Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je commencerai par le commencement, c’est-à-dire par le projet du Gouvernement, produit d’une gestation difficile : il n’en existe pas moins de trois versions connues, la dernière tronçonnée en trois parties, ce qui ne facilite pas vraiment l’acquisition d’une vue d’ensemble, si tant est que celle-ci soit possible.
En outre, le nombre d’articles du projet de loi est passé de 79 à 145 et il n’est plus question de décentralisation. À la place, on nous propose un projet managérial de réorganisation de l’usine administrative, dans l’air du temps libéral mais à mille lieues de l’esprit des lois de 1982 et de 1983, un projet politique celui-là, donnant le pouvoir aux élus pour dynamiser le pays : c’est ce qui s’est passé, les collectivités territoriales assurant progressivement entre 70 % et 75 % de l’investissement public, en maintenant leur endettement au-dessous de 10 % du PIB ; qui dit mieux ? Aujourd’hui, c’est en les empêchant d’agir qu’on entend les rendre plus performantes ! La France d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier, nous a-t-on dit : on s’en aperçoit tous les jours…
Tout avait pourtant commencé dans l’enthousiasme des états généraux de la démocratie territoriale, précédés de réunions départementales et conclus dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Pour le millier d’élus locaux présents, la première attente était d’être reconnus, autrement dit de voir remplacer le catalogue disparate des dispositions supposées faciliter l’exercice des mandats locaux par un authentique statut de l’élu territorial. Si j’ai bien compris, c’est pour bientôt !
Les élus locaux attendent également toujours des réponses à leurs deux principales préoccupations : pouvoir boucler leurs budgets quand ressources et charges évoluent en sens inverse, d’une part, se dépêtrer des contraintes bureaucratiques qui, loi après loi, décret après décret, arrêté après arrêté, circulaire après circulaire, les ligotent. Le pacte de gouvernance territoriale, qui en remet une couche, va certainement les combler ! Mais, là aussi, le choc de simplification, c’est pour bientôt…
Ce qu’attendent vraiment les élus locaux, c’est toujours pour bientôt ! §
Selon l’exposé des motifs du projet de loi, l’objet de celui-ci est de faire « participer [les collectivités] à l’effort de redressement des finances publiques pour assurer notre souveraineté budgétaire ». Assurer notre souveraineté budgétaire aujourd’hui, sauver notre triple A hier : il n’y a pas vraiment de changement !
Comment concentrer la richesse et du pouvoir dans une quinzaine de zones urbaines et paralyser le reste du territoire, le tout étant placé sous surveillance des chambres des comptes, permettra-t-il d’améliorer la compétitivité du pays, sa balance commerciale, de doper son taux de croissance, de faire diminuer le chômage ? Personnellement, je ne vois pas.
En attendant, le message est clair : l’État étant endetté, ses caisses vidées, les collectivités territoriales doivent moins dépenser pour être à même de se passer de son aide et se désendetter pour sauver la face à Bruxelles et à Berlin.
Pour atteindre ces objectifs, il existe une méthode éprouvée.
Premièrement, il faut réduire l’autonomie fiscale des collectivités et le dynamisme de leurs ressources. Tel fut l’objet de la réforme du précédent quinquennat, sur laquelle il ne semble pas que l’on veuille revenir.
Deuxièmement, il faut réduire l’autonomie des plus petites collectivités en leur retirant leurs compétences essentielles – notamment en matière d’urbanisation – au profit d’intercommunalités vastes et le plus intégrées possible. C’est l’objet du projet de loi de développement des solidarités territoriales que nous examinerons bientôt et, à un moindre degré, de celui que nous discutons aujourd’hui.
Troisièmement, il faut pousser à la concentration de la richesse dans les territoires les plus riches, évidemment les plus densément peuplés, pour doper leur « compétitivité », en espérant, selon le crédo libéral, voir « ruisseler » la richesse ainsi produite à leur périphérie. Tel est l’objectif visé par la multiplication des métropoles, lesquelles concentreront l’essentiel des ressources de leur département et réduiront d’autant ses potentialités péréquatrices – ce qui aura également des effets sur les régions –, sans parler de la ponction de 32 millions d’euros ainsi opérée sur la dotation d’intercommunalité. Mais ne soyons pas mesquins !
Quatrièmement, il faut enserrer les acteurs publics dans une série de contraintes qu’ils auront eux-mêmes négociées et acceptées : l’organisation de la servitude volontaire, en quelque sorte. C’est le rôle du pacte de gouvernance territoriale décliné en couches de schémas, toile d’araignée dont les moucherons communaux ne pourront s’échapper, sauf à renoncer à tout soutien financier extérieur. Le mandat régional suffira à peine à l’élaboration d’un pacte qui, à peine bouclé, devra être révisé !
Cinquièmement, il faut mettre ces acteurs sous contrôle de juridictions financières, prétendument indépendantes, c’est-à-dire non élues et responsables devant personne. Je vous renvoie aux articles 5 et 8 du présent projet de loi, ainsi qu’à l’article 18 du projet de loi relatif au développement des solidarités territoriales.
Lors de votre audition au Sénat, madame la ministre, vous nous avez dit que le premier objectif de la réforme était de « rétablir la confiance entre les élus et l’État », le deuxième de « clarifier l’organisation territoriale et les tâches de chacun », le troisième de « renforcer la démocratie locale ».
Drôle de façon de rétablir la confiance que de placer les élus sous surveillance, étrange manière de clarifier en organisant l’auto-paralysie des élus ! Quant au renforcement de la démocratie locale, nous y reviendrons le moment venu.
Je me félicite donc que notre commission des lois ait suivi son rapporteur, René Vandierendonck, qui a pris l’initiative courageuse de revisiter le texte. Il n’est pas si fréquent de voir le Parlement se souvenir que, même sous la Ve République, il n’est pas obligé d’avaliser tout ce qu’on lui transmet.
Directement inspiré des travaux de la mission Belot et des conclusions du rapport d’information Krattinger-Gourault qui en est issu, le texte de notre commission, en supprimant les dispositions du projet de loi les plus attentatoires à l’esprit de la décentralisation, crée les conditions d’un accord du Sénat sur l’essentiel, comme cela avait été le cas de la mission Belot. L’esprit de la décentralisation, c’est la liberté.
La servitude volontaire, sous la pression de la pénurie et sous surveillance de hauts fonctionnaires spécialisés, n’est pas la liberté. Que ceux qui en doutent considèrent seulement comment l’Europe s’est auto-paralysée par sa camisole de traités dont, depuis plus de vingt ans, on attend en vain un miracle économique.
Sans aller aussi loin, on peut évoquer l’inconscience avec laquelle le Sénat lui-même a soumis notre droit d’amendement et le pouvoir d’examen de ses commissions à l’arbitraire du président de la commission des finances, désigné pontife infaillible de l’article 40 de la Constitution ! Jacques Mézard l’a rappelé ce matin.
Des suppressions ont été opérées par la commission, qui concernent le pacte de gouvernance territoriale, la tutelle des préfets, des chambres régionales des comptes et, d’une certaine façon, de la région sur l’action des autres collectivités, le transfert automatique des compétences des départements aux métropoles en cas de désaccord prolongé.
Restent évidemment nombre de points encore loin de faire consensus et aussi importants que le choix de certains chefs de file, la définition des compétences des métropoles, l’organisation et le nombre de celles-ci.
Manquent enfin des outils permettant aux territoires, qu’ils soient très urbanisés ou ruraux, de s’organiser en réseau d’acteurs sur un vaste territoire, éventuellement discontinu. Ce sera l’objet de cette première lecture.
Madame la ministre, j’ai lu quelque part que vous vous prépariez à un « bras de fer avec le Sénat ».