Intervention de Louis Souvet

Réunion du 27 octobre 2004 à 15h00
Cohésion sociale — Discussion d'un projet de loi

Photo de Louis SouvetLouis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des affaires sociales du Sénat, saisie au fond, m'a fait l'honneur de me confier le volet « emploi » du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à mes collègues de la commission, à la lecture de ce texte, mon premier sentiment fut qu'il était différent des autres.

D'abord, ce projet de loi est la traduction d'une « priorité absolue », selon les termes du Président de la République, celle de répondre à l'inquiétude de nos concitoyens. En effet, notre pays n'est plus très sûr de son modèle d'intégration républicaine, et chacun peut se sentir menacé par la régression sociale et la stagnation économique.

Ensuite, ce projet de loi est le fruit d'une mobilisation inédite, celle du « Gouvernement tout entier », pour reprendre encore une fois l'expression du Président de la République. L'architecture du pôle « emploi » le démontre, avec la création d'un grand ministère sous la conduite de Jean-Louis Borloo.

L'élaboration et le contenu de ce texte attestent de ces spécificités puisque toutes les instances représentatives du pays ont été consultées, notamment le Conseil économique et social, dont nous venons d'entendre le rapporteur.

La méthode retenue est celle d'un plan d'action pluriannuel, pour la période 2005-2009, qui couvre trois domaines : l'emploi, le logement et l'égalité des chances. Un effort budgétaire sans précédent de 12, 8 milliards d'euros de crédits - vous avez eu la pudeur de ne pas le rappeler, monsieur le ministre - lui sera consacré sur la période.

Ce texte est né d'une indignation, celle qui est causée principalement par le chômage de masse, qui atteint les 10 % de la population active, voire les dépasse largement s'agissant des jeunes et dans les zones urbaines sensibles.

Le chômage de longue durée alimente le sentiment d'insécurité, d'autant que, dans notre pays, il est deux fois plus difficile de sortir du chômage qu'en Allemagne et six fois plus difficile qu'aux Etats-Unis. Le chômage est donc, chez nous, une épreuve dramatique, contrairement à ce qui se passe en d'autres pays où il peut être vécu comme une période transitoire.

Ces résultats médiocres sont d'autant moins acceptables que la politique de l'emploi mobilise 10 % du budget de l'Etat et plus de 4 % du produit intérieur brut, soit 70 milliards d'euros chaque année.

Face à ce constat, une réforme des outils de notre politique de l'emploi s'impose et le projet de loi y pourvoit par trois séries de mesures essentielles : la réforme du service public de l'emploi ; les mesures en faveur de l'emploi lui-même, qu'il s'agisse de celui des jeunes ou de celui des adultes chômeurs de longue durée ; enfin, les dispositions en faveur de la création d'entreprises.

De nombreux rapports officiels, parmi lesquels, tout récemment, le rapport Marimbert, ont dénoncé « l'éclatement » du service public de l'emploi à la française, qui distingue l'indemnisation du placement des demandeurs d'emploi.

L'indemnisation est assurée, pour l'essentiel, par l'UNEDIC, et par les ASSEDIC, même si l'Etat verse, lui aussi, des allocations de solidarité, comme l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS.

Le placement, c'est-à-dire le rapprochement des offres et des demandes d'emploi, est assumé principalement par l'Agence nationale pour l'emploi, l'ANPE, mais celle-ci coexiste avec d'autres organismes comme l'Association pour l'emploi des cadres, ingénieurs et techniciens, l'APEC, les missions locales, et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation, les PAIO, qui, comme leur nom l'indique, accueillent les jeunes.

Cette situation est source de complexité et facteur d'inefficacité.

Prenons l'exemple d'un cadre qui perd son emploi : il doit d'abord se rendre auprès des ASSEDIC pour se faire inscrire sur la liste des demandeurs d'emploi et percevoir son indemnité, puis à l'ANPE pour subir un entretien obligatoire d'élaboration de son projet d'action personnalisé, enfin à l'APEC, qui a passé convention avec l'ANPE pour effectuer le placement des cadres au chômage. Il s'écoulera en moyenne cinquante-cinq jours entre l'inscription d'un cadre aux ASSEDIC et son premier rendez-vous à 1'APEC. Or c'est seulement à ce stade que sa recherche d'emploi va véritablement pouvoir débuter. Il a donc perdu cinquante-cinq jours.

Paradoxalement, les statistiques de l'ANPE font état de 250 000 emplois non pourvus en France, ce qui montre non seulement l'inadéquation entre les formations et les besoins de l'économie, mais aussi la lenteur avec laquelle le service public de l'emploi met en relation offres et demandes d'emploi.

Le projet de loi comporte deux outils pour en améliorer le fonctionnement.

Le premier, à l'échelon national, est la conclusion d'une convention pluriannuelle, associant l'UNEDIC, l'ANPE et l'Etat, pour définir des objectifs communs à partir d'un diagnostic partagé et pour organiser la coopération de ces différentes instances.

La commission des affaires sociales a souhaité prendre en compte la formation, en proposant d'associer l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, à la conclusion de ces conventions pluriannuelles.

L'AFPA est un acteur majeur de la formation continue. Elle entretient des liens étroits avec l'Etat, son principal financeur. Elle assure des formations à visées professionnelles dans deux cents sites répartis sur l'ensemble du territoire national et joue un rôle essentiel en matière de validation des acquis et d'expérience.

La commission a aussi voulu mieux distinguer les institutions d'Etat de celles qui sont gérées paritairement pour préserver l'autonomie des partenaires sociaux. Elle vous présentera par conséquent un amendement allant dans ce sens.

Le second outil contenu dans le projet de loi, qui vise cette fois l'échelon local, est la création de trois cents maisons de l'emploi sur l'ensemble du territoire, soit environ une pour trois agences de l'ANPE.

D'ici à 2009, 1, 7 milliard d'euros seront consacrés à leur mise en place et seront notamment affectés à l'embauche de 7 500 agents supplémentaires.

Les maisons de l'emploi ont vocation à fédérer les acteurs du service public de l'emploi, à offrir un « guichet unique » d'information et d'orientation et à participer aux actions de reclassement menées par les entreprises dans le cadre d'un plan de licenciements économiques.

Comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, volontairement, le projet de loi ne précise pas la forme que doit prendre une maison de l'emploi pour laisser aux acteurs locaux la liberté de choisir la forme juridique de cette dernière et la composition de son « tour de table ».

Le projet de loi prévoit d'ouvrir l'exercice de l'activité de placement, théoriquement réservé à l'ANPE, bien qu'en pratique d'autres structures de placement existent et fonctionnent depuis longtemps, telles que les cabinets de conseil en recrutement ou les « chasseurs de tête ».

Le projet de loi tend donc à supprimer les dispositions obsolètes et inappliquées du code du travail et à légaliser l'exercice de l'activité de placement par des organismes privés préalablement déclarés. Je souligne que les prestations de ces instances ne seront bien évidemment jamais facturées aux chômeurs : elles incomberont aux seules entreprises.

Symétriquement, afin que l'ANPE s'adapte à cette nouvelle donne, son statut sera modifié pour qu'elle puisse constituer des filiales susceptibles de vendre des services payants aux entreprises. Toutefois, la commission des affaires sociales vous proposera, d'une part, de préciser clairement les activités de service public de l'ANPE, qui devront demeurer gratuites, et, d'autre part, d'apporter des garanties pour éviter les distorsions de concurrence entre l'ANPE et les prestataires privés.

La réforme du service public de l'emploi est complétée par un aménagement des obligations des chômeurs en matière de recherche d'emploi, que je qualifierai de « raisonnable ».

Ainsi, un demandeur d'emploi ne pourra plus refuser un emploi correspondant à une formation ou à une qualification que le service public de l'emploi lui a permis d'acquérir.

Par ailleurs, la contrainte de mobilité sera appréciée en tenant compte des aides au déménagement ou au transport dont le chômeur pourra bénéficier de la part de l'UNEDIC.

Enfin, en cas d'infraction aux règles d'indemnisation du chômage, les ASSEDIC et les directions départementales du travail pourront désormais réduire le revenu de remplacement, et non plus seulement le supprimer, ce qu'ils hésitaient à faire pour ne pas priver les chômeurs de leur unique source de revenu.

La commission des affaires sociales a souhaité compléter ces propositions, pleines de bon sens, d'abord en précisant que la recherche d'emploi doit se manifester par des actes répétés, ensuite, en accordant aux chômeurs qui cherchent à créer ou à reprendre une entreprise le maintien de leur revenu de remplacement, enfin, en imposant un délai à la décision du directeur départemental sanctionnant un demandeur d'emploi.

Autre grand thème de mon propos : l'insertion professionnelle des jeunes.

Le Président de la République observait qu'« il y a beaucoup trop de jeunes sans emploi et beaucoup trop d'emplois sans jeunes ». Effectivement, est-il normal que le chômage des jeunes soit deux fois plus élevé que la moyenne nationale globale ? Est-il acceptable que chaque année, dans notre pays, 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme et 60 000 sans qualification ? N'est-ce pas un signe des insuffisances de l'éducation nationale et de l'échec de notre société tout entière ?

Prenons l'exemple de l'apprentissage. C'est l'une des voies de la formation initiale qui mobilise 3 milliards d'euros. Elle a fait ses preuves mais elle reste boudée et méconnue. Livres blancs et rapports successifs ont établi le même diagnostic : l'apprentissage reste entaché d'une image négative. N'est-il pas temps d'en finir avec « l'apprentissage-ghetto » ?

La tâche sera rude car le système d'apprentissage est complexe. J'en citerai rapidement les points de blocage.

On pensait qu'en confiant l'apprentissage aux régions, la répartition des compétences deviendrait lisible. Ce ne fut pas le cas.

Le système de collecte de la taxe d'apprentissage, avec ses six cents collecteurs et un rapport supérieur à 1 milliard d'euros, est si opaque qu'il permet certaines pratiques très contestables de courtage et qu'il s'oppose au principe de libre affectation des entreprises auquel les partenaires sociaux demeurent fondamentalement attachés.

Pis, les fonds issus de la taxe d'apprentissage ne bénéficient pas en priorité à l'apprentissage, loin s'en faut !

Toutes les réformes partielles de ce dispositif n'ont fait qu'accroître la confusion.

Le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale veut porter à 500 000 les effectifs des apprentis d'ici à 2009, ce qui suppose d'attirer de nouveaux publics, comme les étudiants qui se sont fourvoyés à l'université ou les jeunes chômeurs qui veulent apprendre un métier.

Il vise donc à assouplir le contrat d'apprentissage, notamment sa durée. Cette dernière est aujourd'hui d'un an minimum. Or cette exigence se solde par un taux de rupture prématuré des contrats de 25 %, voire de 50 % dans certains secteurs.

Le projet de loi permet également aux entrepreneurs de plus de 25 ans d'entrer en apprentissage.

Ensuite, il tend à renforcer l'attractivité du système en créant un crédit annuel d'impôt d'un montant de 1 600 euros à 2 200 euros en faveur des entreprises qui accueillent des apprentis et à interdire formellement les pratiques de courtage.

Enfin, le Gouvernement veut faire de l'apprentissage une filière reconnue d'éducation et s'en donne les moyens financiers grâce à un fonds de développement et de modernisation de l'apprentissage, doté de 215 millions d'euros. Ce fonds devait être initialement créé au sein du projet de loi de finances, mais il sera finalement introduit par voie d'amendement dans le présent projet de loi.

La commission des affaires sociales est bien sûr favorable à ce dispositif. Cependant, elle déplore le fait que le problème de l'apprentissage n'ait jamais été abordé globalement. Nous avons adopté certaines dispositions dans la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, d'autres dans la loi relative aux libertés et responsabilités locales. Demain, le projet de loi traitant de l'école ne manquera pas d'aborder ce sujet.

Or nous devons faire attention aux incohérences. Nos entreprises ont besoin, elles aussi, de stabilité et de visibilité. On ne peut pas utiliser l'apprentissage pour corriger les erreurs de l'éducation nationale. L'objectif de porter le nombre des apprentis à 500 000 en cinq ans est louable, mais à condition que ces apprentis trouvent des débouchés dans un métier et que le choix ne se fasse pas au détriment des lycées professionnels.

Prenons garde également à ce que le crédit d'impôt, très attractif, ne suscite pas des comportements opportunistes car il concerne aussi les entreprises qui ne paient pas la taxe d'apprentissage.

Enfin, la péréquation financière ne doit pas conduire à donner aux centres de formation d'apprentis, les CFA, les mêmes dotations financières : tous les métiers n'ont évidemment pas les mêmes besoins.

Pour sa part, la commission des affaires sociales souhaite que l'apprentissage soit une voie de formation choisie et non subie. Elle doit devenir une voie de formation initiale, égale aux autres. Pour que l'apprentissage devienne une filière de réussite reconnue de tous, il faut y sensibiliser non seulement les jeunes, mais surtout leurs parents en développant des campagnes d'information et d'orientation vers les métiers offrant de véritables débouchés. Pour répondre à ce souci, la commission vous proposera plusieurs amendements afin de valoriser la situation de l'apprenti.

Outre la réforme de l'apprentissage, le projet de loi entend traiter le problème de l'insertion professionnelle des jeunes en leur reconnaissant un véritable droit à l'accompagnement personnalisé qui sera réalisé par le réseau des missions locales pour l'emploi et des permanences d'accueil, d'information et d'orientation.

Il pourra être mis en oeuvre, mais ce n'est pas obligatoire, grâce à un outil : le contrat d'insertion dans la vie sociale, le CIVIS. Celui-ci prévoit un suivi des jeunes en vue de leur insertion dans l'emploi accompagné du versement d'une allocation pendant les périodes durant lesquelles ils ne sont ni en stage, ni détenteur d'un emploi, afin de lisser leur revenu.

Monsieur le ministre, la commission des affaires sociales entend vous faire part de ses inquiétudes quant à l'utilisation qui pourrait être faite du CIVIS.

En effet, ce contrat est aujourd'hui un outil à la disposition des régions qui peuvent en déléguer l'usage aux missions locales, mais elles ne sont pas tenues de le faire. Il existe donc un risque d'inégalité dans la qualité de l'accompagnement des jeunes, selon que les missions locales disposeront ou non du CIVIS, d'autant que la plupart des régions souhaitent développer leurs propres instruments d'insertion professionnelle des jeunes, notamment sous la forme des « emplois-tremplins », plutôt que d'utiliser cet outil conçu par le Gouvernement.

Pour éviter que le CIVIS, qui me semble être un outil prometteur, ne reste lettre morte, la commission vous proposera d'en confier la gestion à l'État. Les régions conserveront leurs compétences en matière d'accompagnement personnalisé des jeunes. Elles les exerceront, comme c'est déjà le cas aujourd'hui, en partenariat avec l'État.

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