Intervention de Laurent Davezies

Mission commune d'information Avenir de l'organisation décentralisée de la République — Réunion du 29 mai 2013 : 1ère réunion
Audition de Mm. Laurent daVezies professeur au conservatoire national des arts et métiers cnam titulaire de la chaire « économie et développement des territoires »

Laurent Davezies :

J'adhère absolument à la notion de métropole, et je suis également sensible au discours de l'organisation de coopération et de développement économique (OCDE) : son dernier rapport sur la France préconise la suppression des départements. Je voudrais, à ce titre, vous raconter une anecdote : avec des étudiants, nous avons créé, dans le cadre d'un jeu de rôles, des « personnes types » pour étudier ensuite, sur le terrain, les prestations dont elles pouvaient bénéficier. Le seul fait de franchir le périphérique, ou de passer des Hauts de Seine à la Seine Saint Denis, a des conséquences incroyables !

Je pense par ailleurs qu'un juge de paix doit faire le bilan de la décentralisation, qui a maintenant 30 ans. En effet, cette question n'est traitée que par des lobbys : les associations d'élus ne monopolisent certes pas le discours car elles n'empêchent personne de s'en saisir également, mais cette question n'interroge pas et peu de personnes travaillent et s'intéressent à ces questions. Même les finances locales sont devenues une question orpheline : il n'y a pratiquement pas d'experts pour prendre la relève dans ce domaine. Nous sommes donc en perte de compétences et donc de moins en moins en capacité de faire ce bilan.

Nous n'avons pas de bilan, mais nous ne disposons pas non plus de doctrine. Alors que les grands pays industriels disposent d'une ou deux doctrines sur de nombreuses questions - politiques monétaire et budgétaire, politique de la défense ou en matière d'éducation - ce n'est pas le cas s'agissant de la décentralisation. Il est impossible de dire comment les pays européens pensent l'organisation de leur administration à plusieurs niveaux autrement qu'en faisant une liste, un catalogue d'expériences propres à chaque pays. Il n'y a qu'un seul ouvrage sur cette question, celui d'Yves Mény, qui est une référence, et il s'agit d'une sorte de liste à la Prévert.

Il n'y a pas non plus véritablement de philosophie politique sous jacente. Il existe bien une littérature sur la démocratie locale, mais il est très difficile de trouver des références à propos de l'introduction de subdivisions territoriales. Il y a bien Clisthène, lors de la création de la démocratie athénienne : au départ, Athènes est fondée comme une cité totalement unie, tout ce qui existait précédemment au niveau territorial est supprimé. Clisthène, qui arrive ensuite, réintroduit un découpage territorial. D'après ce que j'ai compris en interrogeant des professeurs, antérieurement à la création d'Athènes, il existait des villages et des tributs, et ces systèmes féodaux étaient en fait des freins à la démocratie. Le découpage de Clisthène visait à lutter contre cette difficulté, et, finalement, il est équivalent à celui de l'Abbé Sieyès : on casse les solidarités préexistantes pour en introduire de nouvelles. C'est donc le territoire comme lutte contre les forces de réaction. Et on retrouve cette situation très souvent dans l'histoire : le territoire a été soit un frein au progressisme, soit un garde-fou par rapport à une démocratie des citoyens que même les plus grands démocrates craignent de voir devenir folle. Et donc le territoire est un élément de stabilisation : c'est la chambre des Lords ou le Sénat.

Par ailleurs, nous n'avons aucune connaissance des mécanismes de solidarité territoriale. Nous avons pourtant besoin d'une représentation dynamique des territoires : ce ne sont plus des territoires où les gens habitent, mais où ils circulent. Je suis le seul en France à avoir travaillé sur cette question, à avoir proposé une méthodologie. Or, au moment où les dépenses des collectivités sont remises en cause, on n'a pas encore identifiés les effets des solidarités territoriales, et on méconnaît les effets de stabilisation et de redistribution des dépenses publiques par territoire.

S'agissant de la démocratie locale, je tiens à souligner le fait qu'Amartya Sen, lors de son discours de remise du prix Nobel, a clairement indiqué que la démocratie a des limites significatives ; or, les formes de démocratie locale ignorent totalement ces limites.

Enfin, je soutiens que la somme des intérêts locaux, pilotés par la démocratie locale, nous éloigne de l'intérêt national.

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