Je suis intéressé de longue date par les questions d'aménagement du territoire. J'ai présidé à ce titre le conseil scientifique du groupe de réflexions démographiques de la DATAR, qui réfléchissait à l'horizon 2030. Je vais illustrer mon propos en projetant une série de cartes : la première, qui illustre la croissance de la population française de 1982 à 1990, se caractérise par l'émergence de la « diagonale du vide », allant des Ardennes au Toulousain, et englobant le centre de la Bretagne et le Cotentin, et par la croissance des périphéries des villes ; la deuxième carte, résumant la croissance de la population de 1990 à 1999, n'est pas substantiellement différente ; en revanche, la carte portant sur l'évolution de 1999 à 2009, montre que les zones de dépopulation sont désormais résiduelles. C'est une rupture avec les prévisions d'étalement urbain, car ce sont les communes de 500 à 2 500 habitants qui croissent le plus. Ce phénomène s'observe également en Allemagne dès les années 90 et aux Etats-Unis, pays dans lequel il est accompagné d'une dégénérescence des centres-villes.
Il y a donc une désertification des zones de services, certes, mais non des zones de population ; ce n'est plus le modèle de Gravier.
Les cartes suivantes portent sur le solde migratoire. La première concerne les années 1968 à 1975, on y voit classiquement la progression des périphéries de noyaux urbains. La seconde, illustrant la période 1999 à 2009, est très différente. Elle montre que les côtes se peuplent, et que la population jeune, souvent avec peu de diplômes, quitte la partie nord est de la France pour aller vers le Sud Ouest. Ces régions, notamment Languedoc-Roussillon sont marquées par un solde migratoire positif, bien que cette dernière soit frappée par un fort taux de chômage.
Ces cartes de solde migratoire ne sont pas strictement liées avec celles de la croissance du fait des fortes différences de fécondité qui subsistent en France. La forte fécondité du nord compense les départs et inversement le sud ouest est très peu fécond. L'écart est important ; il va de 1,7 enfant par femme en Haute-Vienne ou en Corse à 2,35 en Mayenne. Ce n'est pas une opposition entre la ville et la campagne, ce sont des phénomènes profonds. La population immigrée a une fécondité de 2,07 %, alors que celle de la population française est de 1,92 %. Les différences de taux de mortalité restent également très importantes : au nord-est de la France elle s'explique par les séquelles de l'activité industrielle, et en Bretagne, hélas, par une consommation d'alcool plus forte que dans le reste de la France.
L'arc atlantique, que l'on avait dit condamné car éloigné du reste de l'Europe, est bien au contraire marqué par une population en croissance.
Tout ces éléments forment un ensemble complexe et rendent difficiles les prévisions. En démographie, il y a des retournements brusques et des temps de latence très longs, de l'ordre d'une génération. Les tendances actuelles vont se poursuivre, le recul de l'âge moyen du premier enfant qui se situe désormais à 29 ans pour la mère, le déplacement continu vers les zones atlantiques. Cela se combine avec une ségrégation par les âges. Les jeunes de 20 à 24 ans, pas seulement les étudiants, se concentrent dans les centres-villes pas uniquement dans les villes universitaires, on les appelait des villes de commandement. Ensuite, l'installation se fait dans le péri urbain en fonction des revenus et de la taille de la famille. Enfin, il y a ce grand sud ouest, nettement plus âgé que le reste de la France. Ce sont les migrations de retraités. Un autre trait marquant et très récent est le retour en ville des plus de 80 ans, qui le peuvent, du fait de leur état de dépendance, qui nécessite des services médicaux.
Pour conclure, je voudrais illustrer la très grande variabilité de la France par le clivage entre les régions à tradition catholique et les autres qui persiste, en dépit de la chute de la pratique religieuse, qui est tombée aujourd'hui à 6 % des adultes, et 1 % des 18 à 24 ans. On constate que les femmes qui résident dans ces régions de tradition catholique exercent leur activité plus fréquemment à temps partiel que sur le reste du territoire.