Intervention de Denis Badré

Réunion du 2 novembre 2010 à 22h00
Débat sur la participation de la france au budget de l'union européenne

Photo de Denis BadréDenis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dorénavant examinée en amont de la discussion budgétaire, la contribution française au budget communautaire conserve la forme d’un prélèvement sur les recettes de l’État voté chaque année lors de la discussion du projet de loi de finances.

L’article 46 du projet de loi de finances pour 2011 évalue ainsi ce prélèvement à 18, 235 milliards d’euros, c'est-à-dire un montant assez proche de celui qui avait été voté pour 2010, puisqu’il n’enregistre une hausse que de 82 millions d’euros, soit de 0, 5 %.

Pour le situer tout de suite plus globalement, je précise que ce prélèvement représente environ 6 % de nos recettes fiscales et un sixième du budget européen, lequel, rappelons-le, est de l’ordre de notre déficit. Cette remarque, intéressante à plus d’un titre, a déjà été formulée et signifie que le budget européen n’est donc pas si important que certains le soutiennent ou que le déficit est trop élevé.

En l’état actuel du système budgétaire européen, nous devons nous limiter à voter ou refuser ce prélèvement. Nous n’avons à discuter ni de son montant, dont le calcul découle des traités, ni de l’usage qui en sera fait, aux mains du Parlement et du Conseil européens, qui, par codécision, adopteront les dépenses correspondantes. Je reviendrai sur ce point.

Mes chers collègues, pour vous inviter à adopter ce prélèvement le moment venu, autrement dit lors de l’examen de l’article 46 du projet de loi de finances pour 2011, j’ajoute simplement qu’un refus ouvrirait une crise européenne dont l’Union n’a certainement pas besoin. De surcroît, une crise ouverte par la France ne servirait ni nos intérêts ni notre image en Europe.

Je vais, bien sûr, évoquer tout de même ce qui se joue derrière ce prélèvement, même si ce n’est pas vraiment le lieu. Au-delà de son montant, son utilisation nous intéresse également. Je souhaite aussi vous donner notre sentiment, monsieur le secrétaire d’État, à propos des négociations en cours sur le budget européen et autour de ce budget, deux points d’importance au moins égale. Ce faisant nous pensons bien être toujours dans notre rôle de membres du Parlement national.

L’Europe, nous le disons souvent, c’est « nous » !

« Nous », ce sont les Européens, unis par un intérêt commun supérieur autour duquel la Commission bâtit son avant-projet, que les codécideurs – Parlement et Conseil européens – sont chargés de prendre en compte.

« Nous », ce sont aussi les Français, qui s’expriment par votre voix au Conseil européen, pour faire prendre en compte l’intérêt national à côté de l’intérêt commun.

« Nous », c’est donc bien alors aussi le Parlement national, appelé à dialoguer avec vous à la veille de nouvelles discussions communautaires.

Au demeurant, si le traité de Lisbonne a consacré le rôle et la responsabilité des Parlements nationaux au regard de la construction européenne, ce n’est pas parce que les membres de ceux-ci seraient plus proches des citoyens que les députés européens, même si telle est la vérité. À l’évidence, la question de la subsidiarité, donc de la répartition et de l’équilibre des compétences entre l’Union et ses États membres, concerne autant les Parlements nationaux que le Parlement européen. Ce fait a été reconnu dès le lendemain de l’adoption du traité de Lisbonne.

Mais il doit être également clair que, aujourd’hui, lorsque l’Union européenne se penche sur les questions de défense – et il faut qu’elle le fasse –, ce sont bien toujours les Parlements nationaux qui demeurent compétents et contrôlent des actions qui restent celles des États. Il en va de même chaque fois qu’il y a mutualisation d’actions, lorsqu’il s’agit des budgets nationaux, de leur coordination, voire de leur « surveillance », ou encore lorsqu’il s’agit de garantir les dettes souveraines des États. Nous avons pu le constater au printemps : ce sont bien des lois de finances rectificatives nationales qui ont permis à l’Europe de soutenir la Grèce, puis de créer le Fonds européen de stabilisation financière ! C’est donc en se sentant totalement impliqués que les Parlements nationaux suivent les travaux engagés pour voir dans quelles conditions le fonds susvisé peut être pérennisé et s’il est possible de mettre en place un dispositif durable de lutte contre les crises.

La question de la solidarité financière a toujours été au cœur des débats européens. Elle était même affichée comme l’un des trois principes de la PAC, la politique agricole commune. Il n’est pas surprenant qu’elle soit centrale maintenant que nous disposons d’une monnaie unique. En revanche, il est étonnant qu’il ait fallu attendre quinze ans pour revenir sur ce sujet depuis l’adoption du traité de Maastricht ! Alors, la solidarité est bien sûr de mise, mais à condition que ce soit pour partager les exigences de façon constructive, non pour abriter durablement ceux qui seraient tentés de s’en affranchir.

C’est dans ce contexte animé que je propose de faire le point sur la négociation du budget pour 2011.

Elle constitue le premier exercice de mise en œuvre de la nouvelle procédure prévue par le traité de Lisbonne, qui a introduit trois grandes innovations : suppression de la distinction entre dépenses obligatoires et non obligatoires, point important pour la PAC ; suppression des deux lectures du budget par le Parlement et le Conseil au profit d’une seule par chacune des institutions ; création d’un comité de conciliation, chargé d’élaborer un projet commun en cas de désaccord entre le Conseil et le Parlement. Nous avons déjà eu un échange sur ce point, mardi dernier, monsieur le secrétaire d’État, lors de notre débat préalable au Conseil européen des 28 et 29 octobre derniers.

Le prélèvement de 18, 235 milliards d’euros a été déterminé au printemps, sur la base de l’avant-projet de budget de la Commission. Celui-ci fixait les crédits d’engagement à 142, 57 milliards d’euros, en augmentation raisonnable de 0, 8 % par rapport à 2010, et les crédits de paiement à 130 milliards d’euros, en progression beaucoup moins raisonnable de 5, 8 %.

Le projet révisé par le Conseil, le 12 août, se voulait plus rigoureux, ramenant la hausse de 0, 8 % à 0, 2 % pour les crédits d’engagement et de 5, 8 % à 2, 9 % pour les crédits de paiement, les mêmes 2, 9 % qui font aujourd’hui l’actualité et furent au centre des discussions de vendredi dernier au Conseil.

Contrairement aux années précédentes où la position du Conseil était adoptée par consensus, le compromis préparé par la présidence belge a été arrêté à une très courte majorité qualifiée, sept États – Royaume-Uni, Autriche, Pays-Bas, Danemark, Finlande, Suède, République tchèque – réunissant 88 voix votant contre, la minorité de blocage étant de 91, la France, pour sa part, souhaitant avec l’Allemagne qu’une issue puisse être trouvée sans pour autant méconnaître les motivations des sept États minoritaires.

Le Parlement européen, intervenant à son tour le 20 octobre, a souhaité revenir à des propositions proches de l’avant-projet de la Commission, en particulier au regard des ouvertures de crédits de paiement. Cette position, plutôt satisfaisante, n’était cependant pas complètement attendue. Un vrai consensus, assez naturel, devrait donc pouvoir se dégager à partir de l’idée simple selon laquelle le budget de l’Union doit participer aux efforts nationaux d’assainissement des finances publiques de chaque État.

Oui, sans doute ! Toutefois il convient de prendre en considération le fait que, en contrepartie d’une hausse ainsi limitée, le Parlement européen exige du Conseil l’ouverture d’une procédure de négociation, dès l’année prochaine, sur la réforme des ressources propres. On retrouve ainsi posé le problème de fond du budget européen, celui de sa structure.

Comme je l’ai déjà indiqué un certain nombre de fois à cette tribune en présentant, en ma qualité de rapporteur spécial, les budgets successifs de l’Union européenne ces dernières années, le budget européen voit ses dépenses arrêtées par codécision du Conseil et du Parlement européens, tandis que 85 % environ de ses recettes proviennent des Parlements nationaux, au travers de leurs contributions. Dans ces conditions, comment mettre en œuvre, en toute clarté, le principe du consentement à l’impôt, base de toute vie démocratique, avec un budget dont les recettes et les dépenses sont fixées par des autorités politiques différentes ?

Une telle situation pousse très naturellement les États – c’est bien fâcheux – à adopter une attitude assez peu communautaire : comme ils cotisent, ils veulent s’assurer d’« en avoir pour leur argent », si j’ose dire. Mme Thatcher l’affirmait déjà voilà quelques années.

Une telle attitude fait disparaître l’intérêt commun derrière les intérêts nationaux parmi lesquels seuls sont pris en considération ceux qui sont localisables dans tel ou tel pays. C’est l’Europe en miettes, l’Europe du « chacun pour soi ». C’est la négation de l’Union européenne.

J’insiste de nouveau en cet instant sur la faiblesse de telles analyses. En effet, à qui profite l’investissement réalisé dans un pays avec les moyens des autres ? Où doit-il être comptabilisé ? Dans le pays où il est effectué ou dans les États originaires des fonds ?

À qui profitent les investissements réalisés au niveau des stations de réseaux transeuropéens – dans une gare ou un aéroport –, par construction appelés à être largement utilisés par d’autres que les nationaux de l’étape ?

La PAC n’a-t-elle pas été créée non seulement pour des agriculteurs dont on connaît le pays d’installation, mais aussi pour l’ensemble des consommateurs européens ? On ne le rappelle jamais assez !

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