Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 2 novembre 2010 à 14h30
Nécessaire réforme des dispositifs « amiante » — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy, auteur de la question :

On connaît aussi le cas d’entreprises comme Moulinex, dont certains établissements seulement ont été classés, alors que leurs activités étaient similaires à celles d’établissements non retenus, ce qui pose un problème aux salariés reclassés d’un établissement à un autre.

Aujourd’hui, ces listes sont fermées et il est très difficile d’y faire inscrire de nouveaux établissements, au terme d’un véritable parcours du combattant. Monsieur le ministre, je suis sûr que plusieurs dossiers émanant d’entreprises demandant leur inscription sur ces listes sont actuellement sur votre bureau. L’un d’entre eux, concernant l’entreprise Tréfimétaux de Dives-sur-Mer, vous a été transmis par moi-même et plusieurs de mes collègues, dont Mme Nathalie Goulet, ici présente.

Le 30 octobre 2008, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé, pour non-défense de l’État, l’arrêté d’inscription de cet établissement sur la liste de ceux qui sont susceptibles d’ouvrir droit à l’ACAATA. Un pourvoi en cassation de cet arrêt a été introduit par le collectif des anciens salariés de cet établissement et il est actuellement en cours d’examen par le Conseil d’État. Mais la procédure est longue : en attendant, plus aucun salarié de cet établissement ne peut donc se prévaloir du dispositif de cessation anticipée d’activité, alors même que l’exposition à l’amiante est prouvée et que l’entreprise Tréfimétaux est régulièrement condamnée par les tribunaux dans le cadre de procédures pour faute inexcusable de l’employeur.

Lorsque vous étiez ministre du budget, monsieur le ministre, vous aviez permis de débloquer quatre dossiers de salariés en intervenant auprès de la caisse régionale d’assurance maladie de Normandie. Aujourd’hui, six nouveaux dossiers, faute d’arrêté, sont bloqués et requerraient votre attention. J’espère que vous pourrez nous aider à les faire aboutir et, plus généralement, réfléchir à la question des listes.

L’autre problème concernant l’ACAATA tient à la comparaison des régimes. En effet, comme vous le savez, monsieur le ministre, le dispositif créé par l’article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a été ultérieurement complété et des mesures similaires ont été intégrées dans plusieurs autres régimes de protection sociale.

Le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 a prévu un dispositif de cessation anticipée d’activité pour les ouvriers de l’État relevant du ministère de la défense, dès lors qu’ils sont ou ont été employés dans des établissements de construction et de réparation navales dépendant de la Direction des constructions navales, la DCN. La loi de finances rectificative pour 2003 a étendu ce régime de préretraite aux fonctionnaires et aux agents non titulaires employés par le ministère de la défense dans ces mêmes établissements : elle fait l’objet du décret d’application n° 2006-418 du 7 avril 2006. Le décret n° 2002-1272 du 18 octobre 2002 a instauré l’ACAATA au bénéfice des marins dépendant du régime d’assurance géré par l’Établissement national des invalides de la marine, l’ENIM. Enfin, la loi n° 2002-1487 du 20 décembre 2002 et le décret n° 2003-608 du 2 juillet 2003 ont étendu l’ACAATA aux salariés agricoles, l’allocation étant servie par les caisses de la Mutualité sociale agricole, la MSA, et financée par une contribution de ce régime au fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante.

Or, la comparaison entre tous ces dispositifs met en lumière les deux principales failles du système existant.

Première faille : l’hétérogénéité des règles mises en œuvre par les différents régimes débouche sur une protection inégalitaire des travailleurs de l’amiante.

Ainsi, certains régimes spéciaux ne couvrent pas le risque spécifique découlant de l’exposition à l’amiante et ne servent donc pas l’ACAATA. C’est le cas pour les fonctionnaires, à l’exception des employés du ministère de la défense, pour les salariés dépendant du régime minier, pour les professions indépendantes, etc.

En outre, lorsque l’ACAATA est prévue, ses modalités d’attribution varient selon le régime considéré. Certains régimes prennent en charge à la fois les travailleurs victimes d’une maladie professionnelle provoquée par l’amiante et ceux qui sont exposés à ce risque, alors même qu’ils n’ont pas développé de maladie, tandis que d’autres régimes n’attribuent l’allocation qu’aux travailleurs reconnus atteints d’une maladie professionnelle causée par l’amiante.

Par ailleurs, pour établir la durée d’exposition à l’amiante, certains régimes retiennent toutes les périodes de travail où l’exposition a eu lieu, quel que soit le régime auquel sont affiliées les entreprises en cause, alors que d’autres se limitent aux périodes d’activité relevant du régime concerné.

Il convient d’ajouter qu’à l’intérieur d’un même régime des salariés exposés à l’amiante peuvent se voir appliquer des règles différentes en fonction de leur statut professionnel ou eu égard au statut de leur entreprise.

À titre d’exemple, monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur le préjudice subi par deux catégories particulières de personnel.

Il s’agit d’abord des salariés intérimaires dont les contrats sont reconduits d’une semaine sur l’autre sans autre interruption que le week-end et qui se trouvent défavorisés par rapport aux titulaires d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée puisque, dans leur cas, les samedis, dimanches et jours fériés sont exclus des journées prises en compte pour déterminer la durée de travail effectué dans un établissement ouvrant droit à l’ACAATA.

Ce sont ensuite les travailleurs de l’amiante qui exercent leur activité dans des sites figurant sur les listes définies par arrêtés ministériels, mais qui sont employés par des entreprises sous-traitantes et qui sont placés dans une situation plus problématique encore. En effet, le fait que l’entreprise sous-traitante ne soit pas elle-même inscrite sur ces listes conduit à ne pas prendre en considération cette période de travail lors de l’examen de leur demande d’allocation.

Deuxième faille : la comparaison des différents régimes de cessation anticipée d’activité démontre le caractère discordant des règles de prise en charge, ce défaut étant aggravé par le manque de coordination entre les régimes.

Il s’avère en effet que chaque régime établit de manière autonome ses règles de prise en charge : certains régimes n’acceptent de servir l’allocation qu’aux assurés qui leur sont rattachés au moment de la demande ; d’autres attribuent l’ACAATA également à leurs anciens ressortissants. Ainsi, l’autonomie et les logiques internes des régimes sont privilégiées par rapport aux intérêts de l’individu.

Dans les différents rapports que j’ai cités au début de mon intervention, on trouve différentes pistes pour remédier à toutes ces difficultés. Le plus important, selon moi, est de rétablir l’équité entre toutes les personnes exposées à l’amiante dans leur activité professionnelle, en garantissant à celles-ci un même niveau de protection sociale.

Une telle évolution impliquerait tout d’abord d’étendre le bénéfice du dispositif de l’ACAATA à toute personne reconnue atteinte d’une maladie professionnelle ou d’une maladie liée au service, maladie en tout cas causée par l’amiante, quel que soit le régime qui s’est prononcé sur le caractère professionnel de la maladie. L’inégalité de traitement est, en effet, particulièrement intolérable lorsqu’elle concerne des personnes pareillement frappées par la maladie, mais dont le droit à bénéficier d’une retraite anticipée est fonction du régime auquel elles appartiennent.

La mise en œuvre de ce principe supposerait, en outre, de prévoir un droit d’accès à l’ACAATA pour les personnes ayant travaillé dans un établissement à risque pour l’ensemble des régimes, tout en assortissant cette possibilité des garanties nécessaires pour éviter le détournement de la procédure à des fins de gestion de plans sociaux. Il n’est en effet pas admissible que des entreprises utilisent abusivement ce dispositif de préretraite.

Il s’agirait également de veiller à ne pas pénaliser certaines catégories de salariés, en particulier en prenant en compte dans le dispositif de l’ACAATA les travailleurs de l’amiante employés en sous-traitance dans les établissements déjà cités dans les listes.

C’est notamment ce qui a conduit la mission commune d’information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante, présidée par Jean-Marie Vanlerenberghe, dont Gérard Dériot était le rapporteur et dont j’étais, pour ma part, le rapporteur adjoint, à préconiser la mise en place une nouvelle voie d’accès à l’ACAATA, dont bénéficieraient, sur une base individuelle, des salariés ayant été exposés à l’amiante de manière significative et durable dans un établissement appartenant à un secteur non visé par la loi.

Il existe déjà des possibilités d’obtenir l’ACAATA de manière individuelle. Par exemple, le ministère des affaires sociales, par circulaire commune avec la sécurité sociale, a reconnu aux épouses de salariés de l’amiante exposées à la fibre dans le cadre domestique la possibilité de bénéficier d’une cessation anticipée d’activité. À la Direction des constructions navales, il existe également la possibilité de reconnaître, au cas par cas, après examen de leur situation, le bénéfice de l’ACAATA au personnel des entreprises sous-traitantes ou d’intérim qui ont travaillé sur ses sites.

Pour ma part, je crois nécessaire d’institutionnaliser davantage cette voie d’accès. Pour identifier plus facilement les salariés concernés, j’avais proposé à la mission commune d’information la création de comités de site, rassemblant l’ensemble des acteurs concernés – représentants de l’entreprise, des salariés, de l’État, de la caisse primaire d’assurance maladie –, afin de recouper, de manière contradictoire, les informations disponibles. J’en suis persuadé, un tel dispositif permettrait, notamment, de mieux prendre en compte les droits des salariés des entreprises sous-traitantes ou des salariés intérimaires qui ont pu travailler pendant des années dans des établissements utilisant l’amiante sans faire partie de leurs effectifs salariés et qui, de ce fait, n’ont pas droit aujourd’hui à l’ACAATA.

L’article 76 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, voté l’année dernière à la même époque, prévoyait d’ailleurs que le Gouvernement devait remettre, avant le 30 septembre 2010, « un rapport évaluant la faisabilité d’une voie d’accès individuelle au dispositif de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante ainsi que le nombre de salariés potentiellement concernés par ce dispositif ». Malheureusement, et je ne vous en fais pas grief, monsieur le ministre, nous en attendons toujours la publication…

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