques-unes d’entre elles.

En ce qui concerne le droit maritime et l’application des normes sociales françaises aux équipages embarqués sur les navires effectuant une prestation dans les eaux territoriales ou intérieures françaises, l’objectif est louable, ainsi que Mme le rapporteur l’a souligné. En effet, il s’agit de réduire le déficit de compétitivité entre armements français et étrangers qui opèrent sur les lignes de cabotage maritimes ou qui effectuent des prestations de services à l’intérieur des eaux françaises.

Cependant, l’activité de maintenance et de réparation des câbles sous-marins est effectuée aujourd’hui uniquement par deux opérateurs français. Ces opérateurs sont mis en péril par les dispositions du projet de loi : le coût de stationnement de ces navires en France ainsi que les activités portuaires sont renchéris de manière très importante – environ 2 millions d’euros par an et par navire.

Nous pensons qu’il est nécessaire de permettre à ces navires câbliers de conserver leur stationnement en France tout en en limitant le coût. Pour cela, il me semble important de restreindre le champ d’application défini par l’article L. 5561-1 du code des transports pour les navires de service à ceux qui effectuent leurs prestations exclusivement dans les eaux territoriales ou intérieures françaises.

J’évoquerai également la transposition de la directive Seveso III relative aux activités économiques impliquant l’emploi de substances dangereuses. Celle-ci remplace la directive Seveso II. Plus complète, elle vise notamment à permettre la mise en place au niveau mondial d’un système harmonisé de classification des substances dangereuses. Cet aspect de la directive concerne surtout les industriels. Cependant, il nous faut veiller à ce que ces classifications et réglementations n’entament pas – j’insiste encore une fois sur ce point – la compétitivité des entreprises européennes opérant dans ce domaine.

Seveso III s’attache, à l’instar de Seveso II, à la situation des citoyens concernés par ces activités et par les risques qu’elles comportent. Les citoyens sont de plus en plus nombreux à vouloir être mieux informés. Ils veulent aussi pouvoir donner leur avis, voire s’opposer à des projets d’implantation ou de développement d’activités potentiellement dangereuses. Les normes imposées aujourd’hui en Europe seront probablement aussi, à l’avenir, exigées ailleurs.

Si le besoin d’information de nos concitoyens est légitime, il est indispensable d’y répondre de manière adéquate si l’on veut permettre à ces industries de se développer. La directive que nous transcrivons vise à mieux répondre à ces aspirations du public, sur des sujets qui restent malgré tout complexes.

Je note, pour reprendre vos propos, madame la ministre, que le Gouvernement est revenu sur la suppression de la rubrique 2255 de la nomenclature ICPE, installations classées pour la protection de l’environnement, encadrant le stockage des alcools de bouche de plus de 40 degrés. Ce point avait fait l’objet d’un certain atermoiement de la part de nos collègues des territoires concernés. Je me réjouis de ce changement de cap. C’est une preuve de bon sens ! On en manque quelquefois en la matière…

Classer des produits qui font le nom et le renom de nos territoires parmi les produits toxiques ou les produits industriels inflammables aurait été une formidable erreur à la veille de l’ouverture de négociations sur un contrat de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis, contrat qui donnera toute sa lisibilité aux indicateurs géographiques de provenance. Il aurait été véritablement dommage de tirer un trait sur les caves de vieillissement des alcools de bouche comme la chartreuse, le calvados, le cognac ou l’armagnac, …

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