Intervention de Valérie Létard

Réunion du 27 octobre 2004 à 15h00
Cohésion sociale — Discussion d'un projet de loi

Photo de Valérie LétardValérie Létard, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'évoquerai les volets « logement » et « égalité des chances » de ce texte très attendu, que le Président de la République a présenté comme « une impulsion nouvelle pour une réorientation nouvelle qui rompt avec les logiques du passé ».

Je ne reviendrai ni sur le diagnostic, quelquefois douloureux, sur la situation sociale de notre pays ni sur les effets du chômage. Je rappellerai toutefois que la situation est également critique en termes de logement.

S'agissant tout d'abord de l'hébergement d'urgence, et malgré les efforts entrepris depuis la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions de 1998, les établissements sont aujourd'hui submergés par la demande, qui dépasse le public traditionnel des sans-abri ou des personnes en recherche d'un accompagnement social adapté.

Le surpeuplement des structures d'urgence et l'augmentation du montant des loyers dans le parc privé ont accru la demande dans le parc social. Le nombre de dossiers est passé d'environ 850 000 en 1996 à plus de 1 million en 2002. A peine la moitié des demandes peut être satisfaite dans l'année. En effet, les mises en chantier de logements locatifs sociaux sont trop limitées. Entre 1996 et 2003, le parc social ne s'est accru que de 44 000 logements par an en moyenne en France métropolitaine ; il en aurait fallu au moins le double pour répondre aux besoins.

L'accueil de ménages très défavorisés dans le parc social confronte les bailleurs à des difficultés de maintien dans les logements. En effet, une fois payés le loyer et les charges, le « reste à vivre » est d'autant plus limité que le niveau de vie est faible. Une rupture familiale ou professionnelle suffit à mettre en cause cet équilibre précaire.

Les dispositifs destinés à sécuriser les locataires en situation fragile, comme le fonds de solidarité pour le logement, sont de plus en plus sollicités. Malgré cette aide et les mesures de prévention introduites par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, le nombre des expulsions augmente depuis 1999.

Le parc privé, pour sa part, n'est pas épargné par cette crise. Le coût d'accès au logement augmente pour les ménages les plus pauvres, malgré l'impact des aides. On constate également un nombre croissant de copropriétés dégradées, dont les propriétaires ne peuvent plus payer les frais d'entretien et une tendance au surpeuplement de certains logements. La faiblesse des revenus de ces ménages les empêche d'accéder à d'autres types de logements, la pénurie s'accroît dans le parc locatif social et le parc privé peine à dégager des capacités supplémentaires, malgré les subventions de l'ANAH pour la réhabilitation des locaux vétustes et les incitations fiscales des dispositifs Besson et Robien en faveur de la construction de logements privés intermédiaires.

Parallèlement, on déplore un nombre important de logements vacants : ils sont environ 3 millions, dont 200 000 à 300 000 pourraient, semble-t-il, être remis sur le marché assez facilement.

L'égalité des chances constitue le troisième volet du texte. Elle passe d'abord par l'égalité entre les territoires, qui devrait permettre d'offrir les mêmes espoirs et les mêmes services à l'ensemble de la population. Or la réalité est bien différente. En effet, certaines communes cumulent un potentiel fiscal faible et des charges socio-urbaines très lourdes en raison des besoins de leur population, souvent jeune et défavorisée, en matière d'équipements collectifs, d'aide sociale et de services publics.

Il apparaît que la dotation de solidarité urbaine, la DSU, n'est pas suffisamment redistributive. Son mode de répartition ne prend pas en considération l'appartenance des communes aux zones prioritaires définies par la politique de la ville, c'est-à-dire leur éventuelle classification en zone urbaine sensible.

Face à ce constat, le projet de loi qui nous est présenté se veut ambitieux. Il s'agit de sortir de la crise du logement et d'offrir à chacun l'opportunité d'une évolution sociale.

En ce qui concerne le logement, des mesures sont prévues en faveur de l'hébergement d'urgence, du parc social et des bailleurs privés. En vue d'améliorer et de diversifier l'offre d'hébergements d'urgence et de logements temporaires, le texte prévoit ainsi de porter à 100 000, d'ici à 2009, le nombre total de places disponibles, soit la création de 9 800 places supplémentaires.

Par ailleurs, le projet de loi vise, de façon déterminée, à permettre aux occupants des établissements de logement temporaire d'accéder plus facilement au parc locatif social. Sur ce point, la commission des affaires sociales considère qu'il est effectivement essentiel de favoriser l'insertion de ces personnes dans le parc social, dès que leur situation le permet. Mais elle estime insuffisant de se limiter à compléter, à leur intention, la liste des personnes prioritaires pour l'attribution d'un logement locatif social. Au fil des textes, cette liste s'est en effet considérablement allongée, ce qui conduit souvent les commissions d'attribution à arbitrer entre des publics potentiellement tous prioritaires.

La commission des affaires sociales considère donc qu'il est plus judicieux, d'une part, de préciser que les commissions d'attribution conduisent leurs missions dans le respect de l'objectif de mixité sociale et en tenant compte des situations les plus urgentes et, d'autre part, de prévoir qu'elles accueillent en leur sein, avec voix consultative, un représentant des associations d'insertion et de logement des personnes défavorisées.

Un an après la création de l'Agence nationale de rénovation urbaine, le présent projet de loi constitue la deuxième étape d'un « plan Marshall » en faveur du logement social. Il s'agit de réaliser 500 000 nouveaux logements d'ici à 2009. C'est deux fois le rythme actuel. Pour faciliter la mise en oeuvre de ce programme, le projet de loi a prévu d'associer deux instruments : une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pendant vingt-cinq ans pour les logements sociaux construits entre 2005 et 2009 et la création d'établissements publics fonciers consacrés aux opérations foncières.

A cet égard, la commission des affaires sociales souhaite qu'une partie de ces crédits soit consacrée à la construction de logements sociaux de petite taille destinés à accueillir les plus jeunes, qui se retrouvent trop souvent marginalisés dans des dispositifs d'urgence. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, vos intentions en la matière ?

Par ailleurs, un nouveau dispositif est proposé pour éviter les expulsions du parc social des locataires de bonne foi présentant un impayé de loyers et de charges. Le bailleur et l'occupant pourront signer un protocole d'accord précisant les modalités de remboursement de la dette locative, par le biais d'un plan d'apurement. En contrepartie, le maintien dans le logement sera assuré et les aides aux logements rétablies auprès du ménage, afin de lui permettre de faire face aux échéances du plan d'apurement. A l'issue des deux ans d'application du protocole, l'occupant qui l'aura respecté bénéficiera à nouveau d'un bail. A défaut, la procédure d'expulsion pourra être poursuivie.

La lutte contre la pénurie de logements et l'habitat insalubre passe aussi par des actions en faveur du parc privé. Ainsi, le projet de loi prévoit, pour développer la construction de logements neufs loués à des ménages modestes, une modification du dispositif Robien et, pour lutter contre la vacance des logements privés, la dotation de l'ANAH en moyens supplémentaires pour remettre sur le marché 100 000 logements en cinq ans.

Les propriétaires qui s'engagent à louer un logement dans des conditions favorables aux ménages modestes bénéficieront d'une exonération de la contribution sur les revenus locatifs, la CRL, pendant trois ans.

Enfin, pour faire disparaître les logements insalubres, le projet de loi prévoit d'habiliter le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnances, conformément à l'article 38 de la Constitution, les mesures nécessaires à la réalisation de travaux dans les copropriétés dégradées, le cas échéant en garantissant à la collectivité publique qui effectue la réhabilitation d'office la récupération de sa créance sur les propriétaires indélicats.

La commission des affaires sociales est très favorable à ces différentes mesures, qu'elle a jugé utile de compléter de la manière suivante.

Elle a choisi de rendre le dispositif d'exonération totale de taxe foncière sur les propriétés bâties plus incitatif pour certains logements réhabilités grâce à l'ANAH et loués par une association, en prolongeant jusqu'en 2009 l'abattement de 30 % accordé aux organismes d'HLM et aux sociétés d'économie mixte, les SEM, pour les logements sociaux en zones urbaines sensibles afin d'aider les bailleurs à entretenir leur parc vieillissant.

Concernant les nouveaux établissements publics fonciers, la commission des affaires sociales demande qu'une partie de leur activité soit consacrée à la mise en oeuvre du programme de construction de 500 000 logements sociaux et que les organismes d'HLM et leurs locataires soient exonérés du paiement de la taxe spéciale d'équipement.

Pour accroître les chances de succès du protocole de prévention des expulsions dans le parc social, la commission souhaite que le fonds de solidarité pour le logement, le FSL, contribue à l'apurement de la dette locative, que la durée du protocole soit portée à cinq ans lorsque l'apurement des dettes est retardé et que le versement rétroactif des aides au logement après sa signature soit imprescriptible.

Enfin, mes chers collègues, la commission des affaires sociales vous proposera une réforme des règles applicables à la prise en compte des dettes locatives dans le cadre des procédures de surendettement. En effet, on constate, en raison d'un développement parfois anarchique des crédits à la consommation, une augmentation inquiétante des situations de surendettement, ce qui conduit dans la quasi-totalité des cas à une dette locative. Or, dans le cadre des procédures de surendettement, ces dettes ne sont pas prioritaires, notamment sur celles des établissements bancaires.

La commission des affaires sociales estime que cette situation est contraire à l'objectif du Gouvernement, qui est, d'une part, de favoriser l'accueil des personnes défavorisées dans le parc d'HLM, d'autre part, d'encourager les bailleurs privés à louer leurs biens à des ménages à faibles revenus. Elle souhaite donc corriger deux aspects de la réglementation applicable aux situations de surendettement.

En premier lieu, elle propose de prévoir que le calcul du « reste à vivre » par la commission de surendettement, après paiement des dettes, tienne compte du coût du loyer et des charges. L'objectif est d'éviter que, lorsque la situation de surendettement n'a pas encore eu d'effet sur le paiement du loyer, ce soit l'insuffisance du « reste à vivre » qui en ait.

En second lieu, elle souhaite rendre les dettes locatives prioritaires sur les dettes bancaires lors des remboursements effectués dans le cadre d'une procédure de rétablissement personnel.

J'en viens au volet « égalité des chances »

Il est prévu tout d'abord de venir en aide aux villes qui ne peuvent plus faire face à leurs charges et deviennent ainsi incapables de sortir de la spirale de la pauvreté et de l'exclusion.

C'est pourquoi il est proposé de modifier les règles de répartition de la DSU au profit des communes de moins de 200 000 habitants comptant sur leur territoire une zone urbaine sensible et/ou une zone franche urbaine. La commission des affaires sociales approuve cette réforme, d'autant qu'une clause de sauvegarde permet à toutes les villes de recevoir au moins une dotation équivalente à celles dont elles ont bénéficié en 2004.

Par ailleurs, la totalité des communes éligibles à la DSU bénéficieront, pendant la période 2005-2009, d'une mesure temporaire de rattrapage du niveau de la dotation : un versement supplémentaire de 120 millions d'euros par an, pris sur la dotation globale de fonctionnement des communes et de leurs groupements, sera opéré au profit de la DSU afin de porter, en 2009, son enveloppe à 1, 2 milliard d'euros.

Le texte comporte également un volet éducatif, avec pour objectif de contrer l'échec scolaire et de venir en aide, le plus tôt possible, aux élèves confrontés à des difficultés dans leur environnement social ou familial.

Dans ce but, des dispositifs de réussite éducative doivent rassembler l'ensemble des professionnels, enseignants, éducateurs, médecins scolaires, psychologues, travailleurs sociaux, et tous les autres.

Ces dispositifs seront dotés, pour la période 2005-2009, de près de 1, 5 milliard d'euros.

La commission vous proposera, mes chers collègues, d'introduire une définition de ces dispositifs de réussite éducative afin de préciser le public ciblé, leur mission et les structures juridiques.

Pour ce qui est de leur mise en oeuvre, la commission souhaiterait obtenir de votre part, madame la ministre déléguée, des précisions quant à leur articulation avec les dispositifs existants, qu'il s'agisse, par exemple, des réseaux d'éducation prioritaire, les REP, des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, des contrats petite enfance ou encore des contrats éducatifs locaux, les CEL.

Concernant l'égalité entre les hommes et les femmes, il est d'abord prévu d'accorder à tous les salariés qui reviennent d'un congé maternel ou parental un entretien d'orientation professionnelle, notamment pour envisager le suivi d'une formation de remise à niveau.

Il s'agit, en outre, d'encourager les partenaires sociaux à conclure des accords pour prendre en compte en totalité, et non plus à 50 %, le temps d'absence lié au congé parental dans l'ancienneté des salariés.

Enfin, parce que la cohésion sociale est aussi la cohésion nationale, vous proposez, monsieur le ministre, une refonte de la politique de l'intégration, dont les moyens sont éclatés entre les services centraux et déconcentrés de l'Etat, les établissements publics et les associations. Il en résulte une déperdition de moyens et une pluralité d'objectifs concurrents.

L'enjeu est de taille. Chaque année, près de 100 000 étrangers, qu'il faut accueillir puis intégrer, s'installent dans notre pays. L'objectif est donc de prévenir et de sanctionner les discriminations, particulièrement dans l'accès à l'emploi ou au logement.

Mais choisir de vivre en France, c'est avoir la volonté de s'intégrer à la société française et accepter de respecter les valeurs fondamentales de la République. Le Gouvernement a donc mis en place en juillet 2003 un contrat d'accueil et d'intégration.

Ce contrat est une véritable charte des valeurs républicaines destinée aux étrangers qui souhaitent s'installer dans notre pays. Il doit constituer le premier acte d'engagement réciproque entre l'État et les primo-arrivants.

Au cours du premier semestre 2004, près de 12 500 contrats ont été signés, soit une progression de 50 % par rapport à l'année précédente. Ce succès a encouragé le Gouvernement à donner une base légale au contrat d'accueil et d'intégration et à faire de sa signature l'un des éléments d'appréciation de la délivrance d'un titre de séjour.

Par ailleurs, sur la base des recommandations du Haut conseil à l'intégration, le comité interministériel à l'intégration du 10 avril 2003 a décidé la création d'un opérateur public national. Le présent projet de loi concrétise cette demande en proposant la fusion de l'Office des migrations internationales et de l'Association du service social d'aide aux migrants en une structure unique, l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations.

Parce que l'une des conditions de l'intégration est de pouvoir s'exprimer, le projet de loi propose également de tenir compte, parmi d'autres critères, d'une connaissance suffisante de la langue française ou de l'engagement à l'acquérir ultérieurement lors de l'examen des demandes de permis de travail.

Mes chers collègues, la commission des affaires sociales a porté la plus grande attention à ces dispositions fondamentales.

Nous n'avons pas jugé utile de rendre obligatoire le contrat d'intégration afin de lui conserver sa valeur d'engagement, mais nous souhaitons que le contrat d'intégration soit individualisé, et non pas collectif comme c'est parfois le cas aujourd'hui, et qu'il soit solennellement indiqué dans la loi que la signature de ce contrat suppose le respect des lois démocratiques et des valeurs fondamentales de la République.

Nous avons également considéré qu'il était utile d'affirmer la mission d'action sociale spécialisée qu'aura à assumer la nouvelle agence d'accueil des immigrés.

Enfin, s'agissant des programmes régionaux d'intégration dont le Gouvernement propose la création, la commission souhaite améliorer leurs conditions d'élaboration en créant des passerelles entre ces programmes et les autres structures compétentes en matière d'accueil et d'intégration. Dans ce domaine également, la commission sera intéressée d'entendre, madame la ministre déléguée, comment vous envisagez l'articulation entre les différents dispositifs.

Par ailleurs, la politique d'intégration étant du ressort de l'État, la participation des collectivités territoriales doit rester facultative.

La réussite des dispositions ambitieuses de ce projet de loi dépendra bien évidemment de la mobilisation de tous les acteurs, collectivités territoriales, associations, entreprises ou services déconcentrés de l'État. C'est pourquoi nous croyons en leur engagement en faveur de la cohésion sociale.

Telles sont, monsieur le président, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, les principales observations et propositions de la commission des affaires sociales sur ces volets du texte.

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