Intervention de Sophie Joissains

Réunion du 30 mai 2013 à 22h00
Modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles — Exception d'irrecevabilité

Photo de Sophie JoissainsSophie Joissains :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, vous le savez tous, je suis contre la métropole que l’on veut imposer à la Provence.

Bien que le Gouvernement, en la personne de Mme Marylise Lebranchu, qui nous a reçus de multiples fois et n’a pas compté son temps, se soit montré très obligeant, aucune des démarches que nous avons entreprises n’a abouti, aucune des propositions que nous avons formulées ne s’est transformée en sujet de négociation. Pourtant, 109 communes qui font des propositions, ce n’est pas chose négligeable, du moins quand on respecte, comme, je le pense, Mme Lebranchu, la démocratie locale et les libertés qui s’y attachent.

Le point constitutionnel que je vais évoquer à présent reflète totalement notre analyse de la situation : pour Paris, on discute ; pour Lyon, tout le monde est d’accord ; pour Marseille, on passe en force !

L’article 30 du projet de loi vise à imposer la création, à compter du 1er janvier 2015 – le 1er janvier 2016 dans le texte de la commission –, d’un nouvel établissement public de coopération intercommunale, regroupant « l’ensemble des communes membres de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole, de la communauté d’agglomération du Pays d’Aix-en-Provence, de la communauté d’agglomération Salon Étang de Berre Durance, de la communauté d’agglomération du Pays d’Aubagne et de l’Étoile, du syndicat d’agglomération nouvelle Ouest Provence et de la communauté d’agglomération du Pays de Martigues ».

Cette création doit s’imposer en faisant disparaître les établissements publics de coopération intercommunale existants, sans consultation de ces établissements ni des communes appelées à devenir membres du nouvel établissement public de coopération intercommunale. Elle s’accompagne de nombreux transferts de compétences, au-delà de ceux qu’avaient consentis les communes aux établissements publics de coopération intercommunale existants. Pour ceux qui ne comprendraient pas bien ce mécanisme, je vais l’expliquer en quelques mots.

Les communes avaient délégué aux intercommunalités qu’elles avaient choisies ou qui étaient les leurs un certain nombre de compétences. Cependant, pour ce qui concerne les compétences optionnelles déléguées aux différents EPCI, le schéma n’était pas identique pour toutes les communes. Le Gouvernement, probablement animé d’une bonne intention, à savoir rester au plus près des territoires, a décidé de transférer au nouvel EPCI l’ensemble des compétences déléguées, ce qui oblige évidemment certaines communes, qui avaient conservé leurs compétences, à les déléguer, contrairement à leur choix initial.

L’article 30 du projet de loi est donc contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales consacré par l’article 72 de la Constitution et à la Charte européenne de l’autonomie locale.

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 janvier 2013 et le 8 mars 2013 de deux questions prioritaires de constitutionnalité posées respectivement par les communes de Puyravault et de Couvrot portant sur la conformité à la Constitution, pour l’une, du paragraphe II de l’article 60 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, qui définit la procédure de modification de périmètre des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, pour l’autre, du paragraphe III de l’article 60 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, qui définit la procédure de fusion des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Ces deux paragraphes font partie des dispositifs temporaires d’achèvement et de rationalisation de l’intercommunalité.

Le Conseil constitutionnel a déclaré les paragraphes II et III de l’article 60 de la loi du 16 décembre 2010 conformes à la Constitution, dans ses décisions n° 2013-303 QPC du 26 avril 2013 et n° 2013-315 QPC du 26 avril 2013, mais en faisant état dans ses considérants des garanties apportées aux communes préalablement à la modification de périmètre ou à la fusion des établissements publics à fiscalité propre.

Comme le relève le Conseil constitutionnel, les décisions de modification de périmètre ou de fusion ne peuvent intervenir qu’après, premièrement, consultation des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre intéressés et des communes incluses dans le projet de périmètre, objet de la modification ou de la fusion ; deuxièmement, consultation de la commission départementale de coopération intercommunale, pour permettre la consultation des élus locaux, dont il convient de rappeler qu’elle comprend 40 % de représentants des communes du département, 40 % de représentants des établissements publics de coopération intercommunale, 5 % de représentants des syndicats mixtes et des syndicats de communes, 10 % de représentants du conseil général et 5 % de représentants du conseil régional dans la circonscription départementale ; troisièmement, consultation de tout maire qui en fait la demande par la commission départementale de coopération intercommunale.

Or l’article 30 du projet de loi conduit à une fusion forcée, sans comporter aucune des garanties attachées au principe de libre administration des collectivités territoriales, alors que la création de la métropole d’Aix-Marseille-Provence doit s’accompagner de transferts supplémentaires de compétences par rapport aux établissements publics existants.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a considéré que ces garanties devaient s’appliquer dans le cas d’extension de périmètre ou de fusion concernant une ou quelques communes. Dans le cas qui nous occupe, c’est le cas de 109 communes sur 118. Avec l’article 30 de ce texte, il s’agit de fusionner six établissements publics de coopération intercommunale existants et, selon le périmètre et non plus selon l’échelle des Bouches-du-Rhône, leurs 90 communes, en créant un nouvel établissement public doté de nombreuses compétences antérieurement exercées par les communes.

En outre, l’article 30 du projet de loi est contraire à l’article 9-6 de la Charte européenne de l’autonomie locale, dont l’approbation a été autorisée par la loi n° 2006-823 du 10 juillet 2006, et dont la publication a été assurée par le décret n° 2007-679 du 3 mai 2007. L’article 9-6 de la Charte dispose en effet que « les collectivités locales doivent être consultées, autant qu’il est possible, en temps utile et de façon appropriée, au cours des processus de planification et de décisions pour toutes les questions qui les concernent directement ». Il est incontestable qu’un texte visant à fusionner des établissements publics de coopération intercommunale existants, en regroupant des communes dans un nouvel établissement, lequel doit bénéficier de transferts supplémentaires de compétences par rapport aux établissements fusionnés, « concerne directement » les communes de son périmètre.

Par comparaison, la création de la métropole de Paris – et c’est pour cette raison que le schéma est différent – doit être précédée par l’achèvement de la carte intercommunale de l’unité urbaine de Paris. À cette occasion, conformément à l’article 11 du projet de loi, une procédure d’établissement du schéma régional de coopération intercommunale doit être mise en œuvre avec l’obligation de consulter les communes et la commission régionale de coopération intercommunale.

Ainsi, au surplus, la loi établit une différence de traitement entre Paris et Aix-Marseille-Provence, en privant ce dernier territoire des garanties constitutionnelles relatives à la libre administration des collectivités territoriales. En ne prévoyant aucune procédure de consultation des communes concernées par le nouvel établissement public, le texte méconnaît la Charte européenne de l’autonomie locale.

Le projet de loi étant contraire à la Constitution, je vous demande, mes chers collègues, de le rejeter.

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