Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un honneur, pour le représentant du Conseil économique et social, de présenter devant la Haute Assemblée l'avis du Conseil sur le plan et l'avant-projet de loi de programmation pour la cohésion sociale lors de sa séance plénière du 31 août dernier.
Vous ne l'ignorez pas : le Conseil économique et social a toujours porté une très grande attention à la dimension humaine des difficultés de notre société, qui mettent en jeu l'avenir même de la nation.
Aborder dans un même mouvement les questions intrinsèquement liées de l'emploi, du logement, de l'égalité des chances ne pouvait que recueillir son approbation, car ses travaux, qu'ils soient récents ou plus anciens, ont toujours été guidés par une approche globale.
C'est pourquoi l'avis que je vous présente situe ce plan et ce projet de loi au coeur du chantier ouvert par les mesures annoncées lors du comité interministériel de lutte contre l'exclusion par l'installation de la nouvelle agence nationale de rénovation urbaine, chantier qui se poursuivra, notamment, par la loi « habitat pour tous » et la loi d'orientation de l'école.
Le bon sens voulait qu'il y ait une cohérence entre ces divers projets, cohérence qui conditionne à la fois l'efficacité et la portée des textes qui sont aujourd'hui soumis à l'examen de votre Haute Assemblée.
Avec le plan de cohésion sociale, on dispose d'un texte politiquement fort, qui donne de la cohérence et du sens à l'action publique et à celle des différents acteurs, alors qu'on évolue, dans le cadre de la loi, vers des modalités de mise en oeuvre complexe rendant parfois difficile leur lisibilité.
Ce faisant, le Conseil économique et social a approuvé l'approche de la cohésion sociale par le biais d'une loi de programmation : la cohésion de notre société ne pouvant résulter du seul laisser-faire économique, elle nécessite l'intervention de la puissance publique.
II a cependant regretté que ne soient pas suffisamment explicités les liens entre compétitivité économique et cohésion sociale : pour se développer durablement, les entreprises françaises ont, certes, un besoin impératif de compétitivité, mais elles ont également besoin, pour assurer ce développement durable, de cohésion sociale.
C'est la mise en synergie de ces deux vérités en tension qui fonde la légitimité de l'intervention publique.
Telle est la raison pour laquelle le Conseil a, dans son avis, mis l'accent sur la nécessité de conduire une politique industrielle forte à l'échelle non seulement de notre pays, mais aussi de l'Europe, pour créer une dynamique et des perspectives à moyen et long terme.
Certaines réserves exprimées sur différents aspects du premier pilier relatif à l'emploi trouvent là leur justification, notamment lorsque la solidarité envers les chômeurs est ravalée au rang d'assistance, que le développement des services aux personnes est associé à l'emploi de personnes peu qualifiées, que l'avant-projet préconise le renforcement de l'obligation de recherche active d'emploi, qui reporte sur le travailleur la charge de la preuve.
Un débat nourri a porté sur un point, qui a d'ailleurs reçu une réponse claire de votre part, monsieur le ministre, et que nous retrouvons dans le projet de loi : c'est le « contrat d'activité », désormais appelé « contrat d'avenir ».
Nous voulons croire qu'il s'agit là non pas uniquement d'une question de sémantique, mais bien d'une ambiguïté qu'il s'agissait de lever. Le premier terme, en effet, laissait entendre que l'on s'orientait, pour le secteur non marchand, dans une voie favorisant « l'occupation » à défaut d'emploi, lequel ne constituerait plus une véritable ambition et l'objectif à atteindre.
Sur ce point précis, nous avons apprécié votre réponse, monsieur le ministre, dans le courrier que vous avez adressé au président du Conseil économique et social au début du mois de septembre.
Vous avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, que ce débat ne masque pas pour autant, pour notre assemblée, la réalité vécue par ceux qui sont les plus éloignés de l'emploi. Les membres du Conseil économique et social sont bien conscients que, pour ceux-là, une activité modeste, voire une occupation pour un nombre d'heures limité, peut constituer la première marche qui leur permettra ultérieurement d'accéder progressivement à l'emploi.
Il n'en demeure pas moins, toutefois, que l'ambition pour tous devrait se situer non pas au niveau de « l'occupation », mais bien à celui de l'emploi.
Au regard de l'enjeu de la modernisation du service public de l'emploi, le Conseil économique et social estime que celui-ci doit dépendre non pas d'une logique d'appareil, mais de la mise en synergie des institutions y participant. Ces mesures ne doivent en aucun cas conduire à une mise sous tutelle des organismes paritaires qui interviennent dans ce champ.
Ainsi, les maisons de l'emploi présentent le double intérêt de s'adresser à tous les publics et de regrouper potentiellement l'ensemble des acteurs de la construction des parcours d'insertion et du retour à l'emploi. Il est, à cet égard, essentiel que les partenaires sociaux et les associations soient pleinement associés à leur mise en oeuvre et à leur fonctionnement, étant entendu que les moyens humains et financiers octroyés aux maisons de l'emploi ne doivent pas l'être au détriment de ceux de l'ANPE.
Par ailleurs, il faudra veiller à ce que le système issu de l'ouverture du marché de placement à des opérateurs privés ne soit pas défini à l'aune de seuls critères de rentabilité, et que ces opérateurs, nécessairement agréés par l'administration, fassent l'objet d'un contrôle lié à la mesure de l'efficacité de leur activité de placement.
Face au renforcement de l'obligation de recherche active d'emploi, le Conseil économique et social préfère, à la sanction, l'accompagnement. S'il prend acte des lacunes du système actuel, il estime qu'aucune sanction ne doit pouvoir être prise sans que l'intéressé ait pu faire valoir son point de vue dans le cadre d'une procédure contradictoire prévoyant un accompagnement possible par une personne de son choix.
Quant à la réforme en profondeur de l'apprentissage, elle est une nécessité qui doit être menée en tenant compte de l'avis des partenaires sociaux. Les éléments présentés dans l'avant-projet de loi - modifiés substantiellement dans le projet de loi qui vous est soumis - vont globalement dans le bon sens, mais ils mériteraient de faire l'objet d'une mise à plat d'ensemble, plutôt que d'un traitement morcelé au sein de différents départements ministériels.
S'agissant enfin des emplois aidés, on peut se féliciter de ce que l'on s'oriente vers une simplification. N'aurait-on pas pu aller plus loin, notamment en créant un contrat unique pour toutes les populations en difficulté d'accès à l'emploi ? En effet, la visibilité est l'une des conditions essentielles pour toucher les individus et un encouragement à se mobiliser pour les employeurs potentiels.
Je vais maintenant faire état de la position du groupe des entreprises privées, seul groupe à avoir émis un vote négatif sur l'avis. Sa position s'appuie essentiellement sur le volet « emploi » du projet de loi.
Le groupe des entreprises privées aurait en effet souhaité que l'avis procède à un examen approfondi et critique du fonctionnement et de l'efficacité de notre système de protection sociale. Il aurait également souhaité que l'accent soit mis sur le renforcement et le développement d'un appareil productif capable de générer de nouvelles ressources. Il aurait préféré qu'à une logique de redistribution se substitue une logique de production et que l'accroissement des échanges internationaux soit considéré comme une opportunité et non comme une contrainte.
Telles sont la principale justification du vote négatif de ce groupe, dont la conviction est « que le seul choix possible est d'améliorer la performance globale de la nation et la compétitivité de ses entreprises ».
Tous les autres groupes, à l'exception de deux conseillers, ont approuvé l'avis.
Le logement est l'autre grand pilier de ce projet de loi.
Pour le Conseil économique et social, le fait d'avoir rattaché le logement - enjeu économique et social, mais aussi enjeu de dignité et de maintien de la famille - à un grand ministère de la cohésion sociale permet de réaffirmer la dimension sociale de l'habitat.
Concernant le rattrapage du logement locatif social, le plan témoigne d'une réelle prise de conscience de la situation, en prévoyant la construction de 500 000 logements sociaux sur cinq ans, bien qu'à ce chiffre devraient s'ajouter ceux qui sont prévus dans le plan de rénovation urbaine pour parvenir aux 120 000 logements construits annuellement, évaluation faite par le Conseil économique et social dans un avis de janvier 2004.
S'il approuve le choix d'une loi de programmation qui permet de limiter - si ce n'est d'éviter - les contraintes budgétaires, le Conseil économique et social tient à tempérer l'optimisme affiché dans ce programme qui laisse à penser que l'augmentation budgétaire, si importante soit-elle, garantira, à elle seule, la production d'un nombre de logements sociaux dans les délais envisagés, d'autant que le projet financier est construit sur des hypothèses optimistes.
Quant aux orientations pérennes en matière de politique foncière, leur importance est incontestable à condition qu'elles s'appuient sur des politiques locales volontaristes et qu'elles soient accompagnées par une évaluation des établissements publics fonciers et des mesures incitatives de fiscalité foncière. Le Conseil économique et social souhaite que, dans les lois à venir, le rôle de chacun soit précisé dans le cadre d'un service public de l'habitat qu'il appelle de ses voeux.
S'agissant de l'amélioration du parc locatif social, notre assemblée approuve la démarche partenariale envisagée, mais exprime un certain nombre de réserves.
La première porte sur l'absence de crédits de rénovation : cette charge risque donc d'être transférée sur les fonds propres des organismes d'HLM.
La seconde a trait à la répartition des différents types de prêts destinés à encourager la construction de ces logements.
Le Conseil économique et social souhaite notamment que les prêts locatifs aidés d'intégration, les PLAI, soient d'avantage utilisés, d'une part dans des programmes mixtes afin d'éviter tout marquage social, d'autre part dans les communes visées par l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, pour mieux respecter l'objectif de mixité sociale.
Quant aux prêts locatifs à usage social, les PLUS, il conviendrait de les consacrer aux fins de logement de personnes défavorisées, à condition de les assortir d'une obligation de diversité sociale conforme à l'objectif de mixité et d'accès pour tous au logement de droit commun auquel nous sommes particulièrement attachés.
En revanche, l'augmentation des moyens de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'ANAH, est toute relative dans la mesure où elle ne fait que rattraper le montant de ses dotations enregistrées en 1998, alors que ses missions n'ont fait que se multiplier.
Par ailleurs, notre assemblée accueille favorablement les deux mesures fiscales incitant à une remise sur le marché de logements vacants - l'exonération de la contribution sur les revenus locatifs et l'augmentation de la déduction forfaitaire - à condition qu'elles soient strictement encadrées et évaluées lorsqu'elles auront produit un effet.
Pour la sécurisation des bailleurs privés, le dispositif de créance privilégiée des impayés devrait aussi être complété, non seulement par un système de solvabilisation des ménages, mais aussi par une garantie des risques locatifs.
Sur le renforcement de l'accueil et de l'hébergement d'urgence, le chiffre annoncé de 100 000 places d'ici à cinq ans est-il suffisant ou bien compense-t-il simplement les retards accumulés ces dernières années ? Le Conseil économique et social tient à redire qu'il ne faut pas que, à la faveur des lois de décentralisation, la charge des programmes soit supportée par les collectivités locales au-delà de 2007, car la cohésion sociale relève avant tout de la responsabilité de l'Etat.
L'attribution de logements sociaux aux personnes hébergées en centre d'hébergement et de réinsertion sociale, le CHRS, n'est quant à elle possible qu'à condition de lever les handicaps dus à l'absence de fluidité du parc, c'est-à-dire l'insuffisante construction de logements sociaux, la faible mobilité des locataires ou les difficultés d'accès au parc privé.
Enfin, puisqu'il s'agit de garantir la cohésion sociale par la mise en oeuvre d'une politique du logement équilibrée et ambitieuse, notre assemblée se doit de rappeler la question du droit au logement opposable au regard des modalités de gestion et d'attribution du contingent préfectoral prévues par la loi relative aux libertés et responsabilités locales. Pour le Conseil économique et social, ce contingent devrait rester à la disposition du préfet ou, facultativement, des présidents des établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI.
Enfin, si les dispositions contribuant à lutter contre l'habitat indigne emportent son adhésion, le Conseil économique et social regrette que le projet de loi ne soit pas à la hauteur de l'ambition du plan et conduise d'avantage à un rattrapage des retards qu'à la mise en oeuvre d'une nouvelle politique.
Le volet sur l'égalité des chances représente la partie la plus succincte tant du plan que de l'avant-projet de loi et n'aborde que trois des nombreux sujets que le Conseil économique et social a eu à traiter dans ses avis concernant, directement ou indirectement, la lutte contre l'exclusion et la pauvreté.
C'est pourquoi notre assemblée suggère, dans son avis, que le plan de cohésion sociale intègre toutes les décisions du comité interministériel de lutte contre l'exclusion, le CILE, - vous avez d'ailleurs répondu à ce sujet, monsieur le ministre - et que, dans le projet de loi, soient incluses toutes celles qui impliquent une amélioration de la loi.
C'est bien parce que nous partageons les constats du Gouvernement et ses conclusions lorsqu'il indique que l'égalité des chances doit cesser d'être un concept abstrait que nous considérons que, en l'état, le plan et l'avant-projet de loi ne répondent pas complètement à l'exigence et à l'ampleur des enjeux évoqués et qu'il convient de les compléter.
Concernant les enfants et les adolescents, le Conseil économique et social approuve globalement les orientations du plan et les mesures envisagées, à condition que le concept de réussite éducative soit interprété comme un refus de la fatalité de l'échec et non comme une adhésion sans réserve à une sorte d'idéologie des normes de compétitivité.
S'il a globalement approuvé la création d'internats de réussite éducative à condition qu'il n'y ait pas de confusion entre les missions de l'Education nationale et celles de la protection judiciaire de la jeunesse, s'il a globalement approuvé la volonté de mettre précocement en relation tous les jeunes avec le monde professionnel, et pas seulement les jeunes en difficulté, s'il a approuvé la rénovation de l'éducation prioritaire à condition qu'elle soit intégrée à la future loi d'orientation sur l'école, s'il a approuvé les mesures favorisant l'égalité des chances entre les territoires et la conclusion de chartes territoriales de cohésion sociale afin de décliner le pilotage des différents axes du plan, le Conseil économique et social demande au Gouvernement que soit mise en place une évaluation régulière de ces orientations et de ces dispositions.
Le Conseil économique et social a également approuvé le principe qui consiste à lier la signature et le respect du contrat d'accueil et d'intégration, le CAI, à l'obtention de la carte de résident, mais il a tenu à exprimer de nombreuses et fortes interrogations. En effet, l'idée de « contrat » a une signification particulière, qui engage les parties signataires dans une interaction entre les droits et devoirs de chacune d'elle. Or, au vu des résultats de l'expérimentation du CAI conduite en 2003, des ajustements sont manifestement encore nécessaires pour que l'on puisse considérer que l'Etat a, de son côté, rempli l'ensemble de ses obligations.
De plus, la sanction de l'attribution ou non de la carte de résident ne pourra être prise sans que soit vérifiée l'objectivité de l'évaluation de la personne et la mise en place de moyens de contrôle de l'équité de la décision.
Enfin, le Conseil économique et social a tenu à faire part de son interrogation sur les moyens qui seront consacrés à l'ensemble des dispositifs - l'agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, l'ANAM, le CAI, le programme régional pour l'insertion des populations immigrées le PRIPI -car il considère que le fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, le FASILD, garde une responsabilité en matière d'accompagnement de l'intégration et de soutien aux associations oeuvrant dans ce domaine.
La cohésion sociale est un enjeu majeur de société qui nous interpelle à la fois collectivement et individuellement. Ce projet de loi est né d'une indignation que nous partageons ; il va faire naître un espoir chez des millions de nos compatriotes. Cet espoir ne doit pas être déçu.