Le concept de chef de file est une invention sémantique judicieuse, pertinente, qui cache en réalité l’absence de décision de fond.
Nous avons péché, sous l’autorité du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, et vous péchez aujourd’hui. À l’époque, j’étais président de l’Association des régions de France, je défendais la responsabilité régionale, quand d’autres défendaient légitimement celle des collectivités départementales.
Pour éviter de trancher et de répartir les responsabilités, on a retenu l’idée que chacun était compétent d’une façon universelle, mais que, l’universalité ayant ses limites, on demanderait à l’un ou à l’autre d’être plus responsable que les autres. Tous égaux, mais certains plus que d’autres : ainsi peut-on résumer le concept de chef de file.
Cette notion est issue – vous avez raison de le rappeler, monsieur Favier – de l’économie privée. Cependant, il existe une grande différence entre cette dernière et les collectivités territoriales en matière de répartition des responsabilités : l’argent. Je veux dire par là qu’un banquier est principal lorsqu’il est celui qui dépense le plus d’argent et prend le plus de risques. Le chef de file prenant plus de risques et s’engageant plus fortement, ses associés acceptent l’idée qu’il est plus compétent. Les banquiers subalternes économisent donc l’analyse du dossier et se réfugient derrière la compétence du banquier principal. Ils abandonnent leur responsabilité mais partagent les risques et les profits.
Pour ce qui concerne les collectivités territoriales, la logique est profondément différente. L’exemple du tourisme est très intéressant. Il peut y avoir à la fois une vision régionale du tourisme, pour certaines manifestations de communication, et des approches départementales ou infra-départementales, voire communales, pour la défense de telle ou telle réalisation, car l’effort touristique repose, au-delà de sa dimension rationnelle, sur l’implication d’élus représentant des territoires et souhaitant exprimer la force de ces territoires sans pour autant disparaître derrière un discours global.
Cet effort de communication en l’espèce s’inscrit dans le cadre des règles d’intervention économique. La promotion du tourisme exige des investissements extrêmement lourds, par exemple en matière d’hôtellerie ou de parc de loisirs ou d’attractions. Ces investissements relèvent très clairement de la responsabilité économique, qui, en vertu de la tradition et peut-être même de la loi, appartient aux régions. Celles-ci sont parfaitement dans leur rôle de chef de file et de décideur des efforts qu’elles font en faveur de l’investissement touristique.
Cependant, l’investissement touristique ne se confond pas avec les volets promotion et animation de l’action touristique. En effet, si la promotion touristique suppose de l’argent, l’animation touristique suppose de surcroît, quant à elle, un engagement des populations en plus de l’argent. Nous sommes tous témoins d’initiatives musicales, théâtrales, de reconstitutions historiques, etc., qui animent le tourisme local. Or elles n’existent que grâce à l’implication des populations locales, soutenues par leurs élus locaux.
En conclusion, je me réjouis que tant d’amendements aient été déposés sur l’article 3, car nous allons enfin pouvoir approfondir la question de la complexité de l’action locale et rappeler que la mise en place du concept de chef de file revient en réalité à ne pas décider, alors qu’il eût peut-être été plus intelligent de découper l’action touristique en distinguant d'une part, le volet économique et l’investissement, d'autre part, le volet communication, enfin, le volet animation.
Tout cela est évidemment compliqué, mais, comme l’ont pertinemment rappelé de nombreux collègues, la France est compliquée parce qu’elle est diverse ; la richesse de cette diversité est d'ailleurs l’un des supports du tourisme.
Cela étant, le recours à la notion de chef de file ne nous exonérera pas de l’obligation d’abandonner un jour le principe d’une clause générale de compétence à tous les niveaux et de restituer à chacun de ces niveaux les responsabilités effectives que le bon sens et l’histoire récente conduisent à leur attribuer.