Intervention de Christian Favier

Réunion du 30 mai 2013 à 9h30
Modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Christian FavierChristian Favier :

Mes chers collègues, qu’il semble loin le temps où notre assemblée décidait il y a presque deux ans d’engager les états généraux de la démocratie territoriale !

L’ensemble des groupes avait alors décidé de soutenir la proposition du président du Sénat, Jean-Pierre Bel, de préparer une réforme en se tournant résolument vers les élus locaux pour qu’ils expriment leurs besoins et leurs attentes. En confiance, 20 000 d’entre eux répondirent ainsi à notre questionnaire et des dizaines d’associations et de syndicats nous firent parvenir des contributions.

Puis, après l’élection présidentielle et le changement de majorité qui s’ensuivit, chacun d’entre nous se souvient des rencontres départementales que nous avions organisées et pendant lesquelles les prises de parole furent libres et exigeantes.

Enfin, plusieurs centaines d’élus locaux participèrent aux ateliers et à la séance plénière à Paris.

Tous ont exprimé leur désarroi devant les réformes entreprises, les contraintes réglementaires de toutes sortes, le manque de moyens freinant leurs initiatives.

Tous ont demandé le respect de chaque niveau de collectivité, un statut de l’élu local, un cadre rénové précisant les missions de chacun pour améliorer les coopérations nécessaires aux développements de leurs actions, pour que les intercommunalités restent des outils entre les mains des communes, et ne soient donc pas des instruments d’intégration visant à leur disparition.

Ouverts à l’éventualité de nouveaux transferts de compétences, tous ont insisté sur la nécessité d’opérer une stabilisation globale.

Enfin, tous se sont mis d’accord pour affirmer le rôle primordial de nos communes dans la vie sociale et politique de la République et la nécessité d’une nouvelle étape de décentralisation centrée sur les droits et libertés locales, comme cela avait été le cas avec les premières lois de décentralisation en 1982, tout en attendant une présence forte de l’État à leurs côtés pour assurer la cohérence d’ensemble et l’égalité entre les territoires et les citoyens qui y vivent.

Tous ont manifesté le souci d’un développement équilibré de nos territoires.

Malheureusement, madame la ministre, force est de le constater, le texte que vous soumettez à notre examen est éloigné de ces préoccupations, de ces attentes clairement exprimées.

C'est non pas de décentralisation dont il est ici question, mais, au contraire, de déstabilisation de nos administrations locales, d’effacement des communes et des départements au profit des régions, des intercommunalités et des métropoles, comme l’avait suggéré la commission Balladur et comme avait commencé à le faire la réforme de décembre 2010.

Nous nous sommes toujours opposés à une telle perspective, nul ne sera étonné de notre désaccord aujourd’hui. Certes, le projet de loi que vous nous présentez, madame la ministre, ne porte pas sur l’ensemble des mesures que vous comptez mettre en œuvre. En effet, devant l’ampleur des mécontentements, vous avez préféré scinder votre texte en trois plutôt que de revoir votre copie. Cependant, les deux autres projets de loi ont été déposés, et nul ne peut ignorer leur contenu.

Aujourd’hui, vous nous proposez donc un texte partiel, à la cohérence imparfaite, si ce n’est qu’il couvre finalement les aspects les plus centralisateurs de vos propositions, celles qui doivent sans doute répondre à des exigences venues d’ailleurs. Je pense aux fameuses réformes de structure que vous vous êtes engagée auprès de l’Europe à mettre en œuvre afin de réduire encore la dépense publique.

Plutôt que de partir logiquement de la commune pour éventuellement adapter l’architecture des structures locales et de leurs relations, de commencer en fait par les fondations, vous avez préféré partir d’en haut, du toit, pour imposer votre vision. De cette façon, même si vous n’arriviez pas à faire adopter les autres mesures contenues dans les deux textes suivants, l’essentiel serait assuré.

Ainsi, vous avez décidé d’instaurer une conférence territoriale de l’action publique, placée sous l’égide de la région et vous proposez qu’elle soit chargée de régenter l’ensemble des politiques publiques mises en œuvre au niveau départemental et communal, par le biais des pactes de gouvernance et autres schémas sectoriels.

On le voit, c’est la porte ouverte aux transferts à la carte entre l’État et les régions, en prenant le risque de mettre à mal l’unicité de la République.

En concentrant ainsi tous les pouvoirs en un seul lieu, vous mettez fin aux principes constitutionnels de libre administration des collectivités territoriales §et de non-tutelle d’une collectivité sur une autre.

Certes, le texte de la commission, et nous nous en félicitons, a remis en cause cette conférence territoriale, la libre coordination en son sein des politiques publiques avec l’État et le pacte de gouvernance.

Cependant, les conférences territoriales ont été maintenues alors qu’elles n’ont plus lieu d’être, si ce n’est pour pouvoir par la suite développer leurs missions. On le voit bien, ce sont les premiers pions avancés, anticipant des évolutions futures.

Il existe dans notre droit des conférences des exécutifs qu’il suffirait de démocratiser et de développer, y compris au niveau départemental, pour en faire des lieux de coopération et d’harmonisation des politiques locales. Mais, à vos yeux, leur tort est sans doute qu’elles respectent trop les collectivités territoriales qui les composent et, surtout, qu’elles ne peuvent rien imposer d’en haut.

Car c’est cette volonté de pilotage unique qui semble vous animer en permanence, à la différence d’une véritable visée décentralisatrice qui s’attacherait au contraire à rechercher le développement des coopérations.

En atteste la conception du chef de filat que le texte de la commission maintient et qui s’apparente davantage à une compétence exclusive attribuée à un niveau de collectivités. Cette compétence pourra être mise en œuvre avec d’autres, mais sera pilotée par une seule. Je ne suis pas sûr que cette conception du chef de filat soit la même que celle qui a été portée par M. le rapporteur. Voilà donc l’essentiel de l’ambition de ce texte : concentrer les pouvoir locaux et hélas ! les éloigner des citoyens.

C’est on ne peut plus clair avec l’affirmation des métropoles dans notre paysage institutionnel local.

Dans ces vastes territoires urbains, madame la ministre, votre projet prépare la fusion des communes et des départements par le transfert programmé de l’essentiel de leurs compétences à des structures administratives éloignées des citoyens et véritables monstres technocratiques.

Une telle concentration de pouvoirs ferait de ces territoires des lieux dérogatoires à plus d’un titre, risquant de mettre à mal l’unité nationale.

Si la commission n’était pas revenue sur le seuil de leur création, ces territoires métropolitains auraient pu absorber 5 000 communes et concerneraient près de 30 millions d’habitants. C’est dire l’enjeu de leur création, qui risque de modifier en profondeur notre paysage institutionnel.

Si l’urbanisation de nos territoires et la métropolisation de certains constituent des phénomènes incontestables, faut-il pour autant les accélérer et bouleverser l’ordonnancement des collectivités territoriales de la République ?

Il y aura alors, ne nous le cachons pas, contradiction entre ces phénomènes portés par la mondialisation financière de notre économie et notre action publique en faveur d’un développement équilibré du territoire national.

En effet, ces territoires métropolisés sont appelés, pour se développer, à agir comme de véritables trous noirs absorbant l’essentiel de l’énergie des capacités de développement autour d’eux. Doit-on encore accélérer ce mouvement ? §

C’est prendre le risque d’une France des territoires à plusieurs vitesses, avec des territoires métropolitains où se concentreraient l’essentiel de la richesse et tous les autres, qui devraient se contenter des miettes.

Dans le même temps, au sein même de ces territoires métropolitains, nous craignons le développement d’inégalités sociales et territoriales dangereuses pour la cohésion sociale. Ce sont des phénomènes que nous pouvons observer partout dans le monde.

Dans le même esprit, doit-on accompagner les phénomènes de métropolisation en imposant une nouvelle carte administrative pour un pilotage central de ces nouveaux territoires ?

Doit-on favoriser, par la présidentialisation renforcée des exécutifs locaux, la constitution de ce qu’on pourrait appeler de nouvelles baronnies locales, détenues par des élus au quatrième niveau ? §

Nous ne le pensons pas. On ne construit pas l’avenir en niant son histoire ; on ne construit pas du collectif en niant l’individualité.

Or la France des territoires, celle de la décentralisation, repose sur la cohérence de l’action conjointe des communes, des départements et des régions, dans un équilibre qui, reconnaissons-le, a permis à la démocratie locale de progresser ces trente dernières années et aux services publics locaux d’apporter à nos concitoyens une écoute, une protection et une capacité d’innovation auxquelles ils sont aujourd’hui très attachés. Ce sont, à nos yeux, de véritables atouts. Pourquoi vouloir aujourd’hui fragiliser cela ?

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