La séance est ouverte à quinze heures.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
Monsieur le président, vous concluiez votre discours du 12 octobre dernier, tenu ici même au lendemain du renouvellement sénatorial et de votre réélection, par ces mots forts : « Il nous faut travailler autrement sans être submergés par le flot législatif. ».
Vous précisiez auparavant : « Loin d'avoir lissé l'activité législative, la session unique a exacerbé le zèle législatif des ministères, multiplié le recours aux sessions extraordinaires. »
Vous appuyiez votre propos par cette formule très forte: « Qui peut le contester ? Personne ! »
Monsieur le président, qui peut contester que, dès le lendemain de votre discours, il fut ravalé au rang des voeux pieux par le Gouvernement ?
En effet, la méthode choisie par MM. Raffarin, Borloo et Larcher, pour lui faire adopter des dispositions iniques
Protestations sur les travées de l'UMP.
... contestables et méritant de toute façon réflexion et étude sur le droit du licenciement, prend totalement à contre-pied vos propos datant seulement de quinze jours.
La confusion résultant du forcing opéré hier matin par le MEDEF pour imposer ses amendements à notre assemblée confirme cette impression de mise en scène, où Gouvernement et majorité parlementaire se répartissent les rôles, alors que les salariés demeurent des spectateurs.
Monsieur le président, j'estime, avec mon groupe, que le Sénat et vous-même devez mettre en oeuvre tous les moyens constitutionnels dont vous disposez pour scinder la discussion entre le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale - que nous contestons, mais dont nous avons pu nous saisir dans des délais raisonnables - et le projet Larcher d'assouplissement du droit de licenciement.
Devant le refus persistant du Gouvernement et de la majorité de droite du Sénat, nous avons proposé le report de la discussion sur l'ensemble du texte. Nous n'avons pas été entendus.
Monsieur le président, qui peut contester que nous pouvions prendre une semaine, voire quinze jours de plus pour bien préparer ce débat ? Personne !
Ne me dites pas que les entreprises attendent ou que l'urgence du chômage nécessite la précipitation. Ce texte ne combat pas les licenciements : il les accompagne ; il les facilite.
Dès lors, nous pensons que le Gouvernement - excusez-moi du terme - manipule l'institution parlementaire.
Protestations sur les travées de l'UMP.
Il l'utilise comme chambre d'enregistrement ; il ne la respecte pas comme lieu de débat.
Je regrette, monsieur le président, que, malgré tous les beaux discours, la majorité du Sénat, vous-même, vous adoptiez une attitude conciliante, pour ne pas dire complice, à l'égard d'un pouvoir exécutif qui joue avec la démocratie au risque de la tuer dans l'oeuf !
Vives Protestations sur les mêmes travées.
M. Guy Fischer. Mes chers collègues, depuis le début de cette session parlementaire, nous travaillons jour et nuit. Le président de la commission nous prive de repas pour étudier les amendements.
Nouvelles protestations sur les travées de l'UMP.
J'ai déjà attiré votre attention sur ce point hier, monsieur le président, lors de la conférence des présidents, mais mon groupe et moi-même, nous tenions à le rappeler aujourd'hui en séance publique.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Monsieur Fischer, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
La parole est à M. François Autain, pour un rappel au règlement.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux à mon tour dénoncer les conditions dans lesquelles s'organisent nos débats ; elles témoignent, c'est le moins que l'on puisse dire, du peu de considération dont fait preuve le Gouvernement à l'égard de la représentation nationale : des changements d'ordre du jour inopinés nous empêchent de préparer les débats en commission ; des auditions tronquées, faute de temps, interdisent aux personnalités interrogées de répondre autrement que par écrit aux questions posées ; des textes se chevauchent, nous obligeant à être au four et au moulin.
Depuis l'ouverture de la session, la commission des affaires sociales a été particulièrement sollicitée : elle a dû examiner le projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, le texte pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale. Il nous aurait fallu être présents à la fois en commission, lors des auditions, et en séance publique. J'avoue que je n'en ai pas été capable et je ne sais pas qui pourrait l'être ! Il n'est pas possible, dans ces conditions, d'exercer convenablement notre rôle de législateur.
Par conséquent, force est de constater que le Gouvernement ne permet pas au Parlement de débattre sereinement des textes qui lui sont proposés, notamment de celui qui vient en discussion cet après-midi.
Sous la présente législature, le Gouvernement agit avec la plus grande légèreté à l'égard du Parlement. Les exemples abondent, que ce soit l'utilisation de l'article 49-3 de la Constitution sur le texte relatif à la décentralisation, ou le recours à la procédure des ordonnances sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.
Ainsi, le volet « emploi » du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale n'échappe pas à la nouvelle méthode de travail imposée par le Gouvernement. Les sénateurs, et tout particulièrement les membres de la commission des affaires sociales, n'ont pu prendre connaissance que tardivement des huit articles additionnels intégrés à ce texte.
L'audition, mardi 26 octobre, du ministre délégué aux relations du travail par la commission des affaires sociales n'a naturellement pas permis de lever les légitimes inquiétudes exprimées par le monde du travail.
Au même titre que le logement ou la santé, le droit au travail est un élément majeur du contrat social qui lie les Français. C'est un droit fondamental reconnu par la Constitution. Or, aujourd'hui, ce droit est remis en cause sous l'effet conjugué de la mondialisation et des délocalisations.
Le texte qui nous est proposé permettra-t-il de répondre à ces défis ? Il est permis d'en douter tant ce gouvernement semble naviguer à vue et ne pas savoir très bien où il va.
Quel crédit accorder à ce texte, alors même que le ministre des finances est destinataire de propositions formulées par l'ancien président du Fonds monétaire international, qui visent une totale remise en cause de notre droit au travail, en supprimant notamment le contrat à durée déterminée ?
Ce sont là autant de questions que la discussion qui s'engage permettra d'éclaircir, mais qui jettent un doute sur les véritables intentions du Gouvernement.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur Autain, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
La parole est à Mme Eliane Assassi, pour un rappel au règlement.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, par le présent rappel au règlement, je tiens à exprimer mon profond mécontentement s'agissant de l'organisation des travaux du Sénat.
Il est en effet fort déplorable que la commission des lois n'ait procédé à aucune audition en ce qui concerne notamment le contrat d'accueil et d'intégration figurant à l'article 61 du projet de loi dit de « cohésion sociale ».
Ce texte - il convient de le rappeler - a été déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat.
Il aurait donc été à tout le moins utile pour les parlementaires que nous sommes d'avoir un échange avec les associations et organisations compétentes en la matière et qui sont en relation directe avec les personnes visées par le contrat d'accueil et d'intégration.
Je pense, notamment, au groupe d'information et de soutien des immigrés, le GISTI, à la Cimade, au MRAP, à la Ligue des droits de l'homme, aux associations de travailleurs étrangers en France, et à d'autres encore.
Je pense aussi aux personnels du fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, le FASILD, qui s'inquiètent de leur devenir et de celui du service public de l'intégration et de la lutte contre les discriminations.
Pour ma part, j'ai organisé, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, une rencontre avec plusieurs associations pour avoir un échange approfondi sur le présent texte et recueillir leurs avis.
Mais je reste persuadée que des auditions officielles par les membres de la commission des lois aurait été indispensables et matériellement réalisables, quitte à repousser l'examen de ce texte en séance publique, le cas échéant.
La commission des lois organise bien des auditions en ce moment même - ce matin même et demain après-midi - sur le projet de loi portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Pourquoi ne l'a-t- elle pas fait sur le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, même si nous estimons que les personnes auditionnées le sont généralement sur des critères peu objectifs, voire orientés.
Cela aurait été d'autant plus judicieux que le contrat d'accueil et d'intégration fait déjà l'objet, depuis juillet 2003, d'une expérimentation dans douze départements pilotes et qu'un bilan a été réalisé après six mois de mise en oeuvre.
Certes, ce bilan - émanant de votre ministère, monsieur le ministre, et peu diffusé au demeurant - fait état de critiques qui rejoignent les constats et les réserves des associations qui s'occupent au quotidien des publics étrangers. C'est sûrement la raison pour laquelle vous avez fait le choix de ne pas les écouter.
Nous aurons, pour notre part, l'occasion de revenir sur ces critiques lors de l'examen des articles.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Madame Assassi, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
La parole est à Mme Hélène Luc, pour un rappel au règlement.
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon rappel au règlement concerne l'objet même de notre débat.
Devant la réaction très vive des syndicats et des salariés, le Premier ministre a retiré le projet de loi qui permettait aux patrons de procéder beaucoup plus rapidement aux licenciements.
Monsieur le ministre, ce matin, sur RTL, Jean-Michel Apathie vous a posé une question très nette : « M. Raffarin a renoncé à déposer ce projet de loi ; pour vous, est-ce que c'est non aussi ? » Vous avez répondu : « Pour moi, c'est non ! »
Mais lorsqu'il vous a dit : « Alors, les sénateurs feront des amendements », j'ai malheureusement remarqué que vous êtes resté muet ! Vous auriez dû répondre, et c'est ce que j'attendais : « Je les refuserai ! ». Mais vous ne l'avez pas fait, monsieur le ministre.
Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.
En réalité, vous présentez-vous à cette discussion en vous apitoyant sur la situation des familles les plus en difficulté ? Vous avez dit : il y a 1, 2 million de RMIstes et ce n'est pas digne de notre démocratie. C'est vrai, c'est terrible ! D'ailleurs, je suis arrivée avec quelques minutes de retard parce que je suis allée les rencontrer : ils sont devant les portes du Sénat !
Il ne faut donc pas accepter d'accroître la précarité en cédant au MEDEF, qui propose d'assouplir les procédures de licenciement économique.
Je pose la même question à nos collègues de la majorité sénatoriale. Le Premier ministre, qui appartient à votre majorité, a retiré le projet de loi relatif au licenciement économique, et vous vous apprêtez, par vos amendements, mes chers collègues, à remplacer ce texte qui aggrave encore la situation actuelle. Vous le faites à la sauvette, avec un passage en force, en sachant que tous les syndicats et les salariés sont contre.
Nous ne pouvons accepter la duplicité, monsieur le ministre. Dans cet hémicycle, vous représentez le Gouvernement. Vous ne pouvez pas accepter ces amendements ou laisser faire, en faisant appel à la sagesse du Sénat, ce qui reviendrait au même !
Quant à nous, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, nous sommes élus pour défendre les intérêts des salariés, la justice sociale, le plein-emploi.
En ce moment même, avec mon ami Jean-François Voguet, ainsi qu'avec d'autres élus, y compris de droite, notamment le maire de Villeneuve-le-Roi, je participe de toutes mes forces à la lutte des salariés de la FACOM. La direction veut en effet délocaliser à Taiwan cette entreprise d'outillage français, dont la renommée n'est pas à faire puisqu'elle est connue de tous les garagistes et des spécialistes.
Alors que le tribunal de grande instance de l'Essonne a débouté la direction pour ouvrir le livre III, c'est-à-dire la discussion`sur le licenciement de 247 salariés, le tribunal de grande instance de Paris vient de l'autoriser en appel.
Alors même qu'une table ronde vient d'avoir lieu avec le préfet du Val-de-Marne, le représentant de M. Sarkozy, la direction de la FACOM, les salariés, le conseil régional et le conseil général du Val-de-Marne et moi-même, alors même que les salariés et les élus font des propositions, y compris financières, comme le droit d'alerte les y autorise, vous allez précipiter la discussion sur le plan social.
Ainsi, 247 familles sont frappées par le chômage, avec tout ce que cela représente de souffrances. Nous ne laisserons pas faire !
J'ajoute que 88 % des Français ont comme première préoccupation les délocalisations et un Français sur trois se sent menacé, et pour longtemps.
Monsieur le ministre, si vous acceptez les amendements, vous allez accélérer ce processus.
Je vous demande donc solennellement, avant que le débat commence, de dire à la représentation nationale si vous êtes d'accord avec le Premier ministre pour renoncer à ces amendements.
Mme Hélène Luc. Il faut commencer la discussion dans la clarté. Aussi, j'attends votre réponse, monsieur le ministre.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Je vous donne acte de votre rappel au règlement, madame Luc.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour un rappel au règlement.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je m'associe pleinement aux remarques que viennent de formuler mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen. Nos conditions de travail sont, en effet, désastreuses ! Je ronge mon frein : j'attendrai l'examen de la motion tendant au renvoi à la commission, que j'aurai l'honneur de vous présenter tout à l'heure, mes chers collègues, pour exposer tous mes arguments, mais je vous démontrerai, je l'espère, que ce renvoi à la commission est tout à fait indispensable.
Nous ne pouvons légiférer en urgence, dans de telles conditions, monsieur le ministre ! Nous n'avons pas eu le loisir d'écouter les différents protagonistes ; nous n'avons pas pu entendre les objections ou les propositions des uns ou des autres. C'est tout à fait inacceptable !
La commission des affaires sociales, qui a terminé ses travaux au début du mois d'août et qui les reprend dans les mêmes conditions, travaille énormément Certes, c'est également vrai pour les rapporteurs et pour les administrateurs, mais nous ne pouvons pas être à la fois au four et au moulin si nous voulons légiférer valablement !
Monsieur le ministre, je suis très déçu de la façon dont les choses se passent. Nous vous avons auditionné l'été dernier. Nos échanges ont été, souvenez-vous en, fort courtois
M. le ministre fait un signe d'approbation.
... nous étions dans un vrai schéma de discussion.
Le 12 octobre dernier, lorsque vous êtes venu devant la commission, monsieur le ministre, vous m'avez dit que, pour ce qui concerne le programme 8, nous nous reverrions plus tard. Je crois à la parole donnée !
Vous l'avez dit, monsieur le ministre ! Nous aussi, nous l'avons entendu !
Dès lors, pourquoi ces dispositions viennent-elles si rapidement en discussion ? Pourquoi n'avons-nous pas eu de suite au rappel au règlement que nous avons fait le 19 octobre dernier ?
Tout à coup, malgré les dénégations, patatras ! cela nous tombe dessus ! Ce n'est pas une façon de légiférer ! Ce n'est pas une manière de se comporter avec le Parlement ! J'y reviendrai tout à l'heure, lors de la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission. J'espère que nous serons aussi nombreux à ce moment-là.
Voilà quinze jours, monsieur le ministre, lors de l'examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit et à procéder par ordonnances, votre collègue M. Eric Woerth a cru devoir m'opposer la culture de confiance à la culture de méfiance.
Pour ma part, je ne pratique jamais la culture de méfiance a priori. Mais comment ne pas adopter une attitude de méfiance face aux conditions dans lesquelles nous travaillons ? Le Parlement doit pouvoir légiférer valablement !
Le fleuve qui coule vers la mer a deux rives ; elles sont obligatoirement différentes, elles peuvent être antagonistes, mais elles sont indispensables pour arriver à la mer. Ne pas respecter l'opposition, comme c'est aujourd'hui le cas, parce que nous n'avons pas le temps de travailler correctement nos dossiers, est tout à fait indigne de notre assemblée !
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Je vous donne acte de votre rappel au règlement, monsieur Godefroy.
Je note qu'aucune des dispositions de notre règlement n'a vraiment été mise en cause par les intervenants.
Il est vrai que la commission des affaires sociales n'a pas chômé. M. About, qui a demandé à intervenir, pourra nous le confirmer dans un instant.
Mais nous sommes en présence d'un projet de loi qui est inscrit à l'ordre du jour prioritaire. Nous en avons débattu lors de la conférence des présidents : chacun a pu s'exprimer et la conférence des présidents s'est prononcée. Il n'y a donc pas de raison pour que le débat n'ait pas lieu dans un climat de courtoisie, comme cela vient d'être recommandé, recommandation à laquelle je souscris.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, à la suite de tous ces rappels au règlement, qui ont surtout, comme vous l'avez fait remarquer, mis en cause le fonctionnement de la commission des affaires sociales et non pas le règlement du Sénat
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Nous avons la chance d'avoir un gouvernement qui n'a pas utilisé les techniques anciennes de vos prédécesseurs, monsieur le ministre.
Car face à l'échec d'une négociation avec les partenaires sociaux, le ministre a complété le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale par une lettre rectificative. Cela présente de nombreux avantages.
D'abord, le Conseil d'Etat en est saisi. Ensuite, le conseil des ministres en discute. Enfin, la commission rend son avis dans un rapport et nous pouvons donc valablement en discuter.
Cela n'a pas été le cas lorsque la gauche était au pouvoir !
Protestations sur les travées du groupe CRC.
En effet, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui n'est rien d'autre qu'un texte qui fait suite au projet de loi de modernisation sociale. Or ce dernier a été déposé sur le bureau du Sénat avec 106 articles ; en deuxième lecture, il comportait 158 articles et presque tous les articles additionnels ont été introduits par le Gouvernement, à la sauvette, pour essayer de nous prendre de vitesse et nous empêcher de travailler valablement sur le texte qui nous était transmis.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.
Nous avons effectivement eu beaucoup de travail, mais nous avons oeuvré dans le respect du Parlement !
Tout à l'heure, madame Luc, vous avez eu tort - et heureusement ! - de tenir de tels propos : le ministre n'a pas encore le droit de censurer le Parlement avant même qu'il ne soit saisi.
Vous avez regretté le fait que le ministre n'ait pas indiqué ce matin qu'il s'opposerait à tous les amendements. Mais pensez-vous que cela aurait été une attitude très républicaine ?
Rires sur les travées de l'UMP.
C'est au Sénat que s'engage la discussion avec le ministre. Il n'aurait donc pas été normal que le ministre annonce ce matin le sort qu'il allait réserver à nos amendements.
Enfin, je précise que la commission a rempli sa mission dans des conditions nettement meilleures que celles qui étaient les siennes voilà encore quelques années. De plus, nous avons réussi à organiser des auditions avec tous les partenaires sociaux, ...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. ... auditions auxquelles l'ensemble des sénateurs était invité, et je dois reconnaître que seul M. Muzeau y a répondu.
Applaudissementssur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour un rappel au règlement. Je vous donne la parole par complaisance, monsieur Godefroy.
Je vous en remercie, monsieur le président.
Je dirai très courtoisement à M. About que je ne peux pas laisser passer les propos qu'il vient de tenir.
S'agissant des auditions de la commission sur le présent texte, certes, M. Muzeau était présent, mais j'ai assisté aux auditions auxquelles M. Souvet a procédé. Et ma collègue Michèle San Vicente a également assisté aux auditions que Mme Létard a organisées.
Je ne pouvais donc pas ne pas réagir, monsieur le président !
Je donne acte à nos collègues que les autres rapporteurs ont effectivement organisé des auditions qui étaient également ouvertes à l'ensemble des sénateurs et qu'ils y ont assisté.
En outre, afin de donner à tous le maximum de temps pour travailler sur ce texte, j'ai demandé le report du délai limite pour le dépôt des amendements portant sur les articles 37-1 à 37-8 et, dans le même esprit, je demanderai, dès le début de la discussion des articles, la réserve desdits articles jusqu'à la fin de l'examen du texte.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi complété par une lettre rectificative de programmation pour la cohésion sociale (n°445 rectifié, (2003-2004), n°s 32, 39, 33, 34 et 37).
Avant d'ouvrir la discussion, je dois vous rappeler que le Conseil économique et social a demandé que, conformément aux dispositions de l'article 69 de la Constitution, M. Jean Bastide, rapporteur général pour ce texte, puisse exposer l'avis du Conseil économique et social devant le Sénat.
Conformément à l'article 69 de la Constitution et à l'article 42 de notre règlement, huissiers, veuillez faire entrer M. Jean Bastide.
M. le rapporteur général du Conseil économique et social est introduit selon le cérémonial d'usage.
Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 4 du règlement, le représentant du Conseil économique et social expose devant le Sénat l'avis du Conseil avant la présentation du rapport de la commission saisie au fond.
Par ailleurs, le représentant du Conseil économique et social a accès dans l'hémicycle pendant toute la durée de la discussion en séance publique. A la demande du président de la commission saisie au fond, la parole lui est accordée pour donner le point de vue du Conseil sur tel ou tel amendement ou sur tel ou tel point particulier de la discussion.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de présenter, au nom du Gouvernement, ce projet de loi de programmation devant la Haute Assemblée, qui en a été saisie en premier, conformément au choix qui avait été clairement exprimé par l'ensemble des six ministres composant le pôle de cohésion sociale au sein du Gouvernement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte, qui est la transcription législative d'un plan de cohésion sociale présenté le 30 juin dernier, a pour objet de mettre en place les moyens humains, financiers et opérationnels pour répondre à trois crises majeures, qui entament notre pacte républicain et notre avenir.
Bien plus qu'un débat gouvernemental à court terme, il s'agit de réparer des blessures sociales d'une extrême gravité - et je dis bien les « réparer », mesdames, messieurs les sénateurs - et, en même temps, de préparer l'avenir.
Ces trois crises majeures que nous connaissons et auxquelles, au fond, nous nous étions habitués, au fil de la parution des statistiques mensuelles, cette triple crise d'identité, c'est celle de l'emploi, du logement et de l'égalité des chances.
Je ne détaillerai pas devant vous les composantes de cette triple crise, mais je voudrais en dire deux mots. Cette crise est grave en elle-même, nos chiffres du chômage en témoignent, et je ne parle pas des chiffres du niveau 1 : la France a le taux de chômage des jeunes le plus élevé d'Europe. Notre revenu minimum d'insertion fut, quand il a été lancé, une avancée sociale indiscutable, mais, quinze ans plus tard, quand on a vu tripler le nombre des allocataires, il est malheureusement devenu la démonstration que nous étions en présence d'une situation dramatiquement durable, et cela ne peut laisser insensible personne dans cet hémicycle.
C'est également la démonstration de notre échec structurel, car le taux de chômage des jeunes ou le taux d'inactivité est stable à 26 % depuis dix ans ! A côté de cela, il faut compter avec un choc démographique que nous n'avons pas prévu et un besoin d'activité et de force humaine dans ce pays de 1 700 000 personnes supplémentaires pour la période allant de 2007 à 2010.
Dans ces conditions, notre première obligation est de nous donner tous les moyens pour permettre aux forces vives de la nation de s'insérer dans le tissu économique. C'est un enjeu social, mais c'est évidemment aussi un enjeu économique.
La deuxième crise majeure, vous le savez bien, les uns et les autres, c'est le logement. Le premier dessin que fait un enfant à l'école, c'est une maison, avec une cheminée. Or, qu'il s'agisse de l'accession, du logement des couches intermédiaires, du logement social ou du logement d'urgence, ce logement est complètement en crise aujourd'hui ; il se trouve dans le même état qu'en 1954. Ce programme prévoit environ le doublement des capacités en acquisition, notamment en acquisition populaire, en logement conventionné et en logement d'urgence.
Enfin, troisième crise : l'égalité des chances. Notre pays, qui a peut-être trop bien réussi dans sa recherche de l'égalité au XIXesiècle et au début du XXe siècle, n'a pas vu, aveuglé qu'il était par l'arrogance de sa réussite républicaine, que son modèle social qui était fait, en gros, pour des gens plutôt en forme, pour une population plutôt homogène sur le plan ethnique et plutôt répartie entre France rurale et France urbaine, n'était plus en phase avec la réalité d'aujourd'hui, celle d'une France multiculturelle, une France multiethnique, multireligieuse aussi, avec des zones qui ne ressemblent en aucune manière aux autres parties du territoire. Alors, l'égalité des chances...Pouvez-vous comparer la situation de Grigny, de Montfermeil, de Clichy-sous-Bois avec celle des grandes villes que compte notre pays, même si ces dernières ont parfois sur leur territoire des quartiers en difficulté ?
Egalité des chances devant les services publics, égalité des chances à l'école, égalité des chances devant l'emploi privé ou public. La ségrégation, notamment la ségrégation à l'emploi, est un scandale absolument inacceptable ?
Ce projet de loi a un défaut, un énorme défaut : il fait confiance au terrain ! On peut qualifier ce texte de « flou », car nous n'imposons pas ce que doit être la maison de l'emploi, pas plus que nous n'imposons ce que doit être l'équipe de réussite éducative dans nos zones en difficulté. Non, nous disons : « Voilà les moyens ; nous vous les donnons ; mettez en place, en fonction des réalités locales, la maison de l'emploi qu'il vous faut, les contrats aidés qu'il vous faut, les équipes de réussite éducative qu'il vous faut ».
Oui, ce plan est massif dans ses moyens, mais très humble dans les orientations pratiques données par l'Etat aux acteurs du terrain. C'est, de ce point de vue, un programme de confiance.
Ce plan a été conçu assez rapidement, mais il faisait suite à quelque trois cents réunions organisées avec les différents partenaires, à Paris et sur le terrain, dans les maisons de l'emploi, car il en existe déjà, tant il est vrai qu'une bonne idée n'est jamais née toute seule, isolée, d'un seul coup, à un endroit du territoire, mais correspond forcément à un cheminement progressif général.
Ce coup de rein massif a été présenté de manière volontaire à tous les organismes représentatifs de ce pays, chacun ayant d'ailleurs son regard propre, qu'il s'agisse du monde de l'éducation, du Conseil national de l'habitat, du Conseil national des villes ou bien encore du Conseil économique et social, des caisses de sécurité sociale, des associations, bref tout ce qui fait les forces vives de ce pays.
Et le pire, c'est que nous avons tenu compte des différents avis
Sourires
Il ne s'agit pas ici d'une grande loi-cadre qui poserait des principes opérationnels ; ce sont des moyens mis à la disposition des acteurs locaux.
Mais je reprends les trois grands volets de ce plan, non sans avoir au préalable rendu hommage aux associations, celles qui ont inventé de nouveaux métiers et de nouveaux modes opératoires, et qui continuent en ce sens, celles qu'il faudra continuer à aider en étant imaginatifs, par exemple s'agissant des récupérations d'ordinateurs, celles qui ont inventé une forme d'intérim social dont on peut discuter sur le plan technique ou politique, mais qui correspond à autant de nouveaux métiers inventés.
Nous avons tenté, avec Mme Nelly Olin, ministredéléguée à la lutte contre la précarité et l'exclusion, ainsi que Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat à l'intégration et à l'égalité des chances, de répondre le mieux possible aux attentes de ce monde associatif dont l'action est tout à fait décisive.
Les trois grands volets de ce texte sont simples : le premier concerne l'emploi et peut se résumer à trois grands dispositifs.
Je vais continuer mon propos, monsieur le président, mais je pensais que les solutions à trouver pour réduire ce terrible fléau qu'est le chômage méritaient que l'on puisse s'écouter les uns et les autres. Pour moi, quand l'un parle, l'autre écoute !
Je reviens donc à l'emploi pour traiter des trois axes principaux de ce premier volet.
Tout d'abord, que constatons-nous ? Des systèmes autonomes qui ne se parlent pas ; peu de moyens humains mis dans la relation entre le demandeur d'emploi et l'entreprise. Nous étions jusqu'à présent le pays d'Europe occidentale qui consacrait le moins de moyens pour définir les besoins, coordonner la formation, apporter une aide psychologique et technique.
Créer cette relation entre l'entreprise et le demandeur d'emploi, créer la curiosité des différents métiers, bref, créer un lieu de coordination de l'effort de tous, sur le modèle de ce qui existe déjà sur quelques parties du territoire national, et à chaque fois avec succès : ce seront les maisons de l'emploi. Ces dernières prendront les formes qu'il appartiendra aux acteurs locaux de définir, mais sachez d'ores et déjà que, plus elles seront intégrées, plus elles seront soutenues par l'Etat : c'est un contrat de confiance.
Deuxième axe, toujours sur l'emploi : la jeunesse et sa situation au regard de l'emploi, qui constitue un véritable scandale dans notre pays. C'est tout l'objet du programme piloté par M. Laurent Hénart, secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle des jeunes, à la fois sur l'alternance et l'apprentissage. Il s'agit de moyens exceptionnels de formation et d'accompagnement pour les jeunes : des tuteurs, des référents, plus d'interstices, des universités des métiers, la reconnaissance de l'apprentissage comme partie intégrante du monde de l'éducation, des cartes de logement, en somme tout ce que nous savons devoir faire à la lecture des multiples livres blancs qui ont été produits dans l'histoire tant par le Sénat que par l'Assemblée nationale et par le Conseil économique et social.
C'est un énorme plan pour la jeunesse. D'ailleurs, j'ai eu le plaisir, mon cher Laurent Hénart, d'entendre ce matin à la radio les premières publicités pour les contrats de professionnalisation, et j'en ai été tout à fait ravi.
Ce programme permettra enfin de mettre en place une filière d'excellence massive à destination de nos jeunes avec un dispositif fiscal complémentaire, les 1 600 euros d'exonération annuelle pour ceux qui recrutent des apprentis. Mais nous aurons l'occasion d'en débattre plus avant.
Troisième axe, les contrats d'avenir. Notre volonté est de nous rapprocher du principe établi par la Constitution de 1946 : chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi.
Nous avons essayé de tirer les leçons du passé : le RMI ne donnait pas un revenu suffisant, ne permettait pas de travailler en équipe et n'était pas l'occasion d'une formation. Nous proposerons donc à tous les RMIstes et à tous les bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, dans un premier temps, un contrat d'avenir où seront articulés formation et travail d'intérêt général. En tirant ainsi les leçons du passé, nous entendons corriger ce qui ne fonctionnait pas.
Ce programme est lourd, il engage, mais c'est une main tendue à nos compatriotes. Je pense que, sur ce terrain-là, nous pourrons tous nous retrouver.
Le deuxième grand volet de ce texte est consacré au logement, qui est à tous égards un drame dans ce pays et en même temps un frein à la mobilité et à l'emploi.
Notre plan est assez simple : nous donnons les moyens de rattraper les retards pris dans le logement conventionné, d'abord, à titre provisoire, en triplant le nombre de logements financés par rapport à 2000, puis en le doublant.
Je suis navré de devoir le dire, mais, en ce domaine, nous avons connu une période noire dans notre histoire républicaine : pendant une demi-décennie, la production de logements conventionnés en France a été réduite de près de moitié.
Il faut bien rattraper ce retard, de la même manière qu'il faut rattraper le retard accumulé en matière de logement d'urgence, en matière d'acquisition populaire et familiale, sans parler des conditions du logement durable, qu'il faut améliorer en travaillant sur la qualité des matériaux et sur l'isolation, notamment. Mais nous entrerons dans le détail tout à l'heure.
Il faut également lutter contre l'augmentation du nombre de logements vacants dans notre pays. Nous prévoyons, en collaboration avec l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'ANAH, des dispositions radicales visant à mettre fin à cette crise du logement.
Je peux d'ailleurs informer le Sénat que, d'ores et déjà, le premier volet relatif à la production de logements conventionnés avec le soutien de l'Union d'économie sociale pour le logement, l'UESL, et grâce au 1 %, a été signé avec les partenaires sociaux, ce matin, à onze heures quarante-cinq, dans mon bureau, au ministère, en présence de M. Marc-Philippe Daubresse. Cela va se traduire par le déblocage de 210 millions d'euros supplémentaires par an pendant cinq ans pour augmenter la production de logements.
Le programme est donc lancé, et il se met même en place un peu plus vite que prévu.
En ce qui concerne l'égalité des chances, Mme Nelly Olin aura l'occasion d'expliquer quelles sont les mesures devant être prises d'urgence.
Nous pourrions discuter des heures et des heures au sujet de ces villes quasiment orphelines, de ces villes abandonnées - il n'y a pas d'autre terme - qui sont d'ailleurs de toutes couleurs politiques.
Nous faisons un effort majeur avec le doublement de la dotation de solidarité urbaine, la DSU, et un fléchage précis pour que ces villes qui supportent de lourdes charges socio-urbaines, ces villes où vivent beaucoup de familles très nombreuses, parfois en perte de repères, reçoivent plus de moyens que les autres, plus vite, pendant cinq ans.
Ainsi, Montfermeil ou Grigny, par exemple, toucheront 10 millions ou 15 millions d'euros supplémentaires par an en moyens de fonctionnement.
Cette main tendue républicaine est, pour elles, indispensable : ce n'est pas seulement d'argent qu'elles ont besoin ; c'est aussi, et surtout, d'attention, de soutien, de services publics de proximité, d'équipements.
Tel était l'objectif premier auquel devait répondre la politique de la ville, le Conseil national des villes, le CNV, et, plus généralement, tous ceux qui se passionnent pour cette cause.
Dans notre programme, nous avions annoncé la création de chartes de diversité, fondées sur le volontariat, visant à éviter les discriminations à l'embauche dans les organismes et sociétés privés. Trente-six ou trente-sept ont été signées la semaine dernière, me semble-t-il. Je tiens à féliciter et à remercier l'Institut Montaigne et les grandes organisations pour leur implication.
Je note qu'il y a là un virage républicain majeur. L'Etat et les trois fonctions publiques feront leur part de travail. Ainsi, le ministre de la fonction publique proposera, dans quelques semaines, des parcours d'intégration par l'alternance : pendant cinq ans, un tiers des postes sera réservé aux jeunes des quartiers concernés par la politique de la ville. C'est une façon de leur tendre la main, car la situation s'était considérablement dégradée.
Enfin, les six ministres qui ont contribué à l'élaboration de ce texte sont très attachés au dispositif visant à assurer l'égalité des chances à l'école : comment faire en sorte que les enfants dont le comportement et le suivi pédagogique alarment les enseignants dès les premiers mois de leur scolarité, voire dès les premières semaines, ne soient pas rattrapés, au sein de l'école, par tous les problèmes que connaissent leur quartier, leur ville ? Dès moyens massifs doivent être mis en oeuvre à cet effet.
Pour conduire ce grand programme de réussite éducative, nous faisons confiance aux parents d'élèves, aux enseignants, aux directeurs d'établissement, aux villes, aux conseils généraux... L'argent sera confié à ces grandes institutions, qui pourront l'utiliser librement : s'il faut d'urgence déplacer une famille qui vit dans des conditions de logement inacceptables ou qui vit un drame de voisinage, libre à elles d'en disposer !
Le soutien aux enfants en difficulté passe par une diversité de moyens, qui vont du recours à des pédopsychiatres...
à tout autre moyen qui sera estimé utile : cet argent est transféré en confiance, le tout est qu'il serve à aider ces enfants.
Un effort majeur est accompli dans ce domaine.
Je suis très étonné que la France soit l'un des rares pays au monde à n'avoir pas mis en place ce type de programme, dont nous connaissons aujourd'hui les résultats.
C'est le gouvernement auquel vous appartenez qui les a supprimés ! C'est incroyable !
Des analyses sont faites depuis 1962.
Enfin, en matière de mutations économiques, nous souhaitons tout d'abord permettre aux salariés des entreprises de moins de mille personnes, soit 80 % des salariés de notre pays, de ne plus être dans la situation de ceux de Stal Industrie, qui, en septembre, en rentrant de vacances, ont appris, par une simple lettre, que leur entreprise allait fermer et qu'ils avaient deux mois de préavis.
M. Jean-Louis Borloo, ministre. Les maîtres mots de ce texte, porté par M. Gérard Larcher, et dont je suis fier, sont : informer, anticiper, prévoir.
Exclamations sur les travées du CRC.
Pour chacun des salariés sont prévus des congés de reclassement de huit mois pour permettre cette évolution et cette mutation.
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.
Il était injuste qu'une partie des salariés français ne dispose d'aucune solution de reclassement.
Pour les territoires, nous avons décidé la mise en place d'une mission interministérielle, qui, composée d'un préfet, d'un président de commission du Conseil économique et social et d'un chef d'entreprise promoteur de la charte de la diversité, étudiera, sur le terrain, les contrats sociaux de territoire, et, s'appuyant sur tous les moyens de l'Etat, dont la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, la DATAR, proposera à nos partenaires régionaux la création de bassins de conversion d'un nouveau type. Des expérimentations permettront de prévoir les différentes évolutions et mutations de nos territoires, car, selon les sites, les mutations ont évidemment plus ou moins d'impact.
Une autre mission, présidée par Mme Olin, étudiera, en concertation avec les associations, la façon de faire en sorte que, dans des cas d'exclusion, une heure travaillée puisse être une heure payée, même si cette mesure n'entre pas tout à fait dans les cadres traditionnels. Cette mission élargie rendra son rapport d'ici à Noël.
Tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, rapidement brossé, le projet de loi qui est soumis à votre examen.
Comme le Conseil économique et social, qui a travaillé dans des conditions extrêmement difficiles, au mois d'août, avant un changement de sa composition, vous avez, vous aussi, oeuvré sous la pression, et je vous en remercie : il fallait aller vite, pour éviter que ne passe une nouvelle année budgétaire, pour éviter que le statu quo ne dure un an de plus. En effet - et je le crois très sincèrement - notre pays a besoin de ce plan de cohésion sociale, il a besoin de cohésion nationale, il a besoin de cette réparation sociale, il en a besoin pour préparer son avenir.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
La parole est à M. le rapporteur général du Conseil économique et social.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un honneur, pour le représentant du Conseil économique et social, de présenter devant la Haute Assemblée l'avis du Conseil sur le plan et l'avant-projet de loi de programmation pour la cohésion sociale lors de sa séance plénière du 31 août dernier.
Vous ne l'ignorez pas : le Conseil économique et social a toujours porté une très grande attention à la dimension humaine des difficultés de notre société, qui mettent en jeu l'avenir même de la nation.
Aborder dans un même mouvement les questions intrinsèquement liées de l'emploi, du logement, de l'égalité des chances ne pouvait que recueillir son approbation, car ses travaux, qu'ils soient récents ou plus anciens, ont toujours été guidés par une approche globale.
C'est pourquoi l'avis que je vous présente situe ce plan et ce projet de loi au coeur du chantier ouvert par les mesures annoncées lors du comité interministériel de lutte contre l'exclusion par l'installation de la nouvelle agence nationale de rénovation urbaine, chantier qui se poursuivra, notamment, par la loi « habitat pour tous » et la loi d'orientation de l'école.
Le bon sens voulait qu'il y ait une cohérence entre ces divers projets, cohérence qui conditionne à la fois l'efficacité et la portée des textes qui sont aujourd'hui soumis à l'examen de votre Haute Assemblée.
Avec le plan de cohésion sociale, on dispose d'un texte politiquement fort, qui donne de la cohérence et du sens à l'action publique et à celle des différents acteurs, alors qu'on évolue, dans le cadre de la loi, vers des modalités de mise en oeuvre complexe rendant parfois difficile leur lisibilité.
Ce faisant, le Conseil économique et social a approuvé l'approche de la cohésion sociale par le biais d'une loi de programmation : la cohésion de notre société ne pouvant résulter du seul laisser-faire économique, elle nécessite l'intervention de la puissance publique.
II a cependant regretté que ne soient pas suffisamment explicités les liens entre compétitivité économique et cohésion sociale : pour se développer durablement, les entreprises françaises ont, certes, un besoin impératif de compétitivité, mais elles ont également besoin, pour assurer ce développement durable, de cohésion sociale.
C'est la mise en synergie de ces deux vérités en tension qui fonde la légitimité de l'intervention publique.
Telle est la raison pour laquelle le Conseil a, dans son avis, mis l'accent sur la nécessité de conduire une politique industrielle forte à l'échelle non seulement de notre pays, mais aussi de l'Europe, pour créer une dynamique et des perspectives à moyen et long terme.
Certaines réserves exprimées sur différents aspects du premier pilier relatif à l'emploi trouvent là leur justification, notamment lorsque la solidarité envers les chômeurs est ravalée au rang d'assistance, que le développement des services aux personnes est associé à l'emploi de personnes peu qualifiées, que l'avant-projet préconise le renforcement de l'obligation de recherche active d'emploi, qui reporte sur le travailleur la charge de la preuve.
Un débat nourri a porté sur un point, qui a d'ailleurs reçu une réponse claire de votre part, monsieur le ministre, et que nous retrouvons dans le projet de loi : c'est le « contrat d'activité », désormais appelé « contrat d'avenir ».
Nous voulons croire qu'il s'agit là non pas uniquement d'une question de sémantique, mais bien d'une ambiguïté qu'il s'agissait de lever. Le premier terme, en effet, laissait entendre que l'on s'orientait, pour le secteur non marchand, dans une voie favorisant « l'occupation » à défaut d'emploi, lequel ne constituerait plus une véritable ambition et l'objectif à atteindre.
Sur ce point précis, nous avons apprécié votre réponse, monsieur le ministre, dans le courrier que vous avez adressé au président du Conseil économique et social au début du mois de septembre.
Vous avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, que ce débat ne masque pas pour autant, pour notre assemblée, la réalité vécue par ceux qui sont les plus éloignés de l'emploi. Les membres du Conseil économique et social sont bien conscients que, pour ceux-là, une activité modeste, voire une occupation pour un nombre d'heures limité, peut constituer la première marche qui leur permettra ultérieurement d'accéder progressivement à l'emploi.
Il n'en demeure pas moins, toutefois, que l'ambition pour tous devrait se situer non pas au niveau de « l'occupation », mais bien à celui de l'emploi.
Au regard de l'enjeu de la modernisation du service public de l'emploi, le Conseil économique et social estime que celui-ci doit dépendre non pas d'une logique d'appareil, mais de la mise en synergie des institutions y participant. Ces mesures ne doivent en aucun cas conduire à une mise sous tutelle des organismes paritaires qui interviennent dans ce champ.
Ainsi, les maisons de l'emploi présentent le double intérêt de s'adresser à tous les publics et de regrouper potentiellement l'ensemble des acteurs de la construction des parcours d'insertion et du retour à l'emploi. Il est, à cet égard, essentiel que les partenaires sociaux et les associations soient pleinement associés à leur mise en oeuvre et à leur fonctionnement, étant entendu que les moyens humains et financiers octroyés aux maisons de l'emploi ne doivent pas l'être au détriment de ceux de l'ANPE.
Par ailleurs, il faudra veiller à ce que le système issu de l'ouverture du marché de placement à des opérateurs privés ne soit pas défini à l'aune de seuls critères de rentabilité, et que ces opérateurs, nécessairement agréés par l'administration, fassent l'objet d'un contrôle lié à la mesure de l'efficacité de leur activité de placement.
Face au renforcement de l'obligation de recherche active d'emploi, le Conseil économique et social préfère, à la sanction, l'accompagnement. S'il prend acte des lacunes du système actuel, il estime qu'aucune sanction ne doit pouvoir être prise sans que l'intéressé ait pu faire valoir son point de vue dans le cadre d'une procédure contradictoire prévoyant un accompagnement possible par une personne de son choix.
Quant à la réforme en profondeur de l'apprentissage, elle est une nécessité qui doit être menée en tenant compte de l'avis des partenaires sociaux. Les éléments présentés dans l'avant-projet de loi - modifiés substantiellement dans le projet de loi qui vous est soumis - vont globalement dans le bon sens, mais ils mériteraient de faire l'objet d'une mise à plat d'ensemble, plutôt que d'un traitement morcelé au sein de différents départements ministériels.
S'agissant enfin des emplois aidés, on peut se féliciter de ce que l'on s'oriente vers une simplification. N'aurait-on pas pu aller plus loin, notamment en créant un contrat unique pour toutes les populations en difficulté d'accès à l'emploi ? En effet, la visibilité est l'une des conditions essentielles pour toucher les individus et un encouragement à se mobiliser pour les employeurs potentiels.
Je vais maintenant faire état de la position du groupe des entreprises privées, seul groupe à avoir émis un vote négatif sur l'avis. Sa position s'appuie essentiellement sur le volet « emploi » du projet de loi.
Le groupe des entreprises privées aurait en effet souhaité que l'avis procède à un examen approfondi et critique du fonctionnement et de l'efficacité de notre système de protection sociale. Il aurait également souhaité que l'accent soit mis sur le renforcement et le développement d'un appareil productif capable de générer de nouvelles ressources. Il aurait préféré qu'à une logique de redistribution se substitue une logique de production et que l'accroissement des échanges internationaux soit considéré comme une opportunité et non comme une contrainte.
Telles sont la principale justification du vote négatif de ce groupe, dont la conviction est « que le seul choix possible est d'améliorer la performance globale de la nation et la compétitivité de ses entreprises ».
Tous les autres groupes, à l'exception de deux conseillers, ont approuvé l'avis.
Le logement est l'autre grand pilier de ce projet de loi.
Pour le Conseil économique et social, le fait d'avoir rattaché le logement - enjeu économique et social, mais aussi enjeu de dignité et de maintien de la famille - à un grand ministère de la cohésion sociale permet de réaffirmer la dimension sociale de l'habitat.
Concernant le rattrapage du logement locatif social, le plan témoigne d'une réelle prise de conscience de la situation, en prévoyant la construction de 500 000 logements sociaux sur cinq ans, bien qu'à ce chiffre devraient s'ajouter ceux qui sont prévus dans le plan de rénovation urbaine pour parvenir aux 120 000 logements construits annuellement, évaluation faite par le Conseil économique et social dans un avis de janvier 2004.
S'il approuve le choix d'une loi de programmation qui permet de limiter - si ce n'est d'éviter - les contraintes budgétaires, le Conseil économique et social tient à tempérer l'optimisme affiché dans ce programme qui laisse à penser que l'augmentation budgétaire, si importante soit-elle, garantira, à elle seule, la production d'un nombre de logements sociaux dans les délais envisagés, d'autant que le projet financier est construit sur des hypothèses optimistes.
Quant aux orientations pérennes en matière de politique foncière, leur importance est incontestable à condition qu'elles s'appuient sur des politiques locales volontaristes et qu'elles soient accompagnées par une évaluation des établissements publics fonciers et des mesures incitatives de fiscalité foncière. Le Conseil économique et social souhaite que, dans les lois à venir, le rôle de chacun soit précisé dans le cadre d'un service public de l'habitat qu'il appelle de ses voeux.
S'agissant de l'amélioration du parc locatif social, notre assemblée approuve la démarche partenariale envisagée, mais exprime un certain nombre de réserves.
La première porte sur l'absence de crédits de rénovation : cette charge risque donc d'être transférée sur les fonds propres des organismes d'HLM.
La seconde a trait à la répartition des différents types de prêts destinés à encourager la construction de ces logements.
Le Conseil économique et social souhaite notamment que les prêts locatifs aidés d'intégration, les PLAI, soient d'avantage utilisés, d'une part dans des programmes mixtes afin d'éviter tout marquage social, d'autre part dans les communes visées par l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, pour mieux respecter l'objectif de mixité sociale.
Quant aux prêts locatifs à usage social, les PLUS, il conviendrait de les consacrer aux fins de logement de personnes défavorisées, à condition de les assortir d'une obligation de diversité sociale conforme à l'objectif de mixité et d'accès pour tous au logement de droit commun auquel nous sommes particulièrement attachés.
En revanche, l'augmentation des moyens de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'ANAH, est toute relative dans la mesure où elle ne fait que rattraper le montant de ses dotations enregistrées en 1998, alors que ses missions n'ont fait que se multiplier.
Par ailleurs, notre assemblée accueille favorablement les deux mesures fiscales incitant à une remise sur le marché de logements vacants - l'exonération de la contribution sur les revenus locatifs et l'augmentation de la déduction forfaitaire - à condition qu'elles soient strictement encadrées et évaluées lorsqu'elles auront produit un effet.
Pour la sécurisation des bailleurs privés, le dispositif de créance privilégiée des impayés devrait aussi être complété, non seulement par un système de solvabilisation des ménages, mais aussi par une garantie des risques locatifs.
Sur le renforcement de l'accueil et de l'hébergement d'urgence, le chiffre annoncé de 100 000 places d'ici à cinq ans est-il suffisant ou bien compense-t-il simplement les retards accumulés ces dernières années ? Le Conseil économique et social tient à redire qu'il ne faut pas que, à la faveur des lois de décentralisation, la charge des programmes soit supportée par les collectivités locales au-delà de 2007, car la cohésion sociale relève avant tout de la responsabilité de l'Etat.
L'attribution de logements sociaux aux personnes hébergées en centre d'hébergement et de réinsertion sociale, le CHRS, n'est quant à elle possible qu'à condition de lever les handicaps dus à l'absence de fluidité du parc, c'est-à-dire l'insuffisante construction de logements sociaux, la faible mobilité des locataires ou les difficultés d'accès au parc privé.
Enfin, puisqu'il s'agit de garantir la cohésion sociale par la mise en oeuvre d'une politique du logement équilibrée et ambitieuse, notre assemblée se doit de rappeler la question du droit au logement opposable au regard des modalités de gestion et d'attribution du contingent préfectoral prévues par la loi relative aux libertés et responsabilités locales. Pour le Conseil économique et social, ce contingent devrait rester à la disposition du préfet ou, facultativement, des présidents des établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI.
Enfin, si les dispositions contribuant à lutter contre l'habitat indigne emportent son adhésion, le Conseil économique et social regrette que le projet de loi ne soit pas à la hauteur de l'ambition du plan et conduise d'avantage à un rattrapage des retards qu'à la mise en oeuvre d'une nouvelle politique.
Le volet sur l'égalité des chances représente la partie la plus succincte tant du plan que de l'avant-projet de loi et n'aborde que trois des nombreux sujets que le Conseil économique et social a eu à traiter dans ses avis concernant, directement ou indirectement, la lutte contre l'exclusion et la pauvreté.
C'est pourquoi notre assemblée suggère, dans son avis, que le plan de cohésion sociale intègre toutes les décisions du comité interministériel de lutte contre l'exclusion, le CILE, - vous avez d'ailleurs répondu à ce sujet, monsieur le ministre - et que, dans le projet de loi, soient incluses toutes celles qui impliquent une amélioration de la loi.
C'est bien parce que nous partageons les constats du Gouvernement et ses conclusions lorsqu'il indique que l'égalité des chances doit cesser d'être un concept abstrait que nous considérons que, en l'état, le plan et l'avant-projet de loi ne répondent pas complètement à l'exigence et à l'ampleur des enjeux évoqués et qu'il convient de les compléter.
Concernant les enfants et les adolescents, le Conseil économique et social approuve globalement les orientations du plan et les mesures envisagées, à condition que le concept de réussite éducative soit interprété comme un refus de la fatalité de l'échec et non comme une adhésion sans réserve à une sorte d'idéologie des normes de compétitivité.
S'il a globalement approuvé la création d'internats de réussite éducative à condition qu'il n'y ait pas de confusion entre les missions de l'Education nationale et celles de la protection judiciaire de la jeunesse, s'il a globalement approuvé la volonté de mettre précocement en relation tous les jeunes avec le monde professionnel, et pas seulement les jeunes en difficulté, s'il a approuvé la rénovation de l'éducation prioritaire à condition qu'elle soit intégrée à la future loi d'orientation sur l'école, s'il a approuvé les mesures favorisant l'égalité des chances entre les territoires et la conclusion de chartes territoriales de cohésion sociale afin de décliner le pilotage des différents axes du plan, le Conseil économique et social demande au Gouvernement que soit mise en place une évaluation régulière de ces orientations et de ces dispositions.
Le Conseil économique et social a également approuvé le principe qui consiste à lier la signature et le respect du contrat d'accueil et d'intégration, le CAI, à l'obtention de la carte de résident, mais il a tenu à exprimer de nombreuses et fortes interrogations. En effet, l'idée de « contrat » a une signification particulière, qui engage les parties signataires dans une interaction entre les droits et devoirs de chacune d'elle. Or, au vu des résultats de l'expérimentation du CAI conduite en 2003, des ajustements sont manifestement encore nécessaires pour que l'on puisse considérer que l'Etat a, de son côté, rempli l'ensemble de ses obligations.
De plus, la sanction de l'attribution ou non de la carte de résident ne pourra être prise sans que soit vérifiée l'objectivité de l'évaluation de la personne et la mise en place de moyens de contrôle de l'équité de la décision.
Enfin, le Conseil économique et social a tenu à faire part de son interrogation sur les moyens qui seront consacrés à l'ensemble des dispositifs - l'agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, l'ANAM, le CAI, le programme régional pour l'insertion des populations immigrées le PRIPI -car il considère que le fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, le FASILD, garde une responsabilité en matière d'accompagnement de l'intégration et de soutien aux associations oeuvrant dans ce domaine.
La cohésion sociale est un enjeu majeur de société qui nous interpelle à la fois collectivement et individuellement. Ce projet de loi est né d'une indignation que nous partageons ; il va faire naître un espoir chez des millions de nos compatriotes. Cet espoir ne doit pas être déçu.
Applaudissements
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des affaires sociales du Sénat, saisie au fond, m'a fait l'honneur de me confier le volet « emploi » du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à mes collègues de la commission, à la lecture de ce texte, mon premier sentiment fut qu'il était différent des autres.
D'abord, ce projet de loi est la traduction d'une « priorité absolue », selon les termes du Président de la République, celle de répondre à l'inquiétude de nos concitoyens. En effet, notre pays n'est plus très sûr de son modèle d'intégration républicaine, et chacun peut se sentir menacé par la régression sociale et la stagnation économique.
Ensuite, ce projet de loi est le fruit d'une mobilisation inédite, celle du « Gouvernement tout entier », pour reprendre encore une fois l'expression du Président de la République. L'architecture du pôle « emploi » le démontre, avec la création d'un grand ministère sous la conduite de Jean-Louis Borloo.
L'élaboration et le contenu de ce texte attestent de ces spécificités puisque toutes les instances représentatives du pays ont été consultées, notamment le Conseil économique et social, dont nous venons d'entendre le rapporteur.
La méthode retenue est celle d'un plan d'action pluriannuel, pour la période 2005-2009, qui couvre trois domaines : l'emploi, le logement et l'égalité des chances. Un effort budgétaire sans précédent de 12, 8 milliards d'euros de crédits - vous avez eu la pudeur de ne pas le rappeler, monsieur le ministre - lui sera consacré sur la période.
Ce texte est né d'une indignation, celle qui est causée principalement par le chômage de masse, qui atteint les 10 % de la population active, voire les dépasse largement s'agissant des jeunes et dans les zones urbaines sensibles.
Le chômage de longue durée alimente le sentiment d'insécurité, d'autant que, dans notre pays, il est deux fois plus difficile de sortir du chômage qu'en Allemagne et six fois plus difficile qu'aux Etats-Unis. Le chômage est donc, chez nous, une épreuve dramatique, contrairement à ce qui se passe en d'autres pays où il peut être vécu comme une période transitoire.
Ces résultats médiocres sont d'autant moins acceptables que la politique de l'emploi mobilise 10 % du budget de l'Etat et plus de 4 % du produit intérieur brut, soit 70 milliards d'euros chaque année.
Face à ce constat, une réforme des outils de notre politique de l'emploi s'impose et le projet de loi y pourvoit par trois séries de mesures essentielles : la réforme du service public de l'emploi ; les mesures en faveur de l'emploi lui-même, qu'il s'agisse de celui des jeunes ou de celui des adultes chômeurs de longue durée ; enfin, les dispositions en faveur de la création d'entreprises.
De nombreux rapports officiels, parmi lesquels, tout récemment, le rapport Marimbert, ont dénoncé « l'éclatement » du service public de l'emploi à la française, qui distingue l'indemnisation du placement des demandeurs d'emploi.
L'indemnisation est assurée, pour l'essentiel, par l'UNEDIC, et par les ASSEDIC, même si l'Etat verse, lui aussi, des allocations de solidarité, comme l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS.
Le placement, c'est-à-dire le rapprochement des offres et des demandes d'emploi, est assumé principalement par l'Agence nationale pour l'emploi, l'ANPE, mais celle-ci coexiste avec d'autres organismes comme l'Association pour l'emploi des cadres, ingénieurs et techniciens, l'APEC, les missions locales, et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation, les PAIO, qui, comme leur nom l'indique, accueillent les jeunes.
Cette situation est source de complexité et facteur d'inefficacité.
Prenons l'exemple d'un cadre qui perd son emploi : il doit d'abord se rendre auprès des ASSEDIC pour se faire inscrire sur la liste des demandeurs d'emploi et percevoir son indemnité, puis à l'ANPE pour subir un entretien obligatoire d'élaboration de son projet d'action personnalisé, enfin à l'APEC, qui a passé convention avec l'ANPE pour effectuer le placement des cadres au chômage. Il s'écoulera en moyenne cinquante-cinq jours entre l'inscription d'un cadre aux ASSEDIC et son premier rendez-vous à 1'APEC. Or c'est seulement à ce stade que sa recherche d'emploi va véritablement pouvoir débuter. Il a donc perdu cinquante-cinq jours.
Paradoxalement, les statistiques de l'ANPE font état de 250 000 emplois non pourvus en France, ce qui montre non seulement l'inadéquation entre les formations et les besoins de l'économie, mais aussi la lenteur avec laquelle le service public de l'emploi met en relation offres et demandes d'emploi.
Le projet de loi comporte deux outils pour en améliorer le fonctionnement.
Le premier, à l'échelon national, est la conclusion d'une convention pluriannuelle, associant l'UNEDIC, l'ANPE et l'Etat, pour définir des objectifs communs à partir d'un diagnostic partagé et pour organiser la coopération de ces différentes instances.
La commission des affaires sociales a souhaité prendre en compte la formation, en proposant d'associer l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, à la conclusion de ces conventions pluriannuelles.
L'AFPA est un acteur majeur de la formation continue. Elle entretient des liens étroits avec l'Etat, son principal financeur. Elle assure des formations à visées professionnelles dans deux cents sites répartis sur l'ensemble du territoire national et joue un rôle essentiel en matière de validation des acquis et d'expérience.
La commission a aussi voulu mieux distinguer les institutions d'Etat de celles qui sont gérées paritairement pour préserver l'autonomie des partenaires sociaux. Elle vous présentera par conséquent un amendement allant dans ce sens.
Le second outil contenu dans le projet de loi, qui vise cette fois l'échelon local, est la création de trois cents maisons de l'emploi sur l'ensemble du territoire, soit environ une pour trois agences de l'ANPE.
D'ici à 2009, 1, 7 milliard d'euros seront consacrés à leur mise en place et seront notamment affectés à l'embauche de 7 500 agents supplémentaires.
Les maisons de l'emploi ont vocation à fédérer les acteurs du service public de l'emploi, à offrir un « guichet unique » d'information et d'orientation et à participer aux actions de reclassement menées par les entreprises dans le cadre d'un plan de licenciements économiques.
Comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, volontairement, le projet de loi ne précise pas la forme que doit prendre une maison de l'emploi pour laisser aux acteurs locaux la liberté de choisir la forme juridique de cette dernière et la composition de son « tour de table ».
Le projet de loi prévoit d'ouvrir l'exercice de l'activité de placement, théoriquement réservé à l'ANPE, bien qu'en pratique d'autres structures de placement existent et fonctionnent depuis longtemps, telles que les cabinets de conseil en recrutement ou les « chasseurs de tête ».
Le projet de loi tend donc à supprimer les dispositions obsolètes et inappliquées du code du travail et à légaliser l'exercice de l'activité de placement par des organismes privés préalablement déclarés. Je souligne que les prestations de ces instances ne seront bien évidemment jamais facturées aux chômeurs : elles incomberont aux seules entreprises.
Symétriquement, afin que l'ANPE s'adapte à cette nouvelle donne, son statut sera modifié pour qu'elle puisse constituer des filiales susceptibles de vendre des services payants aux entreprises. Toutefois, la commission des affaires sociales vous proposera, d'une part, de préciser clairement les activités de service public de l'ANPE, qui devront demeurer gratuites, et, d'autre part, d'apporter des garanties pour éviter les distorsions de concurrence entre l'ANPE et les prestataires privés.
La réforme du service public de l'emploi est complétée par un aménagement des obligations des chômeurs en matière de recherche d'emploi, que je qualifierai de « raisonnable ».
Ainsi, un demandeur d'emploi ne pourra plus refuser un emploi correspondant à une formation ou à une qualification que le service public de l'emploi lui a permis d'acquérir.
Par ailleurs, la contrainte de mobilité sera appréciée en tenant compte des aides au déménagement ou au transport dont le chômeur pourra bénéficier de la part de l'UNEDIC.
Enfin, en cas d'infraction aux règles d'indemnisation du chômage, les ASSEDIC et les directions départementales du travail pourront désormais réduire le revenu de remplacement, et non plus seulement le supprimer, ce qu'ils hésitaient à faire pour ne pas priver les chômeurs de leur unique source de revenu.
La commission des affaires sociales a souhaité compléter ces propositions, pleines de bon sens, d'abord en précisant que la recherche d'emploi doit se manifester par des actes répétés, ensuite, en accordant aux chômeurs qui cherchent à créer ou à reprendre une entreprise le maintien de leur revenu de remplacement, enfin, en imposant un délai à la décision du directeur départemental sanctionnant un demandeur d'emploi.
Autre grand thème de mon propos : l'insertion professionnelle des jeunes.
Le Président de la République observait qu'« il y a beaucoup trop de jeunes sans emploi et beaucoup trop d'emplois sans jeunes ». Effectivement, est-il normal que le chômage des jeunes soit deux fois plus élevé que la moyenne nationale globale ? Est-il acceptable que chaque année, dans notre pays, 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme et 60 000 sans qualification ? N'est-ce pas un signe des insuffisances de l'éducation nationale et de l'échec de notre société tout entière ?
Prenons l'exemple de l'apprentissage. C'est l'une des voies de la formation initiale qui mobilise 3 milliards d'euros. Elle a fait ses preuves mais elle reste boudée et méconnue. Livres blancs et rapports successifs ont établi le même diagnostic : l'apprentissage reste entaché d'une image négative. N'est-il pas temps d'en finir avec « l'apprentissage-ghetto » ?
La tâche sera rude car le système d'apprentissage est complexe. J'en citerai rapidement les points de blocage.
On pensait qu'en confiant l'apprentissage aux régions, la répartition des compétences deviendrait lisible. Ce ne fut pas le cas.
Le système de collecte de la taxe d'apprentissage, avec ses six cents collecteurs et un rapport supérieur à 1 milliard d'euros, est si opaque qu'il permet certaines pratiques très contestables de courtage et qu'il s'oppose au principe de libre affectation des entreprises auquel les partenaires sociaux demeurent fondamentalement attachés.
Pis, les fonds issus de la taxe d'apprentissage ne bénéficient pas en priorité à l'apprentissage, loin s'en faut !
Toutes les réformes partielles de ce dispositif n'ont fait qu'accroître la confusion.
Le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale veut porter à 500 000 les effectifs des apprentis d'ici à 2009, ce qui suppose d'attirer de nouveaux publics, comme les étudiants qui se sont fourvoyés à l'université ou les jeunes chômeurs qui veulent apprendre un métier.
Il vise donc à assouplir le contrat d'apprentissage, notamment sa durée. Cette dernière est aujourd'hui d'un an minimum. Or cette exigence se solde par un taux de rupture prématuré des contrats de 25 %, voire de 50 % dans certains secteurs.
Le projet de loi permet également aux entrepreneurs de plus de 25 ans d'entrer en apprentissage.
Ensuite, il tend à renforcer l'attractivité du système en créant un crédit annuel d'impôt d'un montant de 1 600 euros à 2 200 euros en faveur des entreprises qui accueillent des apprentis et à interdire formellement les pratiques de courtage.
Enfin, le Gouvernement veut faire de l'apprentissage une filière reconnue d'éducation et s'en donne les moyens financiers grâce à un fonds de développement et de modernisation de l'apprentissage, doté de 215 millions d'euros. Ce fonds devait être initialement créé au sein du projet de loi de finances, mais il sera finalement introduit par voie d'amendement dans le présent projet de loi.
La commission des affaires sociales est bien sûr favorable à ce dispositif. Cependant, elle déplore le fait que le problème de l'apprentissage n'ait jamais été abordé globalement. Nous avons adopté certaines dispositions dans la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, d'autres dans la loi relative aux libertés et responsabilités locales. Demain, le projet de loi traitant de l'école ne manquera pas d'aborder ce sujet.
Or nous devons faire attention aux incohérences. Nos entreprises ont besoin, elles aussi, de stabilité et de visibilité. On ne peut pas utiliser l'apprentissage pour corriger les erreurs de l'éducation nationale. L'objectif de porter le nombre des apprentis à 500 000 en cinq ans est louable, mais à condition que ces apprentis trouvent des débouchés dans un métier et que le choix ne se fasse pas au détriment des lycées professionnels.
Prenons garde également à ce que le crédit d'impôt, très attractif, ne suscite pas des comportements opportunistes car il concerne aussi les entreprises qui ne paient pas la taxe d'apprentissage.
Enfin, la péréquation financière ne doit pas conduire à donner aux centres de formation d'apprentis, les CFA, les mêmes dotations financières : tous les métiers n'ont évidemment pas les mêmes besoins.
Pour sa part, la commission des affaires sociales souhaite que l'apprentissage soit une voie de formation choisie et non subie. Elle doit devenir une voie de formation initiale, égale aux autres. Pour que l'apprentissage devienne une filière de réussite reconnue de tous, il faut y sensibiliser non seulement les jeunes, mais surtout leurs parents en développant des campagnes d'information et d'orientation vers les métiers offrant de véritables débouchés. Pour répondre à ce souci, la commission vous proposera plusieurs amendements afin de valoriser la situation de l'apprenti.
Outre la réforme de l'apprentissage, le projet de loi entend traiter le problème de l'insertion professionnelle des jeunes en leur reconnaissant un véritable droit à l'accompagnement personnalisé qui sera réalisé par le réseau des missions locales pour l'emploi et des permanences d'accueil, d'information et d'orientation.
Il pourra être mis en oeuvre, mais ce n'est pas obligatoire, grâce à un outil : le contrat d'insertion dans la vie sociale, le CIVIS. Celui-ci prévoit un suivi des jeunes en vue de leur insertion dans l'emploi accompagné du versement d'une allocation pendant les périodes durant lesquelles ils ne sont ni en stage, ni détenteur d'un emploi, afin de lisser leur revenu.
Monsieur le ministre, la commission des affaires sociales entend vous faire part de ses inquiétudes quant à l'utilisation qui pourrait être faite du CIVIS.
En effet, ce contrat est aujourd'hui un outil à la disposition des régions qui peuvent en déléguer l'usage aux missions locales, mais elles ne sont pas tenues de le faire. Il existe donc un risque d'inégalité dans la qualité de l'accompagnement des jeunes, selon que les missions locales disposeront ou non du CIVIS, d'autant que la plupart des régions souhaitent développer leurs propres instruments d'insertion professionnelle des jeunes, notamment sous la forme des « emplois-tremplins », plutôt que d'utiliser cet outil conçu par le Gouvernement.
Pour éviter que le CIVIS, qui me semble être un outil prometteur, ne reste lettre morte, la commission vous proposera d'en confier la gestion à l'État. Les régions conserveront leurs compétences en matière d'accompagnement personnalisé des jeunes. Elles les exerceront, comme c'est déjà le cas aujourd'hui, en partenariat avec l'État.
J'en viens maintenant à la réforme des contrats aidés, qui concernent les adultes âgés de plus de 26 ans.
Rien n'est plus complexe que les multiples dispositifs existants. Les contrats emploi-solidarité, CES, les contrats emplois consolidés, CEC, les contrats d'accès à l'emploi, CAE, les stages d'insertion et de formation à l'emploi, SIFE, les stages d'accès à l'emploi, SAE, et autres contrats initiative-emploi, CIE, se sont accumulés au cours des décennies. Il en existe dans les secteurs privé, public, mixte. Leurs objectifs sont différents alors qu'ils visent les mêmes publics. Et je ne parle pas des stages variés dont l'efficacité, en termes d'insertion professionnelle, n'est pas toujours avérée. Il faut en finir avec toute cette confusion.
C'est précisément ce que propose le Gouvernement avec deux mots d'ordre : simplifier et rationaliser.
Pour simplifier, il faudra supprimer : ce sont les stages d'accès à l'emploi et les stages d'insertion et de formation à l'emploi qui vont disparaître car ils ne donnent qu'une occupation temporaire aux chômeurs. Or le Gouvernement veut permettre à ces derniers non d'avoir une activité mais de s'insérer durablement dans l'emploi.
La nouvelle architecture des contrats aidés s'organisera autour de quatre types de contrats, selon qu'ils s'adressent ou non aux allocataires de minima sociaux et qu'ils sont destinés à l'insertion dans le secteur marchand ou non marchand.
La commission des affaires sociales approuve la simplification du système et la liberté laissée au service public de l'emploi pour cibler les publics et les formations qui doivent être réalisées. Elle soutient la détermination gouvernementale à développer l'accompagnement des chômeurs.
Toutefois, en lisant pour la première fois le présent projet de loi, je n'ai pu m'empêcher d'observer l'accent particulier mis sur l'emploi non marchand, surtout à un moment où l'on nous annonce le retour de la croissance.
Quoi qu'il en soit, nous devons être réalistes : cette orientation est inévitable puisque ce texte vise des publics très éloignés de l'emploi. Il faut l'appréhender comme un passage obligé, comme un sas, en attendant que soit véritablement concerné le secteur productif et durable.
Par ailleurs, la commission regrette que le souci de simplification n'ait pas été mené à son terme. Je vous rejoins sur ce point, monsieur Bastide. Notre collègue Bernard Seillier ne me contredira par sur ce point, lui qui avait demandé la création d'un contrat unique. Il est à craindre que ces contrats, dont les caractéristiques sont très proches, ne se fassent concurrence entre eux. La commission est attentive à ce point.
Surtout, mes chers collègues, la commission des affaires sociales vous demande d'entendre les inquiétudes des communes et des départements de France. Le contrat d'avenir n'a pas, selon elle, à être géré par les maires, mais par les départements, dont la compétence en matière d'insertion ne fait pas de doute. Nous débattrons, je l'imagine, sur cette question.
J'en viens à l'aide aux chômeurs créateurs d'entreprises. En plus d'une exonération de cotisations sociales de trois ans au profit des créateurs ou repreneurs de micro-entreprises, le Gouvernement propose une réduction d'impôt de mille euros en faveur des professionnels expérimentés qui assisteront dans leurs démarches les chômeurs créant une entreprise. La commission des affaires sociales a souhaité élargir le bénéfice de ce dispositif tout en renforçant les garanties de sérieux de l'aide apportée. Pour ce faire, elle propose de confier à la maison de l'emploi la mission de contrôler la réalité de cette aide et d'accorder le bénéfice de la réduction d'impôt au contribuable qui aide, lui aussi, un membre de sa famille.
J'évoquerai enfin la disposition du projet de loi qui autorise la conclusion de contrats d'intérim en vue de faciliter l'embauche de personnes rencontrant des difficultés d'insertion sociale et professionnelle ou d'assurer un complément de formation au salarié. Je souhaite que le Gouvernement nous précise quelles mesures il compte prendre pour éviter une utilisation abusive de cette disposition, ce qui serait source de précarité. Des garanties analogues à celles qui sont prévues pour les contrats à durée déterminée me paraissent donc nécessaires.
En conclusion, monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'observe que le projet de loi n'inclut pas tous les programmes déclinés dans le plan de cohésion sociale, comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur général du conseil économique et social. Certains d'entre vous attendaient peut-être leur exécution immédiate, mais toutes les dispositions de ce plan n'ont pas vocation à être traduites de façon législative. C'est le cas notamment des dispositions relatives au développement de l'économie solidaire ou des services d'aide à la personne. D'autres programmes requièrent au préalable la consultation des partenaires sociaux ; je pense entre autres aux dispositions relatives au recrutement des jeunes dans la fonction publique, à l'emploi des seniors, à la sécurité au travail, à la modernisation du paritarisme, au développement des emplois des services.
Manifestement, ce texte se démarque d'un projet de loi sur l'assistanat. Il nous a semblé volontaire, ambitieux, sans doute quelquefois complexe, mais la cohésion sociale est un problème compliqué. Il ne saurait être traité par quelques mesures simplistes. La démarche adoptée est globale parce que la cohésion sociale est à la fois territoriale, nationale et politique.
Nous souhaitons ardemment, mesdames, messieurs les ministres, que ce texte soit porté par la croissance économique qui s'annonce et que nos concitoyens puissent bénéficier de ce contexte particulièrement favorable.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'évoquerai les volets « logement » et « égalité des chances » de ce texte très attendu, que le Président de la République a présenté comme « une impulsion nouvelle pour une réorientation nouvelle qui rompt avec les logiques du passé ».
Je ne reviendrai ni sur le diagnostic, quelquefois douloureux, sur la situation sociale de notre pays ni sur les effets du chômage. Je rappellerai toutefois que la situation est également critique en termes de logement.
S'agissant tout d'abord de l'hébergement d'urgence, et malgré les efforts entrepris depuis la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions de 1998, les établissements sont aujourd'hui submergés par la demande, qui dépasse le public traditionnel des sans-abri ou des personnes en recherche d'un accompagnement social adapté.
Le surpeuplement des structures d'urgence et l'augmentation du montant des loyers dans le parc privé ont accru la demande dans le parc social. Le nombre de dossiers est passé d'environ 850 000 en 1996 à plus de 1 million en 2002. A peine la moitié des demandes peut être satisfaite dans l'année. En effet, les mises en chantier de logements locatifs sociaux sont trop limitées. Entre 1996 et 2003, le parc social ne s'est accru que de 44 000 logements par an en moyenne en France métropolitaine ; il en aurait fallu au moins le double pour répondre aux besoins.
L'accueil de ménages très défavorisés dans le parc social confronte les bailleurs à des difficultés de maintien dans les logements. En effet, une fois payés le loyer et les charges, le « reste à vivre » est d'autant plus limité que le niveau de vie est faible. Une rupture familiale ou professionnelle suffit à mettre en cause cet équilibre précaire.
Les dispositifs destinés à sécuriser les locataires en situation fragile, comme le fonds de solidarité pour le logement, sont de plus en plus sollicités. Malgré cette aide et les mesures de prévention introduites par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, le nombre des expulsions augmente depuis 1999.
Le parc privé, pour sa part, n'est pas épargné par cette crise. Le coût d'accès au logement augmente pour les ménages les plus pauvres, malgré l'impact des aides. On constate également un nombre croissant de copropriétés dégradées, dont les propriétaires ne peuvent plus payer les frais d'entretien et une tendance au surpeuplement de certains logements. La faiblesse des revenus de ces ménages les empêche d'accéder à d'autres types de logements, la pénurie s'accroît dans le parc locatif social et le parc privé peine à dégager des capacités supplémentaires, malgré les subventions de l'ANAH pour la réhabilitation des locaux vétustes et les incitations fiscales des dispositifs Besson et Robien en faveur de la construction de logements privés intermédiaires.
Parallèlement, on déplore un nombre important de logements vacants : ils sont environ 3 millions, dont 200 000 à 300 000 pourraient, semble-t-il, être remis sur le marché assez facilement.
L'égalité des chances constitue le troisième volet du texte. Elle passe d'abord par l'égalité entre les territoires, qui devrait permettre d'offrir les mêmes espoirs et les mêmes services à l'ensemble de la population. Or la réalité est bien différente. En effet, certaines communes cumulent un potentiel fiscal faible et des charges socio-urbaines très lourdes en raison des besoins de leur population, souvent jeune et défavorisée, en matière d'équipements collectifs, d'aide sociale et de services publics.
Il apparaît que la dotation de solidarité urbaine, la DSU, n'est pas suffisamment redistributive. Son mode de répartition ne prend pas en considération l'appartenance des communes aux zones prioritaires définies par la politique de la ville, c'est-à-dire leur éventuelle classification en zone urbaine sensible.
Face à ce constat, le projet de loi qui nous est présenté se veut ambitieux. Il s'agit de sortir de la crise du logement et d'offrir à chacun l'opportunité d'une évolution sociale.
En ce qui concerne le logement, des mesures sont prévues en faveur de l'hébergement d'urgence, du parc social et des bailleurs privés. En vue d'améliorer et de diversifier l'offre d'hébergements d'urgence et de logements temporaires, le texte prévoit ainsi de porter à 100 000, d'ici à 2009, le nombre total de places disponibles, soit la création de 9 800 places supplémentaires.
Par ailleurs, le projet de loi vise, de façon déterminée, à permettre aux occupants des établissements de logement temporaire d'accéder plus facilement au parc locatif social. Sur ce point, la commission des affaires sociales considère qu'il est effectivement essentiel de favoriser l'insertion de ces personnes dans le parc social, dès que leur situation le permet. Mais elle estime insuffisant de se limiter à compléter, à leur intention, la liste des personnes prioritaires pour l'attribution d'un logement locatif social. Au fil des textes, cette liste s'est en effet considérablement allongée, ce qui conduit souvent les commissions d'attribution à arbitrer entre des publics potentiellement tous prioritaires.
La commission des affaires sociales considère donc qu'il est plus judicieux, d'une part, de préciser que les commissions d'attribution conduisent leurs missions dans le respect de l'objectif de mixité sociale et en tenant compte des situations les plus urgentes et, d'autre part, de prévoir qu'elles accueillent en leur sein, avec voix consultative, un représentant des associations d'insertion et de logement des personnes défavorisées.
Un an après la création de l'Agence nationale de rénovation urbaine, le présent projet de loi constitue la deuxième étape d'un « plan Marshall » en faveur du logement social. Il s'agit de réaliser 500 000 nouveaux logements d'ici à 2009. C'est deux fois le rythme actuel. Pour faciliter la mise en oeuvre de ce programme, le projet de loi a prévu d'associer deux instruments : une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pendant vingt-cinq ans pour les logements sociaux construits entre 2005 et 2009 et la création d'établissements publics fonciers consacrés aux opérations foncières.
A cet égard, la commission des affaires sociales souhaite qu'une partie de ces crédits soit consacrée à la construction de logements sociaux de petite taille destinés à accueillir les plus jeunes, qui se retrouvent trop souvent marginalisés dans des dispositifs d'urgence. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, vos intentions en la matière ?
Par ailleurs, un nouveau dispositif est proposé pour éviter les expulsions du parc social des locataires de bonne foi présentant un impayé de loyers et de charges. Le bailleur et l'occupant pourront signer un protocole d'accord précisant les modalités de remboursement de la dette locative, par le biais d'un plan d'apurement. En contrepartie, le maintien dans le logement sera assuré et les aides aux logements rétablies auprès du ménage, afin de lui permettre de faire face aux échéances du plan d'apurement. A l'issue des deux ans d'application du protocole, l'occupant qui l'aura respecté bénéficiera à nouveau d'un bail. A défaut, la procédure d'expulsion pourra être poursuivie.
La lutte contre la pénurie de logements et l'habitat insalubre passe aussi par des actions en faveur du parc privé. Ainsi, le projet de loi prévoit, pour développer la construction de logements neufs loués à des ménages modestes, une modification du dispositif Robien et, pour lutter contre la vacance des logements privés, la dotation de l'ANAH en moyens supplémentaires pour remettre sur le marché 100 000 logements en cinq ans.
Les propriétaires qui s'engagent à louer un logement dans des conditions favorables aux ménages modestes bénéficieront d'une exonération de la contribution sur les revenus locatifs, la CRL, pendant trois ans.
Enfin, pour faire disparaître les logements insalubres, le projet de loi prévoit d'habiliter le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnances, conformément à l'article 38 de la Constitution, les mesures nécessaires à la réalisation de travaux dans les copropriétés dégradées, le cas échéant en garantissant à la collectivité publique qui effectue la réhabilitation d'office la récupération de sa créance sur les propriétaires indélicats.
La commission des affaires sociales est très favorable à ces différentes mesures, qu'elle a jugé utile de compléter de la manière suivante.
Elle a choisi de rendre le dispositif d'exonération totale de taxe foncière sur les propriétés bâties plus incitatif pour certains logements réhabilités grâce à l'ANAH et loués par une association, en prolongeant jusqu'en 2009 l'abattement de 30 % accordé aux organismes d'HLM et aux sociétés d'économie mixte, les SEM, pour les logements sociaux en zones urbaines sensibles afin d'aider les bailleurs à entretenir leur parc vieillissant.
Concernant les nouveaux établissements publics fonciers, la commission des affaires sociales demande qu'une partie de leur activité soit consacrée à la mise en oeuvre du programme de construction de 500 000 logements sociaux et que les organismes d'HLM et leurs locataires soient exonérés du paiement de la taxe spéciale d'équipement.
Pour accroître les chances de succès du protocole de prévention des expulsions dans le parc social, la commission souhaite que le fonds de solidarité pour le logement, le FSL, contribue à l'apurement de la dette locative, que la durée du protocole soit portée à cinq ans lorsque l'apurement des dettes est retardé et que le versement rétroactif des aides au logement après sa signature soit imprescriptible.
Enfin, mes chers collègues, la commission des affaires sociales vous proposera une réforme des règles applicables à la prise en compte des dettes locatives dans le cadre des procédures de surendettement. En effet, on constate, en raison d'un développement parfois anarchique des crédits à la consommation, une augmentation inquiétante des situations de surendettement, ce qui conduit dans la quasi-totalité des cas à une dette locative. Or, dans le cadre des procédures de surendettement, ces dettes ne sont pas prioritaires, notamment sur celles des établissements bancaires.
La commission des affaires sociales estime que cette situation est contraire à l'objectif du Gouvernement, qui est, d'une part, de favoriser l'accueil des personnes défavorisées dans le parc d'HLM, d'autre part, d'encourager les bailleurs privés à louer leurs biens à des ménages à faibles revenus. Elle souhaite donc corriger deux aspects de la réglementation applicable aux situations de surendettement.
En premier lieu, elle propose de prévoir que le calcul du « reste à vivre » par la commission de surendettement, après paiement des dettes, tienne compte du coût du loyer et des charges. L'objectif est d'éviter que, lorsque la situation de surendettement n'a pas encore eu d'effet sur le paiement du loyer, ce soit l'insuffisance du « reste à vivre » qui en ait.
En second lieu, elle souhaite rendre les dettes locatives prioritaires sur les dettes bancaires lors des remboursements effectués dans le cadre d'une procédure de rétablissement personnel.
J'en viens au volet « égalité des chances »
Il est prévu tout d'abord de venir en aide aux villes qui ne peuvent plus faire face à leurs charges et deviennent ainsi incapables de sortir de la spirale de la pauvreté et de l'exclusion.
C'est pourquoi il est proposé de modifier les règles de répartition de la DSU au profit des communes de moins de 200 000 habitants comptant sur leur territoire une zone urbaine sensible et/ou une zone franche urbaine. La commission des affaires sociales approuve cette réforme, d'autant qu'une clause de sauvegarde permet à toutes les villes de recevoir au moins une dotation équivalente à celles dont elles ont bénéficié en 2004.
Par ailleurs, la totalité des communes éligibles à la DSU bénéficieront, pendant la période 2005-2009, d'une mesure temporaire de rattrapage du niveau de la dotation : un versement supplémentaire de 120 millions d'euros par an, pris sur la dotation globale de fonctionnement des communes et de leurs groupements, sera opéré au profit de la DSU afin de porter, en 2009, son enveloppe à 1, 2 milliard d'euros.
Le texte comporte également un volet éducatif, avec pour objectif de contrer l'échec scolaire et de venir en aide, le plus tôt possible, aux élèves confrontés à des difficultés dans leur environnement social ou familial.
Dans ce but, des dispositifs de réussite éducative doivent rassembler l'ensemble des professionnels, enseignants, éducateurs, médecins scolaires, psychologues, travailleurs sociaux, et tous les autres.
Ces dispositifs seront dotés, pour la période 2005-2009, de près de 1, 5 milliard d'euros.
La commission vous proposera, mes chers collègues, d'introduire une définition de ces dispositifs de réussite éducative afin de préciser le public ciblé, leur mission et les structures juridiques.
Pour ce qui est de leur mise en oeuvre, la commission souhaiterait obtenir de votre part, madame la ministre déléguée, des précisions quant à leur articulation avec les dispositifs existants, qu'il s'agisse, par exemple, des réseaux d'éducation prioritaire, les REP, des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, des contrats petite enfance ou encore des contrats éducatifs locaux, les CEL.
Concernant l'égalité entre les hommes et les femmes, il est d'abord prévu d'accorder à tous les salariés qui reviennent d'un congé maternel ou parental un entretien d'orientation professionnelle, notamment pour envisager le suivi d'une formation de remise à niveau.
Il s'agit, en outre, d'encourager les partenaires sociaux à conclure des accords pour prendre en compte en totalité, et non plus à 50 %, le temps d'absence lié au congé parental dans l'ancienneté des salariés.
Enfin, parce que la cohésion sociale est aussi la cohésion nationale, vous proposez, monsieur le ministre, une refonte de la politique de l'intégration, dont les moyens sont éclatés entre les services centraux et déconcentrés de l'Etat, les établissements publics et les associations. Il en résulte une déperdition de moyens et une pluralité d'objectifs concurrents.
L'enjeu est de taille. Chaque année, près de 100 000 étrangers, qu'il faut accueillir puis intégrer, s'installent dans notre pays. L'objectif est donc de prévenir et de sanctionner les discriminations, particulièrement dans l'accès à l'emploi ou au logement.
Mais choisir de vivre en France, c'est avoir la volonté de s'intégrer à la société française et accepter de respecter les valeurs fondamentales de la République. Le Gouvernement a donc mis en place en juillet 2003 un contrat d'accueil et d'intégration.
Ce contrat est une véritable charte des valeurs républicaines destinée aux étrangers qui souhaitent s'installer dans notre pays. Il doit constituer le premier acte d'engagement réciproque entre l'État et les primo-arrivants.
Au cours du premier semestre 2004, près de 12 500 contrats ont été signés, soit une progression de 50 % par rapport à l'année précédente. Ce succès a encouragé le Gouvernement à donner une base légale au contrat d'accueil et d'intégration et à faire de sa signature l'un des éléments d'appréciation de la délivrance d'un titre de séjour.
Par ailleurs, sur la base des recommandations du Haut conseil à l'intégration, le comité interministériel à l'intégration du 10 avril 2003 a décidé la création d'un opérateur public national. Le présent projet de loi concrétise cette demande en proposant la fusion de l'Office des migrations internationales et de l'Association du service social d'aide aux migrants en une structure unique, l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations.
Parce que l'une des conditions de l'intégration est de pouvoir s'exprimer, le projet de loi propose également de tenir compte, parmi d'autres critères, d'une connaissance suffisante de la langue française ou de l'engagement à l'acquérir ultérieurement lors de l'examen des demandes de permis de travail.
Mes chers collègues, la commission des affaires sociales a porté la plus grande attention à ces dispositions fondamentales.
Nous n'avons pas jugé utile de rendre obligatoire le contrat d'intégration afin de lui conserver sa valeur d'engagement, mais nous souhaitons que le contrat d'intégration soit individualisé, et non pas collectif comme c'est parfois le cas aujourd'hui, et qu'il soit solennellement indiqué dans la loi que la signature de ce contrat suppose le respect des lois démocratiques et des valeurs fondamentales de la République.
Nous avons également considéré qu'il était utile d'affirmer la mission d'action sociale spécialisée qu'aura à assumer la nouvelle agence d'accueil des immigrés.
Enfin, s'agissant des programmes régionaux d'intégration dont le Gouvernement propose la création, la commission souhaite améliorer leurs conditions d'élaboration en créant des passerelles entre ces programmes et les autres structures compétentes en matière d'accueil et d'intégration. Dans ce domaine également, la commission sera intéressée d'entendre, madame la ministre déléguée, comment vous envisagez l'articulation entre les différents dispositifs.
Par ailleurs, la politique d'intégration étant du ressort de l'État, la participation des collectivités territoriales doit rester facultative.
La réussite des dispositions ambitieuses de ce projet de loi dépendra bien évidemment de la mobilisation de tous les acteurs, collectivités territoriales, associations, entreprises ou services déconcentrés de l'État. C'est pourquoi nous croyons en leur engagement en faveur de la cohésion sociale.
Telles sont, monsieur le président, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, les principales observations et propositions de la commission des affaires sociales sur ces volets du texte.
Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Roland du Luart.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des affaires sociales m'a fait l'honneur de me confier l'examen des huit articles relatifs aux restructurations d'entreprise et au reclassement des salariés, introduits, par voie de lettre rectificative, dans le projet de loi de cohésion sociale.
Ces dispositions comportent des avancées réelles des droits des salariés, notamment de ceux qui travaillent dans les petites et moyennes entreprises, et trouvent donc naturellement leur place dans le volet « emploi » de ce texte.
Les partenaires sociaux ont négocié pendant plusieurs mois, sans parvenir à un accord, pour définir de nouvelles règles relatives au licenciement économique.
Pour donner à la négociation toutes ses chances d'aboutir, j'avais déposé une proposition de loi, adoptée au mois de juin dernier, pour prolonger de six mois la période de suspension des dispositions les plus contestables de la loi de modernisation sociale et laisser plus de temps aux partenaires sociaux.
Constatant l'échec des négociations, le Gouvernement prend aujourd'hui ses responsabilités et saisit le Sénat de ce projet de réforme, qui, je crois utile de le signaler, est le fruit d'une longue concertation avec les organisations syndicales et patronales.
Ce texte abroge, tout d'abord, les dispositions jusqu'ici suspendues de la loi de modernisation sociale. Elles avaient fait l'objet de vives critiques de la part de la commission au moment de leur adoption, au début de l'année 2002, en raison des contraintes excessives qu'elles faisaient peser sur nos entreprises. Nous avons donc, bien évidemment, approuvé le principe de leur abrogation.
Il ouvre, ensuite, de nouveaux champs à la négociation collective, dans le but de prévenir et de mieux gérer les procédures de licenciement. Il autorise la conclusion « d'accords de méthode » définissant la procédure applicable en cas de licenciements économiques et les modalités de négociation du plan de sauvegarde de l'emploi.
Il crée également une obligation de négocier, tous les trois ans, dans les entreprises de plus de trois cents salariés : selon la rédaction actuelle du texte, cette négociation porte sur la stratégie globale de l'entreprise et ses effets prévisibles sur l'emploi, sur la mise en place d'un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ainsi que sur le maintien dans l'emploi des salariés âgés.
La commission a adopté sur cet article un amendement destiné à corriger une erreur manifeste survenue dans la rédaction du texte : cette dernière fait actuellement référence à une obligation de « négocier sur la stratégie de l'entreprise », alors que les travaux préparatoires employaient les termes de « négociation sur les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise » sur la stratégie de l'entreprise.
Une autre innovation importante du texte réside dans la création d'un droit à convention de reclassement personnalisé au profit des salariés des entreprises de moins de 1.000 salariés.
Vous le savez, dans le droit actuel, les personnes licenciées par une entreprise de plus de 1.000 salariés ont accès, de droit, à un congé de reclassement, ce qui n'est pas le cas pour les salariés des entreprises de taille inférieure, alors même qu'ils constituent 80 % des licenciements pour motif économique.
Le présent texte corrige cette inégalité. Ces salariés se verront dorénavant proposer une convention de reclassement leur permettant de bénéficier d'actions d'orientation, d'évaluation des compétences et de formation, destinées à favoriser leur retour rapide vers l'emploi. Les salariés licenciés pourront également activer le reliquat de leur droit individuel à la formation.
Le financement de ce nouveau dispositif sera partagé entre l'employeur, le régime d'assurance-chômage, les organismes participant au service public de l'emploi et l'État, le cas échéant.
La commission s'est déclarée favorable à cette disposition. Elle a toutefois souhaité mieux définir la durée des conventions de reclassement, dont il n'est fait aucune mention dans le projet de loi alors que c'est un élément capital du dispositif. Elle a également voulu tenir compte des inquiétudes des PME, en allégeant autant que possible leurs charges financières, sans bouleverser l'équilibre du texte négocié par les partenaires sociaux.
Autre point fondamental : vous savez combien une vague de licenciements économiques effectuée par une grande entreprise peut avoir de conséquences désastreuses pour un bassin d'emploi. Pour mieux faire face à ce type de situation, le projet de loi crée un nouveau dispositif de revitalisation des bassins d'emplois affectés par un grand plan de licenciements économiques.
Les grandes entreprises ont l'obligation de contribuer à la création d'activités et d'emplois nouveaux. Les entreprises de taille plus réduite ont une obligation atténuée : l'État est chef de file pour mener à bien les actions de revitalisation nécessaires dans le bassin d'emploi et il définit, par voie de convention, la contribution que peut apporter l'entreprise. Pour améliorer le dispositif proposé par le Gouvernement, la commission vous propose quelques modifications, notamment pour prévoir une mobilisation plus forte de l'État, un suivi, une évaluation plus efficace de la mise en oeuvre des mesures de revitalisation.
Les autres mesures prévues par le texte sont de nature plus technique, sans pour autant être négligeables.
Par exemple, il revient sur une jurisprudence inadéquate qui dissuade les entreprises de s'adapter en proposant à leurs salariés des modifications de leur contrat de travail.
Il réduit des délais de recours excessivement longs, afin de sécuriser les procédures de licenciement sur le plan juridique. Les actions en référé portant sur la procédure de consultation du comité d'entreprise devront être introduites dans un délai de quinze jours ; les recours portant sur la régularité de la procédure de licenciement devront intervenir au plus tard douze mois après qu'elle se sera achevée. La commission considère que ces délais réalisent un bon équilibre entre le besoin de sécurité juridique des entreprises et la nécessité de préserver la capacité des salariés d'ester en justice.
D'autres dispositions concernent le fonctionnement du comité d'entreprise. Il est précisé en particulier que les chefs d'entreprise ne sont pas tenus d'informer le comité d'entreprise avant le lancement d'une OPA offre publique d'achat ou d'une OPE offre publique d'échange.
Cette question, vous vous en souvenez certainement, avait déjà été débattue dans le cadre de l'examen de la loi de modernisation sociale, qui avait posé la règle inverse : le comité d'entreprise devait obligatoirement être informé par avance du lancement d'une offre. Cette formule présentait de gros risques au regard du droit boursier en ce qu'elle multipliait les occasions de délit d'initié. La nouvelle formule qui nous est proposée vise à éviter ce risque...
tout en préservant les droits du comité d'entreprise, qui devra être informé dans un délai très bref après que l'offre aura été rendue publique.
Au total, ce texte présente un ensemble de mesures équilibrées...
...qui met fin aux défauts les plus criants de la loi de modernisation sociale tout en offrant des garanties équitables aux salariés.
M. Alain Gournac, rapporteur. Pour cette raison, la commission s'est déclarée favorable à son adoption, sous réserve du vote des amendements que je vous présenterai.
Applaudissementssur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, je vous prie d'excuser notre excellent collègue Jean-Patrick Courtois, qui n'a pu malheureusement être présent aujourd'hui et que je vais essayer de suppléer.
Dix articles du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale ressortissant au champ de compétences de la commission des lois ont justifié sa saisine pour avis : les articles 31, 53 et 59, qui ont respectivement trait aux délégations de compétences entre collectivités territoriales, aux dispositifs de lutte contre l'habitat indigne et à la péréquation, et les articles 60 à 66, relatifs à l'accueil et à l'intégration des personnes issues de l'immigration. A cet égard, je tiens à signaler à nos collègues que, contrairement à ce qui a pu être dit, le rapporteur a procédé à des auditions sur ces matières.
L'article 31 prévoit que les conseils généraux et régionaux doivent se prononcer, dans un délai de six mois et par une délibération motivée, sur les demandes de délégation de compétence qui leur sont adressées par les communes.
Vous vous rappelez sans doute que la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ne leur a imposé une telle obligation que pour les demandes émanant des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Il paraissait donc normal que la même règle s'applique aux communes.
S'il est présenté comme une mesure de simple coordination, l'article 31 introduit, selon nous, une innovation importante à laquelle la commission des lois souscrit dans la mesure où elle permettra de donner une véritable portée au principe de subsidiarité inscrit à l'article 72 de la Constitution par la révision du 28 mars 2003.
Il est légitime que les communes puissent obtenir une réponse à leurs demandes de délégation et le risque d'encombrement de l'ordre du jour et de paralysie des conseils généraux et régionaux paraît extrêmement ténu.
L'article 53 a pour objet d'habiliter le Gouvernement à réformer par voie d'ordonnances les dispositifs de lutte contre l'habitat indigne.
Cette nouvelle demande d'habilitation, après celles que nous avons examinées la semaine dernière, est conforme aux dispositions de l'article 38 de la Constitution : l'objet et la finalité des mesures susceptibles d'être prises par voie d'ordonnances sont précisément définis.
La commission des lois y souscrit car les procédures sont trop lourdes pour être efficaces, les responsabilités respectives de l'Etat et des collectivités territoriales mal définies et les droits des occupants insuffisamment garantis. Tous les maires qui ont eu à connaître de ces problèmes savent parfaitement qu'il est impossible de faire aboutir les procédures.
L'article 59 a pour objet de réformer la dotation de solidarité urbaine afin de renforcer la péréquation, qui constitue, depuis la révision du 28 mars 2003, un objectif de valeur constitutionnelle.
La réforme proposée consiste, d'une part, à prévoir une majoration du montant de la dotation de solidarité urbaine de 120 millions d'euros par an pendant cinq ans, de 2005 à 2009, financée par un prélèvement sur le montant de la progression de la dotation globale de fonctionnement des communes et des établissements publics de coopération intercommunale, d'autre part, à concentrer l'augmentation des crédits de cette dotation sur les communes ayant des zones urbaines sensibles et des zones franches urbaines, tout en garantissant aux communes éligibles que leur dotation individuelle ne sera pas inférieure à celle qu'elles ont reçue en 2004.
Parallèlement, le projet de loi de finances pour 2005, s'inspirant des conclusions établies en juillet 2004 par un groupe de travail du Comité des finances locales, comporte des dispositions destinées à modifier les critères de répartition de la dotation globale de fonctionnement afin de mesurer objectivement les écarts de richesse et de mieux cibler l'effort de l'Etat consacré à la péréquation sur les collectivités les plus défavorisées.
Tout en souscrivant pleinement à l'esprit des mesures proposées, la commission des lois a adopté deux amendements ayant respectivement pour objet : d'affecter à la dotation de solidarité urbaine un cinquième de l'augmentation annuelle du montant de la dotation globale de fonctionnement, dans la limite d'un plafond de 120 millions d'euros, entre 2005 et 2009, afin de ne pas pénaliser la progression des autres composantes de cette dotation ; de substituer un coefficient unique aux deux coefficients de majoration prévus au bénéfice des communes ayant des zones urbaines sensibles et des zones franches urbaines, afin d'en réduire la portée et d'accroître ainsi le nombre des communes bénéficiaires des augmentations de la dotation de solidarité urbaine.
En effet, il existe de nombreuses communes qui, sans disposer de zones franches urbaines ou de zones urbaines sensibles, n'en éprouvent pas moins de grandes difficultés.
S'agissant par ailleurs de l'accueil et de l'intégration des personnes issues de l'immigration, le projet de loi tend à mettre un terme à la faiblesse, voire à l'inexistence de l'action de l'Etat en ce domaine. Il a ainsi pour objet de donner une base législative au contrat d'accueil et d'intégration, qui devrait se généraliser après avoir été expérimenté depuis le 1er juillet 2003.
La situation de l'immigration en France nécessitait la mise en place d'une vraie politique d'accueil des étrangers. L'immigration permanente a augmenté de 10 % en 2002, soit au même rythme que celui que l'on a pu observer annuellement depuis 1999 : 156 000 nouveaux entrants pour la France entière en 2002, contre 141 000 en 2001 et 127 000 en 2000.
Face à ces flux, notre pays n'a pas su réagir et mettre en place une politique volontaire coordonnant l'accueil et l'intégration. Les contacts entre l'Etat et les primo-arrivants se limitent souvent aux formalités administratives effectuées en préfecture, et on ne peut pas dire que l'accueil soit toujours chaleureux.
Conformément aux grandes orientations définies par le comité interministériel à l'intégration du 10 avril 2003, le présent projet de loi réorganise le dispositif d'accueil des étrangers afin de mettre en place de véritables « parcours d'intégration » en faveur des primo-arrivants. Les premiers contacts avec la société d'accueil sont en effet décisifs pour la suite du processus d'intégration.
Pour y parvenir, le projet de loi prévoit la création d'un opérateur unique chargé d'assurer un accueil personnalisé à l'ensemble du public concerné. A cette fin, l'article 60 tend à instituer l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, l'ANAEM, chargée de ce service public de l'accueil des étrangers en France. Cette agence reprendrait, pour l'essentiel, les missions actuellement dévolues à l'Office des migrations internationales, l'OMI, et à l'association Service social d'aide aux émigrants, SSAE.
En regroupant les moyens de ces deux opérateurs majeurs, le nouvel ensemble disposerait d'un budget de plus de 70 millions d'euros et d'un effectif d'environ 900 personnes couvrant tout le territoire. Sa taille en ferait le coordonnateur et l'organisateur naturel de ce service public, qui s'articule autour de plates-formes d'accueil regroupant l'ensemble des intervenants, notamment les associations et les collectivités territoriales. Cette logique de guichet unique devrait solenniser l'accueil de l'étranger sur le territoire français.
Ce service public de l'accueil serait organisé autour d'un instrument principal, le contrat d'accueil et d'intégration, le CAI, proposé à tout étranger admis pour la première fois au séjour en France en vue d'une installation durable.
L'article 61 du projet de loi tend à définir le contenu, le régime et les effets attachés au contrat d'accueil et d'intégration. Ce contrat, expérimenté depuis juillet 2003, se verrait ainsi conférer une base légale. Les conditions dans lesquelles l'étranger signataire bénéficierait d'actions destinées à favoriser son intégration ainsi que les engagements qu'il prendrait seraient précisés par un décret en Conseil d'Etat. Celui-ci devrait s'inspirer de l'expérimentation en cours et des premières évaluations.
L'accent serait mis sur l'acquisition d'une maîtrise satisfaisante de la langue française, vecteur essentiel de l'intégration. A cet égard, le présent projet de loi programme 20 millions d'euros supplémentaires en 2005 et 32 millions d'euros supplémentaires par an entre 2006 et 2009 au profit du fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, afin que ce dernier finance des formations linguistiques dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration.
Simplement proposé - et non imposé - le contrat d'accueil et d'intégration serait un des éléments pris en compte pour apprécier la condition d'« intégration républicaine dans la société française» prévue au quatrième alinéa de l'article 14 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.
En effet, la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, a subordonné, dans la majorité des cas, la délivrance d'une première carte de résident valable dix ans à l'« intégration républicaine de l'étranger dans la société française, appréciée en particulier au regard de sa connaissance suffisante de la langue française et des principes qui régissent la République française ». Les travaux parlementaires sur ce texte avaient déjà évoqué la prise en compte à terme du contrat d'accueil et d'intégration pour apprécier la condition d'intégration.
L'article 62 du projet de loi a pour objet de subordonner la délivrance à un étranger d'une autorisation à exercer une profession salariée, en cas d'installation durable en France, à l'attestation d'une connaissance suffisante de la langue française ou à l'engagement d'acquérir cette connaissance après son installation en France. Cette nouvelle obligation ne toucherait en réalité que les travailleurs permanents titulaires d'une autorisation de travail d'au moins un an, soit environ 7 500 personnes chaque année. L'objectif est de mieux intégrer cette catégorie de la population étrangère, qui a le plus souvent vocation à rester en France et à demander, après quelques années, le bénéfice du regroupement familial.
Sur l'ensemble de ces dispositions relatives à l'accueil et à l'intégration des primo-arrivants, la commission des lois vous soumet quelques amendements, pour la plupart techniques ou rédactionnels, le dispositif proposé apparaissant en l'état équilibré.
Toutefois, la commission souhaite attirer votre attention, mes chers collègues, sur les conditions de l'intégration de l'association Service social d'aide aux émigrants, dont la quasi-totalité des missions est transférée à la future Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations par ce projet de loi.
A cet effet, la commission des lois a déposé un amendement qui tend à mieux reconnaître l'apport du SSAE aux missions de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations en dotant cet organisme d'une vraie compétence en matière d'action sociale spécialisée.
Par ailleurs, la commission des lois entend interroger le Gouvernement, lors de l'examen de l'article 64 du présent projet de loi, sur les conditions sociales et économiques du transfert des personnels du SSAE à l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, et notamment sur les garanties et les compensations que prévoira le décret portant intégration de ces personnels.
Vos explications, monsieur le ministre, seront, je l'espère, susceptibles de rassurer ces personnels et donc de créer les conditions d'une intégration sereine.
Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve de la prise en compte des amendements qu'elle a déposés, la commission des lois a donné un avis favorable à l'adoption des dispositions du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale dont elle s'est saisie.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a souhaité se saisir pour avis de l'ensemble des articles du titre II du projet de loi soumis à notre examen, articles relatifs au logement et à l'urbanisme, domaines qui sont pleinement de la compétence de la commission.
Même si ces dispositions ne forment que l'un des nombreux volets du plan de cohésion sociale, elles n'en ont pas moins une importance capitale, car le logement, ferment de l'intégration sociale, constitue le ciment de la cohésion de notre société. Placé au coeur de la vie quotidienne des Français, il représente l'un des principaux postes de dépenses des ménages, qu'ils soient locataires ou propriétaires.
Or le secteur de l'habitat connaît aujourd'hui une crise qui n'a d'égale dans notre histoire, comme le rappelait M. le ministre, que celle qui a frappé notre pays à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Même s'il est évident - toutes les études sur le sujet le démontrent - que les conditions de logement de nos concitoyens sont sans commune mesure avec celles qui prévalaient il y a cinquante ans, il n'en reste pas moins que l'on assiste à une grave pénurie de l'offre, privée et sociale, conjuguée à une très forte augmentation de la demande.
Cette inadéquation croissante entre l'offre et la demande pénalise gravement en premier lieu les ménages les plus modestes, qui éprouvent d'immenses difficultés à obtenir un logement social ou ne trouvent pas à se loger pour un coût raisonnable.
Pour résumer, on pourrait brosser le tableau suivant.
D'abord, les candidats à la location dans le parc social sont confrontés à un allongement considérable des files d'attente ; j'illustrerai ce constat par deux chiffres : le nombre de demandeurs de logements sociaux s'élevait en 2002 à plus de 1, 3 million, dont 100 000 pour la seule ville de Paris.
Ensuite, les candidats à la location dans le parc privé se heurtent à une envolée vertigineuse des loyers qui concerne bien évidemment la capitale et sa banlieue, mais aussi toutes les grandes agglomérations de province.
Enfin, les candidats à l'accession à la propriété sont confrontés à une explosion des prix du foncier et de l'immobilier depuis 1998 que les dispositifs de soutien mis en place par les pouvoirs publics, et notamment le prêt à taux zéro, ne parviennent pas à atténuer.
Cette crise de l'ensemble des maillons de la chaîne du logement, qui empêche tout parcours résidentiel ascendant pour nos concitoyens les plus démunis, impose la définition et la mise en oeuvre d'une politique extrêmement volontariste. Il n'est en effet pas digne, mes chers collègues, qu'un pays développé comme le nôtre soit incapable de proposer un toit à tous ses citoyens, alors que l'accès au logement constitue la première étape indispensable pour l'intégration des personnes dans la société, l'absence ou la perte d'un logement conduisant, quant à elle, presque toujours à la marginalisation.
A ce titre je me réjouis, monsieur le ministre, de la présentation rapide devant le Parlement de ce projet de loi, qui tend à apporter une première réponse urgente à cette grave crise.
Sans revenir de manière exhaustive sur les mesures proposées dans le texte, je souhaiterais indiquer que la commission des affaires économiques soutient pleinement l'exercice de programmation qui est proposé.
Il s'agit, en premier lieu, de mesures financières visant à porter les capacités du secteur de l'hébergement et du logement temporaire à un niveau de 100 000 places en 2007. Ce dispositif est fondamental car il garantit un toit, fût-il provisoire, aux personnes les plus désocialisées.
La commission se félicite, en second lieu, du plan en faveur du développement du parc locatif social. Afin d'enrayer la chute du nombre de constructions dans le logement locatif social - chute constatée depuis le milieu des années quatre-vingt-dix et qui a atteint son paroxysme en 1999, avec moins de 38 000 logements sociaux construits - l'article 41 du projet de loi prévoit la réalisation de 500 000 logements sociaux entre les années 2005 et 2009, dont 90 000 logements réalisés dès la première année.
Il s'agit d'un effort très important - on n'avait pas observé un tel rythme de construction depuis 1994 - qui vient s'ajouter à l'exécution du programme national de rénovation urbaine, lequel prévoit déjà la démolition, puis la reconstruction de 200 000 logements sociaux, et ce sur la même période 2004-2008.
Cela ne se fera jamais ! On sait bien comment les maires de droite agiront ! On verra à Neuilly !
Eh oui, monsieur Muzeau, vous, vous estimiez qu'il n'y avait rien à faire, puisque moins de 38 000 logements sociaux ont été construits en 1999, quand vous étiez au pouvoir ! C'est ce que nous ne voulons plus !
Si la crise du logement prend ses racines dans une crise du financement public, elle est aussi due à la pénurie de terrains constructibles. Qu'il s'agisse des grandes agglomérations, soumises à des phénomènes de spéculation foncière, ou des régions en déclin, touchées, à l'inverse, par la multiplication d'espaces dégradés, la pénurie de terrains disponibles nécessite une intervention publique volontariste ; il ne suffit pas de dire, comme je viens de l'entendre : « On ne peut rien faire ! ».
La commission des affaires économiques se félicite, à cet égard, du renforcement du rôle des établissements publics fonciers prévu par le projet de loi. Ces derniers ont fait la preuve de leur efficacité et sont précieux pour les collectivités territoriales, à condition qu'ils gardent une certaine souplesse de fonctionnement. N'oublions pas qu'ils doivent être des instruments mis à la disposition des élus locaux.
En dernier lieu, le titre II du projet de loi comporte des mesures en faveur du développement du parc locatif privé.
La principale d'entre elles, portée par l'article 50, prévoit l'affectation de 70 millions d'euros en 2005, puis de 140 millions d'euros de 2006 à 2009 au bénéfice de l'ANAH, sommes qui viendront s'ajouter à celles qui sont nécessaires à cet organisme pour l'exercice de ses activités régulières. Ces moyens supplémentaires devraient lui permettre de remettre sur le marché locatif des logements privés vacants et de produire une offre nouvelle de 200 000 logements locatifs à loyers maîtrisés.
La commission des affaires économiques souscrit pleinement à cette politique de renforcement des capacités d'intervention de l'Agence. Elle a eu l'occasion à de nombreuses reprises - sous votre autorité, monsieur Larcher, lorsque vous étiez président de la commission des affaires économiques - de souligner le rôle exemplaire joué par l'ANAH en matière de lutte contre l'habitat dégradé et d'action en faveur de l'aménagement du territoire.
Tout en souscrivant à la philosophie générale des propositions faites par le Gouvernement, la commission des affaires économiques a souhaité proposer plusieurs modifications à ce texte, concernant tout d'abord la place des collectivités territoriales dans les politiques de l'habitat. Ces dernières occupent d'ores et déjà une place éminente dans la conduite de ces politiques, comme le démontre notamment leur participation financière non négligeable, à hauteur de 500 millions d'euros environ en 2002. Leur rôle est d'ailleurs appelé à s'accroître avec la loi sur les libertés et responsabilités locales, qui leur donne la faculté de devenir délégataires de la gestion et de l'attribution des aides à la pierre.
Il est, selon moi, évident que toute politique nationale du logement, si elle veut réussir, doit désormais tenir compte des collectivités locales et doit faire des élus locaux de véritables partenaires de l'Etat pour répondre à la crise de l'offre.
Ainsi, pour ce qui concerne ce projet de loi, la commission des affaires économiques a principalement souhaité prévoir explicitement que les établissements publics de coopération intercommunale et les départements délégataires de la politique de l'habitat seront associés à la définition et à la mise en oeuvre locales des programmes de rattrapage de construction sociale et de développement du parc privé conventionné.
Elle a également souhaité aménager les règles relatives à la délégation du contingent préfectoral de logements locatifs sociaux en prévoyant, sans modifier l'économie générale du dispositif adopté par la loi du 13 août 2004, le transfert aux EPCI délégataires de tout ou partie du contingent préfectoral.
Ce souci d'une étroite association des collectivités territoriales a également conduit la commission à préciser que les politiques menées par les établissements publics fonciers devront tenir compte des priorités définies dans les programmes locaux de l'habitat et à prévoir la consultation des établissements publics de coopération intercommunale lors de la création de ces établissements.
En outre, afin de compléter les dispositions du projet de loi relatives à la lutte contre la vacance des logements, la commission a souhaité donner la possibilité aux organismes d'HLM de prendre en gérance des logements privés vacants et de les gérer en tant que syndics et administrateurs de biens.
Enfin, la commission des affaires économiques proposera deux amendements, dont l'adoption apparaît assez urgente, relatifs aux opérations de mixité sociale et à la location-accession.
D'une part, elle a souhaité que les organismes d'HLM puissent acquérir des parts de sociétés civiles immobilières d'accession à la propriété afin de participer à la réalisation d'opérations de mixité sociale.
D'autre part, elle soumettra un amendement tendant à mettre en cohérence la loi du 12 juillet 1984 définissant la location-accession avec le nouveau prêt social de location-accession, créé l'année dernière à l'occasion de la loi de finances pour 2004.
Tout en jugeant très positives les mesures prévues par le présent projet de loi, je tiens à souligner que d'autres réformes importantes sont attendues dans le domaine du logement et de l'urbanisme ; elles devraient être présentées dans le projet de loi « habitat pour tous », annoncé pour l'année prochaine.
J'appelle de mes voeux une présentation rapide de ce texte, car, en raison des enjeux liés à l'actuelle pénurie de logements, il est urgent de stimuler l'ensemble des maillons de la chaîne du logement, qu'il s'agisse aussi bien du secteur locatif privé ou social que de l'accession à la propriété. En effet, sans une politique globale volontariste, les acteurs publics ne pourront répondre à une aspiration légitime de tous nos concitoyens en matière de logement : avoir la possibilité d'effectuer un parcours résidentiel ascendant.
En conclusion, sous réserve de l'adoption d'une vingtaine d'amendements, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable enthousiaste à l'adoption de ce projet de loi de programmation pour la cohésion sociale. Je remercie d'ailleurs tous les membres de la commission puisque les amendements proposés par son rapporteur ont été adoptés à l'unanimité.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, il n'est évidemment pas utile, en cet instant, d'insister sur l'importance du projet de loi qui nous est soumis. Celui-ci s'inspire de la constatation faite par M. le ministre au moment de la présentation du plan de cohésion sociale, le 30 juin 2004 : le chômage et les inégalités sociales sont maintenant largement en tête des préoccupations des Français.
La commission des finances a voulu se saisir, d'une part, de l'équilibre de ce texte, de la charge totale que représentait cette ambition, ainsi que de la programmation et de son adéquation à la réalité, d'autre part, d'un certain nombre d'articles, dont celui qui est relatif à la DSU.
Je souhaiterais formuler trois séries d'observations.
Première observation : le plan de cohésion sociale est ambitieux. Se voulant à rebours d'une « approche cloisonnée », il comporte trois piliers : l'emploi, le logement et l'égalité des chances, qui constituent en quelque sorte le résumé des difficultés faces auxquelles se débattent un certain nombre de nos concitoyens. M. le ministre a eu le mérite d'avoir regroupé l'ensemble de ces questions.
Le premier pilier est la mobilisation pour l'emploi. Je ne reprendrai pas dans le détail ce qu'ont excellemment expliqué M. le ministre et MM. les rapporteurs. Je souhaiterais néanmoins souligner un point particulier sur lequel s'est penchée la commission des finances, après avoir noté avec intérêt l'assouplissement que représente la mise en place des maisons de l'emploi.
L'amélioration du service public de l'emploi passe par la fin du « monopole de placement » de l'ANPE. Sans doute est-il nécessaire de rafraîchir l'institution.
Pour la commission des finances, le vrai problème est la relance de l'apprentissage, qui entraîne un certain nombre de dépenses : 472 millions d'euros sous forme d'un crédit d'impôt utile et nécessaire sous réserve que ceux qui en bénéficieront éventuellement trouvent des apprentis.
Mesdames, messieurs les ministres, il conviendrait de prendre contact avec l'éducation nationale afin que cette voie d'entrée dans la vie active ne soit pas aussi dévalorisée qu'elle l'est actuellement par un trop grand nombre d'enseignants. Il faudrait par conséquent que votre ambition de voir 500 000 apprentis ne dépende pas uniquement d'un crédit d'impôt mais qu'elle résulte aussi d'un changement de mentalité.
Je profite de cette occasion pour vous féliciter d'avoir envisagé de clarifier le système de la taxe d'apprentissage, qui ne satisfaisait plus personne. Cette simplification nous permettra peut-être d'y voir plus clair. Le fonctionnement des entreprises devrait en être facilité, même si le passage au régime du crédit d'impôt ne s'opérera pas « au franc le franc » pour chacun.
Le présent projet de loi prévoit la refonte des outils mobilisables pour le retour à l'emploi. La commission des finances attendait cette simplification depuis longtemps, mais l'on peut se demander si vous avez eu raison de garder quatre contrats au lieu de n'en retenir qu'un seul. Les commissions spécialisées donneront leur avis sur ce point précis.
Sont également prévues des mesures favorisant les créations d'entreprises par les chômeurs. Permettez-moi, mesdames, messieurs les ministres, d'émettre une petite réserve à ce sujet, car je ne suis pas tout à fait persuadé que ces entreprises seront plus solides que d'autres. Elles le seront peut-être pendant un an, mais qu'en sera-t-il cinq ans après ?
C'est la raison pour laquelle le tutorat que vous avez instauré mérite d'être soutenu. Accompagnée d'une disposition fiscale différente du crédit d'impôt, ce dispositif permettra de restreindre les bénéficiaires et de moraliser l'opération, sous réserve qu'il n'y ait pas de tutorat de complaisance. Peut-être faut-il l'encadrer. La commission des finances proposera un amendement en ce sens.
J'en viens au second pilier : le logement.
L'objectif est d'atteindre 100 000 places d'hébergement d'urgence, 500 000 logements sociaux, et 200 000 logements réhabilités remis sur le marché. Tout cela est parfait.
Les dispositions financières sont intéressantes, y compris celles qui consistent à allonger la durée d'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties ; elles seront compensées puisqu'elles constituent seulement l'allongement d'un système existant et non pas la création d'une nouvelle exonération. Il n'est pas utile de le préciser dans le présent projet de loi ; je vous en donne acte bien volontiers, monsieur le ministre. En tout cas, je pense que cela permettra de lever un certain nombre de réticences.
Le projet de loi apporte un ajustement au mécanisme fiscal Robien et prévoit une exonération de la contribution sur les revenus locatifs. Toutes ces mesures vont dans le bon sens.
La commission des finances, revenant à la charge à la suite de deux votes du Sénat, proposera un amendement visant à ce que ne soit pas découragée l'activité des unions économiques et sociales dans le domaine du logement des personnes en difficulté. Un dialogue fructueux et plein de promesses a eu lieu lors de l'examen du projet de loi de finances initiale, mais il n'a pas été suivi d'effet. D'ailleurs, le rapprochement entre le texte actuel et la loi de finances initiale n'est pas toujours simple, j'y reviendrai dans un instant.
Le troisième pilier est l'égalité des chances.
Vouloir intervenir massivement en faveur des communes qui sont le plus en difficulté est une excellente intention. Mais cette réforme, pour justifiée qu'elle soit en son principe, aboutit tout de même, mes chers collègues, à abonder de 600 millions d'euros l'ensemble de la politique de soutien aux villes en difficulté. Je rappelle à cet égard que le budget de la ville est de l'ordre de 300 millions d'euros.
Par conséquent, cette intervention massive devrait respecter un certain équilibre vis-à-vis des autres collectivités. Il convient sans doute de se poser des questions sur la limitation à 200 000 habitants et sur la manière, pour les autres communes susceptibles de recevoir la DSU, de ne pas être exagérément ponctionnées dans cette opération.
Monsieur le ministre, l'opération est relativement facile à monter cette année. La progression de la DGF n'est peut-être pas historique, mais elle est importante. Ainsi, il est possible d'envisager la réforme de la DGF, de ne pas la rendre exagérément contraignante pour les communes qui sont soumises à la dotation forfaitaire - ce sont nos collègues députés qui sont intervenus dans cette direction à travers une modification de la loi de finances ; je pense que le Sénat les suivra -, de financer l'augmentation de la DSU à hauteur des 200 premiers millions et celle de la DSR à hauteur de 80 millions, ce qui représente un équilibre entre les deux dotations.
Mais il n'est pas certain que les facilités existant cette année se retrouveront tous les ans.
Par conséquent, il est nécessaire d'observer un peu de prudence et d'envisager un éventuel retour de fortune des communes bénéficiaires et un certain lissage pour les communes qui sont amenées, d'une certaine manière, à alimenter financièrement cette réforme.
La commission des finances présentera un certain nombre d'amendements sur ce sujet. Au fur et à mesure de l'examen des articles, nous évoquerons les principaux instruments fiscaux qui ont été mis en place par le projet de loi, pour en souligner l'intérêt ou la difficulté d'application.
Deuxième observation : la programmation reste à expliciter.
Je comprends le sens de la démarche. Il s'agit d'une certaine manière d'un guide. Mais quelles dépenses ont été programmées ? En matière d'emploi, les maisons de l'emploi et les contrats d'avenir ; en ce qui concerne le logement, les crédits en faveur de l'hébergement d'urgence et du logement locatif social, ainsi que ceux qui sont destinés à l'ANAH ; enfin, s'agissant de l'égalité des chances, seuls les dispositifs de réussite éducative sont concernés.
Au regard de la programmation des dépenses, les trois piliers du projet de loi nécessitent un examen approfondi. La volonté de transparence et d'engagement politique dans l'échelonnement des dépenses est louable, mais l'art est difficile.
Ainsi, concernant l'emploi, les montants programmés se situent en retrait par rapport au plan de cohésion sociale, ce qui ne signifie pas, naturellement, qu'ils ne se retrouvent pas, pour 2005, retracés en lois de finances.
En ce qui concerne le logement, la présentation des moyens nouveaux mobilisés est quelque peu hétérogène.
S'il faut approuver les ambitions du présent projet de loi et attendre le projet de loi consacré à « l'habitat pour tous » annoncé pour l'année prochaine, qui devrait compléter les mesures prévues, il n'en est pas moins vrai que la programmation est un peu floue et d'autant plus difficile à apprécier qu'une expérimentation sur les crédits relatifs au logement est prévue dans le projet de loi de finances pour 2005, ce qui complique un peu les choses.
Pour les dispositifs de réussite éducative, l'importance de la part des financements extérieurs paraît comporter un aléa important quant à la réalisation des objectifs, ceux-ci risquant même d'être parfois purement et simplement impossibles à atteindre du seul fait que les caisses des écoles qui ont disparu ne peuvent pas ressurgir. Nous examinerons des amendements sur ce sujet.
Sur un plan formel, l'absence de regroupement des différentes dispositions ayant trait à la programmation n'en simplifie pas la lecture. Il est vrai que ces dispositions étant présentées parfois en variation, parfois en valeur absolue, un tel regroupement se serait avéré, en l'état, peu lisible.
Au demeurant, les masses en jeu sont extrêmement importantes. De 2005 à 2009, les moyens affichés par le plan de cohésion sociale atteignent, en cumul, 12, 8 milliards d'euros, dont 1, 15 milliard d'euros dès 2005. Or l'exposé des motifs précise que « les moyens alloués au plan de cohésion sociale sont programmés par le projet de loi ».
Pourtant, les moyens « programmés » par le présent projet se situent en deçà des moyens alloués au plan. En effet, d'après les calculs que j'ai pu effectuer, les mesures nouvelles programmées dans le présent projet s'élèvent à 636 millions d'euros pour 2005 et à moins de 8 milliards d'euros sur la durée du plan. Pourquoi ?
Il y a deux raisons essentielles : d'une part, les dépenses fiscales ne peuvent faire l'objet d'une programmation de dépenses ; d'autre part, toutes les dépenses planifiées par le plan de cohésion sociale n'ont pas été programmées dans le projet de loi.
En revanche, la traduction budgétaire de certaines des mesures du présent projet, dont la définition a évolué depuis juin 2004, a pour effet de modifier le coût du plan de cohésion sociale.
D'après les calculs de la commission des finances, il semble que le coût net du plan en 2005 serait de 1, 57 milliard d'euros, contre 1, 15 milliard d'euros annoncés et que, sur la durée du plan, l'effort serait de 13, 8 milliards d'euros et non pas des 12, 8 milliards prévus.
Un certain nombre d'actualisations n'ont peut-être pas été réalisées par vos services, monsieur le ministre, mais j'ai le plaisir de vous les communiquer, au nom de la commission des finances.
Par ailleurs, le lien entre la programmation des dépenses et la réalisation de certains objectifs comporte quelques incertitudes...
...car la programmation peut éventuellement supposer la participation d'intervenants extérieurs à l'Etat. Ainsi, des conventions sont en cours de signature en matière de logement. Au demeurant, force est de constater que l'élaboration d'un tableau présentant à la fois l'effort de l'Etat et celui qui est espéré, supposé, attendu des collectivités territoriales n'a pas été possible du fait que la loi ne comporte pas de dispositifs contraignants pour les collectivités locales, ce dont nous vous donnons acte, monsieur le ministre.
Certains voient dans cette manière de faire une habileté, dans la mesure où elle ne donne pas lieu à compensation, d'autres y trouvent une valeur pédagogique dans la mesure où elle constitue une incitation. A chacun de faire son choix !
Troisième observations : la programmation doit être jugée à l'aune des résultats.
Monsieur le ministre, très honnêtement, je suis un peu mal à l'aise ! En effet, nous nous situons entre deux systèmes de présentation du budget : le système actuel, qui vous amène à élaborer une programmation qui n'est qu'indicative en définitive, car les échéanciers peuvent être reportés - nous savons bien ce qu'est une loi de programmation ; et le système de présentation par missions, programmes et actions, qui serait probablement beaucoup plus adapté à un projet de loi comme le vôtre, car il permettrait de mettre en place à la fois les directions, les fongibilités internes des différents programmes, les indicateurs de performance, le Parlement pouvant ensuite juger.
Je suis de ceux qui critiquent sur un point bien précis la loi organique relative aux lois de finances qui va s'appliquer : elle n'accorde pas suffisamment de temps au Parlement pour travailler sur la loi de règlement. Un délai plus important permettrait au Parlement de savoir si le Gouvernement a vraiment transmis ses messages aux administrations, aux différents intervenants. Je souhaite qu'il puisse en être ainsi le plus vite possible !
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations, dont certaines relèvent du fond, et sous réserve de l'adoption d'un certain nombre d'amendements qu'elle vous présentera, la commission des finances a émis un avis favorable sur ce texte.
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 104 minutes ;
Groupe socialiste, 67 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 14 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
Mesdames, messieurs les ministres, notre fonction de maire, celle qui fut la vôtre avant que vous ne soyez ministres, celle de nombre de nos collègues, nous amène à côtoyer, écouter, soulager, chaque semaine, la détresse humaine. Nos permanences sont consacrées essentiellement à des demandes d'emploi, de logement, d'aide financière.
Personnellement, j'ai reçu des milliers de personnes, vous aussi certainement, et j'ai essayé le mieux possible de traiter les cruelles inégalités que vous avez évoquées tout à l'heure, utilisant les dispositifs compliqués mis en place par les gouvernements successifs.
Avouons-le, les connaître tous, les comprendre, les utiliser n'est pas simple pour nous. Alors pour de simples citoyens, je vous laisse imaginer !
Monsieur Borloo, fidèle en cela aux engagements que vous avez pris dans votre livre L'Homme en colère, vous avez décidé d'attaquer les trois fléaux que sont la perte d'emploi, la perte de logement et le surendettement, non pas isolément mais ensemble. En effet, une approche globale est nécessaire pour rompre le cercle vicieux de l'exclusion, nous en sommes convaincus !
C'est justement ce type d'approche que vous avez choisi d'adopter dans le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale. Elle met l'homme, le citoyen au coeur de la réforme, mais avec un objectif d'efficacité.
Il s'agit donc d'un texte pertinent, ambitieux, même s'il est parfois un peu flou, humble, avez-vous dit ! Mais vous l'avez souhaité ainsi. Vous avez voulu y laisser de la souplesse.
Nous craignons néanmoins que ne se développent de grands décalages entre la lettre et les modalités de son application sur le terrain. Espérons simplement que les rédacteurs des décrets et des circulaires n'interpréteront pas celle-ci de façon restrictive. Pour tout dire, mesdames, messieurs les ministres, je serais rassuré si vous écriviez vous-même les décrets et les circulaires !
Vous l'aurez compris, nous souscrivons pleinement aux objectifs de clarification et de simplification de votre réforme. Nous souhaitons ainsi que vous ayez les moyens financiers de votre ambition, comme vient de le rappeler notre collègue Paul Girod.
J'en viens aux dispositions de ce plan de cohésion sociale.
Il ne me revient pas évidemment d'en détailler le contenu - les divers rapporteurs l'ont fait excellemment - mais d'en saisir quelques points au nom du groupe de l'Union centriste.
Commençons par le volet relatif à l'emploi.
Bien que perfectible à certains égards, ce volet relatif à l'emploi nous semble aller dans le bon sens. Mon collègue Claude Biwer développera cette question. Sans vouloir déflorer son intervention, j'aimerais tout de même saluer la création des maisons de l'emploi, la simplification des contrats d'insertion et la réaffirmation de la valeur de l'apprentissage.
Vous avez souhaité que les acteurs locaux de l'emploi s'approprient totalement vos projets, et vous leur laissez le choix d'adapter les dispositifs aux besoins locaux. En tant qu'élu local, comment ne pas saluer cette évolution qui était nécessaire pour plus d'efficacité !
Toutefois, êtes-vous sûr que l'administration déconcentrée de votre ministère, les ANPE, les ASSEDIC, les organismes paritaires vous suivront ? Etes-vous sûr qu'ils partagent votre vision ? Telle est ma première question.
Pour réussir, les maisons de l'emploi doivent réunir tous les acteurs de l'emploi autour des organismes que nous venons de citer et des élus locaux. Elles doivent fixer des orientations claires qui donnent lieu à des engagements de la part de chacun des partenaires. Comme au sein des conseils locaux de sécurité que nous sommes tous amenés à manager, il faudra que les partenaires apprennent, une bonne fois pour toute, à travailler ensemble, à se faire confiance... C'est la clé du succès !
Je m'interroge également sur les contrats d'insertion.
Tout d'abord, les contrats d'accompagnement seront-ils ouverts aux jeunes de moins de vingt-cinq ans, qui ne bénéficient d'aucune aide ?
Les contrats d'avenir sont, vous le savez bien, l'objet de revendications sur le pilotage. Faut-il que ce soient les départements qui les gèrent, les communes, leurs EPCI ? Pourquoi pas tous ensembles, répondez-vous ! Comment alors éviter les querelles de boutiques sur le nombre de contrats alloués ?
Ma dernière question porte sur l'apprentissage. Vous souhaitez lui donner ses lettres de noblesse ; j'approuve totalement cette vision. Mais que comptez-vous faire pour les jeunes apprentis en difficulté qui n'ont pas choisi cette voie, à qui on l'a souvent imposé parce qu'ils ne savaient ni lire ni compter ?
Il manque peut-être aussi, dans ce chapitre, quelques articles sur les emplois de proximité et sur le rôle du tutorat et du parrainage, non pas, comme vous l'avez prévu, dans la création d'entreprise mais dans l'insertion et la recherche d'emploi.
Le deuxième pilier de votre programme de cohésion sociale est consacré au logement social. En trois axes, vous proposez d'améliorer l'hébergement d'urgence, mesure à laquelle nous souscrivons pleinement, de relancer la construction de logements locatifs sociaux et enfin de mobiliser le parc privé.
Nous nous trouvons aujourd'hui face à un double constat : si se loger est une préoccupation majeure des citoyens, le logement social traverse une crise particulièrement inquiétante.
Le droit au logement n'est pas encore considéré comme un principe absolu mais les responsables publics ont pris conscience de l'urgence dans laquelle nous nous trouvons. Le logement, on peut le dire aujourd'hui, est au coeur des problématiques politiques tant de l'Etat que des collectivités locales et de leurs partenaires. Sans une réelle action d'envergure, la France ne sortira pas de la crise actuelle !
Si la croissance du nombre de demandes de logements sociaux a été considérable, elle n'a pas été pour autant suivie d'un mouvement similaire de l'offre.
Je rappelle quelques chiffres que nous avons déjà entendus : en 2003, un million de ménages environ ont déposé ou renouvelé une demande de logement HLM contre 750 000 dans les années quatre-vingt. Parallèlement, le rythme de la construction sociale s'est continuellement ralenti depuis 1990. En 1994, près de 80 000 logements sociaux financés étaient comptabilisés, alors que ce chiffre se situait à 38 000 en 2000.
Plusieurs raisons expliquent cette progression des demandes.
Tout d'abord, la hausse considérable des loyers, qui fait fuir les locataires vers le logement social. Une étude montre que le montant du loyer rapporté au revenu global est passé de 31, 7% en 1988 à 50, 8 % en 2002. C'est la raison pour laquelle le groupe de l'Union centriste soutiendra l'amendement de notre collègue Valérie Létard qui inclut dans le calcul du « reste à vivre » les dépenses de logement.
La crise que connaît le logement s'explique également par l'évolution des modes de vie, par les caractéristiques démographiques et notamment par l'augmentation du nombre de retraités et de familles monoparentales. Il va donc falloir s'adapter aux modes de vie et non pas l'inverse. Le logement de l'avenir, c'est le logement adapté ou adaptable. Il est à inventer !
La crise du logement s'explique aussi par le manque de réserves foncières ou par leur coût, ainsi que par celui de la construction, qui croît trop rapidement.
Face à cet état d'urgence, vous avez entrepris, monsieur le ministre, d'engager la France dans une politique volontariste de relance de la construction de logements locatifs sociaux. Nous ne pouvons qu'approuver cette très bonne initiative.
Les différents dispositifs proposés dans le projet de loi complètent utilement les mesures prises il y a deux ans dans le cadre de la rénovation urbaine. Les objectifs affichés sont ambitieux pour certains, en deçà des espérances pour d'autres. Il n'y a là rien que de très normal après tout.
Je ferai seulement quelques remarques sur le financement, la cohérence entre les différentes lois et la mise en oeuvre du programme.
Concernant le financement, le projet de loi prévoit sur cinq ans un programme de construction dont le financement serait, d'une part, programmé dans les lois de finances de 2005 à 2009 et, d'autre part, assuré par une contribution du 1%.
Je tiens à saluer les efforts réalisés, notamment, sur les crédits de paiement, qui incluent un rattrapage indispensable sur les années antérieures.
Toutefois, monsieur le ministre, la réussite de la mise en oeuvre de ce projet de loi dépendra pour une large part du respect des engagements budgétaires, sous peine de rendre vaine la relance du parc social locatif.
En outre, je m'inquiète de l'absence totale d'évaluation du coût supporté par les collectivités locales et par les organismes d'HLM. En effet, si les acteurs locaux soutiennent la relance du logement social, une incertitude demeure quant aux charges qu'ils devront assumer.
Par ailleurs, il me paraît utile d'engager un travail de réflexion sur un mode de financement croisé de la construction de logements sociaux faisant appel aux fonds privés.
Quelques réalisations prévoyant, en particulier, le démembrement de propriété, l'association d'un bailleur social et d'investisseurs privés sont prometteuses et pourraient être largement développées avec votre appui, monsieur le ministre, notamment dans le projet de loi « Habitat pour tous ».
Une autre voie à explorer consiste à favoriser l'accession à la propriété des foyers les plus modestes qui le souhaitent afin de libérer des logements sociaux : s'il faut, certes, que l'ascenseur fonctionne dans les HLM, il convient que l'ascenseur social fonctionne, lui aussi !
Sourires
Il est un autre sujet d'inquiétude : le risque d'incohérence entre les différentes lois.
Nous craignons ainsi que les différents dispositifs, qu'il s'agisse de celui qui figure dans la loi de rénovation urbaine, de celui qui est prévu dans le projet de la loi relatif aux libertés et responsabilités locales ou de celui qui nous est proposé aujourd'hui, ne puissent être mis en oeuvre faute de cohérence. En effet, certains textes répondent à une logique décentralisatrice, alors que d'autres privilégient le niveau central.
Par ailleurs, je crains que les acteurs locaux ne soient contraints de faire un choix entre une politique de rénovation urbaine et une relance du parc locatif social, préférant un programme plutôt qu'un autre en fonction de critères financiers plutôt que de besoins réels.
Je regrette qu'une fois de plus nous ne sachions proposer aux Français un projet d'ensemble global et lisible concernant le logement. J'insiste sur ce point, monsieur le ministre, d'autant que le projet de loi « Habitat pour tous » devrait être examiné par le Parlement dans les prochains mois.
La réussite des objectifs annoncés dépend pour une large part de l'engagement de l'ensemble des acteurs locaux. A ce titre, je me réjouis de la déclaration commune de l'ensemble des associations représentant les élus ainsi que le mouvement HLM appelant à une politique de l'habitat dans la décentralisation. Il s'agit là d'un signal fort et encourageant.
Cette annonce est d'autant plus importante qu'il est encore très fréquent d'entendre des opinions hostiles tant chez les citoyens que chez les élus face à l'implantation de logements sociaux. Comme moi, vous êtes sûrement nombreux, mes chers collègues, à rencontrer d'immenses difficultés pour faire accepter la présence de logements sociaux sur le territoire de votre commune ou dans votre communauté de communes, et à faire comprendre que logement social ne rime pas avec délinquance.
Il nous faudra encore fournir un gros travail pour changer les mentalités, et l'Etat a, selon moi, un rôle majeur à jouer pour encourager et aider les élus à remplir cette importante mission.
Abordant enfin le troisième pilier, je tiens à saluer la réforme de la dotation de solidarité urbaine. Il s'agit là d'une réforme attendue depuis fort longtemps qui doit apporter plus de moyens aux communes qui en ont besoin. Certes, la rédaction n'est pas parfaite, mais la discussion que nous engagerons permettra sans aucun doute d'améliorer le dispositif proposé, afin, notamment, de ne pas créer un déséquilibre avec les communes dont le potentiel fiscal est faible mais qui ne répondent pas pour autant aux critères de la DSU.
Concernant toujours le titre consacré à l'égalité des chances, je voudrais saluer le programme d'aides financières de l'Etat en faveur des équipes de réussite éducative.
Si l'ensemble du dispositif renforce le rôle de ces équipes, souvent associatives ou municipales, qui apportent un soutien non seulement éducatif mais également culturel, social, sanitaire et sportif aux élèves issus de milieux très défavorisés, il faut surtout souligner l'importance symbolique de l'effort budgétaire de l'Etat dans la mesure où il contribue à encourager les collectivités territoriales qui mettent en place ce type de structures permettant de lutter efficacement contre toutes les formes d'exclusion sociale des enfants.
Enfin, je voudrais dire mon regret qu'aucune disposition relative au traitement du surendettement ne figure dans ce projet de loi pour la cohésion sociale. En effet, si des progrès ont d'ores et déjà été réalisés grâce à la loi de rénovation urbaine, il me semble que des améliorations peuvent encore être apportées. C'est ce que nous proposerons à travers divers amendements.
En guise de conclusion, nous ne pouvons, monsieur le ministre, qu'approuver votre projet de loi. Le groupe de l'Union centriste ne remet en cause ni vos intentions ni vos orientations ; il soutient l'espoir qu'elles font naître.
Toutefois, vous le savez, seul le terrain est juge. L'efficacité de votre plan sera ainsi jugée sur le taux de sortie des emplois d'insertion et l'abaissement durable du nombre de chômeurs ; il sera jugé sur le nombre de logements aidés qui seront réellement construits ; il sera jugé, enfin, sur la réduction du nombre d'illettrés à la sortie de l'école. Ces objectifs sont très ambitieux monsieur le ministre. Alors, si vous voulez les atteindre, n'oubliez pas le service après-vente !
Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, s'il est un thème central du débat public aujourd'hui, c'est bien celui de l'affaiblissement des mécanismes d'intégration sociale, de la désagrégation du tissu social, de l'exclusion.
Le constat est largement partagé : chômage de masse avec 4 millions de personnes, sous-emploi galopant, crise du logement, cellule familiale fragilisée, désertification industrielle de certains territoires, ghettoïsation des banlieues.
Pourtant, le décalage demeure patent entre la dureté des réalités sociales, l'aggravation des inégalités et les réponses libérales apportées ou les contre-réformes initiées. Par conséquent, s'il peut y avoir unanimité sur le constat, notre désaccord sur les causes, lui, est total, votre politique, celle de la droite, étant, selon nous, à la source des maux dont souffre notre société.
Hier, le président-candidat Chirac, en campagne, disait vouloir réduire la fracture sociale. Au lendemain de la défaite cuisante de la droite aux élections régionales et européennes, le Premier Ministre, contraint, a de nouveau érigé la cohésion sociale en priorité et annoncé un plan décliné en partie dans le projet de loi que nous examinons et sur lequel mon amie Michelle Demessine interviendra à propos du volet logement.
Voilà quelques jours, devant la commission des affaires sociales, vous évoquiez, monsieur le ministre, la « nouvelle donne », « une démarche inédite en rupture avec le passé » !
Aujourd'hui, la question des inégalités et de la pauvreté moderne, censée être au coeur de nos discussions, ne pourra être que succinctement évoquée dans la mesure où, d'une part, ce Gouvernement et sa majorité de droite refusent obstinément de réfléchir sur le partage des richesses et où, d'autre part, vous n'agissez, monsieur le ministre, ni sur les causes de la dégradation de l'emploi ni sur les incidences des destructions d'emplois.
Si l'on s'en tient aux statistiques officielles, la pauvreté monétaire aurait diminué pendant la période 1998-2001, alors qu'elle semble augmenter depuis le retour de la droite au Gouvernement.
Vous savez toutefois, monsieur le ministre, que ces statistiques ne rendent compte que très partiellement de l'ampleur de l'évolution de la pauvreté. Les « faux pauvres », les étudiants, soit plus de 10% des ménages, sont ainsi négligés alors que les « vrais riches », ceux qui reçoivent des revenus du patrimoine, sont ignorés, pour reprendre l'analyse de Pierre Concialdi, cosignataire d'un point de vue publié dans le journal Le Monde du 2 juillet 2004.
Ceux qui se battent au quotidien savent que la situation est malheureusement plus aiguë, plus complexe.
Tous sont témoins de la persistance, voire de l'aggravation, des difficultés d'accès d'un nombre toujours croissant d'hommes, de femmes et d'enfants, non seulement aux ressources, mais aussi aux droits fondamentaux permettant de vivre dignement dans une société globalement riche.
Ils n'ont pas été surpris du rapport du conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale faisant état d'un million d'enfants de moins de dix-huit ans pauvres en France. Nous ne sommes pas plus étonnés en prenant connaissance d'indices récents qui relatent la forte progression, de 10, 5%, du nombre d'allocataires du RMI entre juin 2003 et juin 2004, ou témoignent du fait que les titulaires d'un emploi, même stable, ne sont pas épargnés par la pauvreté.
Si, aujourd'hui, la moitié des travailleurs pauvres sont des actifs, si trois SDF sur dix ont un travail, mais ne peuvent pas financer leur logement, si 10% de la population est au chômage, si moins d'un chômeur sur quatre est indemnisé, si l'insertion dans l'emploi des jeunes mères de famille s'est autant dégradée, si un contrat d'intérim sur quatre est conclu pour une seule journée - je pourrais continuer à égrener la litanie - cette réalité est pour une large part la conséquence des choix économiques, fiscaux et sociaux des gouvernements Raffarin I, II et III, qui n'ont eu de cesse d'agir avec une redoutable cohérence au service d'intérêts particuliers.
Ainsi, l'heure est non plus à la promotion des solidarités envers les plus fragiles, mais au désengagement de l'État social, à l'abolition des freins subsistant encore contre les inégalités, à la casse de la protection sociale en général.
La politique menée par la droite n'a pas permis d'asseoir une croissance durable et créatrice d'emplois. Au contraire, l'épargne, la spéculation, les « plus » en tout genre ont profité aux détenteurs de capitaux, au grand patronat, aux couches les plus aisées de la population.
Les orientations des politiques de l'emploi uniquement centrées sur l'abaissement du coût du travail, via les exonérations de cotisations sociales, ont largement contribué à l'extension continue du chômage, au développement du sous- emploi.
C'est ainsi que l'emploi non qualifié a retrouvé son niveau d'il y a vingt ans. Loin d'être un marchepied vers l'emploi qualifié, il s'accompagne de très bas salaires.
Inefficace en termes de qualité de l'emploi, votre politique, monsieur le ministre, est désormais ouvertement discutée s'agissant du volume d'emplois. Des économistes ont évalué, en septembre dernier, à 150 000 le nombre maximal d'emplois créés ou sauvegardés grâce aux allégements de charges sur cinq ans.
Je ne commenterai pas le coût excessif de ces mesures, les allégements consentis s'élevant tout de même à 16 milliards d'euros, ni leur incidence sur les comptes sociaux. Tout cela devrait vous amener à réfléchir, à changer votre fusil d'épaule. Mais non ! Ces résultats négatifs vous poussent à persévérer sur la voie du plein emploi..., mais du plein emploi précaire !
Que dire encore du projet de loi de finances pour 2005, budget de l'emploi compris, si ce n'est qu'il traduit, lui aussi, des choix qui s'accommodent mal avec l'affichage social du présent texte.
Je citerai deux exemples.
En premier lieu, tout le monde s'accorde à dire que l'on ne pourra faire plus longtemps l'économie de la prise en compte de la présence d'enfants dans les politiques visant à faciliter le retour à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux, comme d'ailleurs de l'ensemble des personnes. Pourtant, dans le budget pour l'an prochain, pas plus que dans votre politique familiale, monsieur le ministre, rien n'est décidé concernant notamment l'API, l'aide au parent isolé, ou les coûts liés au mode de garde.
Ou plutôt si, excusez-moi, j'allais oublier l'avantage fiscal consenti à 30 000 personnes pour l'emploi à domicile d'un employé de maison, mesure bien évidemment plébiscitée à Neuilly et à Marnes-la-Coquette !
Le début de réforme de l'ISF, avec un nouvel allégement de 200 millions d'euros, témoigne également de la propension de ce Gouvernement à s'occuper des « vrais problèmes »...
Par ailleurs, mes chers collègues, comment oublier les mesures passées prises par ce Gouvernement, qui produisent encore leurs effets, et qui sont en totale contradiction avec les objectifs d'égalité des chances, d'accès aux droits ?
Dois-je vous rappeler les restrictions apportées au régime de l'aide médicale d'Etat, la réduction des allocations logement et des aides aux impayés de loyer, la remise en cause du contingent préfectoral d'attribution de logements sociaux, la suppression des assistants d'éducation, la réforme des retraites et de la sécurité sociale, celle de l'ASS ou la nouvelle convention chômage, etc. !
Si ambitieux soit-il dans les mots - nous verrons qu'il ne l'est pas dans les faits -, le projet de loi pour la cohésion sociale apparaît en fait comme ce qu'il est : un bel alibi social, un rideau de fumée, ainsi que l'a qualifié un article paru dans le numéro de septembre de la revue Territoires.
Comme l'ensemble du monde associatif et syndical, j'ai été particulièrement attentif, vous le savez, à l'annonce du plan de cohésion sociale, et le fait qu'il se traduise ensuite par une loi de programmation, traitant conjointement des problèmes intrinsèquement liés de l'emploi, du logement et de l'égalité des chances ne m'était pas indifférent.
Le problème, monsieur le ministre, c'est que, au-delà du titre et de la démarche, ce bond qualitatif, attendu par tous, reste virtuel. Faute d'avoir choisi d'aller plus loin que le constat en vous attaquant aux causes de la dégradation de l'emploi et du durcissement des situations d'exclusion, vous passez à coté de l'essentiel. L'avis du Conseil économique et social confirme d'ailleurs notre appréciation.
Les crédits programmés non sanctuarisés pourront à l'avenir faire l'objet d'arbitrages différents, comme l'a rappelé tout à l'heure l'un des rapporteurs.
On ne trouve dans ce projet de loi aucune interrogation sur les effets de la mondialisation capitalistique, ni sur les implications de votre politique en matière de justice sociale. Rien ! Pas un mot non plus pour tenter de changer le regard porté par nos concitoyens sur les « sans » : les sans-emploi, les sans-logement, les sans-droits.
Au contraire, comme votre prédécesseur - mais moins ouvertement -, vous contribuez à répandre l'idée que les titulaires du RMI, les chômeurs seraient pour une part responsables de leur situation.
Ces derniers devront désormais avoir une activité en contrepartie d'un revenu de remplacement qui ne sera plus un droit, cette notion disparaissant du code du travail. La différence avec le retour à l'emploi n'a échappé à personne. Dans le même esprit, les nouvelles mesures de coercition à l'encontre des chômeurs qui ne satisfont pas à leur obligation de recherche d'emploi ne sont pas innocentes non plus.
Votre manière de traiter le thème récurrent du retour à l'emploi de tous les bénéficiaires de l'aide sociale, en conditionnant les prestations servies selon les pratiques du workfare ou en sanctionnant les chômeurs, est d'autant moins acceptable qu'il manque trois millions d'emplois et que le travail ne permet pas toujours de vivre.
Vous êtes d'autant moins crédible, monsieur le ministre, que votre projet de loi obère par ailleurs complètement la question, pourtant centrale, de l'assurance chômage.
Qu'attendez-vous pour réformer en profondeur ce système ignorant les nouvelles formes d'emploi et de précarité, rejetant dans l'assistance, voire dans le vide lorsque les filets n'existent plus, un nombre croissant d'hommes et de femmes ?
L'ambition sociale du présent projet de loi n'est pas plus réelle que celle des précédents textes portés par M. Fillon, qu'il s'agisse de la création du contrat « jeune en entreprise », de la décentralisation du RMI, de la création du RMA ou de la relance de la négociation collective.
Une fois encore, le Gouvernement inscrit sa démarche dans une perspective d'accentuation de la flexibilité des règles, de développement de l'emploi précaire, au risque d'alimenter encore le processus d'exclusion.
Le contrat d'avenir, le contrat d'accompagnement vers l'emploi, le CIE dit « nouveau », pâle copie des contrats aidés existants, ne sont pas plus exigeants en termes de sortie dans l'emploi stable, qualifié et correctement rémunéré ; ils ne pourront pas davantage s'adapter aux besoins d'insertion, d'accompagnement, de formation propres à chaque salarié. Par ailleurs, les employeurs demeurent étrangement exonérés de toute responsabilité, de toute exigence.
S'il est indigent qualitativement dans son contenu, le volet emploi de votre texte, monsieur le ministre, n'en demeure pas moins extrêmement structurant. De l'avis d'un collectif d'associations et de syndicats regroupés autour d'AC, de l'Association pour l'emploi, l'information et la solidarité, l'APEIS, et de la CGT-chômeurs, « il représente un pas important de plus dans le sens du renforcement de la gestion libérale et coercitive de notre société ».
Nous partageons leurs craintes aussi s'agissant du service public de l'emploi démantelé, ouvert aux opérateurs privés. Comme eux et comme l'ensemble des personnes auditionnées - syndicats, réseau Alerte - nous refusons ce glissement supplémentaire vers les services d'intérêt général, les SIG, conformément aux règles européennes. En conséquence, nous apprécions avec beaucoup de réserve le nouvel outil proposé, en l'occurrence les maisons de l'emploi.
Comme les textes qui l'ont précédé, le présent projet de loi comprend désormais un volet supplémentaire ayant trait au licenciement, ce qui tente d'accréditer l'idée, le postulat devrais-je dire, de l'inefficacité du code du travail poussant à la conflictualité.
Des rapports de Pierre Cahuc, d'Olivier Blanchard et de Jean Tirole, préconisant de substituer une taxation des licenciements économiques aux règles actuelles du code du travail, au rapport de M. de Virville et, plus récemment, à celui de M. Camdessus, prônant des transformations radicales s'agissant du contrat de travail ou de l'évolution modérée du SMIC en vue de lever les freins à la croissance - le tout au nom de la modernisation de notre législation sociale -, ou encore aux fameuses « quarante-quatre propositions » du MEDEF visant à individualiser la relation de travail, à soumettre le droit du travail au droit boursier, il n'y a qu'un pas.
De l'avis d'un éditorialiste de la Semaine sociale, « même s'il ne couvre pas à l'identique les mêmes thématiques, l'avant-projet de loi relatif à la gestion prévisionnelle des emplois témoigne d'une très nette filiation avec la philosophie du rapport Virville ». Le maître mot est, à n'en pas douter, la sécurisation pour le patronat des procédures de licenciement, l'altération des garanties collectives, la neutralisation des pouvoirs des représentants des salariés susceptibles de discuter les choix du chef d'entreprise.
Comment parler de garantir la cohésion sociale dans ces conditions, dans le contexte que nous connaissons de mise à l'index permanente du code du travail, de pressions sur les 35 heures, sur les salariés, de chantage à l'emploi auquel se livrent les grands groupes tels que Bosch et Nestlé ?
Je tiens à redire avec force combien est inadmissible la manoeuvre du Gouvernement qui consiste à passer en force sur un sujet ayant donné lieu à de longues discussions entre les partenaires sociaux.
Une fois encore, monsieur le ministre, prétextant de l'urgence, vous imposez une réforme déséquilibrée, reprenant largement les desiderata du MEDEF.
Nous sommes, une fois de plus, conduits non pas à débattre après avoir pris le recul nécessaire, mais à enregistrer.
Les propositions que nous avions faites lors de la conférence des présidents pour disposer d'un peu plus de temps pour débattre ont évidemment été repoussées. Je le regrette vivement.
Sur le fond, nous sommes prêts à combattre pied à pied la version du texte déposée au Sénat et que le MEDEF, auditionné par le rapporteur, a ouvertement demandé d'amender.
Même expurgé de deux de ses dispositions, celles qui ont trait à la défense du licenciement économique d'une part et à la réintégration des salariés d'autre part, le volet additionnel, trompeur dans son intitulé, reste comme l'a indiqué la CGT « un copier-coller des revendications du MEDEF ».
Les cris d'orfraie du MEDEF ne nous trompent pas. Votre projet, monsieur le ministre, est bien un projet de déstabilisation sociale.
Présenter le retrait de la notion de sauvegarde de la compétitivité comme un recul confortant les syndicats aux dépens du MEDEF procède de l'escroquerie intellectuelle.
Depuis l'arrêt Videocolor d'avril 1995, dans la jurisprudence en matière de licenciement économique, cette notion constitue bien un motif autonome de licenciement. J'ajoute que désormais cette notion figure aussi dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
L'introduction ou non de cette notion dans le code du travail présente donc un intérêt relatif, en dehors de l'effet d'annonce permettant au MEDEF - encore lui - de jouer les incompris et au Gouvernement de se montrer plus attentif, en apparence bien évidemment, aux préoccupations des salariés.
En outre, prétendre qu'il n'y aura pas de recul par rapport au droit actuel s'agissant de l'obligation pour l'entreprise de présenter un plan de sauvegarde de l'emploi avec des mesures de reclassement et, surtout, de la nullité du licenciement ouvrant droit à réintégration relève également du mensonge. Je me permets en effet de rappeler que l'article L. 321-4-1 du code du travail a disparu de la liste des articles auxquels les accords de méthode, que vous généralisez par ailleurs, peuvent déroger.
Monsieur le ministre, vous intervenez de deux façons : soit vous abrogez les dispositions de la loi de modernisation sociale qui sont les plus contestées dans vos rangs ; soit, lorsque les réactions pourraient être trop fortes, vous dévitalisez des articles du code du travail jusqu'à les rendre inopérants. Le résultat est identique.
Et voilà comment vous évacuez une jurisprudence constante depuis 1996, en évitant que les procédures ne soient individualisées!
D'autres reculs et remises en cause de la jurisprudence nous sont insupportables, qu'il s'agisse des délais en référé ou au fond pour contester une procédure, un plan social, ou de l'inscription automatique à l'ordre du jour par l'employeur de certains sujets.
Mes chers collègues, les mesures envisagées en vue du reclassement des salariés d'une entreprise de moins de mille salariés ne pèsent pas lourd dans la balance. Le Gouvernement renvoie aux partenaires sociaux le soin de fixer les modalités d'application de la convention personnalisée de reclassement. Un amendement du Gouvernement, présenté par notre rapporteur, viendra même en grignoter la durée. Autant dire que les patrons pourront continuer à licencier sans entraves ! Quant aux salariés, le peu de garanties qui leur seront offertes ne les empêchera pas de rester sur le carreau !
Sur ce volet du projet de loi, comme sur l'ensemble du texte d'ailleurs, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont fait le choix de mener une attaque frontale, via des amendements de suppression.
Nous nous inscrivons dans ce débat de manière positive et résolue, en proposant, à travers une panoplie d'amendements, une autre façon d'appréhender la cohésion sociale, en sécurisant les parcours d'emploi, les itinéraires de formation, les projets de vie.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est un curieux texte qui est soumis au Sénat en première lecture.
Présenté par M. Borloo, ministre atypique de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, il s'intitule : « Projet de loi de programmation sur la cohésion sociale ». Or ce sujet ne paraissait guère, jusqu'ici, intéresser le gouvernement de M. Raffarin ni le médiatique M. Sarkozy.
Inattendu, ce texte l'est aussi par sa volonté d'embrasser toutes les dimensions de l'intégration sociale des jeunes et des citoyens en difficulté. Il repose sur le triptyque formation-emploi-logement, auquel s'ajoutent quelques menues mesures en matière d'éducation. Cette ambition a été justement approuvée par le Conseil économique et social.
Ce projet de loi décline des séries d'articles qui remanient profondément le service public de l'emploi, renforcent la place de l'apprentissage dans l'accès au premier poste de travail, taillent dans la liste des contrats aidés pour en clarifier l'ordonnance et la philosophie.
S'agissant du droit au logement, les objectifs et les sommes annoncées étonnent : non seulement votre démarche se veut l'opposée de celle qui a été suivie jusqu'à présent par le gouvernement de M. Raffarin, encore présente dans le projet de loi de finances pour 2005 - je pense au mauvais coup porté au prêt à taux zéro - mais encore vous assignez à la nation des objectifs qui répondent à la demande insistante de l'abbé Pierre et des organismes d'HLM, sans oublier celle des élus locaux. On se prend à espérer, presque à rêver...
La réalisation de ces objectifs dépend pourtant d'une condition de taille : que la programmation budgétaire d'ici à 2009 soit respectée lors de chaque loi de finances et maintenue à l'abri des mesures de gel. Et c'est là que s'insinue le doute.
A l'instant, M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, notre éminent collègue M. Paul Girod, a lui aussi exprimé son incertitude quant à l'accompagnement budgétaire des dispositifs présentés, d'autant que la pratique actuelle de votre ministère n'est pas pour nous rassurer.
Prenons l'exemple des contrats aidés mis à disposition des collectivités, des associations et des administrations. Outre les emplois-jeunes, qui sont en voie d'extinction, en 2000, on comptait dans le département de l'Hérault environ 12 000 postes de contrats emploi-solidarité, CES, et de contrats emploi consolidé, CEC, financés par l'Etat. Il en restait quelque 8 000 en 2003. Il en subsiste à peine 5 000 cette année.
En effet, le gel massif des crédits de votre ministère - 650 millions d'euros - effectué par Bercy au printemps dernier a tari le financement de cette ligne budgétaire et souvent empêché la signature de nouveaux contrats à la rentrée. On dénombre plusieurs centaines de postes non pourvus dans les communes - cinq dans la mienne - dans les crèches associatives, les collèges, les lycées, etc.
La mobilisation qui en est résultée a conduit le Gouvernement à débloquer 800 contrats pour trois mois là où il en aurait fallu 2 000 pour satisfaire des besoins déjà estimés au plus juste. On est donc loin du compte.
Aussi, mesdames, messieurs les ministres, qu'en sera-t-il demain ? Et demain, c'est le mois de janvier. De nombreux maires se demandent comment se fera la jonction avec le contrat d'avenir, selon quel calendrier ? Sur quelle base les nouveaux postes seront-ils alloués, notamment aux départements qui connaissent un taux de chômage élevé, un nombre important de bénéficiaires du RMI et une forte croissance démographique, comme c'est le cas dans le Languedoc-Roussillon.
Je pourrais faire la même démonstration s'agissant du logement : nous vivons dans une période de pénurie des crédits, de raréfaction des programmes, et vous nous promettez le père Noël pour les années 2005 à 2007 ! Comment vous croire ?
Ou plutôt comment accorder crédit - le mot s'impose - au Gouvernement auquel vous appartenez ?
C'est d'ailleurs toute la question que pose ce texte : riche de promesses, il contraste avec le vécu des élus et des militants associatifs, infiniment plus gris, quand il n'est pas noir ! Le débat, mais surtout les six prochains mois seront décisifs pour la crédibilité de votre démarche.
Votre projet de loi comporte par ailleurs quelques dispositions qui m'inquiètent : l'ajout de dernière minute supprimant tout un pan de la loi de modernisation sociale - loi déjà suspendue en 2003 - ou encore la place faite au secteur privé dans le reclassement des chômeurs ; on pourrait craindre que l'ANPE ne soit progressivement réduite à ne s'occuper que des exclus quasi définitifs du marché du travail.
Le projet de loi comporte aussi des mesures positives. Je note par exemple la simplification des contrats aidés dans le secteur non marchand et la volonté d'assurer le retour de leurs bénéficiaires à un emploi pérenne. Pour y parvenir, il faudrait cependant rendre financièrement plus attrayante la titularisation de ces futurs contrats d'avenir et des PACTE, dont je ne vois pas bien, au demeurant, l'articulation avec le plan qui nous est proposé.
Intéressantes sont également les mesures d'accompagnement des chômeurs créateurs d'entreprise. Mon expérience à la tête d'une maison des entreprises me montre depuis près de vingt ans à quel point l'appui est déterminant - et pas seulement l'appui financier - pour la réussite à moyen terme de ce qu'il faut bien appeler une véritable aventure.
En revanche, je suis en désaccord profond avec certaines mesures, qui risquent de déséquilibrer encore plus le rapport de force entre le capital et le travail. Je crains que le débat au Sénat n'accentue cette dégradation du sort des salariés, sans pour autant porter remède à celui des chômeurs.
Reste, lancinant - on en revient toujours là ! -, le doute sur le financement des objectifs annoncés. A moins que, une fois encore, la charge n'en soit transférée aux collectivités territoriales, qui n'en peuvent plus !
Car telle est peut-être la logique sous-jacente du projet de loi, comme le suggère d'ailleurs un aspect qui jusqu'ici n'a pas été souligné : le désengagement de l'Etat, sensible en matière de dotation de solidarité urbaine. On retrouverait alors la logique qui est bien celle du gouvernement Raffarin, pour lequel décentralisation est avant tout synonyme de recours accru à la fiscalité locale.
Tel est, mesdames, messieurs les ministres, le sentiment que m'inspire le projet de loi. C'est un sentiment partagé, car si j'apprécie son architecture ainsi que la réelle volonté qu'il traduit de faire bouger les choses, dans le même temps, je suis en désaccord avec lui sur certains points et je suis en tous les cas sceptique sur son application. Aussi, monsieur le ministre, j'attends de vous la démonstration que votre capacité à mobiliser les budgets est à la hauteur de votre ambition. C'est bien là-dessus que nous vous jugerons. §
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur Jean-Louis Borloo, on vous dit mécontent : mécontent non pas de l'attitude de l'opposition, dans cette assemblée ou dans d'autres, non ; on vous dit mécontent parce que, d'une certaine manière, on aurait brouillé votre message en éclairant le projet de loi, celui que nous examinons aujourd'hui, d'une lumière un peu cruelle pour vous.
M. le ministre prête l'oreille aux propos d'un rapporteur.
Nous avons quelquefois des difficultés à nous faire entendre en commission, ...
M. Jean-Pierre Bel. ...qu'au moins dans l'hémicycle ce que les socialistes et l'opposition sénatoriale ont à dire puisse être entendu - je fais cette remarque en toute cordialité !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Vous aviez, monsieur le ministre, caressé l'espoir de redresser, grâce à ce projet de loi, l'image du Gouvernement et de sa majorité, une image dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle s'est très rapidement dégradée ces derniers temps.
Après la déconvenue des élections cantonales, régionales, européennes, et même sénatoriales
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Je ne sais quelle définition exacte donner de ce terme, mais je note que, si « virage » il y a, c'est que la ligne droite empruntée jusque-là, celle d'une politique libérale sans complexe et à visage découvert, celle d'une politique où la lutte contre le chômage et l'exclusion n'est plus prioritaire, cette ligne droite là, donc, a débouché sur une impasse, pour ne pas dire contre un mur.
Votre rôle était de donner corps au discours sur la fracture sociale, discours - il commence à dater ! - tenu haut et fort par un candidat à l'élection présidentielle de 1995. Votre objectif affiché, noble objectif que nous partageons sur le principe, était d'enrayer l'écart grandissant entre les nantis et ceux qui subissent, ceux qui vivent durement leurs conditions d'existence.
Nous nous apprêtions donc à dénoncer ce qui nous apparaissait non pas comme un virage, mais bien plutôt comme un mirage, comme une illusion d'autant plus cruelle que tout cela s'adressait à des millions d'exclus qui, vous l'avez vous-même souligné, vivent dans leur existence et dans leur chair les conséquences de cette politique. Mais est-ce bien nécessaire encore, tant il est clair aujourd'hui, après l'ajout d'un volet sur les licenciements, après la mise en cause du code du travail, que le projet de loi cache en réalité une nouvelle offensive du libéralisme économique dont ce gouvernement est de plus en plus imprégné ?
Mes amis, dans un instant, s'exprimeront sur le fond ; pour ma part, je souhaite faire une mise au point solennelle.
Les conditions de l'examen du projet de loi ne sont pas acceptables. Je rappelle au président du Sénat que, le 12 octobre, il dénonçait la « frénésie législative », vantait la « sérénité » censée présider à nos travaux et souhaitait que nous travaillions « autrement sans être submergés par le flot législatif ». Ces belles paroles sont à mettre en perspective avec la méthode utilisée par le Gouvernement : légiférer « autrement », est-ce légiférer dans la précipitation et dans la confusion ?
En réalité, nous discutons aujourd'hui de deux textes : l'un est censé renforcer la cohésion sociale, l'autre l'affaiblit profondément en amoindrissant la législation protectrice sur les licenciements.
Mercredi dernier, nous apprenions ce que j'appellerai le « raccrochage par effraction » d'un texte relatif aux restructurations et aux licenciements.
Curieuse conception de la cohésion sociale que celle qui veut que l'on se préoccupe d'abord du démantèlement social, en procurant les moyens de mieux licencier dans les périodes de restructuration et en imaginant des dispositions inférieures au seuil de protection offert par le code du travail !
Monsieur le ministre, tout cela vous a peut-être été imposé ; il n'en reste pas moins que les conditions du travail parlementaire ne sont pas dignes de notre assemblée.
M'exprimant ainsi, mes chers collègues, je souhaite dépasser les frontières partisanes
Rires sur les travées de l'UMP.
: je demande seulement au Gouvernement de respecter le Sénat, car cela n'a pas été le cas jusqu'à présent.
M. le président de la commission des affaires sociales s'exclame.
Comment M. le président de la commission des affaires sociales, que j'entends réagir, peut-il se satisfaire de l'audition des représentants syndicaux à la va-vite, un lundi matin, ...
Les conditions de travail sont telles que le rapporteur du projet de loi initial, notre collègue Louis Souvet, que je salue, a semble-t-il renoncé, et c'est un second rapporteur qui s'est dévoué pour rédiger un rapport supplémentaire.
Quant à la commission des lois, on a oublié de la saisir pour avis, alors qu'elle l'a été sur le reste du texte.
Il est vrai que le texte ne procède qu'à la modification d'une douzaine d'articles du code du travail... !
Hier, lors de la conférence des présidents, nous avons demandé le report de cette discussion afin de rendre possible un débat serein et, surtout, d'avoir le temps d'étudier des dispositions qui sont loin d'être anodines.
Une telle précipitation est la négation du débat parlementaire ; le Conseil constitutionnel appréciera cet abus caractérisé du droit d'amendement. Après la démocratie sociale, c'est au tour de la démocratie parlementaire d'être bafouée !
Les belles paroles sur l'« écoute », sur la « concertation » avec les partenaires sociaux se sont en effet envolées.
Dans sa déclaration de politique générale du 3 juillet 2002, ...
...le Premier ministre annonçait que le dialogue social serait « au coeur de l'action du Gouvernement » et que les partenaires sociaux seraient « consultés avant toute initiative majeure de l'Etat ». Ce même Premier ministre promettait « une autonomie pour définir par voie d'accord, et dans le respect des principes fondamentaux de notre droit, les règles qui déterminent les relations du travail ». On constate le résultat : cédant aux injonctions et aux sarcasmes de M. Seillière, on fait passer en force un texte qui constitue un recul du droit du travail.
Les semaines dernières, c'est une belle comédie qui s'est jouée - mais sans tromper personne -, et le Gouvernement s'est bien moqué des organisations syndicales !
Vendredi 15 octobre, alors que les négociations duraient depuis de nombreux mois, le Gouvernement présente un texte si directement inspiré par le MEDEF que même la CGC a claqué la porte avec la CGT. Dans une très belle mise en scène, le jeu de rôle peut alors commencer : le patron des patrons dénonce le retrait des dispositions autorisant le licenciement pour la sauvegarde de la compétitivité ; grâce à ces pseudo-rodomontades ultra-libérales, le Gouvernement espère faire croire qu'il a « résisté » au MEDEF et, ainsi, mieux faire accepter par l'opinion et par les partenaires sociaux ce qui suit, et qui n'est guère mieux.
Bien entendu, on trouvera toujours les meilleurs prétextes pour justifier la précipitation, et même l'improvisation.
Monsieur le ministre, vous avez fait le choix politique de suspendre les dispositions protectrices de la loi de modernisation sociale voulues par la gauche. Assumez votre politique, et ne vous dédouanez pas en vous retranchant derrière l'urgence ! Car il n'y a pas d'urgence à précariser la situation de centaines de milliers de salariés de notre pays.
J'ai dit « improvisation », j'aurais pu dire « confusion ».
Ainsi, l'incohérence de la réforme de la dotation de solidarité urbaine qui est intégrée dans ce projet de loi conduira à priver le Sénat d'une vision d'ensemble de la réforme des critères d'attribution de la DGF. Pourquoi la dissocier de la réforme générale de la DGF prévue dans le projet de loi de finances ? Cette absence de lisibilité d'une réforme des finances locales est sans précédent ; c'est un comble pour une assemblée qui se veut la représentante des collectivités locales !
Après l'humiliation que représente pour le Sénat une telle désinvolture, nous avons droit au mirage de la publicité mensongère.
Après tout, les sénateurs socialistes n'étaient pas forcément défavorables à un plan dont l'objet affiché était de contribuer à la cohésion sociale. Mais, si l'on veut éviter le risque que le projet ne se réduise à un effet d'annonce, la question des moyens se pose très vite. Malheureusement, ce risque s'est avéré : plus de 12 milliards d'euros sont annoncés pour les cinq prochaines années, mais, dès la première année, dès 2005, le milliard d'euros dégagé fleure le tour de passe-passe comptable. Le Conseil économique et social en tout cas, dans son avis du 31 août 2004, émet des doutes sérieux et fondés sur le financement et sur sa sincérité.
Pour 2005, plus de la moitié des crédits affectés au plan sont issus du redéploiement de crédits existants et proviennent principalement du programme emplois-jeunes. On peut donc douter du caractère contraignant de l'engagement financier de l'Etat pour les années suivantes !
Dans le même temps, la pression, que je qualifierai de libérale, exercée par la majorité a contraint le Gouvernement à modifier l'impôt de solidarité sur la fortune. Or ce nouveau cadeau fiscal aux plus riches de nos compatriotes représente un manque à gagner pour les recettes fiscales, alors que cette somme aurait été bien nécessaire au financement de ce plan de cohésion sociale !
Je crains, monsieur le ministre, que votre plan ne procède à un nouveau délestage de l'Etat au détriment des collectivités locales ; car ce sont elles, désormais, le financeur des réformes sociales du Gouvernement !
Protestations sur les travées de l'UMP.
Ce n'est pas : « Demain on rase gratis », c'est : « L'Etat décide, les collectivités locales payent. »
Monsieur Braye, je vous ai écouté avec attention et à aucun moment je ne vous ai interrompu. Pourtant, j'en ai eu grande envie, je peux vous le dire !
Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.
Si vous souhaitez m'interrompre, monsieur Doligé, je vous laisse la parole tout de suite ! Car j'ai entendu votre jugement sur le fond, et j'y ai été très sensible.
Ne vous laissez pas interrompre, mon cher collègue. Veuillez poursuivre !
Les charges affectées à l'insertion professionnelle sont transférées aux collectivités locales sans aucun financement pérenne. Voilà un bel exemple de ce dont pourrait très vite se saisir l'Observatoire de la décentralisation que le président du Sénat propose de créer pour « veiller au respect des garanties et garde-fous financiers » ! Il me semble qu'il aura du travail sur la planche.
Je note en particulier l'incohérence financière qui menace par ailleurs la réussite du redressement de l'assurance maladie. En effet, les exonérations de charges sociales qui financeront le plan Borloo risquent de contribuer à l'échec, ou à tout le moins à la mise en difficulté du plan Douste-Blazy !
Autre incohérence : le Gouvernement finance l'augmentation de la DSU au profit des communes urbaines défavorisées par une ponction sur la DGF de l'ensemble des communes.
Nombre d'élus apprécieront ce petit détail, surtout quand on sait - et ces deux aspects sont à mettre en parallèle - que la réforme des droits de succession coûtera 600 millions d'euros, soit le montant total des crédits supplémentaires nécessaires à la DSU pour les cinq prochaines années. D'une certaine façon, ils sont subtilisés aux communes !
Incohérence, donc, lorsque la priorité accordée à la diminution de certains impôts et à l'attribution d'avantages fiscaux limite les ressources de l'Etat au détriment de dépenses socialement utiles, tel le logement - Thierry Repentin y reviendra -, ou indispensables pour l'avenir, comme la recherche.
Le projet de loi repose également sur une conception particulièrement restrictive de l'emploi.
Monsieur le ministre, la philosophie de votre notion de « retour à l'activité », louable dans ses objectifs est aussi porteuse de dangers, car elle ouvre la porte à des sous-emplois dérégulés et appauvris, ce qui revient à créer, selon l'expression du Conseil économique et social, des « travailleurs pauvres ». Je dis peut-être des bêtises, mais le Conseil économique et social a probablement pesé les termes qu'il a utilisés.
Derrière tout cela, il y a une fois encore le spectre des processus d'exclusion.
Avouez que si les craintes évoquées par le Conseil économique et social étaient confirmées, ce serait un lourd échec non seulement pour vous, mais aussi pour les espérances soulevées !
Nous ne sommes pas rassurés, monsieur le ministre, quand nous regardons dans le rétroviseur et faisons le bilan de votre politique : 200 000 chômeurs supplémentaires, 250 000 RMIstes supplémentaires, la suppression des 350 000 emplois-jeunes, la diminution drastique des contrats aidés et des fonds alloués à l'insertion, l'asphyxie des associations intermédiaires et des entreprises d'insertion par la réduction des subventions publiques et, de l'autre côté de la balance, quelque 1 000 RMA et 300 CIVIS seulement !
Nous pourrions ironiser, mais le sujet est trop grave : il touche à la désespérance humaine et à la crise sociale que traverse notre République.
Décidément, ce texte n'est pas à la hauteur de la situation, il n'est pas en phase avec ses ambitions.
Il ne pourra certainement pas résoudre la crise du logement, contrairement à votre déclaration, monsieur le ministre, et apporter une solution concrète aux 3 millions de Français mal logés ou aux locataires qui subissent de plein fouet la hausse vertigineuse des loyers.
Mais, vous l'avez compris, l'introduction d'un texte sur les restructurations qui remet en cause le code du travail constitue pour nous une véritable provocation, alors que, dans ses voeux aux forces vives le 6 janvier 2004, le Chef de l'Etat considérait qu'il était temps « d'instituer pour tous les salariés de nouvelles garanties en matière de reclassement ».
On est bien loin de ces belles intentions.
Le projet Borloo-Larcher reconnaît ainsi la modification du contrat de travail comme motif de licenciement, légalisant les chantages à l'emploi et pourquoi pas les baisses de salaires ou l'augmentation de la durée du travail.
Il limite l'application du plan de sauvegarde de l'emploi aux licenciements décidés et non plus seulement envisagés, réduisant les cas de mise en oeuvre obligatoire du plan.
Il autorise la négociation directe dans l'entreprise de la procédure et du contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, écartant par là même les règles protectrices du code du travail et contournant le comité d'entreprise.
Ce n'est plus le mirage, c'est le danger que fait courir votre projet de loi ainsi transformé que nous dénonçons avec force.
Une dernière interrogation sur un projet décidément flou concerne les élus locaux : quel sera leur rôle exact ? Ce projet de loi est placé sous le signe d'une extrême confusion.
Vous le savez, les atteintes portées aux services publics notamment en milieu rural, désespèrent les élus locaux. Ils ont été 270 à démissionner la semaine dernière dans la Creuse. C'est un événement d'importance.
Je conclus, mes chers collègues. Ce texte, véritable exercice de mystification, ne fera que contribuer au désordre social et vous courez le risque, monsieur le ministre, de voir votre nom assimilé à une politique de régression sociale.
Les Français savent, comme ils l'ont montré à toutes les élections de 2004, que ce gouvernement ne répond pas à la crise sociale qu'il a lui-même provoquée.
Oui, mesdames, messieurs de la majorité, après cette occasion manquée, après ce numéro de passe-passe, les Français n'ont guère de raison d'attendre grand-chose de vous.
Face à leurs préoccupations de plus en plus fortes, face à leur angoisse, il faut une volonté à la hauteur de la situation. Le moment viendra de répondre à leurs demandes.
Aujourd'hui, notre devoir est de refuser la spirale de la fatalité que vous souhaitez leur imposer. Notre devoir est d'amener ceux qui attendent tant de nous à garder espoir dans l'avenir, dans notre République, une République protectrice, garante des avancées sociales, garante d'une vraie cohésion.
Pour cela, mes chers collègues, nous devons faire oeuvre de pédagogie, aider à y voir plus clair et donc dénoncer l'illusion, la mystification, refuser la précarisation, les atteintes aux droits des salariés, le poids du balancier toujours plus lourd pour les plus faibles.
Pour toutes ces raisons, et vraiment sans état d'âme, conforté par votre manière de faire sur le fond mais aussi sur la forme, le groupe socialiste votera contre le projet de loi Borloo-Larcher.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
On a le droit de tout dire dans cette enceinte, et c'est très bien, mais il y a un minimum de courtoisie à respecter, monsieur le président du groupe socialiste, et je ne peux accepter que vous déclariez - ce qui est faux - que j'ai fait des auditions « à la va-vite ».
Chaque invité a répondu à mon invitation et chaque syndicat a pu s'exprimer.
Certaines auditions ont en effet eu lieu le lundi parce que cela arrangeait les syndicats et les organisations patronales, qui sont tous venus. En revanche, je n'ai pas vu un seul membre du groupe socialiste lors de ces auditions.
M. Jean-Pierre Bel proteste
Il est facile d'accuser, il est facile de prétendre que le travail a été mal fait. J'affirme pour ma part que, lors de ces auditions, toutes les règles ont été respectées. Chacun a pu s'exprimer ; le seul membre de l'opposition qui était présent a pu prendre la parole quand il le souhaitait et a pu poser les questions qu'il désirait poser.
M. Alain Gournac, rapporteur. J'ai voulu procéder à cette mise au point, car les propos de M. Bel étaient inacceptables.
Applaudissementssur les travées de l'UMP.
Que les ministres issus de l'Assemblée national ne m'en veuillent pas de saluer tout particulièrement Mme Nelly Olin et M. Gérard Larcher, qui illustraient il y a peu de temps encore notre Haute Assemblée.
Monsieur le ministre, il ne va pas manquer de conseilleurs, qui ne seront pas les payeurs, pour dire que votre plan n'est pas à la hauteur des problèmes ni de vos ambitions.
Aborder ainsi ce projet de loi est peut-être habile, mais fort peu courageux, et ce n'est qu'une manière de botter en touche et de refuser de prendre ses responsabilités. Ce n'est évidemment pas la démarche que je suivrai.
En ce qui concerne les principes énoncés, votre plan, monsieur le ministre, doit être salué à plus d'un titre. Il introduit, et c'est méritoire, l'idée que l'exclusion n'est pas, pour beaucoup de ceux qui en sont les victimes, un choix. Il innove avec la volonté de traiter ensemble des difficultés jusqu'ici prises séparément. Enfin, il montre que rien ne se fera sans associer les collectivités territoriales, ni les autres partenaires locaux.
Cependant, il n'y a pas de solution miracle pour faire face aux défis que vous tentez de relever, sinon il y a longtemps qu'elle aurait été mise en oeuvre.
En effet, l'effort de la nation pour la redistribution sociale est colossal, puisqu'elle représente 30% du revenu national brut ; la solution est donc non pas dans l'augmentation indéfinie de cette masse, mais dans l'exploration de pistes permettant de la rendre plus efficace, au besoin par un redéploiement de crédits.
La question majeure est celle de l'accès à l'emploi.
Nous sommes confrontés à un chômage structurel qui est, pour une grande part, le produit de notre modèle social, que nous nous ingénions à laisser en l'état depuis de nombreuses années ; en effet, un secteur public pléthorique et ultra protégé constitue un frein considérable par les prélèvements de plus en plus lourds qu'il exerce sur la richesse nationale. A cela s'est ajoutée l'erreur des 35 heures, contresens social s'il en est, car c'est en fait empêcher ceux qui le souhaitent de s'arracher à leur destinée par l'effort, comme c'est leur droit le plus élémentaire On a fait le malheur de beaucoup en croyant faire leur bonheur.
M. André Lardeux. Il nous faudra bien un jour sortir de cette situation ubuesque, car ce n'est pas en limitant la création de richesses qu'on aidera efficacement les laissés-pour- compte de notre société.
Protestations sur les travées du groupe CRC.
Mes chers collègues, j'ai écouté patiemment les autres orateurs, je vous demande de faire preuve de la même patience, même si vous ne partagez pas mon point de vue.
Pour la mise en oeuvre de l'accès à l'emploi, les pistes que vous explorez, monsieur le ministre, suivent la bonne direction, particulièrement la modernisation et le développement de l'apprentissage, l'alternance étant essentielle dans la formation professionnelle.
Il en est de même pour la réorganisation du service public de l'emploi. Cet ensemble de mesures est marqué par un effort de cohérence et un bon sens certain. Simplifier le système avec les maisons de l'emploi, créer des synergies locales, définir des objectifs précis est pertinent ; il faut que l'obligation de moyens soit accompagnée de l'obligation de résultats.
Il est normal que l'effort de la collectivité ait en contrepartie des engagements clairs de la part des bénéficiaires. Je crains toutefois que l'on ne demeure dans certains cas insuffisamment exigeants. En effet, parmi les demandeurs d'emploi, les situations sont très différentes : il y a bien sûr ceux - et ils sont hélas trop nombreux - pour lesquels l'accès à l'emploi est lointain et qu'il faut accompagner le mieux possible ; mais il y a aussi ceux qui sont immédiatement employables mais qui refusent les emplois proposés, cela est patent quand on voit les difficultés qu'ont les particuliers, bénéficiaires ou non d'avantages fiscaux, pour recruter des personnes travaillant à domicile, par exemple pour la garde d'enfants. Une plus grande exigence débloquerait certaines situations aberrantes. Cela montre aussi qu'il faut changer l'image des emplois de services aux personnes.
Incidemment, je veux attirer votre attention, monsieur le ministre, sur un problème concomitant : l'augmentation du SMIC, conséquence de l'imprévoyance dans l'application de l'ARTT. En soi, cette intention est excellente, mais elle aura des effets collatéraux sur les salaires immédiatement supérieurs, qu'il sera nécessaire d'augmenter. Nombre de petits employeurs sont concernés et certains envisagent de supprimer des emplois que leurs entreprises ne pourront plus financer. Il ne faudrait pas qu'une excellente intention se retourne contre les objectifs recherchés et génère à nouveau du chômage.
Vous comptez sur les collectivités locales pour le succès des mesures que vous présentez, et leur engagement est essentiel. Mais les collectivités, notamment les départements, s'inquiètent de la compensation des charges et de l'éventuelle application de l'article 72-2 de la Constitution. Elles le font à juste titre ; toutefois, l'attitude de certaines d'entre elles est ambiguë, sinon contradictoire.
En effet, que penser d'un département qui renâcle à répondre favorablement aux propositions de l'Etat en matière de lutte contre l'exclusion sous prétexte que c'est une charge trop lourde qui ne serait pas suffisamment compensée, mais qui, dans le même temps, propose la mise en place d'un RMI-jeunes pour les dix-huit - vingt-cinq ans de 300 à 420 euros par mois, pour une dépense annuelle prévisionnelle supérieure à 12 millions d'euros ? Les montants de ce revenu minimum d'inactivité - il faut bien l'appeler ainsi dans ce cas-là - sont à comparer à la rémunération des apprentis - cela n'est pas de nature à encourager l'apprentissage ; ils sont plusieurs fois supérieurs aux sommes allouées aux externes en médecine et en odontologie attachés aux CHU. Dès lors, comment ce département peut-il justifier son refus de collaborer à la politique de l'État ?
Que penser également de collectivités `qui proposent des ordinateurs gratuits, voire quelque autre facilité, aux élèves des collèges ou des lycées, ce qui n'a pour effet que de favoriser les familles aisées et nullement les familles défavorisées ? Peut-on, si on a les moyens de financer de telles mesures, raisonnablement refuser les sollicitations de l'Etat ?
L'objectif de ce projet est d'assurer la cohésion sociale, c'est-à-dire la cohésion nationale. On voit bien qu'il manque un lien entre l'individu et la nation à laquelle il appartient.
L'école n'est jamais parvenue à le créer vraiment et n'y parviendra pas. Le service militaire ayant été supprimé, il est probablement souhaitable d'étudier la mise en place d'un service national universel, masculin et féminin, afin de permettre, pendant quelque temps, le brassage social nécessaire à la cohésion nationale.
Cela aurait l'avantage de ne pas stigmatiser une population plutôt qu'une autre, puisque cela serait imposé à toutes les personnes d'une même classe d'âge.
Il ne serait pas inutile que tout jeune Français consacre une année de sa vie au service de la collectivité nationale, donc au service des autres, et les domaines dans lesquels ces jeunes pourraient agir sont très nombreux. Beaucoup d'entre eux pourraient ainsi acquérir de l'expérience et une formation, ce que permettait le service militaire à l'époque où il était en vigueur.
Dans le même ordre d'idée, cela faciliterait l'intégration des jeunes Français d'origine étrangère. L'immigration, qui est un problème à la fois national et européen, doit faire l'objet de toute notre attention. Nous aurons besoin de celle-ci dans les décennies qui viennent, du fait du « collapsus » démographique qui nous menace. Mais nous ne pouvons continuer à ouvrir ou à fermer nos frontières n'importe comment. Il nous faudra bien avoir, un jour, le courage de mettre en place une immigration choisie.
Les délais de recours, tels qu'ils existent actuellement pour le droit d'asile, sont intolérables et, par provocation, je me demande même si la Commission de recours des réfugiés est bien utile !
Il est également indispensable de maîtriser l'aide médicale d'Etat, faute de quoi le système ne tiendra pas très longtemps. Il en sera de même des finances des conseils généraux, qui voient exploser les aides aux enfants de ces familles étrangères en situation irrégulière.
S'agissant du logement, je serai bref, car d'autres collègues aborderont plus largement ce problème tout à l'heure.
II est légitime de mobiliser le parc privé locatif. Les mesures de solvabilisation sont souhaitables, mais il apparaît trop souvent que les petits bailleurs sont mal protégés contre les locataires indélicats et de mauvaise foi.
Ces derniers ne sont pas si nombreux. Mais la médiatisation de tels événements fait beaucoup de dégâts et cette situation est de nature à décourager les bailleurs à louer leur logement. Il faudra donc veiller à ce qu'ils ne le soient pas, même dans le cas de personnes en difficulté.
Permettez-moi d'ajouter à mon propos un codicille concernant la fameuse lettre rectificative qui a été ajoutée au projet de loi et qui a provoqué un de ces psychodrames dont nous avons, nous Français, le secret ! Cela me donne l'occasion de saluer l'action de M. le ministre délégué aux relations du travail, qui n'a pas ménagé sa peine depuis qu'il est en fonction.
Les dispositions contenues dans les articles 37-1 à 37-8 ne méritent pas les criailleries que nous avons entendues. Il est nécessaire d'abroger les dispositions des articles 96, 97, 98, 100 et 106 de la loi du 17 janvier 2002, appelée - par antiphrase sans doute - « loi de modernisation sociale », et de rétablir les rédactions antérieures du code du travail. C'est une question de bon sens.
Les propositions concernant la « prévention des mutations économiques » incitent à une gestion prévisionnelle des emplois et à une anticipation des mutations, élargissent les possibilités de recours aux accords collectifs en matière de licenciements ; il n'y a là rien d'incohérent. Le délai d'un an pour contester un accord est raisonnable. Ce texte apporte de nouvelles garanties aux salariés en cas de licenciement économique ; cela a sa place naturelle dans un plan de cohésion sociale.
Le fait que l'on essaie de parer aux conséquences de la disparition d'entreprises dans un bassin d'emplois est une louable intention ; je m'interroge toutefois pour savoir si les entreprises concernées seront à même de répondre aux obligations fixées dans la loi.
Si rien, dans ce texte, ne justifie l'opprobre, il ne faudrait pas qu'il contribue à alourdir davantage le code du travail, dont le développement est tel que sa lecture est très difficile et son application encore plus. Je ne suis pas sûr qu'avec un tel maquis de dispositions il soit toujours aussi protecteur que le pensent les représentants des salariés. Il faudra bien, un jour, engager une remise à plat très large.
Le moment venu, il nous faudra aussi tirer « la substantifique moelle » du rapport Camdessus. S'il est trop récent pour servir de base à de nouvelles dispositions, il a le grand mérite de souligner nos faiblesses et de donner des pistes de réflexion et d'action.
Qu'on le veuille ou non, le problème qui est posé est celui de la compétitivité de « l'entreprise France », auquel il sera nécessaire d'apporter des réponses, car nous ne pourrons pas nous dérober indéfiniment ! A ce propos, certains font tellement référence au MEDEF que je me demande si cela ne cache pas quelque collusion secrète...
L'insuffisance de la durée du travail - 1 453 heures annuelles, soit 12 % de moins que la moyenne européenne et 20 % de moins que les Etats-Unis - est l'une des causes majeures du recul de notre pays. Nous ne sommes qu'au 27e rang mondial pour la compétitivité, ce qui pèse dangereusement sur notre balance commerciale.
La conséquence de ce recul est que nous avons de moins en moins les moyens de nos ambitions sociales. Cela se traduit sur notre niveau de vie.
Au palmarès 2004 de l'indicateur de développement humain, l'IDH, qui n'est pas seulement un indicateur financier, loin s'en faut - les mêmes statistiques sont fournies par tous les organismes, notamment ceux de l'ONU -, nous ne sommes qu'au seizième rang mondial, alors que nous étions au premier rang voilà une vingtaine d'années ; en 2002, notre revenu national brut par habitant, calculé en dollar constant, nous place au dix-huitième rang mondial ou, exprimé en parité de pouvoir d'achat, au quinzième rang, ce qui est un peu mieux ! Cela représente tout de même 25 % de moins que les Etats-Unis et, surtout, 10 % de moins que l'Irlande !
Nous payons très cher les errements politiques des deux décennies passées et il est urgent de réagir. Ce texte en est un moyen. Il est donc indispensable qu'il soit mis en oeuvre et son succès est hautement souhaitable, car nous ne pourrons nous satisfaire de ce contraste de plus en plus fort entre une France ultra-protégée et une France fragilisée qui ne pourra peut-être pas supporter bien longtemps cette situation !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, sans logis, sans logement, sans toit, on est bien vite sans droits. C'est ainsi que l'on peut résumer la question du logement, telle qu'elle se trouve définie dans le présent projet de loi.
Venant après le vote de la loi du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, qui comprenait, entre autres dispositions, la création d'une Agence nationale de rénovation urbaine, dont l'action demeure encore assez peu perceptible, le présent texte comporte un certain nombre d'articles - une quinzaine au total - destinés à apporter quelques mesures en la matière.
Le besoin en logements est particulièrement important dans notre pays. Il l'est d'autant plus qu'année après année le nombre de logements mis en chantier stagne à hauteur de 50 000 à 55 000 logements locatifs sociaux neufs, au regard des 120 000 qui seraient nécessaires.
Et ce n'est pas la véritable explosion des loyers du secteur privé qui a pu résoudre la question !
Les familles en demande de logement sont de moins en moins en situation de payer les loyers exorbitants imposés par la seule loi du marché locatif.
Les dispositions législatives diverses qui ont été prises, depuis 2002, pour favoriser l'investissement locatif privé n'ont pu que provoquer les effets de tension sur le marché du logement que nous connaissons aujourd'hui.
La seule notion de « marché du logement » est d'ailleurs en elle-même un problème, puisque nous sommes, pour notre part, d'abord et avant tout attachés au principe de droit au logement affirmé par la loi de 1989 sur les rapports locatifs, par la loi de 1990 tendant à la mise en oeuvre du droit au logement, et confirmé par la loi de solidarité et de renouvellement urbains de décembre 2000.
Le rapport pour avis de Dominique Braye est d'ailleurs éclairant de ce point de vue. Notre collègue n'écrit-il pas lui-même, dans l'exposé général, que « Cette augmentation du prix des loyers touche de plein fouet les ménages les plus modestes, plus particulièrement ceux qui sont logés dans le parc locatif privé, pour lesquels le taux d'effort brut - montant du loyer rapporté au revenu global - est passé de 31, 7 % en 1988 à 50, 8 % en 2002 ».
Le même rapport indique que ce sont, aujourd'hui, plus d'un million de ménages qui ont déposé une demande de logement auprès d'un organisme d'HLM.
C'est donc au regard de la tension particulièrement forte qui existe dans certaines régions du pays que l'on peut mesurer la pertinence ou la portée des mesures qui sont annoncées dans la loi de programmation.
Les dispositions du projet de loi portent à la fois sur la programmation du développement de l'offre locative, sur l'amélioration du suivi social des locataires en difficulté et sur la mobilisation du parc locatif privé.
On peut être séduit, a priori, par le contenu des articles de programmation.
Porter à 100 000 places la capacité des structures d'accueil et d'hébergement d'urgence, programmer la réalisation de 500 000 logements locatifs sociaux sur la durée de mise en oeuvre de la loi, favoriser le conventionnement et la maîtrise des loyers d'une part croissante du secteur privé sont autant d'objectifs en apparence ambitieux et pouvant rencontrer un large consensus.
De même, faire en sorte que soient mis en oeuvre les outils d'une meilleure prévention des contentieux locatifs peut rencontrer l'assentiment.
Hélas ! De plus près, les choses ne sont pas aussi simples.
Considérons la programmation de la construction de logements sociaux.
A l'article 41, ce sont 465 millions d'euros qui sont prévus pour réaliser les cent mille logements programmés en 2005. Le montant figure en toutes lettres dans le budget du logement, tel qu'il est prévu dans la loi de finances.
Mais, si l'on fait la somme des autorisations de programme 2004 et 2005, et si l'on compare le tout aux crédits de paiement finalement mobilisés, ce sont plus de 50 millions d'euros qui manquent à l'appel.
Cette apparente augmentation des crédits ouverts se double d'une réduction de 54 millions des crédits, gérés par l'Agence nationale de rénovation urbaine, l'ANRU, pour les grands projets urbains, et d'une réduction de 260 millions d'euros des crédits budgétaires destinés au financement du prêt à taux zéro, du fait de la transformation de ce prêt en crédit d'impôt.
En réalité, il n'y a donc qu'un redéploiement des sommes antérieurement utilisées, comme si l'on se contentait de faire du neuf avec du vieux. Et, comme cela n'a pas échappé aux responsables du secteur HLM ni aux associations de défense des locataires, les financements sont en réalité forts loin d'être bouclés.
Quid de la capacité des organismes d'HLM à mobiliser les fonds du 1 % employeur, leurs fonds propres, les concours des collectivités locales, dans un contexte où la loi sur les responsabilités locales a dévolu la gestion des aides à la construction aux collectivités locales ?
Comment va-t-on « faire la maille » pour assurer le montage des opérations, même s'il faut apprécier positivement l'exonération renforcée de taxe foncière sur les nouveaux logements ?
Tout se passe comme si la loi fixait un cadre dans lequel les collectivités locales, à concurrence de leurs moyens et des enveloppes budgétaires distribuées, mettraient en oeuvre les objectifs programmés. D'ici à ce que les élus locaux soient tenus pour responsables en cas d'échec de la réalisation des objectifs, il n'y a pas loin...
La question du logement dans notre pays appelle des solutions audacieuses. Votre enthousiasme, monsieur le ministre, ne suffira pas à masquer la timidité de vos propositions.
En liant financement du volet logement et objectifs, il apparaît clairement que rien n'est absolument garanti, alors que, pendant ce temps, nous verrons disparaître, par exemple, le prêt à taux zéro. Cela inquiète particulièrement l'Union sociale pour l'habitat.
Le Conseil économique et social ne dit pas autre chose quand il souligne : « Le Conseil économique et social regrette que le projet de loi ne soit pas à la hauteur de l'ambition du plan de cohésion sociale et conduise davantage à un rattrapage des retards qu'à la mise en oeuvre d'une nouvelle politique ».
La question du logement doit être abordée avec une volonté politique renforcée, donnant à la puissance publique un rôle clé dans la conduite des solutions, par des financements adaptés et, par-dessus tout, dans l'affirmation des droits des locataires et des demandeurs de logement.
Nous devrions faire de cette future loi une étape décisive dans l'affirmation du droit au logement, mais force est de constater que nous sommes encore loin de cet objectif. A l'instar des associations de locataires et des acteurs du logement social, nous craignons qu'elle ne conduise à une régression du droit au logement, alors qu'il existe aujourd'hui dans notre pays plus de 3 millions de citoyens mal logés.
C'est pourquoi le groupe CRC s'inscrira dans ce débat avec volontarisme et présentera un certain nombre d'amendements qui, selon nous, portent plus sûrement l'ambition que nous devons avoir pour répondre à ce besoin fondamental que constitue le droit au logement.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur le rapporteur du Conseil économique et social, j'ai plaisir à vous saluer et, à travers vous, l'institution que vous représentez, laquelle a toujours joué un rôle majeur dans la lutte contre l'exclusion.
Dans ce domaine, en effet, deux lois importantes sont venues concrétiser les réflexions du Conseil exprimées dans les rapports de Joseph Wresinski et de Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Nul doute que l'adoption du présent projet de loi, qui fait suite à un autre rapport du Conseil économique et social, en l'occurrence le rapport de Didier Robert publié l'année dernière, marquera une étape importante dans la lutte contre l'exclusion.
La lutte contre la misère et l'exclusion, d'une part, et pour le progrès de la cohésion sociale, d'autre part, est d'une particulière gravité et touche le coeur même de nos sociétés et de notre avenir.
Certes, la misère est, hélas ! universelle et a toujours existé à des degrés d'extension plus ou moins larges. Sa réalité mondiale, aujourd'hui, est cependant particulièrement grave et lancinante.
Le Président de la République, devant l'assemblée générale des Nations unies, a récemment fait des propositions pour mieux armer le combat contre la misère au niveau mondial. Toutefois, la France, plus que tout autre pays, en raison même de sa devise et de sa fierté républicaine passée, ne peut qu'être plus touchée que toute autre nation par la perception de ce « chancre » qui la ronge et qui est comme une négation vivante de ce qu'elle prétend être et de ce qu'elle ne doit jamais renoncer à être.
Depuis bientôt vingt ans, des lois essentielles ont été votées pour endiguer les décrochages massifs de centaines de milliers et même, aujourd'hui, de millions de personnes qui vivent dans des conditions indignes.
En 1988, la loi portant création d'un revenu minimum d'insertion laissait espérer de « remettre en selle » environ 300 000 personnes susceptibles d'en bénéficier. Chacun sait que la vague des personnes concernées dépasse aujourd'hui le million et que la sortie même du régime de revenu minimum reste problématique.
La solution est-elle d'ailleurs à notre portée ? Il est permis d'en douter, depuis que des gouvernements s'efforcent de lutter contre ce mal aux allures endémiques qui « ronge » la société, avec des résultats qui ne sont pas toujours à la hauteur des attentes.
Au demeurant, si ce combat n'est pas constamment livré, sans désemparer, il est absolument certain que les scénarios les plus catastrophiques ravageront ce qu'il reste encore de cohésion sociale.
C'est dans ce contexte que nous est présenté le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.
Ce texte se situe, d'emblée, comme l'une des phases essentielles du combat mené depuis près de vingt ans, auquel le Président de la République a voulu donner une nouvelle impulsion. Les qualités du texte que vous avez préparé, monsieur le ministre, avec vos collègues du « pôle social », ont été soulignées et considérées comme une source d'espoir par le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale que j'ai l'honneur de présider. Je n'insisterai pas sur ce point, sauf pour remercier Mme Nelly Olin du soutien et de l'énergie qu'elle apporte, avec toute son équipe, pour faciliter le travail de cette instance.
J'ajouterai quelques considérations plus personnelles.
Tout d'abord, au sujet des contrats aidés, certains savent que, voilà un an, j'ai remis au Premier ministre un rapport intitulé Pour un contrat d'accompagnement généralisé.
Je ne cacherai pas ma satisfaction de retrouver dans le projet qui nous est soumis non seulement la philosophie que j'avais discernée dans les expériences efficaces en matière d'insertion professionnelle et sociale, mais aussi des avancées significatives vers la simplification des outils disponibles pour ce combat.
Je n'ai jamais pensé que l'instrument unique et polyvalent en matière de contrat aidé était à portée de main. J'ai surtout souligné l'absolue nécessité de l'accompagnement. Certes, les contrats aidés eux-mêmes doivent être unifiés au maximum, dans un souci de simplification instrumentale, mais le paramétrage sera toujours variable en fonction des situations individuelles des bénéficiaires ou des acteurs qui seront appelés à mettre en oeuvre de tels contrats. C'est au plus près de la réalité du terrain que l'adaptation de ces contrats à chaque situation personnelle doit être effectué. A cet égard, l'accompagnement joue un rôle essentiel.
Nous avons besoin d'une ingénierie facilement maîtrisable et modulable, sinon la complexité et la rigidité deviennent elles-mêmes sources d'exclusion. Il faut que les acteurs, quels qu'ils soient, comprennent et maîtrisent facilement l'ensemble du dispositif et les outils mis à leur disposition, pour que l'essentiel de l'énergie dépensée dans la lutte contre l'exclusion ne soit pas consommé par la simple gestion des instruments.
A ce titre, le projet de loi marque un progrès incontestable, que le débat parlementaire pourrait, je le souhaite, encore améliorer grâce au travail de très grande qualité de nos rapporteurs.
Je voudrais ensuite insister sur la nécessité de donner la parole à ceux qui sont eux-mêmes les victimes de situations de misère et d'exclusion, et de la leur donner dans des conditions qui tiennent compte de la dissymétrie des positions entre ceux qui disposent d'une parcelle de pouvoir dans la société, ne serait-ce que par la sécurité de leur insertion sociale, et ceux qui n'ont rien et dont, pourtant, le besoin de reconnaissance sociale est équivalent à celui des premiers.
La cohésion sociale telle que nous la voulons est le résultat, non pas d'un simple processus technique, mais d'une relation vivante et permanente de réciprocité humaine. La vie sociale dans la justice et la paix partagées par tous peut seule qualifier une cohésion sociale digne de l'homme. Cet échange à travers lequel chacun donne et reçoit est la véritable finalité de notre ambition sociale.
C'est pourquoi je reprendrai ici la suggestion à laquelle le président du Sénat, Christian Poncelet, a bien voulu prêter une oreille attentive lors de la journée mondiale du refus de la misère qui s'est tenue au Sénat le 17 octobre, il y a tout juste dix jours. Nous avons connu, dans ce même hémicycle, un moment d'une particulière intensité avec le mouvement ATD-Quart Monde, lors d'une séance du « Sénat junior ».
Nous devons nous efforcer individuellement de chercher à partager un peu de la vie de ceux qui sont plongés dans ces situations d'exclusion, afin de recevoir d'eux l'enseignement qui nous fait défaut pour nous insérer nousmêmes dans une société conforme, non pas à des exigences techniques, mais à des exigences humaines.
A l'instar des stages d'immersion dans des entreprises ou des juridictions, la présidence du Sénat pourrait concevoir de nouvelles immersions dans une réalité qui nous est quotidiennement étrangère, afin que notre état d'esprit soit accessible à la compréhension profonde de ce qui est en cause dans la misère et l'exclusion.
Cette immersion doit pouvoir s'organiser au sein des réseaux d'associations et d'entreprises qui sont engagés dans ce combat moderne contre la négation de notre humanité.
Il apparaît clairement, en effet, que notre cohésion sociale repose pour beaucoup sur la diversité des acteurs et des rôles.
Les sociétés techniques sont très largement sélectives, et elles le seront certainement de plus en plus si on les laisse évoluer sans contrepoids. Une compétition acharnée y règne. Tant que leur performance est mesurée à travers des comptabilités de flux financiers, il est possible de mettre en lumière les succès, mais aussi de masquer les dégâts humains engendrés par le processus d'uniformisation issu de la globalisation de l'économie.
Mais c'est bien parce que ce « masque » commence à glisser et que les esprits les plus lucides nous ont alertés depuis des années sur le processus d'exclusion que nous avons pris aussitôt des initiatives et que, fort heureusement, nos économies ont encore un visage polymorphe.
En effet, la société doit et devra toujours pouvoir offrir une palette diversifiée de situations de participation à la vie économique et sociale, parce que nous n'avons pas, les uns et les autres, les mêmes exigences ni les mêmes performances face aux mécanismes implacables des processus techniques. C'est à cette exigence de diversité que répond, en partie, la sphère de l'économie solidaire.
Allons plus loin, et concevons que c'est toute une écologie humaine qui doit être désormais à l'ordre du jour de nos réflexions et de nos actions, dans une approche qui ne soit donc pas limitée à la nature animale et végétale. Le milieu humain a des exigences qui ne peuvent se satisfaire d'une organisation de la vie économique dictée par la seule compétitivité recherchée dans la production de biens d'équipements ou de consommation.
Les agences de développement éthique, qui commencent à apparaître, sont le signe du virage pris par une humanité qui ne veut pas s'enfermer dans une vision réductionniste de l'avenir. La perception des situations d'exclusion et la lutte que celles-ci appellent, nous préparent à la mise en oeuvre de solutions plus efficaces parce que moins génératrices elles-mêmes d'exclusion.
C'est dans cette perspective que nous devons écouter non seulement les demandes de ceux qui sont en situation d'exclusion, mais aussi les requêtes de ceux qui sont les principaux acteurs de ce combat, c'est-à-dire les associations, les entreprises et les services publics qui oeuvrent à tous les niveaux dans le combat pour l'insertion, notamment par l'activité économique et sociale.
Sachons reconnaître à ces acteurs la place qui leur revient dans les dispositifs prévus par ce grand texte de loi.
La valeur ajoutée que ces acteurs apportent à notre société est essentielle, car elle est humaine et pour cela, bien sûr, insaisissable par quelque comptabilité que ce soit.
C'est en définitive sur ces acteurs que repose la cohésion sociale au niveau de la réinsertion, tandis que le rôle primordial de la prévention incombe à la famille, à l'appareil éducatif et de formation professionnelle.
A nous de faire, par la cohérence de toute notre législation sur l'ensemble de ces plans, que notre cohésion sociale soit, non pas résiduelle, mais renaissante.
Ce projet de loi nous en offre l'occasion. Sachons la faire fructifier !
Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, je rappelle aux membres de la commission des affaires sociales que nous nous réunirons dans notre salle de commission pendant la suspension de la séance.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, je souhaite revenir sur nos conditions de travail.
M. Alain Gournac, rapporteur, s'exclame.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement, sur ce texte important, nous force à travailler à un rythme soutenu, rythme que nous avons déjà connu la semaine dernière lors de l'examen du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Ainsi, à chaque suspension de séance, nous sommes contraints d'étudier les amendements avant de devoir regagner l'hémicycle pour la reprise de la séance. Monsieur le président de la commission, ce sera le cas ce soir, demain à l'heure du déjeuner, ...
Absolument !
De telles conditions de travail ne me semblent pas tout à fait normales.
Monsieur Godefroy, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt-et-une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.