Nous sommes très heureux d'accueillir l'UFC Que choisir, car notre mission a été créée à la suite du scandale causé par la découverte de fraudes sur des productions animales.
Nous dressons un état des lieux de la filière - ou plutôt des filières - viande. Notre objectif est de trouver les moyens de rassurer les consommateurs, qui sont un peu perdus... Le président de votre association, M. Alain Bazot, a déclaré lors d'une interview télévisée que dès que la viande était transformée, le consommateur n'avait plus droit à aucune information. Il ajoutait que les industriels ont toujours résisté à vos demandes de traçabilité. Votre association réclame un étiquetage de l'origine pour tous les produits à base de viande. Vous avez affirmé que si Findus avait indiqué « boeuf de Roumanie » sur ses produits, ils n'auraient pu être écoulés. Vous pointez l'absence...
le déficit ...
de contrôles. Quelles sont les améliorations que l'on pourrait envisager pour rassurer le consommateur ?
Je vous ai apporté quelques emballages de produits alimentaires : vous constaterez que seuls des produits bruts contenant de la viande de boeuf portent mention de leur origine. Tous les produits transformés, au sens de la réglementation, c'est-à-dire comportant d'autres ingrédients, ne portent aucune information sur l'origine de la viande ou son lieu de fabrication. Il en va ainsi du carpaccio de boeuf, auquel on a ajouté quelques gouttes de jus de citron, ou d'un boeuf bourguignon, composé de 25 % de viande bovine, ou encore des boulettes de boeuf. Certes, une marque de salubrité portant les initiales « FR » indique aux initiés le lieu de dernière manipulation, mais pas celui de la fabrication du produit. Il y a donc un écart entre les obligations faibles qui pèsent sur les produits industriels et l'obligation de transparence sur l'origine du produit brut, qui concerne depuis longtemps les fruits et légumes frais, ainsi que la viande de boeuf depuis la première crise de la vache folle, l'indication « viande bovine française » étant à l'époque destinée à rassurer les consommateurs. Lorsque ce marquage obligatoire a été mis en place pour la viande de boeuf, je rappelle qu'il semblait impossible de l'imposer dans l'ensemble de l'Union européenne. Il s'agissait d'une règle nationale, qui a ensuite seulement était étendue à toute l'Europe. Un règlement européen de 2011 procède à l'extension de l'indication obligatoire de l'origine des produits carnés aux viandes de porc, d'ovin-caprin et de volailles. En revanche, aucune obligation n'existe encore pour les produits transformés, sauf cas particuliers, quand l'omission de l'origine serait de nature à induire le consommateur en erreur.
Le scandale de la viande de cheval vendue pour de la viande de boeuf dans des plats cuisinés nous surprend-il ? » Oui et non. La fraude en elle-même ne nous a pas surpris. Ce qui est exceptionnel est son échelle, son ampleur et les représentations particulières liées au cheval qui lui ont donné sa résonance particulière en Angleterre. Cette affaire a surtout montré au grand jour la complexité de la chaîne d'approvisionnement de l'industrie agroalimentaire, qui repose sur une cascade de fournisseurs, où se dilue la traçabilité, ce qui peut accroître le risque sanitaire. En effet, la traçabilité repose sur une chaîne d'informations qui suit le produit pendant toute sa vie : chaque maillon est responsable des informations qu'il reçoit, qu'il produit puis transmet au maillon suivant. A chaque échelon, on peut identifier un responsable. Plus la chaîne est longue et complexe, plus les risques liés à la fiabilité des informations s'accroissent. Si, au lieu de s'adresser à des fournisseurs stables, connus et fiables, on recourt à des traders qui changent sans cesse de fournisseurs pour obtenir les prix les plus bas, la traçabilité est menacée et l'on aboutit à cette situation où le commanditaire final, Findus en l'occurrence, peut affirmer de bonne foi avoir commandé de la viande bovine française et l'un de ses fournisseurs, également de bonne foi, avoir livré de la viande bovine roumaine...
Le résultat est que les consommateurs sont très hésitants. Pour améliorer la traçabilité, comment peut-on faire ?
Aucun des emballages que vous nous avez fait passer ne mentionne la température de conservation ; n'est-ce pas obligatoire ?
Ce n'est obligatoire que si c'est nécessaire pour la conservation du produit...
Une question centrale est celle des progrès que les industriels doivent faire dans la transparence des processus de fabrication. Le Bureau européen des unions de consommateurs, qui fédère les associations de consommateurs au niveau de l'Union européenne, a réalisé un sondage auprès de 4 000 consommateurs en France, en Suède, en Pologne et en Autriche. Pour 70 % d'entre eux, l'origine des produits transformés est un facteur important lors de leurs achats alimentaires. Au-delà des produits bruts, il est clair que les consommateurs européens demandent plus de transparence et d'informations sur les produits transformés.
C'est pourquoi il faut mettre en oeuvre l'étiquetage obligatoire de l'origine des ingrédients. Cela permettra de rétablir la confiance des consommateurs dans les produits transformés, comme on l'a vu après la vache folle pour la viande de boeuf. C'est aussi un moyen d'empêcher la trop grande variabilité des sources d'approvisionnements mise en lumière par l'affaire Spanghero. Nous n'avons rien contre telle ou telle origine en particulier, nous demandons simplement que le consommateur soit informé de l'origine de l'ingrédient principal et des ingrédients sensibles quant à la qualité sanitaire, notamment la viande.
La dimension sanitaire ne peut pas être évacuée dans la crise actuelle. Les résultats des tests conduits dans différents pays européens ont mis en évidence la présence de phénylbutazone dans certains échantillons de viande de cheval. Pourtant la commission européenne continue à nier le risque sanitaire et à soutenir qu'il ne s'agit que d'une fraude. Or le phénylbutazone est un médicament vétérinaire non autorisé dans les produits destinés à l'alimentation humaine.
La commission européenne privilégie une indication d'origine qui se limiterait à préciser si le produit transformé provient de l'Union européenne ou pas. C'est largement insuffisant. Elle persiste à refuser ce que l'immense majorité des consommateurs européens réclament : l'indication du pays d'origine.
Concernant l'évolution de la consommation de produits carnés à long terme en France, il est certain qu'elle subit une érosion régulière depuis deux décennies. A court terme, l'affaire de la viande de cheval a eu un impact direct uniquement sur la consommation de produits transformés à base de viande, qui a diminué brutalement de 20 %, ce qui est considérable.
Concernant les comportements d'achat du consommateur, on peut s'interroger sur un point important : est-il prêt à payer plus cher pour acheter français, ou pour avoir une garantie supérieure de produits de qualité ? Les industriels pensent que la réponse à cette question est négative. Il faut savoir que le prix du minerai de viande de cheval utilisé dans la récente affaire était de l'ordre de 15 centimes d'euros au kilo, d'après les chiffres transmis par le cabinet du ministère chargé de la consommation ! Or le consommateur paye aujourd'hui entre 15 et 20 euros le kilo de viande de boeuf. Il me paraît donc évident que le consommateur serait prêt à payer davantage pour une meilleure qualité et une garantie de l'origine, à condition que l'écart de prix reste raisonnable. Je récuse en outre l'idée selon laquelle le consommateur déciderait : pour les produits transformés ce sont les industriels qui orientent le marché, avec une offre très standardisée. Les consommateurs n'ont pas le choix, sauf celui de la marque et du lieu d'achat ou de la filière de distribution.
Concernant les contrôles sur les opérateurs de l'industrie agroalimentaire, on peut se demander s'ils sont aujourd'hui suffisants. Deux missions d'inspection vétérinaires menées en 2006 et en 2008 à la demande des autorités européennes ont montré que les conditions sanitaires d'abattage de la filière bovine et de la filière avicole pâtissaient déjà à l'époque de l'insuffisance des effectifs dévolus aux contrôles. Depuis, la situation a empiré. Les demandes réitérées du personnel des services vétérinaires, rattachés au ministère de l'agriculture et des services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dépendant du ministère de l'économie et des finances, attestent de la faiblesse du nombre de contrôleurs. Cela ne peut pas continuer ainsi. Nous ne pouvons laisser libre cours à l'autocontrôle...
même s'il en faut. La commission européenne avait émis l'hypothèse que l'on s'en remette entièrement à l'autocontrôle par les opérateurs. C'est inadmissible...
Nous pouvons nous demander quelle est la part de négligence et la part de délinquance dans les comportements des opérateurs de la filière viande ? Nous sommes surpris que les commanditaires finaux de ces produits n'aient pas diligenté d'audit. Ils ne peuvent rejeter la faute sur leurs seuls fournisseurs.
Dans ces conditions, faut-il revoir l'arsenal de sanctions applicables ? A l'évidence, les amendes ne sont pas assez dissuasives. Le préjudice subi par les consommateurs n'est pas pris en compte.
Je souligne que si de tels comportements sont possibles, c'est parce que le cadre réglementaire spécifique aux produits transformés le permet, puisqu'il y a peu d'exigences en matière d'information du consommateur et de traçabilité des produits.
Pour votre information, lorsque le scandale de la viande de cheval a éclaté, nous avons décidé de lancer en mars une batterie d'analyses ADN de produits appertisés proposés dans les rayons, à base de viande étiquetée « pur boeuf ». Sur 55 boîtes de conserve, 38 étaient réellement pur boeuf, 11 n'ont pu donner lieu à identification, l'ADN étant endommagé par les traitements subis par le produit - essentiellement la cuisson - 6, soit un peu plus de 10 %, contenaient de la viande de cheval. Certains produits, comme les cannelloni vendus sous marque Auchan, contenaient de 60 % à 100 % de viande de cheval, de 30 % à 60 % pour ceux de Casino, de 5 % à 30 % chez Cora. Des traces ont été détectées dans des raviolis de Carrefour et dans ceux de la marque repère de Leclerc.
Concernant l'abattage rituel, votre association a saisi la direction générale de l'alimentation (DGAL) et la DGCCRF afin qu'elles diligentent une enquête d'une part sur le les garanties d'utilisation de la mention halal et le respect des normes sanitaires lors de l'abattage. La procédure de marquage halal repose en effet sur une certification qui doit répondre à un cahier des charges. Or certains produits étiquetés halal ne seraient pas issus de filières certifiées ; comment donc garantir aux consommateurs musulmans qu'ils consomment bien halal ? A contrario, au nom de la liberté de conscience, ne devrait-on pas garantir aux consommateurs athées ou d'autres religions qu'ils ne consomment pas des produits résultant d'un abattage rituel ?
Votre question en comporte plusieurs. Nous n'avons pas reçu de réponse des directions que nous avions interrogées dans un contexte de préoccupations émises quant aux risques sanitaires éventuellement liés à l'abattage rituel. Notre association n'a pas la possibilité de rentrer dans les abattoirs pour procéder à des analyses, même si nous le souhaitons. Seules les administrations citées ont les moyens de connaître la réalité en la matière. La réglementation a été renforcée sur la formation des abatteurs, les équipements de contention afin que l'animal ne se débatte pas, le nettoyage préalable des animaux. Ces mesures sont censées rassurer. Seule une enquête officielle comparant les niveaux de risques entre l'abattage rituel et l'abattage standard pourrait apporter des réponses précises, sans a priori.
Comment assurer la fiabilité de l'étiquetage halal, qui est pratiqué par des organismes non officiellement reconnus ?
Il existe des fraudes. Comme toute mention de qualité, la mention halal doit résulter d'une certification, contrôlée par une tierce partie indépendante.
La question est de savoir quelle est la proportion de viande abattue rituellement entrant dans les circuits standards. Nous avons peur que cette question soit instrumentalisée. Selon la DGCCRF, contrairement à ce que laissaient entendre certains, la proportion de viande issue d'abattage rituel juif ou musulman qui retourne dans le circuit standard est faible. Soit cette proportion est significative, soit elle est négligeable. Dans cette dernière hypothèse, faut-il mettre en branle toute la complexité d'un système d'étiquetage ? Nous ne disposons pas de chiffres clairs et n'avons donc pas de réponse sur ce sujet.
Cette opacité n'alimente-t-elle pas les craintes auxquelles vous faisiez allusion ?
Bonne question, qu'il serait intéressant de poser à la DGCCRF et à la DGAL, qui ne nous ont pas répondu.
Les inspecteurs des services vétérinaires qui dépendent de la DGAL doivent disposer de ces informations, car ils interviennent dans les abattoirs.
La découverte de l'affaire de la viande de cheval fut assez fortuite. Est-ce une grande fraude ? Date-telle de six mois ou de dix ans ? Depuis quand existe le minerai de viande ?
La fraude a effectivement été découverte fortuitement. Je le répète, les contrôles sont insuffisants. Je ne mets pas en cause les contrôleurs, mais leur nombre insuffisant. Ce sont les services de contrôle irlandais qui ont découvert la fraude. Puis ils se sont tournés vers les services officiels anglais, ce qui a déclenché une grande émotion outre-Manche, où le cheval est considéré comme un animal de compagnie. Ce n'est qu'ensuite que les services officiels français sont intervenus.
Pas que je sache. Ce sont les services officiels irlandais qui ont découvert le pot-aux-roses. Je ne sais si Findus a été alerté avant ou après la saisine par les Irlandais de leurs homologues anglais...
Il s'agit de viande importée et non pas produite en France. Mais qu'en est-il de celle qui est fabriquée en France ? La transparence est-elle satisfaisante ? Ne risque-t-on pas un problème franco-français ?
Dès lors qu'un fabricant met en avant une information, il ne peut se permettre de prendre un risque. S'il indique l'origine des ingrédients sur l'emballage, il fera tout pour s'y conformer. Le consommateur français n'est pas aussi chauvin qu'on le dit parfois. La viande bovine qui lui est proposée et qu'il achète est le plus souvent française, mais aussi allemande, irlandaise, anglaise. La volaille est aussi essentiellement française...
Dès que la viande de volaille est transformée, elle n'est plus d'origine française.
Vous avez raison. Notre conseil nutritionnel aux consommateurs est le suivant : essayez de cuisiner vous-mêmes, en utilisant des produits bruts, vous savez ce que vous mettez en oeuvre, tout en transmettant une part de notre patrimoine. Mais soyons réalistes : il y a un phénomène générationnel. Si les seniors cuisinent encore les produits bruts, les jeunes utilisent des produits transformés et nous ne pouvons les laisser au bord du chemin, leurs habitudes de consommation étant installées.
La « remballe » de viande brute est-elle une pratique fréquente chez les distributeurs ?
C'est un problème sanitaire majeur, inadmissible. Chaque fois que nous avons connaissance d'une action en justice à ce sujet, nous nous portons partie civile. Je ne dispose pas sur ce point d'éléments chiffrés.
Les parlementaires sont très attachés à la transparence. Nous comptons sur vous pour appeler les consommateurs à être exigeants, dans toute l'Europe. Nous constatons qu'outre-Rhin et dans les pays de l'Est, il y a aussi une exigence de transparence, d'information. C'est à Bruxelles que cela bloque. Avez-vous des contacts avec les associations d'autres pays européens ?
Oui. Il existe des associations de consommateurs dans tous les pays de l'Union. La plupart adhèrent au bureau de l'union des consommateurs. Toutes les associations demandent que soit rendue obligatoire, par un règlement européen, la mention du lieu de fabrication des produits transformés et de l'origine des ingrédients principaux. C'est la position que nous avons défendue à Bruxelles, devant le Conseil européen et le Parlement européen. Malheureusement, elle s'est heurtée à une fin de non-recevoir de la Commission...
C'est bien le problème ! D'autres pays d'Europe vont plus loin que nous, en promouvant l'étiquetage de l'origine nationale de leurs produits, avec la campagne Buy British, par exemple. Pourquoi sommes-nous réticents en France ?
Vous visez la mention volontaire « fait en France » : elle ne concerne qu'une faible partie des produits. Il faut sans doute aller au-delà.
Les industriels arguent que les produits qu'ils fabriquent utilisent entre 5 et 20 intrants. Il n'y aurait pas assez de place sur les barquettes pour en accueillir la description. Ne faut-il inventer un dispositif réglementaire qui ne vise que l'ingrédient essentiel ? Soyons réalistes, trouvons une solution applicable par les industriels, qui garantisse l'origine et la qualité du produit. Pour les lasagnes, on viserait l'intrant principal, soit la viande de boeuf et peut-être les céréales...
C'est ce que nous souhaitons. Nous n'avons jamais demandé la mention de la liste de tous les ingrédients, mais seulement de l'ingrédient principal et des ingrédients sensibles sur le plan sanitaire, comme la viande.
Cela bloque à tous les stades...
La Commission européenne a cédé aux demandes de la France et d'autres pays d'avancer la publication du rapport sur l'étiquetage de l'origine des produits transformés, prévu par le règlement de 2011, de décembre 2013 à septembre...
Je reste très sceptique. Nous avons l'impression que la direction générale de la santé et des consommateurs (DGSANCO) de la Commission européenne reste sur des positions conservatrices. Elle répète que le scandale de la viande de cheval n'est qu'une fraude, circonscrite et désormais réglée. Elle ne prend nullement en compte la demande des consommateurs que l'origine des ingrédients soit mentionnée sur les produits.
Les industriels de la transformation modifient, pour des raisons commerciales, la forme, le conditionnement, les contenants, qu'ils rendent parfois plus attractifs que les contenus. Ils pourraient jouer sur le positionnement des indications qui figurent sur les barquettes et qui ne sont pas toujours faciles à déchiffrer.
La règlementation sur l'étiquetage est globalement bien respectée ... en raison de la faiblesse des obligations réglementaires. Lors de la discussion, en amont, du règlement européen de 2011 sur l'étiquetage des produits et l'information des consommateurs, la Commission européenne a évoqué, à notre demande, la réunion en un seul endroit de l'emballage de l'ensemble des mentions essentielles : identité des opérateurs, liste des ingrédients et poids. Mais la démarche n'a pas abouti : la simplification des mentions réglementaires a été bloquée. Finalement, le toilettage de la réglementation actuelle est très loin de la vision assez courageuse qui avait d'abord prévalu au sein de la Commission européenne. En outre les consommateurs lisent rarement la liste des ingrédients, qui est pourtant une mine d'informations...
Nous nous sommes battus pour imposer une taille minimale de caractères au niveau européen...
Notre élevage a perdu des centaines de milliers de têtes ces dernières années. La France produit de moins en moins de viande, en raison de l'attrait des céréales, des difficultés du métier d'éleveur, qu'il faudrait aider davantage. En tant que consommateur, cela ne vous inquiète-t-il pas ? Les agriculteurs redoutent les pressions de la grande distribution sur les prix. Mais les consommateurs vont probablement payer plus lorsqu'il y aura moins de viande disponible. N'est-il pas inquiétant que notre pays désarme en matière de souveraineté alimentaire ? N'y-a-t-il pas un risque dans l'avenir pour le consommateur français ?
Je n'ai pas de position sur le « manger français ». Il est vrai que l'évolution actuelle est préoccupante. Les produits bruts comportent obligatoirement des indications d'origine. La viande française y est prépondérante. Les produits transformés ne sont soumis à aucune obligation. Dès qu'une indication sera obligatoire, les industriels auront intérêt à se fournir en France. Des opérateurs de la grande distribution ont déjà indiqué leur souhait de travailler à la mise en place d'une filière d'approvisionnement en France. Il s'agit d'un premier pas. L'étiquetage de la viande bovine a commencé par des initiatives volontaires en France avant que l'Europe ne le rende obligatoire.
Enfin les distributeurs estiment l'écart de prix entre des produits transformés élaborés à partir de viande française et les autres à quelques centimes, soit moins que les différences constatées d'un magasin à l'autre !
Merci de cet échange fructueux. N'hésitez pas à nous transmettre les études dont vous disposez.
La distribution est le dernier maillon de la chaîne mais un maillon essentiel. Nous nous réjouissons que vous nous parliez du fonctionnement de votre enseigne.
Dans les magasins Système U, il semblerait que la consommation de produits surgelés ait dans un premier temps souffert avant de retrouver rapidement son niveau d'avant la crise déclenchée par la découverte de viande de cheval dans les lasagnes. En revanche, la consommation de plats cuisinés à base de viande aurait diminué, les consommateurs privilégiant les produits non carnés. Assiste-t-on à un changement pérenne des modes de consommation ? Les Français vont-ils de moins en moins consommer de produits carnés ? Un étiquetage plus complet des produits à base de viande permettrait-il d'inverser la tendance ? Enfin, faut-il privilégier les circuits courts pour rassurer le consommateur ?
Système U réunit des distributeurs indépendants regroupés en quatre coopératives régionales. Une centrale nationale définit la stratégie commerciale et définit les assortiments et les référencements. Toutefois les rayons de boucherie, poissonnerie, fruits frais et légumes et boulangerie ont une base d'approvisionnement régionale : dans ce cas le référencement national concerne uniquement les produits de la marque distributeur. Notre organisation nous rend proches des bassins de production. En outre chaque magasin est indépendant et libre de ses approvisionnements.
La crise des lasagnes à la viande de cheval a provoqué une baisse des ventes de produits surgelés et des plats cuisinés à base de viande. Le consommateur applique le principe de précaution et se méfie des produits complexes. Certains fournisseurs spécialisés sont en conséquence en grandes difficultés, à l'image de la société Fraisnor.
Assiste-t-on à un basculement des consommateurs vers des produits bruts ou moins élaborés ? Notre président, M. Serge Papin, y est favorable : si l'on veut manger moins cher, les produits bruts sont la solution, même si tel n'est pas notre intérêt de distributeur car notre chiffre d'affaires diminuerait. Cette tendance est une réalité et ne concerne pas que la viande : tous les produits sont touchés. En outre, phénomène nouveau, nous observons que le volume global des produits alimentaires vendus est en baisse. La restauration hors domicile, pour sa part, connaît aussi une situation difficile car le pouvoir d'achat des Français baisse.
Comment inverser la tendance ? Nous devons diffuser largement l'information pour rassurer. Nous réfléchissons à un système d'information du consommateur plus large. Nous avons choisi de développer la mention « viande française » sur nos plats cuisinés. La fraude a concerné une viande présumée française. Toutes les bonnes intentions ne supprimeront pas les fraudes. Nous cherchons aussi à communiquer sur la bonne nutrition. Les jeunes générations consomment plus de plats élaborés que de viande cuisinées, plus de protéines végétales qu'animales. La crise réduit encore leur consommation de viande qui se limitait souvent à des steaks hachés.
Pouvez-vous nous expliquer le mode de fonctionnement de votre entreprise sur la découpe ? Sur la politique de mise en rayon ? Quels sont les liens entre les producteurs, le consommateur et les distributeurs ?
Nos achats sont surtout régionaux. Nos partenaires sont les abattoirs et les sociétés de transformation. La viande bovine que nous vendons est d'origine française à plus de 90 %, mais nous achetons aussi à l'étranger, principalement en Europe, certains produits spécifiques, comme les pièces à griller en été. Le porc est exclusivement français ; nous avons signé l'engagement viande de porc français (VPF). La production française d'agneau est faible : elle ne couvre que la moitié des besoins en consommation en France, mais pour notre part, nous nous approvisionnons à 70 % en France. La viande de volaille provient quasi-exclusivement de France, à l'exception de certains produits élaborés produits par la société brésilienne SOPRAT, liée historiquement au groupe Doux.
J'ajoute que nos oeufs, labellisés Bleu-Blanc-Coeur, proviennent de France. Les poules sont nourries à base de graines de lin riches en Oméga 3.
La fraude des lasagnes à la viande de cheval constitue-t-elle la première tromperie dont l'industrie des plats préparés à base de viande est victime ?
Oui, à ma connaissance. Le système de traçabilité ne l'a pas empêchée car le suivi documentaire a été falsifié.
Quelles informations figurent sur les étiquettes des produits importés ?
Elles mentionnent l'espèce, le pays d'origine, le pays de naissance, le pays d'abattage, le pays de transformation, soit beaucoup moins d'informations que les étiquettes françaises qui indiquent la race, le numéro de lot, la race des géniteurs de l'animal ...
La crise a permis de redécouvrir la viande de cheval, moins chère. Pensez-vous que cette tendance sera durable ? Pour l'utilisation de nos territoires, l'élevage de chevaux est très utile. Le bilan d'approvisionnement de nos filières d'élevage devient déficitaire : moins de 50 % des ovins consommés en France sont élevés en France ; le cheptel bovin a diminué de 300 000 têtes en deux ans et la hausse du prix des céréales fragilise les élevages. Le déficit de la filière des volailles en incluant les produits transformés s'élève à près de 50 %. Je crains que notre pays ne perde son indépendance alimentaire dans les décennies qui viennent. Nous, responsables politiques, devons penser à l'avenir. Les voyants sont au rouge. Le coût des céréales est excessif, les contraintes sur les exploitations sont fortes, l'élevage n'est pas assez rentable. Les marchands de bestiaux et les industriels affirment que la grande distribution refuse d'augmenter les prix, ce qui explique pourquoi les prix versés aux éleveurs n'augmentent pas. Est-ce vrai ? N'y a-t-il pas un risque à long terme si l'on voit disparaître les éleveurs ?
Les ventes de viande de cheval ont augmenté de 5 à 10 % depuis la crise. Les consommateurs ont redécouvert une viande maigre, 20 % moins chère que le boeuf.
Sans doute. Mais il n'y a pas de filière chevaline française. La viande consommée provient essentiellement des Etats-Unis, du Mexique ou du Canada.
Nos magasins n'ont reçu aucune proposition d'approvisionnement.
En tant qu'acteurs économiques et politiques nous sommes concernés par la vie économique de notre pays. Nous réfléchissons à un système de contractualisation qui donne de la visibilité aux éleveurs en s'engageant à long terme sur des prix et des volumes.
Sur les prix, chacun se défausse sur le maillon suivant de la chaîne. Le consommateur refuse-t-il de payer davantage ? En réalité, la hausse des prix d'un type de viande provoque des transferts vers d'autres viandes : la hausse du boeuf profite aux viandes blanches, porc et volailles. Le marché est guidé par les prix. La question est de savoir comment produire en France dans des conditions économiques performantes.
Les informations figurant sur les produits importés sont minimales. Comment apporter sur le plan sanitaire des garanties alors que les animaux ne sont même pas identifiés ?
Pour des raisons d'ordre économique, les Français ont redécouvert la viande de cheval de bonne qualité. M. Joseph Daul, ancien président de la fédération nationale bovine, expliquait qu'il lui était arrivé de manger de la viande de cheval pensant manger du boeuf. Elu du Perche, j'apprends que les chevaux percherons ne terminent pas à l'abattoir. Toute crise a des effets positifs. La traçabilité remonte à la crise de la vache folle. L'attention des consommateurs à l'origine de la viande sera source de progrès. Une piste souvent avancée est une meilleure information des consommateurs. Mais les plats cuisinés contiennent souvent plus d'une dizaine d'ingrédients. Comment, dès lors, présenter l'information ? Connaissez-vous des procédés plus performants que ceux utilisés actuellement qui sont peu lisibles ?
Nous travaillons activement sur l'information du consommateur. Nous cherchons aussi à simplifier les recettes en commençant par les produits de notre marque distributeur. La complexité est parfois liée à l'ajout de conservateurs. La tendance est au retour des produits sains. Dans nos cahiers des charges avec nos fournisseurs nous limitons le nombre d'ingrédients. Sur l'information des consommateurs, Internet et les applications mobiles constituent une piste.
La structuration des filières est importante. Faute d'une production suffisante de lait bio en France, nous en importions d'Allemagne. Il y a quelques années nous avons conclu un contrat avec un groupement de producteurs - initialement ils étaient 700, ils sont aujourd'hui 1 200 - définissant un volume de production. Nous avons participé aux frais de conversion des élevages induits par le passage du conventionnels au bio. Nous avons recherché un outil industriel. Dans le cadre d'un contrat tripartite, distributeur-conditionneur- producteur, nous avons déterminé des objectifs de production - 15 millions de litres aujourd'hui - à un prix donné. Mais il s'agit de lait bio, la valorisation est plus simple. C'est plus difficile pour les produits de grande consommation. Il est donc nécessaire de rendre le secteur amont plus productif.
Nous avons procédé de même avec le porc bio. Nous nous contentions auparavant d'acheter des jambons bio, mais les producteurs ne rentabilisaient pas l'ensemble de leur production car la consommation du porc ne se réduit pas au jambon. Nous avons élargi ensemble les débouchés : saucisses, rillettes, longe de porc, etc. Là aussi, nous avons noué des accords contractuels tripartites avec des industriels du conditionnement et les producteurs, sur la base de prix stables et transparents.
Nous travaillons à une piste intermédiaire entre l'alimentation conventionnelle et le bio. Il s'agit de rendre compétitives les filières existantes, en améliorant le potentiel de valorisation et les procédés sans hausse des prix pour le consommateur.
Actuellement il est plus rentable de produire des céréales que du boeuf. Mais demain la surabondance aura disparu. Les distributeurs doivent désormais s'intéresser à l'organisation de la filière dès l'amont. Cessons la cueillette, passons à une politique de filière. Nous n'en sommes qu'au début.
La loi de modernisation de l'économie (LME) doit-elle être revue pour permettre des contrats équilibrés entre producteurs, transformateurs et distributeurs ?
La réforme de la LME ne suffira pas à organiser les filières. La LME a eu le mérite de corriger les défauts de la loi Galland. En effet, la pratique des marges arrière qui s'accumulaient d'année après année, au point presque de constituer un contre-commerce, conduisait in fine à faire payer au consommateur le surcoût qu'elles entraînaient. Avec la LME, le changement a été brutal.
Aujourd'hui, il faudrait faire évoluer la notion de vente à perte. Nous sommes favorables à l'instauration d'un seuil économique de revente à perte qui intégrerait les coûts de distribution. Cela serait bénéfique pour les PME. La distribution opère en permanence au sein de ses rayons à des péréquations entre les produits rentables et ceux qui provoquent des pertes. Or, le niveau actuel des prix devient prédateur car les coûts, qui ne sont plus répercutés sur certains produits sont mécaniquement reportés sur d'autres. Ainsi les produits intermédiaires font les frais de la concurrence acharnée que se livrent les enseignes de distribution sur les produits de grandes marques, et ils voient leur prix augmenter. Les marges dans la distribution s'établissent entre 1 et 2,5 % du chiffre d'affaires. La hausse du seuil de revente à perte intégrant les coûts de distribution redonnerait de l'air aux distributeurs, leur permettant de baisser les marges et donc les prix sur les produits intermédiaires. A long terme la filière agricole en bénéficierait.
La viande bovine produite en France est issue dans sa grande majorité de troupeaux de races à viande, nourris en pâturage. Les viandes importées, notamment d'Europe de l'Est, proviennent souvent à l'inverse de vaches de réforme. La traçabilité ne devrait -elle pas s'étendre à ces informations ?
En effet. Les éléments de traçabilité français sont exhaustifs : l'espèce, la race, la dénomination de la pièce, l'âge de la bête ... On sait non seulement s'il s'agit d'une race à viande ou d'une vache laitière, mais aussi s'il s'agit d'une charolaise, d'une limousine ou d'une blonde d'Aquitaine... Nos normes sont plus contraignantes que les normes européennes.
Quelle est la proportion de viande importée dans vos approvisionnements ? La consommation de viande bovine baisserait de 5 à 7 % par an. Identifiez-vous des tendances lourdes en matière de consommation ?
Les données sont différentes selon les filières. La viande fraîche bovine consommée en France est essentiellement française, les importations alimentent davantage les restaurateurs. S'agissant de la viande porcine française, 20 % est consommé comme viande fraîche en France, un tiers fournit l'industrie charcutière, en concurrence avec de la viande importée, un autre tiers est exporté. La viande d'agneau est le seul cas où la production française ne couvre pas la demande.
La consommation de viande diminue chaque année de 1 à 2 %. Nous observons une tendance lourde tendant à privilégier dans la consommation les viandes simples à préparer, comme les steaks hachés. Avec l'envolée des prix depuis deux ans, la consommation de steaks hachés diminue. Dans notre enseigne, les ventes de steaks hachés ont baissé, pour la première fois, au premier trimestre 2013.
Vous approvisionnez-vous en carcasses ou en viande piécée ? Selon l'Observatoire des prix et des marges, le rayon boucherie de la grande distribution est déficitaire. Est-ce vrai ?
Nous avons participé à l'enquête de l'Observatoire. Nos rayons boucherie sont en effet déficitaires. Les coûts imputables à ces rayons sont dus aux investissements lourds en matériel nécessaires à la chaîne du froid et au personnel. Nous vendons la viande soit sous une forme prédécoupée, par nos soins, soit à la découpe en fonction de la demande. Certains auraient pu croire que la vente à la découpe disparaîtrait. Il n'en est rien. Méfions-nous d'une approche trop comptable des rayons boucheries des grandes et moyennes surfaces (GMS) : ils constituent un facteur de relations humaines qui participe de l'attractivité des magasins. Les charges de la boucherie sont certes importantes, mais une grande surface est un lieu de compensation entre produits. Il faut garder à l'esprit qu'il existe une limite de prix que le consommateur est prêt à acquitter.
Ainsi le rayon viande sert de rayon d'appel ? Est-ce un motif suffisant pour concurrencer les petits bouchers ?
Certains de nos associés sont d'anciens bouchers qui ont tiré partie du système de la grande distribution.
Ils ont saisi une opportunité. Nous continuons car notre métier ne consiste pas seulement à vendre des produits pré-emballés comme dans le hard discount. Notre modèle est basé sur la relation.
Le textile même si la conjoncture est difficile, ou l'épicerie. Le calcul dépend du mode de répartition des charges, selon qu'on les mutualise ou non. Notre lecture est différente de celle de l'Observatoire des prix et des marges : nos clients recherchent virtuellement tous les produits. Nous ne segmentons pas.
Effectuez-vous des contrôles chez vos distributeurs ? Comment évitez-vous la « remballe » ?
L'essentiel de la viande que nous achetons et vendons en magasin, environ 70 %, est destinée à être retransformée chez nous : désossée, découpée, piécée, tranchée, mise en barquettes, étiquetée, etc. Le reste est transformé chez nos fournisseurs, comme les steaks hachés.
Nous avons mis en place un plan de maîtrise sanitaire dans nos établissements renforçant l'hygiène et la qualité. Nous effectuons en outre deux audits par an dans nos magasins pour contrôler la traçabilité. La remballe est une fraude. Aucun système ne peut l'empêcher. Le risque zéro n'existe pas, mais les dommages en termes d'image sont tellement forts que cette pratique présente plus de risques que d'avantages.
La vente en ligne modifie-t-elle les pratiques alimentaires ? En Franche-Comté les fromageries se mettent à la vente en ligne. La viande sera-t-elle concernée ?
Les canaux de vente évoluent, mais les produits frais restent encore peu concernés. Les associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) ou les circuits courts constituent une évolution plus significative. Nous proposons toute notre palette commerciale dans nos magasins en ligne, y compris la viande, mais les ventes concernent essentiellement les produits stockables.
La vente en ligne est préoccupante car elle est délocalisée. Des opérateurs comme Amazon exercent une concurrence déloyale en vendant des produits depuis le Luxembourg avec une fiscalité différente.
Non, mais des opérateurs comme Amazon arrivent sur le marché au galop... Notre autre crainte, c'est qu'avec le développement du e-commerce, qui fonctionne selon un modèle industriel - moins de références et plus de quantité - toute une partie de l'offre n'en vienne à être soustraite de la vue du consommateur. C'est pourquoi nous plaidons pour un élargissement de l'offre.
Nous attendons des éclairages sur les conditions de production dans les élevages, sur les modes d'abattage et de transformation, les circuits commerciaux, ainsi que sur le plan de méthanisation qui vient d'être annoncé. Comment maintenir une production nationale de viande ? Nous avons reçu le directeur général de l'alimentation (DGAL), avec lequel nous avons évoqué la question de l'abattage. Quelles sont les différences et les complémentarités entre vos deux directions ?
t, rapporteure. - Pouvez-vous dresser le tableau des différents types d'exploitations agricoles dans les filières viande, pour nous aider à comprendre quel peut être le meilleur modèle économique d'exploitation, le plus rentable, le plus opérationnel à l'export ? Faut-il privilégier les petites exploitations, les circuits courts, ou les grandes exploitations, très mécanisées ? Quelles sont les mesures existantes et celles que vous préconisez pour encourager notre production de viande ? Dans quelle situation économique sont aujourd'hui les éleveurs spécialisés en production de viande bovine, les plus touchés par les retombées du récent scandale ? Faut-il encourager des regroupements de producteurs ? J'ai récemment rencontré, dans l'Ain, le président d'une association qui regroupe soixante-trois éleveurs, qui peine à obtenir satisfaction des services de l'État pour créer un petit abattoir destiné à produire de la viande en circuit court, tandis que les trois grands groupes présents sur le marché font pression sur lui pour qu'il rejoigne leur système... Comment faire pour que l'ensemble des acteurs de la filière travaillent en bonne intelligence ?
Ma direction se consacre plus particulièrement aux questions économiques. Il s'agit pour nous de rechercher les moyens d'améliorer la santé économique et financière des entreprises du secteur agricole. Nous sommes chargés de la mise en oeuvre de la politique agricole commune (PAC) et des politiques nationales, des questions touchant à l'aménagement du territoire, à la forêt, au développement durable, avec le deuxième pilier de la PAC, ainsi que du lien entre agriculture et environnement et des négociations dans le cadre communautaire ou avec les pays tiers.
Les questions touchant à l'hygiène et à la traçabilité, en revanche, ne sont pas de notre ressort, même si nous pouvons intervenir sur ces questions dans les négociations communautaires.
Quelle est la situation des filières d'élevage ? En premier lieu, elles connaissent toutes, depuis une dizaine d'année, une décrue de la production. C'est un vrai sujet de préoccupation.
Ensuite, les revenus des agriculteurs y sont plus faibles que la moyenne. Alors que le niveau moyen de revenu par unité de travail agricole est de 35 000 à 36 000 euros par an, et sachant qu'il a atteint 72 000 euros dans la filière céréalière, il n'est que de 15 000 euros dans la filière bovine, un peu moins dans la filière ovine, un peu plus dans la filière porcine, mais avec de fortes variations annuelles. Depuis 2007-2008, les producteurs subissent un effet de ciseaux. La forte augmentation des coûts de production - du poste alimentation des animaux au premier chef, en particulier dans la filière porcine, où elle représente 60 à 65 % des coûts - explique largement la stagnation du revenu des agriculteurs, alors même que les prix de vente se tiennent voire ont progressé en viande bovine et dans le secteur porcin.
Enfin, les filières d'élevage sont marquées par la concentration des exploitations, dont le nombre s'est rapidement et considérablement réduit, en particulier dans les filières ovine et porcine.
En matière d'élevage, il faut souligner que les systèmes de production sont très diversifiés. On peut y voir un atout ou un inconvénient. Car il n'y a pas de système d'exploitation idéal. Selon les spécificités des territoires, le climat, le type de production céréalière, les producteurs n'ont pas les mêmes avantages comparatifs. S'il n'y a pas de recette miracle, il n'en reste pas moins que l'on peut, en travaillant sur certains points, améliorer la compétitivité de la filière.
Chaque filière a ses spécificités. Comparée à nos voisins européens, la filière bovine française est très singulière puisqu'il existe chez nous un cheptel dédié à la production de viande. Seule l'Irlande a fait le même choix. C'est un handicap, puisque, bien que cette viande issue de l'élevage dédié soit meilleure, nous consommons essentiellement, en France, de la viande provenant de vache laitière de réforme. Il faut donc trouver des débouchés à l'extérieur. Le marché italien, débouché traditionnel des jeunes bovins, se restreint. D'où un problème de positionnement dans une filière qui compte, pour 120 000 exploitations allaitantes, 40 000 exploitations spécialisées dans la viande, concentrées de surcroît dans des zones géographiques défavorisées, si bien que l'enjeu du maintien de l'élevage est aussi un enjeu d'aménagement du territoire. Le vieillissement des chefs d'exploitation spécialisés dans la production de viande bovine est inquiétant. Face aux défis qui se pose à elle, la filière, mal organisée, peine à définir une stratégie collective. Cela a été particulièrement visible lorsqu'il s'est agi de diversifier les exportations, pour faire face à la réduction du débouché italien. Des tentatives ont été faites pour conquérir d'autres marchés, comme le Maghreb ou la Turquie, plus difficiles d'accès en raison de barrières, notamment tarifaires. Mais la recherche de nouveaux marchés s'est faite sans aucune concertation, ce qui a créé des tensions entre les abatteurs-transformateurs, atomisés, parmi lesquels seule une grande société privée, Bigard, est de taille européenne...
Ce secteur de l'abattage-transformation, élément clé de la compétitivité de la filière, est aujourd'hui déficient, dans toutes les filières de l'élevage. Il souffre d'un problème général de surcapacité, avec d'importantes disparités régionales ; le coût d'abattage est supérieur à celui de nos concurrents.
La filière ovine, qui compte un cheptel important, le troisième d'Europe, subit le déclin le plus marqué. Le bilan de santé de la PAC, mis en oeuvre à partir de 2010, a certes enrayé le phénomène, puisque d'importants transferts financiers ont permis de conforter le revenu des exploitants et d'améliorer l'organisation de la filière, grâce à un dispositif de contractualisation exemplaire et à une meilleure maîtrise des coûts de production. Cette évolution récente ne peut cependant pas masquer le fait que 40 % des exploitations ont disparu entre 2000 et 2010 - il n'en subsiste plus, aujourd'hui, que 50 000 - et que les coûts de production sont les plus élevés d'Europe.
Notre filière porcine se classe au troisième rang en Europe. Elle assure 10 % de la production européenne de viande. La concentration y est forte, puisqu'elle est passée de 59 000 élevages en 2000 à 23 000 aujourd'hui, dont 11 000 de plus de 100 truies - principalement localisées en Bretagne - qui assurent 95 % de la production. La filière souffre cependant elle aussi d'un problème de compétitivité, marqué par un important déficit commercial, sur la viande et les préparations industrielles à base de viande de porc. Outre la part importante du coût de l'alimentation dans la production de porc, le secteur de l'abattage et de la découpe connaît lui aussi des problèmes récurrents. Les revenus des producteurs de porcs sont meilleurs que pour les éleveurs bovins et d'ovins, mais avec des variations importantes d'une année sur l'autre - ce que l'on appelle « le cycle du porc ».
Notons cependant un élément positif qui vaut pour l'ensemble des filières viande : si la consommation diminue en France de 1 à 2 % par an, elle augmente au niveau mondial. Notre filière porcine en profite : elle entre sur le marché chinois, où de surcroît certains morceaux ici délaissés, comme les oreilles et la queue, sont appréciés et bien valorisés.
J'en viens à la filière avicole, première en Europe en volume, et qui compte 20 000 exploitations. La production a aussi baissé de 20 % en dix ans. Cela n'est pas sans incidence sur la balance commerciale, puisque nous importons plus de 40 % de ce que nous consommons. Les problèmes de la filière avicole sont plus simples à régler que pour la filière bovine, puisque la structure du cheptel n'est pas en cause, mais pour s'être beaucoup focalisée sur des niches, des labels, le secteur a du mal à percer à l'export et ne répond pas à la demande générique de la grande distribution. D'où les difficultés que rencontrent un certain nombre d'opérateurs, Doux par exemple, en cours de restructuration...
La filière avicole souffre d'un manque d'organisation. La question est depuis longtemps posée de la création d'une interprofession unique, mais on en reste pour l'instant à des organismes sectoriels, au nombre de six ou sept, sur des segments aussi étroits que le canard à rôtir, par exemple. Ce qui complique la recherche d'une stratégie commune.
Vous avez évoqué la consommation de vaches de réforme, ce qui m'amène à vous interroger sur les conséquences de la crise du lait, qui a amené la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) à appeler à manifester le 12 avril dernier. Cette crise peut avoir des conséquences catastrophiques, les éleveurs se débarrassant de leur cheptel laitier en vendant leurs vaches laitières comme viande de boucherie, ce qui aura inévitablement une incidence, et à très court terme, sur les exploitations spécialisées dans les races à viande.
En outre, vous pointez un manque de compétitivité, en l'imputant, pour une part, au coût de l'alimentation. Mais n'est-il pas lié, aussi, aux pratiques salariales de pays comme l'Allemagne ? Le président de la FNSEA, Xavier Beulin, nous indiquait y avoir visité un abattoir dont les 2 500 employés portaient des blouses de couleurs différentes, selon leur nationalité, et recevaient un salaire fonction également de leur pays d'origine !
Je n'ai pas parlé d'un « manque de compétitivité ». La compétitivité doit être appréhendée globalement, depuis la production jusqu'à la consommation, en passant par la transformation. Certains maillons peuvent ainsi être plus forts que d'autres. Certaines exploitations sont plutôt compétitives ; je pense notamment à la filière porcine, où les chefs d'exploitation sont bien formés et les équipements modernes. Il n'en va pas de même de la filière avicole, qui souffre de difficultés liées à ses bâtiments vieillissants.
Il est vrai, en revanche, que la compétitivité dépend beaucoup du secteur abattage-découpe, où les coûts salariaux comptent énormément. On peut certes soulever un contentieux contre l'Allemagne comme l'ont fait certains agriculteurs auprès des autorités européennes, mais il n'est pas certain qu'il aboutisse : c'est un véritable cadre légal européen qui fait défaut, et ce chantier appartient à Bruxelles. J'ajoute qu'il ne faudrait pas, au motif qu'il existe un différentiel de compétitivité, que l'on renonce à porter nos efforts sur les différents segments de la filière viande. Car il faut aussi balayer devant notre porte ; nous avons des efforts à faire.
Nos exploitations d'abattage sont plus petites, moins compétitives que celles des Danois, des Néerlandais, des Allemands. Nos coopératives n'ont pas fait tous les efforts nécessaires - augmenter les volumes, moderniser les outils - pour se hisser à la taille critique nécessaire.
Avec la suppression des quotas laitiers, en 2015, on s'attend à une réduction du cheptel laitier, donc à un afflux de viande sur le marché. Mais ces perturbations ne dureront pas plus d'un an ou deux, et si elles appellent un accompagnement des éleveurs allaitants, elles ne justifient pas que l'on revoie le calibrage de toutes nos politiques. A côté de cela, on produit de jeunes bovins pour la viande, que l'on ne valorise pas sur le territoire national. Pour que les éleveurs spécialisés prennent le relais, il faudrait faire évoluer la situation. Cela suppose une organisation commerciale et technique adaptée
Le vrai problème concernant le secteur des vaches à lait, c'est que lorsqu'un éleveur abandonne la production laitière, il ne la reprend jamais, ne serait-ce que parce qu'il faut dix ou quinze ans pour constituer un cheptel convenable, mais aussi parce qu'avec deux traites par jour, les contraintes sont lourdes. Si bien que l'on va finir, dans les années à venir, par manquer de produits laitiers. Quelles mesures pour parer au problème ?
Je vous rappelle que nous travaillons sur la filière viande et non la filière laitière.
Près de 40 % des élevages ovins ont disparu en quelques années. Mais la proportion n'est peut-être pas la même pour le cheptel, car je suppose qu'il y a eu des fusions d'exploitations ?
Le cheptel a reculé, mais pas dans les mêmes proportions que le nombre des exploitations, en effet.
Quelles sont les différences entre la France et ses voisins européens en matière de normes de traçabilité ? C'est pour moi une importante question, sachant que nous importons de la viande de plusieurs provenances. Je suis élu de la Saône-et-Loire et connais bien les problèmes des cheptels allaitants. La montée des cours peut-être liée à l'ouverture de nouveaux débouchés à l'export. Lorsque la raréfaction du produit fait monter les cours, c'est bénéfique pour les producteurs. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que les abattoirs soient obligés d'acheter plus cher aux éleveurs...J'observe d'ailleurs que le ministre de l'Agriculture il y a trois ans, chahuté lors d'une visite dans mon département, a été la fois suivante beaucoup mieux accueilli, car il avait trouvé des débouchés à l'étranger pour nos produits...
Concernant les écarts de coûts salariaux en Europe, je souligne que l'Allemagne respecte la réglementation européenne, et que cela ne l'empêche pas de recruter une main d'oeuvre venue d'ailleurs, à bas coût. Ce qu'il faut, c'est autoriser les mêmes personnes à venir travailler chez nous. C'est grâce à une main d'oeuvre moins chère que l'on diminuera les coûts de production.
La perspective d'une seule interprofession avicole peut paraître séduisante sur le papier, mais rassembler les producteurs de poulet fermier, comme celui de Bresse, que je connais bien, et les exploitants de poulets de batterie, dont les débouchés sont surtout à l'export - est difficile. Les uns et les autres n'ont ni les mêmes marchés, ni les mêmes débouchés, ni les mêmes modes de production.
La question de la traçabilité relève plutôt de la DGAL que de la DGPAAT. Raréfier l'offre, c'est certes augmenter les cours, mais il faut aussi que les opérateurs économiques trouvent de la matière pour honorer leurs contrats. On peut déplorer l'absence de stratégie dans la recherche de nouveaux débouchés à l'export. Ce n'est pas en faisant des « coups » que l'on avancera. Sur la question de la main d'oeuvre, la situation en Allemagne vient du fait qu'il n'y existe pas dans le secteur agroalimentaire de convention collective.
Cela pénalise toute notre production agricole. Pour la cueillette des fruits, on ne peut plus faire venir de main d'oeuvre étrangère. Le résultat de cette restriction est simple : nous mangeons des fraises italiennes, espagnoles, parce que plus personne, chez nous, ne peut payer le ramassage. Il faut trouver une solution.
Les normes sanitaires qui s'appliquent aux abattoirs ne sont-elles pas beaucoup plus strictes en France que dans les autres pays européens ? Nos petits abattoirs familiaux ont du mal à survivre. Mais ne plus s'en remettre qu'aux grandes structures, c'est augmenter le coût du transport jusqu'au lieu d'abattage, sans parler du bien être animal.
Dans la filière bovine, il existe une interprofession, en dépit de différences profondes qui existent entre les divers segments. Une interprofession qui fonctionne bien est très utile. En matière de normes sanitaires, je crois que l'on évite, en général, d'aller au-delà des exigences communautaires. Nous ne sommes pas guidés par un modèle, qui serait celui du grand abattoir. Depuis deux ans, un mouvement de rationalisation et d'organisation du réseau des abattoirs en France qui souffre d'une surcapacité globale, avec de très grandes variations selon les régions, a été lancé. Pour les bovins, par exemple, on a une surcapacité au sud, et une sous-capacité au nord ; pour les ovins, il n'y a pas d'abattoir dans le nord-est. La commission interprofessionnelle des abattoirs, qui réunit professionnels, collectivités locales et État, est là pour poser un diagnostic et proposer des réponses. Et l'État débloque 5 millions d'euros pour accompagner la modernisation. Les abattoirs de petite taille ne posent d'ailleurs pas problème, contrairement à ceux de taille intermédiaire...
Les grands abattoirs de bovins traitent environ 20 000 tonnes, les abattoirs de taille intermédiaire entre 3 000 et 4 000 tonnes, et les petits moins de 2 000 tonnes. Ces derniers ont souvent su avoir une stratégie de niche. Une autre piste pour promouvoir les circuits courts consisterait à dédier certains créneaux, dans des abattoirs de taille moyenne, à des groupements d'éleveurs.
Pouvez-vous nous parler précisément des circuits de commercialisation ?
Les circuits courts, les circuits de vente directe, tout cela existe. Mais ils resteront toujours marginaux dans le secteur de la viande, en raison des exigences particulières d'hygiène ou de respect de la chaîne du froid, que ne connaissent pas les productions végétales ou fruitières.
N'est-il pas dangereux de fermer systématiquement les petits abattoirs ? En Saône-et-Loire, il y a un abattoir de 45 000 tonnes à Cuiseaux, et un autre de 1 200 tonnes à Louhans, autant dire un abattoir familial. On demande à ce dernier de réaliser pour 700 000 euros de mise aux normes, alors qu'en tant que maire, j'avais déjà fait réaliser 1,2 million d'euros de travaux il y a onze ans. Comment amortir ces investissements avec des normes vétérinaires et sanitaires aussi strictes ? Je le dis d'autant plus aisément que je suis vétérinaire de profession. Et une fois ces abattoirs fermés, comment réaliser des circuits courts ?
Je ne suis pas spécialiste des normes. De plus, c'est un débat largement communautaire. J'entends d'ici les réponses de principe que la Commission nous ferait si nous demandions des normes allégées...
Nous n'avons pas évoqué les conditions de relance de l'élevage. Un plan de méthanisation a été lancé. Toutes les informations que vous pourrez nous fournir seront les bienvenues. Le ministère de l'agriculture a-t-il réalisé des études sur la concurrence franco-allemande en matière de production agricole, en termes de coûts horaires par exemple ?
De mémoire, l'écart de coût horaire est de 8 euros par tonne. Je vous transmettrai les informations dont nous disposons. Un rapport a récemment été remis conjointement par l'Inspection générale des finances et le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, dans lequel figurent ces éléments.
L'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) représente le réseau des chambres d'agriculture. Nous sommes impatients de connaître l'analyse des chambres sur la situation des éleveurs.
Quel est l'état de santé économique des élevages bovins-viande, ovins, porcins et avicoles en France ? Quels sont les atouts de la filière française dans la compétition internationale, et quelles sont les distorsions de concurrence qui existent avec les autres pays européens ? Les employés des abattoirs allemands seraient vêtus de blouses dont la couleur indique leur pays d'origine - avec un niveau de salaire différent pour chacun... Comment est-ce possible ? Que pensez-vous des normes existantes en matière d'installation classées ? Sont-elles plus sévères en France que dans d'autres pays européens ? Pourquoi est-il si compliqué d'installer en France un poulailler industriel, un élevage porcin ou une stabulation de bovins ? Enfin, quelles propositions feriez-vous pour améliorer la production française et faciliter l'installation des jeunes agriculteurs sur notre territoire ?
Je suis éleveur et producteur de lait dans le département des Vosges, et responsable de l'élevage et vice-président de l'APCA. En France, la production de viande, tous types confondus, décroît. Cette baisse globale dissimule des variations : le secteur des volailles était en forte croissance avant de subir la concurrence, il y a environ cinq ou six ans, des produits brésiliens dont les coûts d'alimentation sont plus faibles. Les productions animales ont également souffert des crises sanitaires à répétition qui ont laissé des traces. Les contraintes se sont multipliées, et les éleveurs sont souvent vus comme responsables de nuisances que les riverains acceptent de moins en moins.
Dans le monde paysan, rien n'est plus terrible que d'être esseulé dans son type de production. Les porcs ne sont aujourd'hui produits significativement que dans deux régions, alors que la production était auparavant bien répartie sur tout le territoire. Là où elle subsiste de manière marginale, elle est davantage tournée vers des marchés locaux que vers l'industrie agro-alimentaire. La dynamique du développement des productions animales s'est perdue, et avec elle le contact des éleveurs entre eux, et les opportunités d'investissement. Les usines de fabrication d'aliments sont parties, faute de débouchés. Ce constat vaut moins pour la production de viande bovine, plus associée, dans le modèle français, à une production herbagère, même si la production de jeunes bovins dépend aussi de la faculté de produire du maïs.
Les exigences environnementales, en particulier la conditionnalité environnementale de la politique agricole commune (PAC), prennent en France une place considérable dans l'activité des éleveurs. En tant qu'éleveur, mais aussi en tant qu'agriculteur pratiquant la polyculture, je fais l'objet de tous les contrôles de conditionnalités cumulés : sur l'exploitation des terres destinées à produire du blé ou du maïs, sur les terres herbagères, sur la traçabilité des animaux. Je dois à ce titre déclarer sous sept jours les animaux qui quittent l'exploitation, lorsqu'ils sont vendus, ou surveiller que les boucles ne se détachent pas. Les animaux étant vivants, ce sont des choses qui arrivent ! Pour échapper à des contraintes aussi lourdes, il est bien plus simple de se spécialiser dans la production végétale.
Les normes sont en effet très contraignantes. En production de vache allaitante, secteur qui a connu une baisse importante des volumes, avant de repartir à la hausse depuis six mois, le problème réside dans le fait que l'on considère trop souvent l'herbe sous son aspect environnemental, et non comme un type de production. Or l'herbe est une production végétale destinée à nourrir les bêtes ! C'est certes moins vrai dans les zones où les conditions d'exploitation sont limitées par le relief ou par les conditions climatiques. La politique de la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) avait pour objectif d'encourager l'herbe, mais l'obligation de fertilisation et la limitation à 1,4 unité de gros bétail par hectare ont eu pour effet de limiter notre compétitivité au regard des autres secteurs de production et des autres pays de l'Union européenne.
L'obligation de mise aux normes des élevages est une autre difficulté. Les plus grosses exploitations ont profité les premières des concours financiers, plus importants initialement que lors du dernier programme de mise aux normes des bâtiments d'élevage, qui s'adressait aux petites unités. Sur ce point, on en a peut-être trop fait, ce qui a coûté très cher en termes de fonctionnement, et continue à handicaper les revenus des agriculteurs.
Le plan de modernisation des bâtiments d'élevage (PMBE) a été une réussite. Le secteur de la volaille n'en a toutefois pas bénéficié - il en est question pour 2014, mais le plan sera-t-il toujours d'actualité ? Le secteur porcin a pu, lui, se rapprocher des normes européennes en matière de bien-être animal.
Nous parlons beaucoup de bien être animal, mais qui se soucie du bien-être des éleveurs ? Certes, des services de remplacement ont été mis en place, mais ils ne servent qu'en cas d'imprévus. Il est très difficile, surtout pour les polyculteurs, de trouver des remplaçants susceptibles d'effectuer tout le travail dans sa diversité. Les emplois d'avenir auraient pu bénéficier plus largement au secteur agricole, mais la prise en charge publique du coût de ces emplois dans les exploitations agricoles a été limitée à 40 %, quand elle est de 75 % dans les associations. Dommage ! Car des vocations auraient pu se révéler, d'autant que la filière souffre d'un terrible manque de main d'oeuvre. J'ai eu trois salariés, les trois sont ensuite devenus paysans.
Le coût de l'alimentation animale a bondi de 60 % en huit ans, sans répercussion sur le prix de vente final. C'est vrai pour les porcs, la volaille, comme pour les bovins. Au sein du réseau des chambres d'agriculture, nous travaillons sur deux pistes : d'une part, renforcer les capacités de notre production herbagère. Il faut bien comprendre que l'herbe se cultive, que ce soit dans des prairies permanentes ou artificielles. Avant ma prise de fonction, ce sujet n'était pas porté au niveau national. Il faut diversifier les protéines et vaincre notre dépendance envers les achats de soja américain ou brésilien. Nous cherchons d'autre part à retrouver des marges sur le coût de l'alimentation animale.
Rapportées au revenu moyen, les contraintes du métier d'éleveur sont lourdes. Lorsqu'une génisse vêle un dimanche soir à 23 heures, on ne peut se défiler. Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans ce métier, ce qui constitue une chance pour la société, mais oblige la profession à s'adapter.
En matière de soutien aux investissements, l'Allemagne a mené une politique énergique. Tandis que nous mettions en oeuvre le PMBE, notre voisin conduisait un vaste programme de modernisation de son secteur de l'élevage, grâce à des investissements massivement financés par l'État fédéral et par les Länder. Notre aide était plafonnée à 90 000 euros par exploitation quand la leur l'était à 40% du montant total investi. Cela a fait toute la différence. Il y a quelques décennies, la filière porcine était présente en Bretagne, mais aussi en Aquitaine... Aujourd'hui, le secteur s'est concentré et des régions ont été abandonnées, mais l'Allemagne reste plus compétitive que nous. Cela doit nous faire réagir. En transposant les directives européennes avec trop de zèle, nous avons chaussé des souliers de plomb dans la compétition internationale.
Il est devenu très difficile pour un jeune de s'installer. Il lui faut d'abord se faire accepter par le voisinage, qui voit souvent d'un mauvais oeil la construction d'une étable, ou pire, d'une porcherie, ou encore d'un poulailler dit « industriel » - c'est à nous cette fois que le qualificatif fait horreur. Les habitants alentour craignent des nuisances. Mais quoi de plus normal à la campagne ? En conséquence, il est plus simple de s'installer là où les exploitations existent déjà, dans le grand Ouest plutôt que dans le Massif central ou dans les Vosges, car ces régions ont été désertées par les producteurs de porcs ou de volailles. Un projet de construction d'une exploitation à Vittel a réuni contre lui de nombreuses pétitions, alors que, j'en suis certain, personne n'est en mesure de dire où se trouvent les exploitations existantes ! Les Vosges ne produisent pas même assez pour la seule consommation de la région. En résumé, moins il existe de producteurs, moins il est facile de s'installer. A notre époque moderne, en quelques clics, on communique avec le monde entier, mais les gens n'ont jamais été aussi ignorants de l'activité de leurs voisins.
Il faut reconsidérer les aides à l'installation. Les subventions ne sont pas les seuls outils à mobiliser : les prêts sont d'autres instruments sur lesquels nous pouvons agir. Si la production de blé, de colza ou de maïs est presque réalisable sans bâtiment, la production de viande impose de lourds investissements. Or la durée de remboursement des prêts est en France trop courte, entre 12 et 15 ans, quand elle est de 25 ans dans les pays du Nord de l'Europe.
On nous indique que les normes s'appliquent différemment dans les autres pays européens. Avez-vous, à l'APCA, une étude comparative précise sur ce point ? Cela permettrait de savoir où le bât blesse.
Nous avons un certain nombre d'éléments sur ce qui se passe ailleurs, mais pas de synthèse générale et exhaustive sur l'application des normes à l'échelle européenne.
La France a-t-elle sur-interprété les directives européennes, ou les autres pays ont-ils trouvé le moyen de les appliquer de manière plus légère ?
On observe les deux phénomènes. Je ne veux pas dire que les autres se déchargent de leurs obligations. Ils les appliquent avec souplesse. Indiscutablement, la France de son côté a introduit dans son droit national des éléments de contrainte supplémentaires.
Effectivement. L'Europe est une chance pour notre agriculture et notre élevage. Je considère pour cela que votre travail est capital. Nous écouter, c'est déjà faire progresser les choses. Les aides à l'installation par exemples sont financées partiellement par les régions : sachez que certaines refusent d'aider les productions porcines, rendues responsables de dégradations de l'environnement. Ce phénomène peut s'amplifier demain avec la régionalisation des aides agricoles ! Nous aurions alors une politique d'installation à vingt-deux vitesses.
Les préfets de région ont leur responsabilité dans l'application de la directive nitrate, qui pèse davantage sur l'investissement dans l'élevage que sur les productions végétales.
Nous vous écoutons et formulerons des propositions, mais il n'est pas sûr que les choses avanceront pour autant, car nous rabâchons sans cesse, avant de nous heurter à l'administration française, la plus efficace d'Europe, dont nous sommes véritablement victimes.
En France on manque de protéines pour l'alimentation animale. Notre réflexe est d'aller chercher du soja à l'étranger, alors que nous brûlons des tonnes de protéines à travers les farines animales. Depuis le scandale de la vache folle, on transforme les carcasses d'animaux et l'on stocke les farines ainsi obtenues dans d'immenses hangars, avant de les brûler dans des cimenteries. A l'époque de la vache folle, c'était indispensable. Plus maintenant. Si l'Europe autorise à nouveau l'utilisation des farines animales en pisciculture, c'est que leur fabrication respecte des normes qui assurent leur innocuité. Au passage, je note qu'il faut porter les carcasses à plus de 147 degrés pour détruire le vecteur de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), non à 122 degrés comme un brillant ingénieur anglais l'avait recommandé à l'époque - ce qui a été la source de la crise de la vache folle. Le stockage et l'incinération coûtent cher. Et nous continuons à importer des protéines des États-Unis. Une étude devrait être faite sur ce gaspillage.
Je crains que, dans quelques années, nous ne puissions plus manger de porcs français, car personne ne veut de porcherie dans son voisinage. Il faudra alors se résoudre à l'importer ! Le territoire entier est devenu une zone d'interdit. Admettons que la péninsule bretonne cesse de faire progresser la production de porcs : mais ailleurs, nous pourrions développer la production... Dans mon département, un abattoir reçoit tous les jours des porcs hollandais et bretons : est-ce bien rationnel ? Je suggère de définir des zones dans lesquelles on pourrait plus facilement construire des porcheries, notamment dans l'est et dans le nord de la France. Aux élus locaux de se mettre d'accord sur les lieux et les équipements. Si les porcheries bretonnes ont été causé des dommages à l'environnement, c'est parce qu'elles ont été construites sans aucune norme et en dépit du bon sens. Dans ma commune, qui compte 1 200 habitants, il existe une porcherie de 3 000 porcs. Grâce à la station d'épuration, les nouveaux habitants ignorent presque son existence. Créons des zones de permission d'élevage porcin ou avicole, où nos amis écologistes auront l'interdiction d'interdire. Sinon, c'est au monde entier que nous achèterons poulets et porcs, et notre balance extérieure en fera les frais.
J'ai vécu la crise de la vache folle en tant que responsable agricole. J'avais alors demandé à la justice, en lui fournissant les étiquettes, de m'informer sur la composition précise des aliments pour animaux que j'employais. L'expert ne m'avait pas fourni de réponse... Le problème de l'étiquetage est en train de mettre à mal la confiance des consommateurs. Le scandale de la viande équine ne remet pas en cause la sécurité sanitaire. C'est une tricherie, une fraude. Pour les paysans, qui appliquent consciencieusement les règles de traçabilité et en supportent le coût, c'est très pénible ! Il est possible de savoir à tout moment où est parti le veau né dans chaque exploitation agricole. Comme président d'une coopérative laitière, je peux dire pour chaque fromage d'où provient le lait. Pour la viande, les choses fonctionnent différemment, mais la traçabilité demeure possible.
Concernant les farines animales, il s'agit d'un véritable gâchis. Sans doute vaut-il mieux éviter de donner des farines aux vaches - mais lorsqu'elles mangent de l'herbe, elles ne font pas le tri entre l'herbe, les limaces et les lombrics. Dans la panse d'une vache, les matières animales - issues des petits animaux qui se trouvent dans l'herbe - représentent plus de 15 % du total.... Les filières porcine et avicole devraient demander le droit de recourir aux farines animales, qui sont meilleures que le soja génétiquement modifié.
Le retour aux farines animales dans les alimentations d'animaux serait possible, en excluant les bovins. Concernant le porc et la volaille, qui sont des monogastriques, c'est nous qui dénaturons leur alimentation. Éviter le gaspillage et restaurer la compétitivité ne sont pas des idées incongrues ! J'ajoute qu'il n'y a qu'à réaliser des contrôles sur les farines, pour s'assurer qu'elles ont été correctement chauffées.
Les farines françaises étaient indemnes de prion. Nous avons toujours eu une bonne discipline en la matière. Ce sont les farines anglaises qui ont envahi notre marché et répandu le mal.
Il est tout à fait possible d'agir pour améliorer les conditions économiques de l'alimentation des bovins et des ovins, dès lors que l'on accepte de considérer l'herbe comme une production, et que le plan protéine n'est pas réservé au bassin parisien. Pour les porcins, la réintroduction des farines animales peut constituer une réponse satisfaisante, d'application immédiate.
Concernant les bâtiments, les élevages modernes ne dégagent plus guère d'odeurs, grâce à l'enfouissement immédiat. Les raisons du rejet de tels projets par les riverains ne sont pas des raisons objectives : le mot porcherie évoque désormais productivisme et pollution. Les chambres d'agriculture doivent faire un travail en direction de la société, par exemple en organisant des journées portes ouvertes chez les producteurs de volailles ou de porcs.
Disposez-vous de statistiques récentes sur les cessations d'activité des éleveurs spécialisés, secteur par secteur ? Le recensement général de l'agriculture (RGA) ne renseigne pas sur les tendances.
Le nombre d'éleveurs de vaches allaitantes est en diminution, malgré un programme de soutien. Concernant l'élevage porcin et la volaille, on assiste à des formes d'intégration, dans lesquelles l'agriculteur devient une sorte de tâcheron : une entreprise, abattoir ou fabricant d'aliments, met à sa disposition des bâtiments et du matériel, en contrepartie de quoi il s'engage à acheter tous les aliments à cette entreprise, et à lui vendre ses animaux.