Intervention de Christian Favier

Réunion du 31 mai 2013 à 14h30
Modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles — Article 3

Photo de Christian FavierChristian Favier :

Cet article met en place dans notre législation le chef de filat, prévu dans la Constitution comme étant une possibilité offerte au législateur de désigner par la loi une collectivité territoriale chef de file sur une compétence déterminée.

Cette faculté a été introduite dans notre texte fondamental à la suite des réformes menées par notre collègue Jean-Pierre Raffarin quand il était Premier ministre.

Il s’agit cependant d’un concept vide de portée juridique, car cette notion n’a jamais réellement été définie, pas plus hier qu’aujourd’hui dans le présent projet de loi qui pourtant la consacre. Si nous adoptons l’article 3 tel qu’il est actuellement rédigé, nous ne saurons pas ce qui sera mis en place au nom de cette notion de chef de file, notamment quel type de relation se nouera entre les collectivités.

Tous les risques sont donc devant nous.

De surcroît, le dictionnaire ne nous est pas d’une grande utilité, précisant, à propos du chef de file, qu’il s’agit de celui qui est à la tête d’un groupe ou d’un mouvement. Il n’indique pas son rôle. Or, pour nous, c’est la véritable question.

Il semble que cette notion ait aussi une origine financière : elle désigne alors l’établissement bancaire qui dirige une opération financière et assure les relations entre une entreprise cliente et les autres banquiers. Nous pourrions nous satisfaire d’une telle vision d’entremetteur, à condition, dans ce cas, qu’il revienne aux parties en présence de désigner leur chef de file. C’est pourquoi nous sommes opposés à ce que la loi opère cette désignation. Nous préfèrerions que ce soient les collectivités qui décident.

Toutefois, en lisant l’exposé des motifs du présent projet de loi, il ne semble pas que cette vision de coordonnateur soit celle du Gouvernement. En effet, cette notion est visée dans le cadre de la clarification des compétences de chacune des collectivités territoriales. Ce n’est donc pas au sens de la coordination que nous devons examiner le concept contenu dans l’article 3, mais bien au sens de la direction effective par une collectivité de l’action de chaque collectivité pour l’exercice d’une compétence définie. C’est l’option dirigiste qui doit être retenue pour comprendre la portée de cet article.

Il s’agit donc, selon nous, d’un encadrement renforcé de la libre administration des collectivités et, en quelque sorte, d’une forme de tutelle exercée par une collectivité sur les autres.

Dans ces conditions, vous comprendrez que nous ne puissions accepter le principe même de chef de filat. Cette notion n’étant pas définie et sa mise en œuvre n’étant pas encadrée, tout devient possible. Une collectivité pourrait non seulement interdire à d’autres d’intervenir dans un domaine, mais aussi les obliger à agir en son nom, sans aucun garde-fou, y compris les contraindre à effectuer des dépenses.

Aussi, chacun le comprend bien, sans définition et sans encadrement, il n’est pas possible que notre droit public intègre une telle notion, qui ouvrirait la porte à de nombreux conflits potentiels.

C’est pourquoi nous avons déposé un amendement tendant à supprimer le concept de chef de file. Si toutefois nous n’étions pas suivis, nous avons aussi déposé un amendement de repli visant à faire respecter le principe constitutionnel de non-tutelle d’une collectivité sur une autre.

En résumé, l’article 3 nous semble dangereux, sa portée normative faible et floue ouvrant la porte à de nombreux conflits.

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