Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, une semaine après notre débat préalable au Conseil européen et en amont de la discussion budgétaire, j’ai l’honneur, ce soir, de soumettre à l’examen de votre Haute Assemblée l’article 46 du projet de loi de finances pour 2011, évaluant le montant du prélèvement sur recettes qui sera versé par la France au budget de l’Union européenne pour 2011.
Ce sera pour moi l’occasion d’insister, dans un contexte marqué par la volonté forte du Gouvernement de revenir à l’équilibre de nos finances publiques, sur l’effort substantiel que représente, pour la France, le versement de cette participation, et d’évoquer avec vous les grands enjeux du débat qui est appelé à s’ouvrir, dès le printemps prochain, sur le budget européen post-2013.
Si vous me le permettez, je profiterai également de cette intervention pour évoquer les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 octobre relatives à la gouvernance économique européenne, ainsi qu’à la préparation du budget européen post-2013.
Le renforcement des disciplines pesant sur les dépenses publiques nationales et la maîtrise des dépenses publiques européennes sont en effet deux sujets intimement liés. D’ailleurs, tous les orateurs qui m’ont précédé ont fort justement mis en avant ce lien. Le Conseil européen, dans ses conclusions, n’a d’ailleurs pas manqué de souligner que « parallèlement au renforcement de la discipline budgétaire au sein de l’Union européenne, il est essentiel que le budget de l’Union européenne et le prochain cadre financier pluriannuel tiennent compte des efforts d’assainissement déployés par les États membres pour ramener le déficit et la dette à un niveau plus viable ».
Je précise que le Conseil européen a souhaité revenir plus en détail sur cette question dans sa session de décembre, notamment en examinant comment le volet « dépenses » du budget européen peut contribuer au processus plus général d’assainissement des finances publiques.
Permettez-moi donc, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de procéder à l’examen du prélèvement sur recettes, de tirer les principales leçons du Conseil européen en matière de mise en place d’une « gouvernance économique européenne ».
J’en ai retenu trois.
Première leçon, comme je l’avais annoncé devant votre Haute Assemblée il y a une semaine lors du débat préalable au Conseil européen, le couple franco-allemand a joué un rôle absolument fondamental dans l’organisation des débats du Conseil européen et dans l’orientation de ses conclusions.
Cela est parfaitement conforme à la position qu’il a adoptée depuis le début de la crise de l’euro. Je crois même que les événements qui se sont déroulés autour de cette affaire monétaire marquent un tournant très clair.
Un tel résultat n’était ni nécessairement simple à obtenir ni écrit d’avance, comme l’ont illustré les déclarations très virulentes, voire inacceptables, de certains, y compris de membres de la Commission. Je pense notamment aux déclarations visant directement des chefs d’État élus – la Chancelière allemande, le Président de la République française –, évoquant même un « diktat » franco-allemand et les pires catastrophes, alors que les deux dirigeants ne cherchaient, en révisant le traité, qu’à pérenniser notre zone monétaire commune.
Or, que constate-t-on à l’issue des débats de la semaine dernière ?
La déclaration franco-allemande de Deauville a bien été le point de convergence des débats des Vingt-Sept, non pas parce qu’il s’agissait d’une déclaration commune de la France et de l’Allemagne qui aurait, par principe, vocation à s’imposer à tous, mais parce que cette proposition – je veux le redire ici très solennellement – était vraiment dans l’intérêt de tous. C’est, en définitive, ce qu’ont parfaitement compris tous les chefs d’État et de gouvernement.
Le principe d’une révision du traité, que le Conseil européen souhaite limitée – monsieur Aymeri de Montesquiou, il est question non pas d’ouvrir la boîte de Pandore, mais de réviser le texte à deux endroits précis par une procédure accélérée –, pour « établir un mécanisme permanent de gestion de crise pour préserver la stabilité financière de la zone euro » est désormais acquis. Ce n’était pourtant pas évident dimanche dernier…
Cette pérennisation du mécanisme de gestion des crises est un résultat tout à fait fondamental et le Conseil européen a également fixé les grandes orientations de travail pour y parvenir.
Le Président du Conseil européen est chargé d’engager les consultations, dans la perspective du Conseil européen de décembre, au cours duquel les chefs d’État et de gouvernement prendront la décision finale sur les grandes lignes de ce mécanisme et sur la modification du traité.
La modification du traité, qui doit pouvoir être ratifiée « pour la mi-2013 au plus tard », ne doit pas toucher à l’article 125 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la fameuse clause de non-renflouement.
Enfin, la question de la contribution du secteur privé – même si elle n’a pas été évoquée ce soir, elle est extrêmement importante et intéressante –, et du Fonds monétaire international, à ce mécanisme sera examinée très attentivement.
En effet, il n’est pas complètement absurde que ceux qui ont spéculé sur les dettes souveraines et pratiquement causé la faillite d’un État participent au mécanisme de renflouement et de caution collective. C’est donc un débat qui, je le crois, doit être ouvert devant nos opinions publiques.
Par ailleurs, la France et l’Allemagne ont également obtenu que la question des sanctions politiques, qui était au cœur de la déclaration de Deauville, figure explicitement dans les conclusions de ce Conseil européen et fasse l’objet d’un examen ad hoc. Là encore, ce n’était pas gagné d’avance.
M. Sutour a critiqué les sanctions financières et politiques. Mais, par définition, sans sanctions, il n’y a pas de discipline commune. Je serais donc intéressé de connaître les solutions alternatives qui pourraient exister dans ce domaine…
Toujours est-il que le Président du Conseil européen est chargé, en consultation avec les États membres, d’examiner – c’était bien le sens de la proposition franco-allemande – « la question du droit des membres de la zone euro de participer à la prise de décisions dans le cas des procédures en rapport avec l’UEM en cas de menace permanente pour la stabilité de la zone euro ».
Cette question des sanctions politiques n’est donc absolument pas écartée, monsieur le président Bizet. La France et l’Allemagne ont bien obtenu, ensemble, que ce débat soit ouvert et que cela soit inscrit noir sur blanc dans les conclusions du Conseil européen.
Vous avez néanmoins raison de noter que de nombreux États opposent une certaine résistance sur ce point. La plupart d’entre eux souhaiteraient continuer à bénéficier du fonds de garantie, mais ne veulent pas entendre parler de la discipline qui doit accompagner ce dispositif. Tout le travail consiste donc à trouver le juste équilibre entre la pérennisation du dispositif et la mise en œuvre de mécanismes de discipline commune.
Deuxième leçon, le Conseil européen « fait sien » le rapport du groupe de travail sur la gouvernance économique, piloté par le président Herman Van Rompuy. Sa mise en œuvre constituera, toujours selon les conclusions du Conseil européen, « une avancée importante dans la consolidation du pilier économique de I’UEM en renforçant la discipline budgétaire, en élargissant la surveillance économique et en approfondissant la coordination ».
Cette reconnaissance par les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement de l’importance, et de la pertinence, des travaux conduits par la task force de M. Van Rompuy est essentielle.
Comme l’a dit le président Bizet, elle ouvre la voie à plusieurs innovations importantes : une meilleure coordination au niveau européen des politiques macroéconomiques ; une meilleure coordination des politiques budgétaires à travers la mise en place, dès 2011, du « semestre européen » ; enfin, le renforcement du volet préventif et correctif du pacte de stabilité et de croissance dans un sens conforme aux positions franco-allemandes.
Je rappelle en effet que le grand apport de la déclaration de Deauville, et du rapport du groupe Van Rompuy, est, par opposition aux propositions initiales de la Commission, de remettre le Conseil au cœur du processus de sanctions sans affaiblir l’efficacité de celles-ci.
Ce mécanisme – je réponds à M. Aymeri de Montesquiou qui s’interrogeait sur ce point – garantira à tous les États membres de la zone euro que l’appréciation de leur situation restera fondamentalement politique, tout en élargissant de façon très sérieuse les disciplines qui leur seront appliquées.
Les chefs d’État et de gouvernement ont fixé par ailleurs un calendrier ambitieux pour l’adoption du nouveau dispositif, en appelant à une « approche rapide » et à un accord entre le Conseil et le Parlement européen sur les aspects législatifs « d’ici à l’été 2011 ».
Troisième leçon, la question de la réforme des retraites, toujours elle, est bien au cœur de la nouvelle gouvernance économique européenne.
Je vous avais dit, la semaine dernière, à quel point l’adoption de la réforme des retraites par le parlement français était un enjeu fondamental pour la pérennité de notre modèle social, pour la maîtrise de nos finances publiques mais aussi pour la restauration de notre compétitivité et pour la cohérence de nos engagements européens.
Je vous avais également indiqué que cette question de la réforme des retraites ne s’arrêtait pas à nos frontières et que nombre de nos partenaires s’étaient déjà engagés dans ce processus, consubstantiel à la survie de leur économie et de leurs emplois.
M. Schäuble a été aujourd'hui reçu au Sénat. Une délégation de députés du Bundestag l’a été à l’Assemblée nationale. Vous savez que l’âge de la cessation du travail en Allemagne a été repoussé à soixante-sept ans.
Ce sujet, dont l’impact sur l’évolution des finances publiques nationales est fondamental, a effectivement été évoqué par le Conseil européen à travers les travaux de la task force de M. Van Rompuy.
In fine, le Conseil européen « invite le Conseil à accélérer les travaux sur la manière dont l’incidence de la réforme des retraites est prise en considération dans la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance, et à lui faire rapport en décembre ». C’est la demande d’un certain nombre de pays, en particulier de la Pologne.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est donc dans ce contexte de mise en place d’une « gouvernance économique » européenne que se situe notre débat sur l’article 46 du projet de loi de finances qui est soumis ce soir à votre approbation et qui concerne le montant de notre prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.
Vous connaissez les données chiffrées, elles ont été rappelées par M. Badré, notamment : en 2011, le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est évalué à 18, 2 milliards d’euros, soit 7, 2 % des recettes fiscales nettes françaises. Ce chiffre est plus élevé que celui que vous avez cité tout à l’heure, monsieur Badré.
Comme l’an passé, les ressources propres dites « traditionnelles » – droits de douane et cotisations sucre –, estimées à 1, 4 milliard d’euros, sont exclues du périmètre du prélèvement sur recettes, conformément à la recommandation de la Cour des comptes.
La participation française au budget de l’Union européenne représente donc un effort de solidarité substantiel, notamment à l’égard des nouveaux États membres qui bénéficient pleinement des dépenses de cohésion, fonds structurels et fonds de cohésion.
Cet effort est d’autant plus important qu’il doit être mesuré à l’aune des trois éléments suivants.
Premièrement, il faut rappeler que la France figure désormais – hélas ! – parmi les tout premiers contributeurs au budget de l’Union européenne. Notre pays était, en 2008, le troisième contributeur net, et, en 2009, le deuxième contributeur net après l’Allemagne, le président de la commission des finances le sait parfaitement.
Deuxièmement, le solde net déficitaire de la France, qui s’élevait à près de 5 milliards d’euros par an en 2009, ne va cesser de croître jusqu’à la fin des actuelles perspectives financières, c’est-à-dire jusqu’en 2013. La contribution française devrait connaître une progression moyenne de 600 millions d’euros par an, pour atteindre un solde net déficitaire de près de 7, 3 milliards d’euros en 2013 ! Comme la règle de progression dite du « zéro valeur » s’applique, un transfert de 600 millions d’euros en Europe, ce sont 600 millions d’euros en moins d’investissement en France même.
Troisièmement, l’application de cette règle de progression est donc difficile et se traduira par un véritable sacrifice pour nous, Français.
Je crois donc de mon devoir de ne pas masquer cette réalité et, à travers vous, de dire la vérité aux Français : la solidarité que nous affichons légitimement vis-à-vis de nos partenaires européens a un véritable coût, dont la collectivité nationale doit bien prendre toute la mesure.
Pour le Gouvernement, c’est cependant un prix nécessaire que nous acceptons de payer pour que la France, s’appuyant sur l’Europe, soit au rendez-vous du XXIe siècle, pour qu’elle soit un véritable « multiplicateur de puissance », au service d’un espace commun de valeurs, de démocratie et d’un modèle social unique au monde et pour qu’avec nos partenaires nous bâtissions des grands projets pour l’avenir. Je pense ici – d’autres orateurs avant moi ont mentionné ces projets – à Galileo, aux réseaux transeuropéens de transport ou à ITER, et à l’espace, cher à M. Pozzo di Borgo.
La discussion ouverte tout à l’heure par M. Badré sur la fausseté de ce discours sur les retours nets est fondée, mais il faut quand même garder toujours à l’esprit le fait que nous consentons à l’Europe élargie des transferts extrêmement importants, que nous ne faisions pas il y a quelques années.
Enfin, c’est le prix nécessaire pour que nous nous donnions les moyens de nos politiques communes. Plusieurs d’entre vous ont rappelé à quel point nous étions « viscéralement attachés » – je reprends l’expression d’un des orateurs – à la politique agricole commune. C’est notamment le cas dans cette assemblée.
Tel est donc l’objectif de cette contribution française. Encore faut-il en tracer les limites de bon sens, et si vous le permettez, celles-ci m’amèneront à formuler trois remarques.
Première remarque : il est nécessaire que les efforts de réduction des dépenses auxquels nous, les États, nous soumettons soient également partagés par les institutions européennes.