Vous connaissez les grandes lignes du texte, y compris les modifications apportées par l'Assemblée nationale. Qu'il ne soit pas une loi de programmation, mais d'orientation, ne signifie pas qu'il soit sans moyens, puisque le gouvernement s'est engagé à créer 1 000 postes par an pendant 5 ans, ce qui est enviable dans la conjoncture actuelle. Cette mesure est intégrée dans la loi de programmation des finances publiques votée le 28 décembre dernier et dans la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.
De même, un certain nombre de mesures non législatives ne figurent pas ici. Ce projet est né d'une démarche de consultation : nous ne nous sommes pas contentés d'écouter les enseignants-chercheurs et les étudiants, nous avons également entendu les milieux économiques, associatifs, les collectivités territoriales, tous ceux qu'intéressent l'enseignement supérieur et la recherche.
De juillet à novembre, les assises de l'enseignement supérieur et de la recherche ont réuni 20 000 acteurs sur les territoires, sous la houlette d'un comité de pilotage. Elles ont été présidées par Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel ; leur rapporteur était Vincent Berger, président de l'Université Paris Diderot - un normalien passé par Thales.
Les 135 préconisations auxquelles elles ont donné lieu ne sont pas toutes de niveau législatif. Il en est ainsi de la résorption de la précarité : les 8 400 emplois précaires identifiés dans les universités sont surtout des personnels de catégorie C ou biatss (bibliothèque, ingénieurs, administratifs, techniciens, social, santé). Nous avons mis en place un plan de résorption de la précarité de 2 100 personnes par an pendant quatre ans, conformément à la loi Sauvadet. Nous sommes intervenus auprès de l'Agence nationale de la recherche (ANR) pour établir un plafond au pourcentage de personnes embauchées en CDD à l'occasion des différents appels de façon à ne pas reconstituer le flux des personnels précaires. Nous avons favorisé les programmes pluriannuels, de manière à préserver la recherche fondamentale tout en intégrant de façon durable les post-doc.
Avec près 25 milliards d'euros de crédits, hors crédit impôt recherche et hors Grand emprunt, mon budget constitue le troisième de l'État - charge de la dette mise à part -, et il a augmenté de 2,2 % de 2012 à 2013. Les deux-tiers des investissements du Grand emprunt relevant de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous avons souhaité être davantage associés à sa gestion par le Premier ministre à travers l'instance interministérielle qu'est le Commissariat général à l'investissement.
Nous avons demandé aux organismes de recherche de ne pas bloquer les nouvelles embauches, ce qui serait dramatique pour les doctorants, mais d'éviter de reconstituer le flux de travailleurs précaires, et d'adopter des plans de résorption de la précarité, en incitant les personnels précaires à passer les concours, ou en favorisant la titularisation. Ce volet qui a été traité dès notre arrivée, ne figure pas dans la loi.
Le projet de loi donne la priorité à la réussite de la licence en 3 ans. Nos résultats en la matière, 33 % de réussite, font pâle figure aux côtés des 60 % de l'Allemagne. Ce faible taux s'explique en partie par la présence en licence de d'étudiants titulaires d'un baccalauréat professionnel ou technologique qui auraient dû être acceptés dans les filières STS (section de technicien supérieur) ou les IUT. Ces formations sont de plus en plus prisées par des jeunes issus des filières scientifiques qui veulent éviter les deux premières années d'université puis intégrer d'autres établissements. Le système a dérivé et les 730 millions du plan licence n'ont pas empêché le taux de réussite en trois ans de la licence de revenir de 38 % à 33 % en deux ans.
Or, si les bacs pro et techno ont un taux de réussite de 3,5 % et 9,5 %, ce n'est pas par manque d'intelligence, mais faute d'avoir été formés à la prise de note et au travail conceptuel. Le sujet est brûlant, car nous ne pouvons espérer nous réindustrialiser sans former des techniciens et des ingénieurs. Aussi donnons-nous priorité à l'orientation de la seconde jusqu'à la fin de la licence : « le bac -3/bac +3 ».
Nous travaillons de concert avec Vincent Peillon pour que l'information sur les métiers soit mieux diffusée dès le lycée. Avenir professionnel, stages, alternance, amphi ou classe, les lycéens sont plongés dans le noir sur tous ces sujets. Nous favorisons l'innovation pédagogique au travers de l'utilisation du numérique, de stages encadrés, obligatoirement intégrés dans une formation, pour que les étudiants testent leur vocation - il ne s'agit pas de différer une embauche.
Pour favoriser la réorientation sans redoublement, lequel se traduit souvent par un abandon des études pour les jeunes issus des milieux les plus défavorisés, nous mettons en place une licence avec un socle large et une spécialisation progressive, qui fait de l'étudiant un véritable acteur de son orientation, définissant peu à peu son métier. Enfin, le numérique réduit le nombre de cours en amphithéâtre et favorise leur personnalisation. Tout cela forme un ensemble cohérent au service de la réussite des étudiants.
J'en viens à la gouvernance. Celle-ci ne constitue pas une fin en soi. Le service public de l'éducation travaille d'abord au service de la société et des étudiants.
Notre recherche avait besoin d'un État stratège. Pour mettre en place une nouvelle structure, nous avons, suivant le précepte d'Hubert Curien, supprimé deux autres structures. Le Conseil de la recherche définit des priorités dans le cadre d'Horizon 2020, le grand programme européen. La bureaucratie sera limitée grâce à la mise en place, avec l'ANR, de programmes pluriannuels en recherche disciplinaire et fondamentale. Les chercheurs ne seront plus obligés de mentir ou la recherche conduite à inventer des livrables.
Autre mesure non législative, nous avons, pour les appels à projets des jeunes chercheurs, mis en place des formats identiques aux formats européens, ERC (European Research Council) ou Marie Curie, afin d'habituer davantage de chercheurs à l'Europe. Nous avons perdu 5 points dans le dernier programme cadre de recherche et développement technologique (PCRDT) parce que dans la frénésie d'appels d'offres, nos chercheurs ont oublié de « parler le bruxellois ». Outre de l'argent, nous avons perdu du prestige et du rayonnement au niveau européen.
Si j'insiste sur la recherche fondamentale, c'est parce qu'on me reproche la place occupée par le transfert dans le projet de loi. Celui-ci occupe en effet un tiers du texte, à part égale avec la gouvernance et les étudiants. Comme nous avions réorganisé la recherche fondamentale en amont, nous n'avions pas besoin de la faire figurer dans le projet de loi, d'où une impression de déséquilibre accentuée par mon origine grenobloise, territoire où la recherche technologique est bien développée.
Le terme transfert me semble plus intéressant que celui de valorisation, qui figure dans la loi sur l'innovation. Il inclut également le transfert des recherches en sciences humaines et sociales. Il est dommage que politiques et collectivités locales n'utilisent pas mieux les travaux de Sébastien Roché sur la vidéosurveillance, ou les réflexions sur le vieillissement, ou la visiomédecine. Voilà un transfert de connaissance au service d'enjeux sociétaux. Replaçons le chercheur dans sa responsabilité, au service d'une société dont il est solidaire.
La recherche fondamentale bénéficie de 33 % des 50 milliards d'euros attribués à la recherche, la recherche technologique n'atteignant pas 10 %. S'il n'est pas question d'opposer recherches appliquée et fondamentale, ce déséquilibre n'est pas satisfaisant, notamment au regard de ce qui se pratique aux États-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni ou au Japon. La structure de la DIRD (dépense intérieure de recherche et développement) montre que ce phénomène est lié à la perte de l'emploi industriel. La recherche privée est moins dynamique en France qu'en Allemagne parce qu'elle est proportionnelle à la taille de l'industrie, et que la nôtre a fondu. Si nous voulons reconstituer notre industrie, y compris dans les filières nouvelles, nous devons enclencher un cercle vertueux en investissant davantage dans la recherche technologique. Insister sur cette dernière ne signifie pas que nous abandonnons la recherche fondamentale, au contraire la programmation pluriannuelle donnera aux chercheurs en sciences fondamentales la sérénité dont ils ont besoin.
Non, nous ne détricotons pas l'autonomie. Le principe, posé par Edgar Faure il y a 45 ans, a été renforcé par les lois Savary et LRU. Nous visons plutôt une amélioration et d'une certaine façon, un renforcement de l'autonomie. Nous mettons ainsi en place un conseil académique et un conseil d'administration. J'ai siégé quinze ans dans un conseil d'administration. Quel déséquilibre entre les discussions consacrées à la vie étudiante, à la formation, aux contenus scientifiques et à l'organisation interne des universités ! Grâce au conseil académique, les étudiants, qui soutiennent cette loi, pourront discuter du fond de la formation et du contenu scientifique.
Le conseil d'administration doit être gouverné : le président pourra, s'il le souhaite et si son conseil en est d'accord, présider également le conseil académique. Il peut aussi décider de confier la présidence à un vice-président ou à une personnalité extérieure.
Nous avons renforcé la représentation dans les conseils d'administration des personnels et des personnalités extérieures, lesquelles voteront. Il n'y a plus d'administrateurs à deux vitesses. Cela ne vaut que si leur nomination est incontestable, que si elles ne sont pas à la main du président ; c'est pourquoi les organismes de recherche, les milieux économiques et les collectivités territoriales nommeront leurs représentants. En outre, le conseil d'administration passe de 24 à 36 membres, ce qui garantit une meilleure représentation. Nous avons voulu éviter les jeux précédents, où une petite minorité faisait, après marchandage, la balance. Il fallait rétablir la collégialité, consubstantielle à l'université, et assurer une adhésion au projet. Il m'est arrivé de me trouver mieux informée comme élue de terrain que les patrons de laboratoire des universités. Cela ne peut fonctionner ainsi.
Le débat sur l'ouverture à l'international n'est pas sans hypocrisie. Il y a 790 formations dispensées en langue étrangère, principalement en anglais, dont 600 dans des écoles qui accueillent moins de 25 % des étudiants. Personne n'y a trouvé à redire, tant qu'il s'agissait des écoles, qui accueillent des jeunes issus de milieux plutôt favorisés. Toutes ces formations ou presque contreviennent totalement à la loi Toubon. Est-ce admissible ? Je comprends les inquiétudes suscitées par l'article 2 du projet de loi. Il ne s'agit pourtant pas de lancer un signal négatif pour la francophonie, mais d'attirer les étudiants de pays émergents dans les formations scientifiques et technologiques. Pour ceux-là, l'obstacle de la langue est réel. Nous voulons aussi être plus offensifs avec toute l'Afrique subsaharienne. Les pays du Maghreb sont encore francophones, mais la francophonie n'a rien d'éternel, nous devons l'entretenir et créer des relations plus équilibrées avec ces pays. Elle est révolue, l'époque postcoloniale, où nous faisions venir ces étudiants sans nous préoccuper d'échanges. Désormais, ils veulent que l'on installe des formations chez eux. L'école Centrale de Casablanca accueillera des étudiants de Centrale Paris. Avec ses 5 % de croissance, l'Afrique sauvera peut-être l'Europe de sa non-croissance.
Il faut changer de logiciel vis-à-vis de la francophonie et être actifs en Afrique subsaharienne, les Chinois y sont très présents. L'École polytechnique de Lausanne va utiliser les cent millions de dollars reçus d'une fondation américaine pour y proposer des projets partenariaux. Nous ne devons pas nous replier sur nous-mêmes, mais nous faire aimer, être ouverts, sans être naïfs. En adoptant des amendements qui auraient pu rester du registre du décret d'application, ou même de la circulaire, nous avons voulu rassurer. Trois conditions ont été posées. Il faudra d'abord que ce soit pédagogiquement justifié : les formations en Globish non utiles pourront être remises en cause. Ensuite, un apprentissage en parallèle du français sera obligatoire. Enfin, le niveau du français sera pris en compte dans l'attribution du diplôme. Cet équilibre a convaincu presque tout le monde à l'Assemblée nationale. Cependant, nous devons être actifs sur les deux plans : nous ouvrir aux pays émergents est favorable à notre économie. Les liens noués pendant les études durent toute la vie et ne nuisent pas à notre balance extérieure, qui est à la peine. C'est bon pour l'économie comme pour la culture ; enfin, le plurilinguisme est l'une des missions de l'université, qui a une vocation universelle.
En parallèle, avec Manuel Valls, après avoir aboli la circulaire Guéant qui donnait un signe de repli tout à fait désastreux, nous proposerons des visas pluriannuels pour les chercheurs, les étudiants, les doctorants. Nous envisageons même de donner un droit de visite permanent aux docteurs qui ont obtenu leur doctorat en France (et qui représentent 41 % de nos docteurs !).
Nous étudions aussi l'amélioration des conditions d'hébergement. Il n'est pas normal que l'accueil soit meilleur en Corée du sud qu'en région parisienne. Les problèmes de visa, de logement, de santé... se règleraient en un point commun d'accueil dans les campus. Mon collègue Laurent Fabius est également concerné, car l'attente dans les consulats rebute beaucoup d'étudiants étrangers, y compris dans les pays francophones.
Dernier point, l'évaluation. L'AERES vous préoccupe beaucoup. Vous avez auditionné Didier Houssin, que j'ai reçu à plusieurs reprises. Le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur n'est pas du canada dry, il manque un changement radical de méthode. Nous avons tiré les enseignements des Assises : 20 000 personnes concernées ont été d'accord sur le fait que l'évaluation était nécessaire, tant pour les organismes, que pour les établissements et les enseignants-chercheurs. Les enseignants doivent aussi être évalués sur leur enseignement, ce qui n'avait jamais été le cas. Si tout le monde s'accordait pour refuser un retour aux procédures antérieures, au caractère endogène voire incestueux, l'AERES a constitué le point de convergence le plus fort : trop tatillonne, trop administrative, ne comprenant pas les projets interdisciplinaires, avec des partis pris en sciences sociales particulièrement ou en économie et mettant les gens en porte-à-faux, l'AERES, qui réalisait elle-même ses évaluations, ne disposait pas toujours des experts nécessaires. Le rejet des méthodes, et non des personnes, a été unanime, bien que Didier Houssin, qui avait senti cette opposition, les ait fait évoluer depuis notre arrivée.
Le Haut conseil marque un changement radical, puisqu'il validera les méthodes d'évaluation proposées par les laboratoires. Il ne s'agira pas d'un organisme endogène, nous veillerons à sa crédibilité, à sa conformité aux standards européens. Chaque fois que les laboratoires pourront nous proposer une méthode d'évaluation, nous la suivrons ; à défaut, nous réaliserons l'évaluation en direct. Pour nous, aucune agence nationale n'est à même de procéder à l'ensemble des évaluations : nous reconnaissons celles qui sont réalisées par les pairs à condition qu'elles soient conformes aux standards européens et internationaux, avec la présence d'experts européens ou internationaux. La méthode est fondamentalement différente. Si nous ne conservons pas l'habilitation européenne, nous déposerons une demande et l'obtiendrons en quelques semaines.