Intervention de Hervé Marseille

Réunion du 30 mai 2013 à 15h00
Modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles — Suite de la discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Hervé MarseilleHervé Marseille :

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’intitulé du projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui, « modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles », est sans nul doute attrayant, mais le terme « modernisation », souvent synonyme d’amélioration et de progrès, prend ici un sens tout particulier. Personne ne s’est d’ailleurs laissé abuser, et rares sont ceux qui se satisfont de ce projet de loi. Les nombreuses heures consacrées à ce texte par la commission des lois, dont je salue le travail, en témoignent. Le très grand nombre d’amendements déposés atteste de l’insatisfaction générale.

Cette première scène de l’acte III de la décentralisation se présente comme une œuvre de modernisation, se traduisant en Île-de-France par la confiscation d’un grand nombre des pouvoirs des maires, notamment en matière d’urbanisme et de logement. Vous sachant attachés, mes chers collègues, tout comme nos concitoyens, à l’importante fonction de proximité du maire, je ne doute pas que vous porterez un regard critique sur le dispositif !

Sur le plan de la méthode, on peut regretter que la concertation avec les collectivités territoriales concernées ait été insuffisante. Peut-on, là aussi, parler de modernisation ?

De même, la création d’un étage supplémentaire de la machine administrative locale, au moment où la France se doit de la simplifier, représente-t-elle une modernisation ?

Il s’agit donc d’un projet de loi qui donne un nouveau sens à l’idée de modernisation : même après les améliorations apportées par notre commission des lois, le texte complexifie toujours un peu plus le millefeuille administratif et affaiblit substantiellement le principe de libre administration des collectivités territoriales.

Par ailleurs, les parlementaires regrettent la méthode employée par le Gouvernement : en scindant les réformes entre plusieurs véhicules législatifs, il les prive d’une partie de leur pouvoir d’appréciation et ne leur permet pas d’articuler les dispositifs entre eux. Ce fut déjà le cas pour l’emploi, c’est maintenant le cas pour l’acte III de la décentralisation !

Mes chers collègues, en tant qu’élu francilien, vous me permettrez de m’attarder plus particulièrement sur le chapitre Ier du titre II, regroupant les dispositions spécifiques à l’Île-de-France.

Tout d’abord, l’article 12 vise à compléter le code général des collectivités territoriales en créant l’établissement public Grand Paris Métropole, qui serait composé de la ville de Paris et des EPCI à fiscalité propre. Par ailleurs, la région d’Île-de-France et les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, de la Seine-et-Marne, de l’Essonne, des Yvelines et du Val-d’Oise pourraient participer, avec voix consultative, aux travaux de Grand Paris Métropole.

Toutefois, malgré une lecture extrêmement attentive, je n’ai rien trouvé sur l’implication des communes et des maires. Nos villes sont donc les grandes oubliées de ce projet de loi, qui tend de plus à les dessaisir en partie de leur liberté d’administration !

En effet, la création de Grand Paris Métropole, à qui seraient transférées des attributions communales, réduira fortement les pouvoirs du maire et, par conséquent, sa capacité à gérer sa commune. Les maires et les conseillers municipaux sont pourtant les seuls élus légitimes dans ce dispositif.

À ce titre, l’exemple du logement est particulièrement marquant. L’article 13 crée le schéma régional de l’habitat et de l’hébergement en Île-de-France. Il prévoit notamment que « ce schéma fixe les objectifs globaux et, dans le respect des compétences conférées à Grand Paris Métropole, leurs déclinaisons territoriales en matière de construction et de rénovation de logements, de construction et d’amélioration des structures d’hébergement, de développement équilibré du parc de logements sociaux, de rénovation thermique des logements […]. »

Autrement dit, le maire, premier gestionnaire de la commune, se trouvera dessaisi de la politique d’urbanisme et de logement, pourtant si importante pour ses administrés. C’est en étant présent sur le terrain, au plus près des difficultés, qu’il est possible de diagnostiquer ces dernières et d’y remédier. Seuls les élus municipaux bénéficient de cette proximité qui permet d’agir avec efficacité.

Certes, on pourrait objecter que Grand Paris Métropole agira avec les représentants des EPCI, mais force est de constater que, aujourd'hui encore, les délégués communautaires des municipalités ne sont pas élus au suffrage direct. Or la gestion d’une politique aussi importante pour les populations que celle de l’urbanisme et du logement ne peut pas être déléguée à des personnes ne répondant pas de leur action devant les électeurs. Nous ne pouvons que déplorer une telle situation.

Encore faudrait-il que l’ensemble des communes soient membres d’un EPCI, ce qui n’est toujours pas le cas. Les rapprochements entre communes demandent du temps, et ce n’est pas l’affichage d’un objectif par un texte gouvernemental assorti d’un échéancier qui va créer les conditions nécessaires à la mise en place harmonieuse d’un partenariat stable, durable et productif.

Aussi défendrai-je, avec mon collègue Vincent Capo-Canellas, un amendement à l’article 12 prévoyant que le projet de Grand Paris Métropole sera envisagé uniquement après l’achèvement de la carte intercommunale en Île-de-France. Dans la même mesure, le seuil prévu de 200 000 habitants est trop contraignant. Son instauration pourrait aller à l’encontre de la mise en place d’un partenariat productif. Plusieurs amendements tendent donc à moduler ce seuil.

Mesdames les ministres, votre volonté de « moderniser » l’action publique est indéniable, mais les moyens vont manquer, en particulier en matière de logement. En effet, le dispositif du projet de loi est défini à moyens constants ; autrement dit, c’est le statu quo : pas de moyens supplémentaires, peu de logements supplémentaires !

Par ailleurs, il est important de remarquer un effet induit par la modernisation que vous préconisez : l’adjonction d’une nouvelle norme venant compléter un dispositif déjà particulièrement riche, et parfois même contradictoire. Sans être exhaustif, je mentionnerai le schéma directeur de la région d’Île-de-France, le plan de déplacements urbains, le schéma de cohérence territoriale, le plan départemental de l’habitat et, désormais, le schéma régional de l’habitat et de l’hébergement en Île-de-France. Bientôt, il faudra être agrégé de droit public pour être élu en Île-de-France ! §

À multiplier les normes sans les coordonner entre elles, on complexifie davantage encore le travail des gestionnaires et on accentue l’insécurité juridique : cela devient contreproductif. On construira moins de logements, sur la même période, qu’il aurait été possible d’en réaliser. C’est pourquoi nous vous présenterons un amendement tendant à assurer la prise en compte du SDRIF et des pôles de développement du Grand Paris dans l’élaboration du projet de schéma interdépartemental de coopération intercommunale de la petite couronne.

Enfin, où est la cohérence de ce texte, quelle vision d’ensemble traduit-il ? Quid de l’avenir des communes, des départements et de la région ? Le débat est reporté à plus tard…

À l’approche d’échéances électorales en vue desquelles nous devrons présenter des projets à nos électeurs, pouvez-vous nous dépeindre l’avenir que le Gouvernement envisage pour la région d’Île-de-France ? Cette dernière ne manquera pas d’être concurrencée par le Grand Paris Métropole, les territoires se recoupant largement. Paris est déjà une commune-département ; est-il envisagé de l’ériger en commune-département-région ?

Ce texte est, à l’évidence, insatisfaisant. Il l’est évidemment pour l’opposition, mais il l’est également, nous l’avons entendu, pour les représentants de la majorité. Ainsi, sur les 840 amendements déposés, près de 140 amendements émanent du groupe CRC et pas moins de 80 du groupe écologiste. C’est un signe manifeste d’insatisfaction.

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