Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, il n'est évidemment pas utile, en cet instant, d'insister sur l'importance du projet de loi qui nous est soumis. Celui-ci s'inspire de la constatation faite par M. le ministre au moment de la présentation du plan de cohésion sociale, le 30 juin 2004 : le chômage et les inégalités sociales sont maintenant largement en tête des préoccupations des Français.
La commission des finances a voulu se saisir, d'une part, de l'équilibre de ce texte, de la charge totale que représentait cette ambition, ainsi que de la programmation et de son adéquation à la réalité, d'autre part, d'un certain nombre d'articles, dont celui qui est relatif à la DSU.
Je souhaiterais formuler trois séries d'observations.
Première observation : le plan de cohésion sociale est ambitieux. Se voulant à rebours d'une « approche cloisonnée », il comporte trois piliers : l'emploi, le logement et l'égalité des chances, qui constituent en quelque sorte le résumé des difficultés faces auxquelles se débattent un certain nombre de nos concitoyens. M. le ministre a eu le mérite d'avoir regroupé l'ensemble de ces questions.
Le premier pilier est la mobilisation pour l'emploi. Je ne reprendrai pas dans le détail ce qu'ont excellemment expliqué M. le ministre et MM. les rapporteurs. Je souhaiterais néanmoins souligner un point particulier sur lequel s'est penchée la commission des finances, après avoir noté avec intérêt l'assouplissement que représente la mise en place des maisons de l'emploi.
L'amélioration du service public de l'emploi passe par la fin du « monopole de placement » de l'ANPE. Sans doute est-il nécessaire de rafraîchir l'institution.
Pour la commission des finances, le vrai problème est la relance de l'apprentissage, qui entraîne un certain nombre de dépenses : 472 millions d'euros sous forme d'un crédit d'impôt utile et nécessaire sous réserve que ceux qui en bénéficieront éventuellement trouvent des apprentis.
Mesdames, messieurs les ministres, il conviendrait de prendre contact avec l'éducation nationale afin que cette voie d'entrée dans la vie active ne soit pas aussi dévalorisée qu'elle l'est actuellement par un trop grand nombre d'enseignants. Il faudrait par conséquent que votre ambition de voir 500 000 apprentis ne dépende pas uniquement d'un crédit d'impôt mais qu'elle résulte aussi d'un changement de mentalité.
Je profite de cette occasion pour vous féliciter d'avoir envisagé de clarifier le système de la taxe d'apprentissage, qui ne satisfaisait plus personne. Cette simplification nous permettra peut-être d'y voir plus clair. Le fonctionnement des entreprises devrait en être facilité, même si le passage au régime du crédit d'impôt ne s'opérera pas « au franc le franc » pour chacun.
Le présent projet de loi prévoit la refonte des outils mobilisables pour le retour à l'emploi. La commission des finances attendait cette simplification depuis longtemps, mais l'on peut se demander si vous avez eu raison de garder quatre contrats au lieu de n'en retenir qu'un seul. Les commissions spécialisées donneront leur avis sur ce point précis.
Sont également prévues des mesures favorisant les créations d'entreprises par les chômeurs. Permettez-moi, mesdames, messieurs les ministres, d'émettre une petite réserve à ce sujet, car je ne suis pas tout à fait persuadé que ces entreprises seront plus solides que d'autres. Elles le seront peut-être pendant un an, mais qu'en sera-t-il cinq ans après ?
C'est la raison pour laquelle le tutorat que vous avez instauré mérite d'être soutenu. Accompagnée d'une disposition fiscale différente du crédit d'impôt, ce dispositif permettra de restreindre les bénéficiaires et de moraliser l'opération, sous réserve qu'il n'y ait pas de tutorat de complaisance. Peut-être faut-il l'encadrer. La commission des finances proposera un amendement en ce sens.
J'en viens au second pilier : le logement.
L'objectif est d'atteindre 100 000 places d'hébergement d'urgence, 500 000 logements sociaux, et 200 000 logements réhabilités remis sur le marché. Tout cela est parfait.
Les dispositions financières sont intéressantes, y compris celles qui consistent à allonger la durée d'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties ; elles seront compensées puisqu'elles constituent seulement l'allongement d'un système existant et non pas la création d'une nouvelle exonération. Il n'est pas utile de le préciser dans le présent projet de loi ; je vous en donne acte bien volontiers, monsieur le ministre. En tout cas, je pense que cela permettra de lever un certain nombre de réticences.
Le projet de loi apporte un ajustement au mécanisme fiscal Robien et prévoit une exonération de la contribution sur les revenus locatifs. Toutes ces mesures vont dans le bon sens.
La commission des finances, revenant à la charge à la suite de deux votes du Sénat, proposera un amendement visant à ce que ne soit pas découragée l'activité des unions économiques et sociales dans le domaine du logement des personnes en difficulté. Un dialogue fructueux et plein de promesses a eu lieu lors de l'examen du projet de loi de finances initiale, mais il n'a pas été suivi d'effet. D'ailleurs, le rapprochement entre le texte actuel et la loi de finances initiale n'est pas toujours simple, j'y reviendrai dans un instant.
Le troisième pilier est l'égalité des chances.
Vouloir intervenir massivement en faveur des communes qui sont le plus en difficulté est une excellente intention. Mais cette réforme, pour justifiée qu'elle soit en son principe, aboutit tout de même, mes chers collègues, à abonder de 600 millions d'euros l'ensemble de la politique de soutien aux villes en difficulté. Je rappelle à cet égard que le budget de la ville est de l'ordre de 300 millions d'euros.
Par conséquent, cette intervention massive devrait respecter un certain équilibre vis-à-vis des autres collectivités. Il convient sans doute de se poser des questions sur la limitation à 200 000 habitants et sur la manière, pour les autres communes susceptibles de recevoir la DSU, de ne pas être exagérément ponctionnées dans cette opération.
Monsieur le ministre, l'opération est relativement facile à monter cette année. La progression de la DGF n'est peut-être pas historique, mais elle est importante. Ainsi, il est possible d'envisager la réforme de la DGF, de ne pas la rendre exagérément contraignante pour les communes qui sont soumises à la dotation forfaitaire - ce sont nos collègues députés qui sont intervenus dans cette direction à travers une modification de la loi de finances ; je pense que le Sénat les suivra -, de financer l'augmentation de la DSU à hauteur des 200 premiers millions et celle de la DSR à hauteur de 80 millions, ce qui représente un équilibre entre les deux dotations.
Mais il n'est pas certain que les facilités existant cette année se retrouveront tous les ans.
Par conséquent, il est nécessaire d'observer un peu de prudence et d'envisager un éventuel retour de fortune des communes bénéficiaires et un certain lissage pour les communes qui sont amenées, d'une certaine manière, à alimenter financièrement cette réforme.
La commission des finances présentera un certain nombre d'amendements sur ce sujet. Au fur et à mesure de l'examen des articles, nous évoquerons les principaux instruments fiscaux qui ont été mis en place par le projet de loi, pour en souligner l'intérêt ou la difficulté d'application.
Deuxième observation : la programmation reste à expliciter.
Je comprends le sens de la démarche. Il s'agit d'une certaine manière d'un guide. Mais quelles dépenses ont été programmées ? En matière d'emploi, les maisons de l'emploi et les contrats d'avenir ; en ce qui concerne le logement, les crédits en faveur de l'hébergement d'urgence et du logement locatif social, ainsi que ceux qui sont destinés à l'ANAH ; enfin, s'agissant de l'égalité des chances, seuls les dispositifs de réussite éducative sont concernés.
Au regard de la programmation des dépenses, les trois piliers du projet de loi nécessitent un examen approfondi. La volonté de transparence et d'engagement politique dans l'échelonnement des dépenses est louable, mais l'art est difficile.
Ainsi, concernant l'emploi, les montants programmés se situent en retrait par rapport au plan de cohésion sociale, ce qui ne signifie pas, naturellement, qu'ils ne se retrouvent pas, pour 2005, retracés en lois de finances.
En ce qui concerne le logement, la présentation des moyens nouveaux mobilisés est quelque peu hétérogène.
S'il faut approuver les ambitions du présent projet de loi et attendre le projet de loi consacré à « l'habitat pour tous » annoncé pour l'année prochaine, qui devrait compléter les mesures prévues, il n'en est pas moins vrai que la programmation est un peu floue et d'autant plus difficile à apprécier qu'une expérimentation sur les crédits relatifs au logement est prévue dans le projet de loi de finances pour 2005, ce qui complique un peu les choses.
Pour les dispositifs de réussite éducative, l'importance de la part des financements extérieurs paraît comporter un aléa important quant à la réalisation des objectifs, ceux-ci risquant même d'être parfois purement et simplement impossibles à atteindre du seul fait que les caisses des écoles qui ont disparu ne peuvent pas ressurgir. Nous examinerons des amendements sur ce sujet.
Sur un plan formel, l'absence de regroupement des différentes dispositions ayant trait à la programmation n'en simplifie pas la lecture. Il est vrai que ces dispositions étant présentées parfois en variation, parfois en valeur absolue, un tel regroupement se serait avéré, en l'état, peu lisible.
Au demeurant, les masses en jeu sont extrêmement importantes. De 2005 à 2009, les moyens affichés par le plan de cohésion sociale atteignent, en cumul, 12, 8 milliards d'euros, dont 1, 15 milliard d'euros dès 2005. Or l'exposé des motifs précise que « les moyens alloués au plan de cohésion sociale sont programmés par le projet de loi ».
Pourtant, les moyens « programmés » par le présent projet se situent en deçà des moyens alloués au plan. En effet, d'après les calculs que j'ai pu effectuer, les mesures nouvelles programmées dans le présent projet s'élèvent à 636 millions d'euros pour 2005 et à moins de 8 milliards d'euros sur la durée du plan. Pourquoi ?
Il y a deux raisons essentielles : d'une part, les dépenses fiscales ne peuvent faire l'objet d'une programmation de dépenses ; d'autre part, toutes les dépenses planifiées par le plan de cohésion sociale n'ont pas été programmées dans le projet de loi.
En revanche, la traduction budgétaire de certaines des mesures du présent projet, dont la définition a évolué depuis juin 2004, a pour effet de modifier le coût du plan de cohésion sociale.