Intervention de Anne Émery-Dumas

Réunion du 28 mai 2013 à 14h30
Déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi modifiée

Photo de Anne Émery-DumasAnne Émery-Dumas :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, c’est dans un contexte tout à fait particulier que nous sommes appelés aujourd’hui à examiner cette proposition de loi visant à autoriser le déblocage exceptionnel de l’intéressement et de la participation, adoptée par l’Assemblée nationale le 13 mai dernier.

Au terme de trois ans de dégradation continue, les dépenses de consommation des ménages et le pouvoir d’achat de nos concitoyens ont en effet établi l’an dernier de tristes records. Les chiffres publiés par l’INSEE la semaine dernière sont en effet sans appel : en 2012, les ménages ont réduit leur consommation pour la seconde fois seulement depuis l’après-guerre et pour la première fois depuis 1993. Le pouvoir d’achat individuel, quant à lui, a connu l’an dernier sa plus forte baisse depuis trente ans.

Si la crise que nous traversons se mesure à l’aune des données de l’INSEE, elle se traduit aussi et surtout par les difficultés financières que rencontrent nos concitoyens et par le désarroi que dissimulent de plus en plus mal nos administrés.

La mesure de déblocage sur laquelle nous allons nous prononcer vise, au moment où la conjoncture reste difficile, à compléter la stratégie de croissance du Gouvernement en améliorant dans les meilleurs délais le pouvoir d’achat des Français et en soutenant la consommation des ménages.

Elle ouvre aux salariés concernés la possibilité de récupérer, avant le délai légal de déblocage qui peut être de cinq ans ou de huit ans, les revenus épargnés au titre de la participation et de l’intéressement et leur permet de bénéficier des avantages sociaux et fiscaux habituellement associés à l’épargne salariale.

Je tiens à rappeler qu’une telle mesure ne constitue pas une idée neuve. Ce dispositif a même été abondamment utilisé par les gouvernements successifs dans le passé. Depuis 1994, pas moins de quatre déblocages exceptionnels ont ainsi été autorisés par la loi : en 1994, en 1996, en 2004 et en 2008 - cinq, même, si l’on compte le déblocage réalisé en 2005, qui, à la différence des autres, n’offrait aucune exonération fiscale aux bénéficiaires des droits libérés.

Le dispositif que nous examinons aujourd’hui se distingue néanmoins de tous ceux qui l’ont précédé. Il est à la fois plus ambitieux, d’un spectre plus large, ce qui doit garantir son efficacité, et mieux encadré, ce qui devrait limiter les effets indésirables souvent attachés à ce type de mesures.

Il couvre ainsi les sommes issues de la participation et de l’intéressement, quand les dispositifs précédents – en particulier ceux de 2005 et de 2008 – ne concernaient que le premier régime, c'est-à-dire la participation.

Ce choix permet ainsi de toucher les entreprises de plus de cinquante salariés, pour lesquelles la participation constitue une obligation, mais aussi les PME et certaines TPE, qui recourent plus facilement aux accords d’intéressement, compte tenu de leur facilité de mise en œuvre.

Il permet également aux salariés de débloquer l’ensemble des sommes qui leur ont été attribuées au titre de la participation et de l’intéressement, quels que soit leur année de versement et l’exercice au titre duquel elles ont été attribuées. Les sommes « déblocables » ne sont pas limitées à celles qui ont été attribuées au cours des deux années précédentes, comme ce fut le cas en 1994 et en 1995.

Il autorise enfin le bénéficiaire à débloquer jusqu’à 20 000 euros, soit le double du plafond autorisé en 2004 ou en 2008, permettant ainsi de procéder, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, à l’achat d’un véhicule ou à la réalisation d’importants travaux domestiques.

Si ce dispositif est ambitieux – il concerne potentiellement près de 8 millions de salariés et représente 90 milliards d’euros d’encours –, il reste néanmoins fermement encadré afin de limiter les effets pervers associés par le passé aux déblocages anticipés.

Le dispositif exclut d’abord les sommes issues de la participation et de l’intéressement investies dans les plans d’épargne pour la retraite collectif, les PERCO, afin de ne pas remettre en cause l’épargne longue, qui permet de compléter la pension de retraite de salariés souvent modestes.

Il exclut ensuite les sommes placées dans des fonds solidaires. Les 2, 6 milliards d’euros d’encours consacrés au financement des entreprises sociales et solidaires sont en effet indispensables à la pérennité de ces structures.

Il prévoit enfin des modalités particulières pour le déblocage des sommes affectées à l’actionnariat salarié. Si le déblocage des sommes investies sur des fonds monétaires ou diversifiés peut se faire, sans formalité préalable, sur simple demande du salarié, celui des droits affectés à l’acquisition de titres de l’entreprise ou à l’acquisition de parts de FCPE d’actionnariat salarié est quant à lui subordonné à la signature d’un accord collectif.

On prend ainsi toutes les précautions nécessaires pour ne pas fragiliser inutilement les fonds propres des entreprises concernées.

Ces précautions ont d’ailleurs été considérablement renforcées par nos collègues députés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi par l’Assemblée nationale.

Sur l’initiative du rapporteur de la commission des affaires sociales, Richard Ferrand, l’Assemblée nationale a en particulier complété le dispositif initial en subordonnant expressément le déblocage à l’achat d’un ou de plusieurs biens ou à la fourniture d’une ou de plusieurs prestations de service.

Ce faisant, la proposition de loi vise à éviter que les sommes débloquées ne soient immédiatement redirigées vers d’autres supports d’épargne, en particulier les livrets défiscalisés, dont les plafonds ont récemment été relevés.

Ce fléchage est d’autant plus nécessaire que ce phénomène a jusqu’ici considérablement amoindri l’effet des mesures de déblocage sur la consommation des ménages. En effet, 70 % des sommes liées à la participation ou à l’intéressement débloquées en 2004 auraient été, selon l’INSEE, immédiatement replacées sur des supports d’épargne plus liquides ou plus rémunérateurs.

Afin de garantir l’efficacité du fléchage, l’Assemblée nationale a également prévu une procédure de contrôle allégée imposant au salarié bénéficiaire de la mesure de tenir à la disposition de l’administration les pièces justificatives attestant l’usage des sommes débloquées.

Ce mécanisme me paraît équilibré. Il a le mérite d’être suffisamment simple pour ne pas décourager les salariés désireux de bénéficier du déblocage tout en étant suffisamment clair pour décourager les abus.

En guise de conclusion, je tiens à faire part de mon regret que la commission des affaires sociales ait rejeté cette proposition de loi.

Nous sommes tous conscients, dans cet hémicycle, que cette mesure de déblocage ne permettra à elle seule ni de faire brusquement décoller la consommation dans notre pays ni de rétablir définitivement la confiance de nos concitoyens dans l’avenir, mais je reste persuadée qu’elle pourra constituer, pour ceux qui pourront en bénéficier, une mesure bienvenue, au moment où les effets des réformes structurelles menées par le Gouvernement ces douze derniers mois commencent à peine à faire sentir leurs effets.

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