Je suis éleveur et producteur de lait dans le département des Vosges, et responsable de l'élevage et vice-président de l'APCA. En France, la production de viande, tous types confondus, décroît. Cette baisse globale dissimule des variations : le secteur des volailles était en forte croissance avant de subir la concurrence, il y a environ cinq ou six ans, des produits brésiliens dont les coûts d'alimentation sont plus faibles. Les productions animales ont également souffert des crises sanitaires à répétition qui ont laissé des traces. Les contraintes se sont multipliées, et les éleveurs sont souvent vus comme responsables de nuisances que les riverains acceptent de moins en moins.
Dans le monde paysan, rien n'est plus terrible que d'être esseulé dans son type de production. Les porcs ne sont aujourd'hui produits significativement que dans deux régions, alors que la production était auparavant bien répartie sur tout le territoire. Là où elle subsiste de manière marginale, elle est davantage tournée vers des marchés locaux que vers l'industrie agro-alimentaire. La dynamique du développement des productions animales s'est perdue, et avec elle le contact des éleveurs entre eux, et les opportunités d'investissement. Les usines de fabrication d'aliments sont parties, faute de débouchés. Ce constat vaut moins pour la production de viande bovine, plus associée, dans le modèle français, à une production herbagère, même si la production de jeunes bovins dépend aussi de la faculté de produire du maïs.
Les exigences environnementales, en particulier la conditionnalité environnementale de la politique agricole commune (PAC), prennent en France une place considérable dans l'activité des éleveurs. En tant qu'éleveur, mais aussi en tant qu'agriculteur pratiquant la polyculture, je fais l'objet de tous les contrôles de conditionnalités cumulés : sur l'exploitation des terres destinées à produire du blé ou du maïs, sur les terres herbagères, sur la traçabilité des animaux. Je dois à ce titre déclarer sous sept jours les animaux qui quittent l'exploitation, lorsqu'ils sont vendus, ou surveiller que les boucles ne se détachent pas. Les animaux étant vivants, ce sont des choses qui arrivent ! Pour échapper à des contraintes aussi lourdes, il est bien plus simple de se spécialiser dans la production végétale.
Les normes sont en effet très contraignantes. En production de vache allaitante, secteur qui a connu une baisse importante des volumes, avant de repartir à la hausse depuis six mois, le problème réside dans le fait que l'on considère trop souvent l'herbe sous son aspect environnemental, et non comme un type de production. Or l'herbe est une production végétale destinée à nourrir les bêtes ! C'est certes moins vrai dans les zones où les conditions d'exploitation sont limitées par le relief ou par les conditions climatiques. La politique de la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) avait pour objectif d'encourager l'herbe, mais l'obligation de fertilisation et la limitation à 1,4 unité de gros bétail par hectare ont eu pour effet de limiter notre compétitivité au regard des autres secteurs de production et des autres pays de l'Union européenne.
L'obligation de mise aux normes des élevages est une autre difficulté. Les plus grosses exploitations ont profité les premières des concours financiers, plus importants initialement que lors du dernier programme de mise aux normes des bâtiments d'élevage, qui s'adressait aux petites unités. Sur ce point, on en a peut-être trop fait, ce qui a coûté très cher en termes de fonctionnement, et continue à handicaper les revenus des agriculteurs.
Le plan de modernisation des bâtiments d'élevage (PMBE) a été une réussite. Le secteur de la volaille n'en a toutefois pas bénéficié - il en est question pour 2014, mais le plan sera-t-il toujours d'actualité ? Le secteur porcin a pu, lui, se rapprocher des normes européennes en matière de bien-être animal.
Nous parlons beaucoup de bien être animal, mais qui se soucie du bien-être des éleveurs ? Certes, des services de remplacement ont été mis en place, mais ils ne servent qu'en cas d'imprévus. Il est très difficile, surtout pour les polyculteurs, de trouver des remplaçants susceptibles d'effectuer tout le travail dans sa diversité. Les emplois d'avenir auraient pu bénéficier plus largement au secteur agricole, mais la prise en charge publique du coût de ces emplois dans les exploitations agricoles a été limitée à 40 %, quand elle est de 75 % dans les associations. Dommage ! Car des vocations auraient pu se révéler, d'autant que la filière souffre d'un terrible manque de main d'oeuvre. J'ai eu trois salariés, les trois sont ensuite devenus paysans.
Le coût de l'alimentation animale a bondi de 60 % en huit ans, sans répercussion sur le prix de vente final. C'est vrai pour les porcs, la volaille, comme pour les bovins. Au sein du réseau des chambres d'agriculture, nous travaillons sur deux pistes : d'une part, renforcer les capacités de notre production herbagère. Il faut bien comprendre que l'herbe se cultive, que ce soit dans des prairies permanentes ou artificielles. Avant ma prise de fonction, ce sujet n'était pas porté au niveau national. Il faut diversifier les protéines et vaincre notre dépendance envers les achats de soja américain ou brésilien. Nous cherchons d'autre part à retrouver des marges sur le coût de l'alimentation animale.
Rapportées au revenu moyen, les contraintes du métier d'éleveur sont lourdes. Lorsqu'une génisse vêle un dimanche soir à 23 heures, on ne peut se défiler. Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans ce métier, ce qui constitue une chance pour la société, mais oblige la profession à s'adapter.
En matière de soutien aux investissements, l'Allemagne a mené une politique énergique. Tandis que nous mettions en oeuvre le PMBE, notre voisin conduisait un vaste programme de modernisation de son secteur de l'élevage, grâce à des investissements massivement financés par l'État fédéral et par les Länder. Notre aide était plafonnée à 90 000 euros par exploitation quand la leur l'était à 40% du montant total investi. Cela a fait toute la différence. Il y a quelques décennies, la filière porcine était présente en Bretagne, mais aussi en Aquitaine... Aujourd'hui, le secteur s'est concentré et des régions ont été abandonnées, mais l'Allemagne reste plus compétitive que nous. Cela doit nous faire réagir. En transposant les directives européennes avec trop de zèle, nous avons chaussé des souliers de plomb dans la compétition internationale.
Il est devenu très difficile pour un jeune de s'installer. Il lui faut d'abord se faire accepter par le voisinage, qui voit souvent d'un mauvais oeil la construction d'une étable, ou pire, d'une porcherie, ou encore d'un poulailler dit « industriel » - c'est à nous cette fois que le qualificatif fait horreur. Les habitants alentour craignent des nuisances. Mais quoi de plus normal à la campagne ? En conséquence, il est plus simple de s'installer là où les exploitations existent déjà, dans le grand Ouest plutôt que dans le Massif central ou dans les Vosges, car ces régions ont été désertées par les producteurs de porcs ou de volailles. Un projet de construction d'une exploitation à Vittel a réuni contre lui de nombreuses pétitions, alors que, j'en suis certain, personne n'est en mesure de dire où se trouvent les exploitations existantes ! Les Vosges ne produisent pas même assez pour la seule consommation de la région. En résumé, moins il existe de producteurs, moins il est facile de s'installer. A notre époque moderne, en quelques clics, on communique avec le monde entier, mais les gens n'ont jamais été aussi ignorants de l'activité de leurs voisins.
Il faut reconsidérer les aides à l'installation. Les subventions ne sont pas les seuls outils à mobiliser : les prêts sont d'autres instruments sur lesquels nous pouvons agir. Si la production de blé, de colza ou de maïs est presque réalisable sans bâtiment, la production de viande impose de lourds investissements. Or la durée de remboursement des prêts est en France trop courte, entre 12 et 15 ans, quand elle est de 25 ans dans les pays du Nord de l'Europe.