Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 2 novembre 2010 à 22h00
Débat sur la participation de la france au budget de l'union européenne

Pierre Lellouche, secrétaire d'État :

La même remarque vaut pour le Parlement européen qui, lui, souhaitait carrément une augmentation de 7 %.

C’est la raison pour laquelle le Conseil a refusé très fermement cette augmentation et, après avoir longuement réfléchi sur le sujet, a consenti à une augmentation tout de même importante de 2, 9 % des crédits de paiement en août dernier, sur la base de laquelle est calculé le prélèvement sur recettes qui vous est présenté ce jour.

À l’issue du Conseil européen, une lettre signée par douze chefs d’État et de gouvernement – dont la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Autriche, les Pays-Bas ou encore la Suède – et adressée au président du Conseil européen et à la présidence belge a très clairement rappelé qu’il n’était pas question d’aller, dans un contexte européen de maîtrise des finances publiques, au-delà de l’augmentation déjà substantielle de 2, 9 % consentie par le Conseil.

Aussi, je ne doute pas que, dans ce contexte, le Parlement européen, tenté par les mêmes excès, la même envie de dépenser, saura faire preuve de sagesse et, dans le cadre de la procédure de conciliation avec le Conseil, qui s’est engagée la semaine dernière, saura prendre pleinement en compte les réalités budgétaires européennes, qui s’imposent à tous les États membres, et, par-delà, aux 500 millions de citoyens européens.

La semaine dernière, lors du débat préalable à la tenue du Conseil européen, j’ai eu l’occasion de préciser que, pour la première fois cette année, le Conseil et le Parlement faisaient l’expérience des nouvelles dispositions du traité de Lisbonne et d’une procédure budgétaire désormais limitée à une lecture par chacune des institutions. Nous verrons, monsieur le président Arthuis, comment les choses se passeront.

Selon cette procédure nouvelle, et pour répondre à la question du président Bizet, les articles 314 et 315 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne sont clairs : en cas de rejet du budget, la Commission serait appelée à présenter un nouveau projet. Dans l’attente, l’Union fonctionnerait sur la base des douzièmes provisoires, c’est-à-dire l’équivalent d’un douzième du budget ouvert l’année précédente. Ce système des douzièmes provisoires permettrait d’assurer a minima la continuité des institutions, mais, chacun l’imagine bien, un certain nombre d’engagements nouveaux seraient compromis.

Toutefois, je veux le redire, nous ne sommes pas dans une situation de blocage pour l’instant : le Conseil et le Parlement ont, comme le traité le prévoit, adopté chacun une position. Ces positions sont, comme on pouvait s’y attendre, divergentes ; mais c’est le cas, vous le savez, au début de toutes les négociations sur le budget annuel. C’est le rôle de la conciliation que de définir des compromis mutuellement acceptables.

Permettez-moi d’ajouter, pour terminer sur cette première question de la maîtrise des dépenses, que cet impératif s’impose naturellement à toutes les institutions européennes, y compris aux très nombreuses agences dont l’Union s’est dotée. À cet égard, je me félicite du travail que vous allez engager, monsieur Badré, à la demande du Premier ministre sur l’Agence des droits fondamentaux à Vienne, que j’ai eu l’occasion d’examiner attentivement. Je pense que vous trouverez là certains enseignements qui seront probablement valables dans d’autres structures du même genre.

Deuxième remarque de bon sens, mesdames, messieurs les sénateurs : quand l’argent européen est effectivement disponible, qu’il a donc été transféré par les États, notamment par la France, afin que soit menée une politique sociale urgente, par exemple, nous serions en droit d’attendre que cet argent soit utilement et efficacement dépensé. Or c’est très exactement l’inverse qui se passe sur l’un des dossiers évoqués ce soir par M. Billout, c’est-à-dire le dossier des Roms, qui concerne tout de même 11 millions de personnes, dont 9 millions de citoyens européens.

En effet, dans ce dossier, la France a été injustement accusée, menacée, vilipendée, quelquefois dans des termes parfaitement insultants, inacceptables, pour la politique pourtant totalement conforme au droit européen qu’elle a engagée l’été dernier, à savoir faire respecter en France le droit d’occupation des sols et les conditions de séjour, elles-mêmes prévues par la directive de 2004.

Or, je veux le dire, pour m’être investi dans ce dossier depuis un an et demi et pour m’être rendu trois fois à Bucarest, nous avons, les premiers, appelé l’attention de nos partenaires sur l’existence, au sein de l’Europe au sens large, y compris parmi les candidats à l’adhésion, d’un véritable scandale, d’un « quart monde » de 11 millions d’individus, dont personne ne s’occupait et qui, pourtant, je le répète, pour 9 millions d’entre eux, sont citoyens de l’Union européenne.

Cette situation est le produit d’un échec patent des politiques d’intégration des Roms dans leurs pays d’origine, et d’une carence non pas du Parlement européen, qui a évoqué le sujet, mais au moins de la Commission, qui connaissait bien ce problème, notamment lors des études de préadhésion de ces pays et au moment des élargissements de 2004 et surtout de 2007. Elle n’a pas suffisamment pris la mesure de cet enjeu ni envisagé les mesures qui s’imposaient.

Or que constate-t-on ? Que c’est le procès de la France qui a finalement été instruit, et non celui des pays d’origine, comme si le problème des Roms était celui de la France et non celui de la Roumanie ou de la Bulgarie. Pourtant, ce sont dans ces pays que l’argent a été transféré, que cet argent disponible n’a pas été dépensé au profit des minorités roms !

Faut-il rappeler, en effet, que, sur près de 20 milliards d’euros transférés, dont va bénéficier, à titre d’exemple, la Roumanie sur la période 2007-2013, seuls 85 millions d’euros ont été programmés à destination des populations roms ?

George Soros, le célèbre financier américain, qui a créé à Budapest une fondation concernant les Roms, a déclaré devant moi, à Mme Reding, lors du sommet européen sur les Roms qui s’est tenu au mois d’avril 2010, qu’il donnait plus d’argent aux Roms que l’Union européenne, et sur ses deniers personnels. Je dis là qu’il y a scandale !

Mieux encore, alors même qu’on instruit le procès de la France, certains pays d’origine, loin d’assumer la moindre responsabilité vis-à-vis de leurs propres citoyens, préfèrent considérer cette question de l’intégration des Roms comme un « problème paneuropéen », dont il reviendrait à tous les États membres – sous-entendu à tous les autres – de prendre leur part.

Cela reviendrait à faire « payer deux fois » la France : une première fois au titre des fonds structurels, des fonds de cohésion, qui sont transférés d’Ouest en Est en Europe, et une seconde fois au titre de l’argent que l’État français, mais aussi nos collectivités locales, de droite comme de gauche, vont devoir verser pour mener à bien le travail d’insertion que les pays d’origine ne mènent pas à l’égard de leurs propres citoyens.

Dans ce contexte, je peux me permettre de parler de « carence », voire de « scandale », au regard de l’ampleur des sacrifices financiers que nous consentons.

Au-delà des mots tout à fait regrettables qui ont parfois été employés, la polémique de cet été aura peut-être, du moins peut-on l’espérer, une vertu : elle a démontré qu’il est temps, comme la France le demande depuis des mois, de s’intéresser aux véritables enjeux de fond que sont, d’une part, l’intégration sociale de ces malheureuses populations dans les pays dont elles sont citoyens à part entière – qui est le seul moyen d’améliorer effectivement leurs conditions de vie – et, d’autre part, la lutte contre les trafics d’êtres humains dont ces populations, en particulier les femmes et les enfants, sont les victimes.

C’est donc pour mettre les points sur les « i » et rappeler les États d’origine à leurs responsabilités premières que la France a pris l’initiative lors de la réunion ministérielle du Conseil de l’Europe, mercredi dernier, de faire adopter une déclaration, non sans mal d’ailleurs. En effet, comme vous le savez peut-être, mesdames, messieurs les sénateurs, le délégué roumain a préféré considérer que cette responsabilité n’était que passagère et que, pendant la période des quatre mois prévue par la directive de 2004, les citoyens roumains résidant légalement dans un autre pays de l’Union étaient sous la responsabilité de celui-ci. Il s’agit là d’une conception assez intéressante de l’article 2 du traité !

Ainsi, le gouvernement roumain estime n’être responsable de sa population Rom que huit mois de l’année, les quatre mois restants étant aux frais d’un autre État membre. J’insiste sur ce point, car c’est ce genre d’attitude qui peut être à l’origine de véritables crises en l’Europe. Nous n’en avons en tout cas pas fini avec cette affaire.

Troisième remarque : nous devons faire connaître clairement nos priorités dans la grande négociation qui se prépare sur le « cadre financier » européen, et qui prendra, à partir de 2014, la suite des actuelles perspectives financières 2007-2013. Beaucoup de choses ont été dites sur cette question par les orateurs précédents, et le Gouvernement les approuve totalement.

Vous le savez, les grandes manœuvres ont commencé avec la présentation par la Commission, le 19 octobre, de sa communication sur le réexamen du budget de l’Union. Ce document est la traduction de la « clause de réexamen », inscrite dans les conclusions du Conseil européen de décembre 2005.

Cet exercice, constamment repoussé, ne constitue cependant plus un réexamen à mi-parcours du cadre financier actuel. Il engage la réflexion sur les prochaines perspectives financières dans l’attente des propositions législatives de la Commission, le « paquet chiffré », annoncées pour juin 2011.

Les autorités françaises examinent attentivement cette communication, dont il ressort, en première approche, quelques grandes caractéristiques.

D’abord, ce document est, comme nous nous y attendions, assez court et essentiellement qualitatif. Tout le volet chiffré est renvoyé à l’été prochain.

Ensuite, les formulations employées dans ce document restent, pour l’essentiel, assez prudentes, notamment sur le volet « dépenses ». Il faut cependant prendre garde : derrière l’habileté de certaines formulations, on devine, ou l’on perçoit, que la PAC est la seule politique faisant l’objet d’une indication tendanciellement négative. Sur ce point, je partage les inquiétudes exprimées par certains d’entre vous. De même, aucune indication claire n’est donnée sur la limitation du budget de l’Union européenne.

Enfin, sur le volet « ressources », la communication est très fournie. De nombreuses nouveautés sont proposées, sur lesquelles nous devons prendre le temps de l’expertise : accroissement de la flexibilité au sein du budget, allongement de la durée de vie du cadre financier – dix ans –, recours accru à des instruments financiers novateurs, introduction de nouvelles ressources propres en remplacement de la ressource TVA et d’une partie de la ressource RNB.

Deux autres étapes jalonnent le parcours qui nous conduit au Conseil européen de décembre : le 10 novembre, la Commission publiera son cinquième rapport sur la politique de cohésion, et, le 17 novembre, elle rendra également publique une communication très attendue sur l’avenir de la PAC.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’ignore ni les dilemmes, ni les espoirs, ni les contradictions mis en lumière par certains d’entre vous ce soir – politique agricole commune contre recherche, ressources propres, impôt européen, limitation du budget. Ces contradictions existent dans notre pays, mais également, je tiens à vous rassurer, chez tous nos partenaires.

Dans ces conditions, il est d’autant plus nécessaire pour le Gouvernement, en liaison avec la représentation nationale, d’essayer de garder un cap clair et ferme. J’ai d’ores et déjà fait passer au commissaire européen en charge du budget, M. Janusz Lewandowski, quatre grands messages, lorsque je l’ai reçu à Paris le 31 août dernier.

Premier message : le budget européen doit rester stable au cours des prochaines années. Non, monsieur Billout, il n’est pas question de l’augmenter, et d’ailleurs avec quelles ressources ? Compte tenu de la hausse sensible et régulière de sa contribution brute et de la dégradation parallèle de son retour net, la France sera extrêmement vigilante sur ce point qui est, je crois, partagé par l’ensemble des États membres.

Deuxième message : il est indispensable de maintenir une PAC forte. C’est le message que j’ai entendu ce soir ici même. Je peux vous assurer de la fermeté du Gouvernement dans ce domaine. Il n’est pas question d’accepter une évolution à la baisse du budget de la PAC, celle-ci représentant encore près de trois quarts des retours de la France au titre du budget européen.

On peut encore adapter et améliorer la PAC, même si, comme vous le savez, celle-ci fait partie des politiques européennes qui ont été le plus réformées depuis leur création. En revanche, il ne faut pas l’affaiblir, surtout au moment où la sécurité alimentaire et la sécurité sanitaire sont des enjeux cruciaux partout dans le monde.

Je veux dire à MM. Gouteyron et Sutour combien nous sommes attachés à cette affaire de la PAC. Par ailleurs, et je m’adresse notamment à MM. Bizet et Badré, nous avons besoin de conserver une part de fonds structurels, parce qu’ils assurent la visibilité de l’Europe auprès de nos concitoyens. À cet égard, je vous renvoie à la lecture des rapports parlementaires portant sur ces sujets.

Troisième message : la stabilité du budget européen est parfaitement compatible avec une action européenne ambitieuse. La mise en œuvre des politiques communes obéit à des procédures parfois lourdes et inefficaces qui ne satisfont pas les publics visés. Il est impératif d’améliorer ces politiques et de les adapter à un monde en profonde transformation : plutôt que de dépenser plus, il faut, comme l’a dit notamment M. Sutour, dépenser mieux. C’est particulièrement clair dans le secteur de la recherche et de l’innovation. C’est également le cas pour la politique de cohésion. Sur ce sujet, vous avez tous à l’esprit le rapport de Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale.

Quatrième et dernier message : s’agissant des ressources, nous devons regarder les choses en face. Le financement du budget européen est devenu illisible, inefficace et injuste. Les rabais – certains sont permanents, d’autres non – prolifèrent : chèque britannique, rabais TVA, « rabais sur le chèque britannique », rabais RNB. Savez-vous que la France est, mesdames, messieurs les sénateurs, la première contributrice à la correction britannique, dont elle acquitte près de 25 % ? Cela représentait, en 2009, une dépense de 1, 4 milliard d’euros sur un total de 5, 6 milliards d’euros.

Comme vous l’avez souligné justement, monsieur Gouteyron, le rabais britannique, qui date de 1984, n’a absolument plus aucune pertinence aujourd’hui. Cette situation n’est plus acceptable. Si le prochain cadre financier doit être l’occasion de se pencher, naturellement, sur le volet « dépenses », personne ne comprendrait qu’il ne soit pas aussi l’occasion d’examiner le volet « ressources ».

La France sera, dans ce cadre, naturellement disponible pour une réflexion d’ensemble sur le financement des dépenses de l’Union. Oui, monsieur Sutour, elle sera prête à discuter de financements nouveaux, des ressources propres. Mais soyons clairs : cette réflexion sur les ressources ne doit conduire ni à une hausse des dépenses ni à la création d’un impôt européen, qui impliquerait de transférer à l’Union européenne une compétence propre sur la fixation de l’assiette et du taux d’une nouvelle ressource. Ce n’est pas le moment de créer un impôt nouveau ou de changer la nature du système de financement de l’Europe. Aucun État membre n’est, du reste, prêt à l’accepter. À cet égard, les déclarations de la chancelière allemande aujourd'hui même font écho à la position de la France sur ces questions.

Sur tous ces sujets, messieurs Gouteyron et Bizet, nous pouvons nous attendre à ce que la négociation soit complexe, difficile, et probablement longue. Souvenons-nous que, lors de la préparation des actuelles perspectives financières 2007-2013, les manœuvres avaient commencé dès 2003, c’est-à-dire quatre ans avant, avec l’envoi à la Commission de la « lettre des Six », dont la France était signataire, réclamant le plafonnement du budget européen à 1 % du PNB européen. Les négociations ne s’étaient achevées qu’en décembre 2005.

Mais, dans ce chantier de longue haleine qui vient de s’ouvrir, vous avez raison de souligner, monsieur Gouteyron, que la France et l’Allemagne sont appelées à jouer, sur ce sujet comme sur tous les autres, un rôle moteur. L’Agenda franco-allemand 2020, adopté en février 2010 par le Président de la République et par la Chancelière, prévoit d’ailleurs que « la France et l’Allemagne préparent ensemble les négociations du prochain cadre financier pluriannuel européen, en veillant notamment à ce qu’il soit cohérent avec les contraintes qui pèsent sur les budgets nationaux et que les charges soient équitablement réparties ».

Pour conclure, tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments que je souhaitais vous présenter, en réponse à vos interventions, sur les résultats du Conseil européen des 28 et 29 octobre et sur le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne pour l’année 2011.

Sur cette base, le Gouvernement a l’honneur de demander à la Haute Assemblée de bien vouloir approuver l’article 46 du projet de loi de finances.

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