Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission auditionne Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur le projet de loi n° 614 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche.
Nous avons le plaisir d'accueillir nos collègues de la commission des affaires économiques et son président, qui coprésidera cette audition. Nous avons beaucoup travaillé : ce matin, encore, nous écoutions les représentants de la conférence des présidents d'université (CPU) ; le 11 juin prochain à l'initiative de la commission de suivi et d'application des lois, un débat va se tenir en séance plénière sur l'exécution de la loi LRU ; le rapport de Mme Gillot et M. Adnot nous a éclairés sur la réalité du système de péréquation, dont le système de répartition des moyens à la performance et à l'activité (SYMPA).
Je vous remercie d'accueillir les membres de notre commission, saisie pour avis des dispositions du projet de loi relative à la recherche. Une clarification de la gouvernance me semble indispensable : la sédimentation des organismes nuit à la lisibilité et à l'efficacité - je vois le temps que passent mes ex-collègues à remplir des dossiers. Je serais heureux de vous entendre sur le projet partagé de formation et recherche, destiné à coordonner les différents intervenants à l'échelle du territoire. Le remplacement de la fameuse Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) par un Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur est-il affaire de sémantique ou marque-t-il un changement de mission ?
Je serai très attentif à une meilleure valorisation de la recherche. J'ai été inquiet en voyant les sommes attribuées aux SATT (sociétés d'accélération du transfert de technologies) dans le cadre du programme des investissements d'avenir. Au terme de transfert, qui évoque pour moi des choses peu plaisantes, telles que le piratage, je préfère celui de valorisation. Je suis tout à fait d'accord avec cet objectif, j'ai d'ailleurs signé en tant que président d'un technopôle une convention avec la SATT. Il convient en effet d'éviter les doublons et de reconnaître les compétences de chacun.
Dans les années soixante-dix, l'université de Lille a inventé un système automatisé dont est dérivé le VAL, ce métro sans chauffeur développé par Matra. Puisque l'on a pu le faire avant votre loi, qu'apporte-t-elle de neuf ?
Vous connaissez les grandes lignes du texte, y compris les modifications apportées par l'Assemblée nationale. Qu'il ne soit pas une loi de programmation, mais d'orientation, ne signifie pas qu'il soit sans moyens, puisque le gouvernement s'est engagé à créer 1 000 postes par an pendant 5 ans, ce qui est enviable dans la conjoncture actuelle. Cette mesure est intégrée dans la loi de programmation des finances publiques votée le 28 décembre dernier et dans la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.
De même, un certain nombre de mesures non législatives ne figurent pas ici. Ce projet est né d'une démarche de consultation : nous ne nous sommes pas contentés d'écouter les enseignants-chercheurs et les étudiants, nous avons également entendu les milieux économiques, associatifs, les collectivités territoriales, tous ceux qu'intéressent l'enseignement supérieur et la recherche.
De juillet à novembre, les assises de l'enseignement supérieur et de la recherche ont réuni 20 000 acteurs sur les territoires, sous la houlette d'un comité de pilotage. Elles ont été présidées par Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel ; leur rapporteur était Vincent Berger, président de l'Université Paris Diderot - un normalien passé par Thales.
Les 135 préconisations auxquelles elles ont donné lieu ne sont pas toutes de niveau législatif. Il en est ainsi de la résorption de la précarité : les 8 400 emplois précaires identifiés dans les universités sont surtout des personnels de catégorie C ou biatss (bibliothèque, ingénieurs, administratifs, techniciens, social, santé). Nous avons mis en place un plan de résorption de la précarité de 2 100 personnes par an pendant quatre ans, conformément à la loi Sauvadet. Nous sommes intervenus auprès de l'Agence nationale de la recherche (ANR) pour établir un plafond au pourcentage de personnes embauchées en CDD à l'occasion des différents appels de façon à ne pas reconstituer le flux des personnels précaires. Nous avons favorisé les programmes pluriannuels, de manière à préserver la recherche fondamentale tout en intégrant de façon durable les post-doc.
Avec près 25 milliards d'euros de crédits, hors crédit impôt recherche et hors Grand emprunt, mon budget constitue le troisième de l'État - charge de la dette mise à part -, et il a augmenté de 2,2 % de 2012 à 2013. Les deux-tiers des investissements du Grand emprunt relevant de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous avons souhaité être davantage associés à sa gestion par le Premier ministre à travers l'instance interministérielle qu'est le Commissariat général à l'investissement.
Nous avons demandé aux organismes de recherche de ne pas bloquer les nouvelles embauches, ce qui serait dramatique pour les doctorants, mais d'éviter de reconstituer le flux de travailleurs précaires, et d'adopter des plans de résorption de la précarité, en incitant les personnels précaires à passer les concours, ou en favorisant la titularisation. Ce volet qui a été traité dès notre arrivée, ne figure pas dans la loi.
Le projet de loi donne la priorité à la réussite de la licence en 3 ans. Nos résultats en la matière, 33 % de réussite, font pâle figure aux côtés des 60 % de l'Allemagne. Ce faible taux s'explique en partie par la présence en licence de d'étudiants titulaires d'un baccalauréat professionnel ou technologique qui auraient dû être acceptés dans les filières STS (section de technicien supérieur) ou les IUT. Ces formations sont de plus en plus prisées par des jeunes issus des filières scientifiques qui veulent éviter les deux premières années d'université puis intégrer d'autres établissements. Le système a dérivé et les 730 millions du plan licence n'ont pas empêché le taux de réussite en trois ans de la licence de revenir de 38 % à 33 % en deux ans.
Or, si les bacs pro et techno ont un taux de réussite de 3,5 % et 9,5 %, ce n'est pas par manque d'intelligence, mais faute d'avoir été formés à la prise de note et au travail conceptuel. Le sujet est brûlant, car nous ne pouvons espérer nous réindustrialiser sans former des techniciens et des ingénieurs. Aussi donnons-nous priorité à l'orientation de la seconde jusqu'à la fin de la licence : « le bac -3/bac +3 ».
Nous travaillons de concert avec Vincent Peillon pour que l'information sur les métiers soit mieux diffusée dès le lycée. Avenir professionnel, stages, alternance, amphi ou classe, les lycéens sont plongés dans le noir sur tous ces sujets. Nous favorisons l'innovation pédagogique au travers de l'utilisation du numérique, de stages encadrés, obligatoirement intégrés dans une formation, pour que les étudiants testent leur vocation - il ne s'agit pas de différer une embauche.
Pour favoriser la réorientation sans redoublement, lequel se traduit souvent par un abandon des études pour les jeunes issus des milieux les plus défavorisés, nous mettons en place une licence avec un socle large et une spécialisation progressive, qui fait de l'étudiant un véritable acteur de son orientation, définissant peu à peu son métier. Enfin, le numérique réduit le nombre de cours en amphithéâtre et favorise leur personnalisation. Tout cela forme un ensemble cohérent au service de la réussite des étudiants.
J'en viens à la gouvernance. Celle-ci ne constitue pas une fin en soi. Le service public de l'éducation travaille d'abord au service de la société et des étudiants.
Notre recherche avait besoin d'un État stratège. Pour mettre en place une nouvelle structure, nous avons, suivant le précepte d'Hubert Curien, supprimé deux autres structures. Le Conseil de la recherche définit des priorités dans le cadre d'Horizon 2020, le grand programme européen. La bureaucratie sera limitée grâce à la mise en place, avec l'ANR, de programmes pluriannuels en recherche disciplinaire et fondamentale. Les chercheurs ne seront plus obligés de mentir ou la recherche conduite à inventer des livrables.
Autre mesure non législative, nous avons, pour les appels à projets des jeunes chercheurs, mis en place des formats identiques aux formats européens, ERC (European Research Council) ou Marie Curie, afin d'habituer davantage de chercheurs à l'Europe. Nous avons perdu 5 points dans le dernier programme cadre de recherche et développement technologique (PCRDT) parce que dans la frénésie d'appels d'offres, nos chercheurs ont oublié de « parler le bruxellois ». Outre de l'argent, nous avons perdu du prestige et du rayonnement au niveau européen.
Si j'insiste sur la recherche fondamentale, c'est parce qu'on me reproche la place occupée par le transfert dans le projet de loi. Celui-ci occupe en effet un tiers du texte, à part égale avec la gouvernance et les étudiants. Comme nous avions réorganisé la recherche fondamentale en amont, nous n'avions pas besoin de la faire figurer dans le projet de loi, d'où une impression de déséquilibre accentuée par mon origine grenobloise, territoire où la recherche technologique est bien développée.
Le terme transfert me semble plus intéressant que celui de valorisation, qui figure dans la loi sur l'innovation. Il inclut également le transfert des recherches en sciences humaines et sociales. Il est dommage que politiques et collectivités locales n'utilisent pas mieux les travaux de Sébastien Roché sur la vidéosurveillance, ou les réflexions sur le vieillissement, ou la visiomédecine. Voilà un transfert de connaissance au service d'enjeux sociétaux. Replaçons le chercheur dans sa responsabilité, au service d'une société dont il est solidaire.
La recherche fondamentale bénéficie de 33 % des 50 milliards d'euros attribués à la recherche, la recherche technologique n'atteignant pas 10 %. S'il n'est pas question d'opposer recherches appliquée et fondamentale, ce déséquilibre n'est pas satisfaisant, notamment au regard de ce qui se pratique aux États-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni ou au Japon. La structure de la DIRD (dépense intérieure de recherche et développement) montre que ce phénomène est lié à la perte de l'emploi industriel. La recherche privée est moins dynamique en France qu'en Allemagne parce qu'elle est proportionnelle à la taille de l'industrie, et que la nôtre a fondu. Si nous voulons reconstituer notre industrie, y compris dans les filières nouvelles, nous devons enclencher un cercle vertueux en investissant davantage dans la recherche technologique. Insister sur cette dernière ne signifie pas que nous abandonnons la recherche fondamentale, au contraire la programmation pluriannuelle donnera aux chercheurs en sciences fondamentales la sérénité dont ils ont besoin.
Non, nous ne détricotons pas l'autonomie. Le principe, posé par Edgar Faure il y a 45 ans, a été renforcé par les lois Savary et LRU. Nous visons plutôt une amélioration et d'une certaine façon, un renforcement de l'autonomie. Nous mettons ainsi en place un conseil académique et un conseil d'administration. J'ai siégé quinze ans dans un conseil d'administration. Quel déséquilibre entre les discussions consacrées à la vie étudiante, à la formation, aux contenus scientifiques et à l'organisation interne des universités ! Grâce au conseil académique, les étudiants, qui soutiennent cette loi, pourront discuter du fond de la formation et du contenu scientifique.
Le conseil d'administration doit être gouverné : le président pourra, s'il le souhaite et si son conseil en est d'accord, présider également le conseil académique. Il peut aussi décider de confier la présidence à un vice-président ou à une personnalité extérieure.
Nous avons renforcé la représentation dans les conseils d'administration des personnels et des personnalités extérieures, lesquelles voteront. Il n'y a plus d'administrateurs à deux vitesses. Cela ne vaut que si leur nomination est incontestable, que si elles ne sont pas à la main du président ; c'est pourquoi les organismes de recherche, les milieux économiques et les collectivités territoriales nommeront leurs représentants. En outre, le conseil d'administration passe de 24 à 36 membres, ce qui garantit une meilleure représentation. Nous avons voulu éviter les jeux précédents, où une petite minorité faisait, après marchandage, la balance. Il fallait rétablir la collégialité, consubstantielle à l'université, et assurer une adhésion au projet. Il m'est arrivé de me trouver mieux informée comme élue de terrain que les patrons de laboratoire des universités. Cela ne peut fonctionner ainsi.
Le débat sur l'ouverture à l'international n'est pas sans hypocrisie. Il y a 790 formations dispensées en langue étrangère, principalement en anglais, dont 600 dans des écoles qui accueillent moins de 25 % des étudiants. Personne n'y a trouvé à redire, tant qu'il s'agissait des écoles, qui accueillent des jeunes issus de milieux plutôt favorisés. Toutes ces formations ou presque contreviennent totalement à la loi Toubon. Est-ce admissible ? Je comprends les inquiétudes suscitées par l'article 2 du projet de loi. Il ne s'agit pourtant pas de lancer un signal négatif pour la francophonie, mais d'attirer les étudiants de pays émergents dans les formations scientifiques et technologiques. Pour ceux-là, l'obstacle de la langue est réel. Nous voulons aussi être plus offensifs avec toute l'Afrique subsaharienne. Les pays du Maghreb sont encore francophones, mais la francophonie n'a rien d'éternel, nous devons l'entretenir et créer des relations plus équilibrées avec ces pays. Elle est révolue, l'époque postcoloniale, où nous faisions venir ces étudiants sans nous préoccuper d'échanges. Désormais, ils veulent que l'on installe des formations chez eux. L'école Centrale de Casablanca accueillera des étudiants de Centrale Paris. Avec ses 5 % de croissance, l'Afrique sauvera peut-être l'Europe de sa non-croissance.
Il faut changer de logiciel vis-à-vis de la francophonie et être actifs en Afrique subsaharienne, les Chinois y sont très présents. L'École polytechnique de Lausanne va utiliser les cent millions de dollars reçus d'une fondation américaine pour y proposer des projets partenariaux. Nous ne devons pas nous replier sur nous-mêmes, mais nous faire aimer, être ouverts, sans être naïfs. En adoptant des amendements qui auraient pu rester du registre du décret d'application, ou même de la circulaire, nous avons voulu rassurer. Trois conditions ont été posées. Il faudra d'abord que ce soit pédagogiquement justifié : les formations en Globish non utiles pourront être remises en cause. Ensuite, un apprentissage en parallèle du français sera obligatoire. Enfin, le niveau du français sera pris en compte dans l'attribution du diplôme. Cet équilibre a convaincu presque tout le monde à l'Assemblée nationale. Cependant, nous devons être actifs sur les deux plans : nous ouvrir aux pays émergents est favorable à notre économie. Les liens noués pendant les études durent toute la vie et ne nuisent pas à notre balance extérieure, qui est à la peine. C'est bon pour l'économie comme pour la culture ; enfin, le plurilinguisme est l'une des missions de l'université, qui a une vocation universelle.
En parallèle, avec Manuel Valls, après avoir aboli la circulaire Guéant qui donnait un signe de repli tout à fait désastreux, nous proposerons des visas pluriannuels pour les chercheurs, les étudiants, les doctorants. Nous envisageons même de donner un droit de visite permanent aux docteurs qui ont obtenu leur doctorat en France (et qui représentent 41 % de nos docteurs !).
Nous étudions aussi l'amélioration des conditions d'hébergement. Il n'est pas normal que l'accueil soit meilleur en Corée du sud qu'en région parisienne. Les problèmes de visa, de logement, de santé... se règleraient en un point commun d'accueil dans les campus. Mon collègue Laurent Fabius est également concerné, car l'attente dans les consulats rebute beaucoup d'étudiants étrangers, y compris dans les pays francophones.
Dernier point, l'évaluation. L'AERES vous préoccupe beaucoup. Vous avez auditionné Didier Houssin, que j'ai reçu à plusieurs reprises. Le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur n'est pas du canada dry, il manque un changement radical de méthode. Nous avons tiré les enseignements des Assises : 20 000 personnes concernées ont été d'accord sur le fait que l'évaluation était nécessaire, tant pour les organismes, que pour les établissements et les enseignants-chercheurs. Les enseignants doivent aussi être évalués sur leur enseignement, ce qui n'avait jamais été le cas. Si tout le monde s'accordait pour refuser un retour aux procédures antérieures, au caractère endogène voire incestueux, l'AERES a constitué le point de convergence le plus fort : trop tatillonne, trop administrative, ne comprenant pas les projets interdisciplinaires, avec des partis pris en sciences sociales particulièrement ou en économie et mettant les gens en porte-à-faux, l'AERES, qui réalisait elle-même ses évaluations, ne disposait pas toujours des experts nécessaires. Le rejet des méthodes, et non des personnes, a été unanime, bien que Didier Houssin, qui avait senti cette opposition, les ait fait évoluer depuis notre arrivée.
Le Haut conseil marque un changement radical, puisqu'il validera les méthodes d'évaluation proposées par les laboratoires. Il ne s'agira pas d'un organisme endogène, nous veillerons à sa crédibilité, à sa conformité aux standards européens. Chaque fois que les laboratoires pourront nous proposer une méthode d'évaluation, nous la suivrons ; à défaut, nous réaliserons l'évaluation en direct. Pour nous, aucune agence nationale n'est à même de procéder à l'ensemble des évaluations : nous reconnaissons celles qui sont réalisées par les pairs à condition qu'elles soient conformes aux standards européens et internationaux, avec la présence d'experts européens ou internationaux. La méthode est fondamentalement différente. Si nous ne conservons pas l'habilitation européenne, nous déposerons une demande et l'obtiendrons en quelques semaines.
Modifié à l'Assemblée nationale, soit à votre initiative, soit avec votre accord, ou après un avis de sagesse, ce texte doit jeter les bases de l'université de demain et placer l'enseignement supérieur et la recherche au coeur de la société du XXIe siècle. L'enjeu principal est la réussite de tous les étudiants : il s'agit d'être attentif à leur accueil puis à leur orientation progressive, d'expérimenter des voies nouvelles privilégiant la réussite à moyen et long terme plutôt que la sélection par l'échec, de veiller à la démocratisation et à l'attractivité pour les étudiants de toute origine. Enfin, l'attention portée à l'accueil des étudiants étrangers bénéficiera aussi aux étudiants français.
Ces orientations emportent l'adhésion du plus grand nombre au Sénat. Certains points suscitent cependant des réserves, des craintes, voire des oppositions. Des signes d'inquiétude remontent au sujet du mode de gouvernance et du statut juridique des regroupements des communautés d'universités. Comment les concevez-vous ? Quels sont leurs objectifs ? Quelles garanties de souplesse apportez-vous en ce qui concerne l'adhésion, la représentation, la subsidiarité des délégations de compétences ? Nos interlocuteurs, s'ils se sont emparés de ces sujets, n'ont pas le même niveau d'information.
Autre sujet d'inquiétude, le transfert et la valorisation. Beaucoup d'universitaires qui n'ont pas une pratique de recherche, se demandent comment s'investir dans une activité de transfert, avec quels outils et dans quel contexte. S'agit-il d'une obligation nouvelle, ou d'une orientation culturelle ?
Je ne suis pas pleinement convaincue que le transfert de l'évaluation au Haut conseil soit moins endogamique qu'au sein de l'AERES, d'autant que celle-ci a beaucoup évolué. En revanche, la perte d'expérience et de capacité d'évolution dont a fait preuve l'AERES pourrait être d'autant plus regrettable que celle-ci avait accru son rayonnement et sa crédibilité au fil des ans. Je ne partage pas votre optimisme sur la possibilité de retrouver une accréditation européenne en quelques semaines. Cela vaut d'y réfléchir à l'abri des féroces luttes d'influence qui se sont cristallisées sur ce sujet.
Vous avez rappelé que le texte n'est pas une loi de programmation. Malgré les garanties que vous avez obtenues, les inquiétudes sur les moyens persistent. Certains critiquent l'absence de vraie rupture avec la LRU ; d'autres craignent que le processus d'accréditation fragilise l'égalité de l'offre sur le territoire ; le texte marquerait une régression en imposant un modèle unique, en recentralisant le système et en accumulant les contraintes administratives ; la dyarchie pourrait être source de blocages institutionnels ; les regroupements universités pourraient tomber entre les mains des collectivités territoriales ; l'inscription des transferts parmi les missions du service public de l'ESR suscite une forte opposition ; la disparition de masters suscite des craintes auxquelles il faut répondre ; certains s'opposent à la distinction entre le master et le grade de master ; enfin, la légalisation des cours en langue étrangère condamnerait la francophonie et le rayonnement universitaire de la France.
Pour devenir un grand texte, ne manque-t-il pas à ce projet un article sinon une annexe, qui préciserait le rôle que vous conférez à l'enseignement supérieur et à la recherche pour les vingt à trente années qui viennent ? Accroître les connaissances au bénéfice du redressement de la France, diffuser la culture scientifique, technologique et industrielle, valoriser les résultats de la recherche au service de la société à travers l'innovation, appuyer les politiques publiques pour répondre aux défis de notre époque, voilà qui inscrirait votre loi et l'université au coeur des besoins sociétaux de développement durable et de participation citoyenne.
La commission des affaires économiques s'intéresse à la question de la recherche et de la gouvernance. Pouvez-vous préciser la notion de contrat de site ? Quelles seront les modalités de contractualisation à l'échelle de la communauté d'universités ainsi qu'avec chacun de ses établissements ou instituts de recherche ? Nous souhaiterions mieux comprendre ce dispositif, que l'Assemblée nationale a déjà amendé.
Bien que l'Agence nationale de la recherche (ANR) ne figure pas dans le texte, celui-ci aura des conséquences pour elle. Comment voyez-vous son évolution à moyen et à long terme ainsi que l'orientation que vous souhaitez lui donner ? Comment traiter les projets qui ne rentrent ni dans le cadre des grands organismes de recherche, ni dans celui de leurs alliances ? Comment l'articulation s'organisera-t-elle ?
L'AERES est remplacée par un Haut conseil de l'évaluation, dont les compétences et le mode de fonctionnement ne sont guère différents, d'autant qu'elle avait évolué grâce à l'action de Didier Houssin. Comment renforcer la pertinence et l'objectivité de l'activité d'évaluation ? Comment évaluer la valorisation de la recherche ? Parmi les critères, ne vaudrait-il pas mieux se référer au nombre de brevets licenciés plutôt qu'au nombre de brevets déposés ?
Bien qu'il ait pour objectif de simplifier le paysage institutionnel de la recherche et de l'innovation, le projet ne mentionne pas les structures créées dans le cadre du Programme des investissements d'avenir (Idex, Labex, Equipex, SATT). Il faudrait dire comment vous allez les coordonner avec celles qu'il établit ou qu'il évoque.
Allons-nous rendre le pouvoir à l'État, donner le pouvoir aux régions ? Le texte en priverait les présidents d'universités tout en créant une dyarchie... ? Le caractère contradictoire des retours et des critiques m'incite à penser que nous avons trouvé une position d'équilibre.
Les regroupements ne sont pas des usines à gaz qui distrairaient les chercheurs de leurs activités d'enseignement et de recherche. Nous souhaitons aboutir à une trentaine de regroupements : un par académie, parfois deux, parfois un en inter-académie, par exemple en Franche-Comté. Je n'ai pas utilisé le terme de région : l'unité de base, c'est l'académie, l'inter-académie ou le transfrontalier. Le périmètre de ces regroupements sera décidé à l'échelon local : nous renforçons de ce point de vue l'autonomie. L'important est que des écosystèmes décident d'une stratégie de développement de l'enseignement supérieur et de la recherche ; fusion, association, fédération, co-fédération, peu importe. Un amendement précisant la possibilité de faire une co-fédération et une fédération serait peut-être utile : puisque nous voulons le faire, autant le dire clairement. L'État n'impose aucune forme particulière. Nous souhaitons simplement aboutir à une trentaine de communautés, qui pourraient s'appeler Université de Bourgogne-Franche-Comté, Lyon-Saint-Etienne, Grenoble-Savoie...
Les salaires resteront versés à chaque établissement, sauf en cas de fusion. Les contrats de site identifient tout ce que ces regroupements auront décidé de mettre en commun. Nous en avons signé deux hier avec les deux universités fusionnées ou rapprochées, celles d'Alsace et de Lorraine, ainsi qu'avec celle d'Avignon. Cela représente une somme globale de huit millions d'euros, ce qui n'est pas considérable par rapport aux douze milliards d'euros de l'université. Il s'agissait de financer tout ce qui pouvait être mutualisé : une bibliothèque universitaire, (et non un learning center) ...
ou un centre de documentation ouvert. J'étais sûre de recueillir une appréciation favorable sur ce point ! À Saclay, on disait hier schools pour écoles...
Encore modestes, les mutualisations ont vocation à grandir. Les structures qui ont été développées ces dernières années ont vocation à évoluer comme à Toulouse : un idex, circonscrit à l'École de l'économie, ne communiquait guère avec les autres Universités. Marie-France Barthet a accompli avec les présidents d'université un travail formidable que nous avons soutenu auprès du Commissariat général à l'investissement - si l'Université n'est pas capable d'évoluer, qui le sera ? - pour faire en sorte que ce projet tire l'ensemble de la communauté universitaire vers l'excellence. Il revient aux acteurs de terrain de mener ce travail, le ministère n'est là que pour poser les jalons, pour aider à surmonter les blocages. Les Pres, fragilisés par le refus de l'État de contractualiser avec eux, ont vocation à s'intégrer aux communautés. Aucune composante ne sera mise en péril. Au contraire, si périphériques qu'elles puissent être (Pau par rapport à Bordeaux, ou Chambéry par rapport à Grenoble), elles participeront à l'élaboration de la stratégie, ce qui n'est guère le cas actuellement au service d'une mission utile aux étudiants et de la recherche.
Alain Beretz l'a très bien dit hier, l'intérêt d'un contrat de site n'est pas l'argent (2,5 millions d'euros pour Strasbourg), mais la possibilité d'élaborer une stratégie de site partagée, comme ça se fait à l'étranger. L'université d'Avignon, qui a un président charismatique, n'a pas peur d'établir un partenariat avec celle fusionnée d'Aix-Marseille, car elle est concentrée sur deux axes stratégiques : culture, notamment le cinéma, et agrosciences.
De même qu'il faut éviter les doublons, il convient de clarifier l'offre de formation. Un jeune, à son premier clic sur le système d'admission post-bac, se voit proposer onze mille formations différentes : n'est-ce pas scandaleux ? Comment un employeur peut-il évaluer la qualification d'un étudiant dans ce contexte ? L'harmonisation licence-master-doctorat (LMD) allait dans le bon sens, puis le système a dérivé : chaque enseignant-chercheur peut créer un master associé à sa recherche... Nous ne pouvons pas nous permettre des formations avec treize intervenants pour un master de sept étudiants, et pas dans des disciplines rares. Un effort de rationalisation s'impose, auquel doivent participer les comités licence, les comités master, ainsi que les conseils disciplinaires. Nous proposerons une nomenclature aux universités. L'Université de Bourgogne, par exemple, a déjà réalisé une entrée par grands domaines, sans pour autant l'appauvrir, son offre de formation. Un service public doit toujours être lisible par le citoyen.
L'ANR est devenue, par défaut, une agence de définition de stratégie nationale. La définition d'alliances par Valérie Pécresse a été une bonne chose : Ancre pour l'énergie, AllEnvi pour l'environnement, Aviesan pour les sciences de la vie, Athena pour les sciences humaines et sociales, et Allistene pour le numérique. Nous gagnerons du temps en réunissant les acteurs pour qu'ils travaillent ensemble. Nous leur avons demandé d'élaborer un agenda stratégique de la recherche à partir d'axes sociétaux que nous avons définis en fonction d'Horizon 2020, des filières que nous souhaitons développer, comme la transition énergétique ou les filières vertes.
La loi met en place un conseil stratégique de la recherche, comprenant des experts indépendants et placé auprès du Premier ministre : la recherche ne doit pas être un monde à part, elle doit être intégrée aux décisions interministérielles. L'ANR n'a plus un rôle de stratège : elle a désormais un rôle d'opérateur, de mise en place les programmes, sans se substituer à un État stratège, qui s'assure que l'argent public est bien utilisé.
Que faisons-nous de plus en matière de transfert ? Un livre du transfert, actuellement élaboré en collaboration avec Fleur Pellerin et Arnaud Montebourg, sera associé à la loi. La pédagogie du travail en équipe est fondamentale : en entreprise, j'ai vu de jeunes ingénieurs issus de filières d'excellence qui ne savaient pas travailler en équipe. Cette pédagogie est d'ailleurs l'un des points forts des IUT. Nous devons développer notre capacité en ce domaine.
Nous souhaitons faciliter la mise à disposition de résultats de la recherche pour des PMI et des PME qui s'engagent à les valoriser sur le territoire européen - réglementation européenne oblige - par un équivalent du Bayh Dole Act américain. Nous voulons également qu'il y ait un mandataire unique dans les unités mixtes de recherche (UMR) : plus de la moitié de la recherche est ainsi structurée, et parfois le conflit entre tutelles peut retarder considérablement un accord avec une start-up. Instaurer une date limite, comme nous l'avons envisagé à l'Assemblée nationale, risquait de conditionner le résultat des négociations.
Avec LabCom, nous avons mis en place à l'ANR, en février, un programme de partenariat entre recherche publique et des PMI-PME à fort potentiel d'innovation dans tous les domaines d'activité : nous visons, sur deux ou trois ans, une centaine de laboratoires communs.
Le brevet unique européen, enfin mis en place, coûte dix fois moins cher que le brevet précédent : nous allons le promouvoir au sein des PMI-PME afin que chacun soit respecté dans son rôle et que la recherche publique ne soit pas siphonnée. Il n'est pas toujours nécessaire de créer des SATT : apprenons à mettre les structures au service des missions sans réinventer l'eau chaude à chaque fois. Nous avons demandé une évaluation en 2014 du modèle économique des SATT.
Les situations varieront selon les territoires.
Bien sûr. Vous dites que pour éviter les doublons il ne faut pas créer de SATT là où des organismes font de la préincubation, de la détection de projets dans les laboratoires. La valorisation de la recherche ne débouche pas nécessairement sur la création d'entreprise, mais nous déposerons au moins un amendement sur le brevet unique européen, en accord avec le ministère des affaires étrangères.
Votre souci de favoriser le travail en équipe a été entendu par avance par notre commission : le Sénat a réécrit l'article 3 de la loi de refondation de l'école en mettant l'éducation à la coopération au centre du projet pédagogique en primaire.
Votre exposé très clair démontre qu'il est possible d'être efficace et pédagogique sans prétention ni suffisance. Vous montrez aussi qu'on ne passe pas de l'obscurité à la lumière, ni de la lumière à l'obscurité : vous avez indiqué qu'il n'y avait pas de vraie rupture avec la loi LRU ; je pense que chaque génération doit apporter sa pierre à l'édifice.
Vous créez un conseil académique : j'aurais préféré l'expression de Sénat académique, qui se rapproche plus de ce qui existe ailleurs. Vous faites voter les personnalités extérieures : je vous en félicite. En revanche, pourquoi augmenter le nombre de membres des conseils d'administration ? La pléthore provoque la paralysie, on l'a vu par le passé.
Vous exigez la parité dans la composition des listes : ce noble objectif ne doit pas remettre en cause la représentation de tous les secteurs de formation, notamment dans les universités pluridisciplinaires. Quant aux budgets, en deux ans, 23 universités sur 83 sont devenues déficitaires. Prévoyez-vous des mesures d'accompagnement pour équilibrer les budgets des universités de manière durable ? Enfin, le débat à l'Assemblée nationale a fait entrevoir la possibilité d'arriver à des contrats d'objectifs et de moyens (COM) pour certaines composantes. C'est un vieux débat : est-ce conciliable avec l'unité affirmée d'une université ?
Vous avez évoqué la réussite en premier cycle. Comment arriver à orienter des bacheliers sur des filières STS-IUT ? Nous savons que nombre de composantes cherchent à conserver ces étudiants. Est-il intellectuellement raisonnable de prétendre que des jeunes qui n'ont pas les pré-requis minimaux peuvent réussir à l'université ?
Outre-Atlantique, 80 % des établissements mettent leurs cours en ligne, contre 3 % en France. Quels moyens mettez-vous en place pour évoluer dans ce domaine ?
J'aimerais connaître le nombre de vrais inscrits. Les chiffres que vous avez correspondent-ils à la réalité ? Je suis extrêmement favorable à l'accueil d'un grand nombre d'étudiants étrangers, mais avec quelques conditions. Souvent, des inscriptions sont acceptées pour maintenir des masters.
Certains professeurs nous disent que ces étudiants ne comprennent même pas les questions qui leur sont posées. Ayons le courage de le dire et de chercher les solutions.
L'insertion professionnelle est un objectif fondamental. Il nécessite des outils de suivi et d'analyse, et la capacité d'améliorer, de transformer l'offre de formation. Nous manquons toujours d'une vision exhaustive des données pertinentes en la matière - est-ce pour éviter d'avoir à faire des choix ? Pensez-vous avoir les moyens de faire évoluer positivement les choses ?
Mon collègue Jean-Pierre Plancade, rapporteur des crédits de la recherche au nom de la commission de la culture depuis quelques années, suivra ce projet au nom de mon groupe. Le RDSE y est globalement favorable. Je rejoins ce que vous avez dit à propos de Toulouse : lorsque l'on veut travailler en équipe, on peut, comme l'a montré Marie-France Barthet.
Rapporteure pour avis au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, j'ai déjà interrogé les membres de votre cabinet et procédé à plusieurs auditions. Les articles 37 et 37 bis comportent des dispositions destinées à favoriser la parité au sein des conseils d'administration et des conseils académiques des universités, ainsi que, moyennant un certain nombre d'aménagements, dans les instances dirigeantes d'autres établissements relevant du titre I du livre VII du code de l'éducation. Les écoles d'architecture, l'École de hautes études en santé publique, les établissements d'enseignement supérieur de la musique, de la danse, du théâtre, des arts du cirque et des arts plastiques échappent apparemment à toute obligation paritaire : cela figurera dans le rapport de la délégation.
Le texte ne comporte aucune disposition spécifique favorisant la parité dans les instances dirigeantes des établissements publics de recherche. L'action conjuguée de la loi du 27 janvier 2011 sur la représentation équilibrée dans les conseils d'administration et de la loi Sauvadet du 12 mars 2012 suffira-t-elle pour faire progresser la parité, et surtout dans quel délai ?
Je pense enfin qu'il faut rationaliser la nomenclature des masters, mais attention à ne pas jeter avec l'eau du bain les études du genre !
Je soutiens pleinement Mme Laborde.
Je fais partie de la catégorie des inquiets, voire des opposants au texte. Sans être une loi de programmation, il mobilise des moyens insuffisants en regard de la situation des établissements. Le texte ne remet pas en cause la loi LRU, vous dites même qu'il l'améliore. Le pacte de recherche, le Grand emprunt, les multiples initiatives d'excellence se conjuguent à un transfert qualifié, car il s'agit bien de progresser vers l'employabilité. Tout cela nous fait vraiment peur : les liens entre l'enseignement supérieur et la recherche et le monde de l'entreprise ne sauraient devenir l'unique préoccupation.
L'objectif de simplification me paraît louable. L'atteindrons-nous ? Vous parlez d'une logique de territoire distincte de l'organisation régionale. Quel mécanisme sera à l'oeuvre ? Qui décide pour un territoire ? Comment les différents statuts s'articuleront-ils ? Comment l'État stratège se dotera-t-il d'outils pour que ces regroupements ne deviennent pas des trous noirs, mais participent à la mise en place d'une offre globale harmonieuse sur le territoire ?
Il faut réduire le nombre de diplômes : en quoi le passage de l'habilitation à l'accréditation y contribuera-t-il ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le système d'accréditation ? Prenant l'exemple des ÉSPÉ, on nous avait renvoyé à votre texte... qui se sert de ce qui va s'y passer, alors que les remontées du terrain ne sont pas bonnes. Qui va participer à la délivrance des diplômes ? Des établissements privés seront-ils habilités à le faire ?
Les quotas ne suffisent pas pour atteindre l'objectif de progression significative des bacheliers pro et techno vers le supérieur, sans se préoccuper de la situation.
Enfin, l'article 43 ter organise une grande flexibilité dans les statuts des enseignants-chercheurs, qui pourront passer indifféremment d'un statut d'enseignement à un statut de recherche. Ce grand flou est extrêmement dangereux.
Une remarque tout d'abord : les sénatrices prennent aujourd'hui une part considérable à nos travaux puisque les deux rapporteures sont des sénatrices, dans une commission placée sous la présidence d'une sénatrice, sur un projet de loi présenté par une ministre.
La commission pourrait se pencher sur le quota qui pourrait être réservé aux sénateurs pour exercer les quelques fonctions qui leur restent encore.
Vous pouvez observer que j'ai veillé à ce que la répartition par sexe des intervenants soit strictement paritaire !
J'allais ajouter que cela ne me posait aucun problème. Sur le fond, la loi va succéder à une loi que le groupe UMP tient pour importante : nous y sommes donc très attentifs.
Je voudrais marquer au moins un point d'accord avec vous, madame la ministre. L'on parle trop de la francophonie, dites-vous. Oui, mais pourquoi avez-vous introduit la question du régime linguistique à l'article 2 alors qu'il ne s'agit pas d'un dispositif essentiel du projet de loi ? Beaucoup de points font consensus, à commencer par la nécessité pour les étudiants français d'avoir une bonne connaissance des langues étrangères, de l'anglais - cela relève plutôt de la loi Peillon. Je ne suis pas choqué par le fait que des étudiants étrangers non francophones puissent suivre des cours dans une langue autre que la nôtre. Il faut répondre à cette demande pour rester présents sur le marché mondial de l'enseignement supérieur, même si nombre de ces étudiants s'attendent à des cours en français.
Notre inquiétude tient à ce que l'offre de cours en anglais est faite par des grandes écoles, à destination non pas d'étudiants non francophones mais d'élèves français. De manière ponctuelle, pourquoi pas ? Mais faire en anglais l'intégralité des cours dans nos écoles les plus réputées porterait un tort énorme au français, qui ne serait plus une langue internationale, mais la langue du foyer, du coeur : c'est ce qu'ont choisi de faire les Finlandais, les Suédois ou les Néerlandais.
Je ne m'étais pas exprimé jusqu'ici. Je crois qu'il faut mettre en place des garde-fous. Ceux qui violent la loi depuis des années peuvent-ils invoquer leur propre turpitude ? Ceux qui n'ont pas respecté la loi Toubon ne respecteront pas la vôtre. Soyons prudents : nous vous proposerons quelques compléments, afin que notre enseignement supérieur soit performant, et que la langue française soit présente dans le monde - deux objectifs nullement contradictoires.
Je pense comme vous que les personnalités extérieures des conseils d'administration doivent voter. Je partage entièrement votre désir d'ouvrir notre enseignement à l'international. Sur la lutte contre l'échec en premier cycle, cessons de nous payer de mots : le baccalauréat ne suffit pas pour réussir dans n'importe quelle filière de l'enseignement supérieur. Au nom du refus de la sélection, nous avons conduit au massacre des étudiants qui ont voulu s'inscrire dans l'enseignement supérieur avec un bac pro. Un temps « le bac -3/bac +3 », très bien ; encore faut-il que le baccalauréat soit un peu revu, et que vous vous en occupiez davantage. J'ai fait un rapport sur le sujet il y a quelques années : alors qu'il est le premier grade universitaire, il est entièrement géré par l'enseignement secondaire. Beaucoup d'universités ont même du mal à trouver un professeur pour présider le jury...
L'enseignement supérieur doit se préoccuper du baccalauréat, qui est un temps fort du « le bac -3/bac +3 ». Évitons les mauvaises orientations.
Je note avec satisfaction la volonté de préciser les modalités de création des communautés d'universités. Ne craignons pas les mots de fédéralisme ou de confédéralisme, même si certains syndicats les rejettent : c'est la représentation nationale qui fait la loi.
J'approuve votre attachement à l'apprentissage en alternance, mais soyons précis : il faut distinguer les masters de recherche, dont le nombre est sans doute excessif, des masters pro, dont nous manquons. Les universités n'opèrent pas les arbitrages nécessaires. Un bon master pro requiert des moyens qu'elles n'ont pas, et les universitaires ne savent pas solliciter les entreprises : ils font appel à des contractuels rémunérés 33 euros de l'heure, qui restent un an et qu'il faut remplacer ensuite. L'équivalence entre les deux masters devrait dispenser les titulaires d'un master pro de rédiger un mémoire en sus des rapports de stage et des cours.
Pourquoi limiter les transferts aux PME-PMI ou aux collectivités territoriales ? L'on pense bien sûr aux travaux de Sébastian Roché sur la vidéosurveillance. Cependant, l'une des fonctions de l'université est de servir le citoyen, et non uniquement l'appareil productif. De nombreuses associations, fondations, groupes, organisations non gouvernementales auraient besoin de créer de l'expertise, qui nous éviterait d'avoir régulièrement à demander à l'État des rapports. Des universitaires ont envie de réaliser ce travail, sur une base contractuelle. Cela contrebalancerait la dimension purement économique des transferts que vous envisagez.
À côté des regroupements par logique de territoires que vous évoquez, il y a aussi la logique d'intérêt scientifique : l'Institut européen de la mer est un europole qui travaille avec plusieurs pays et différentes structures, allant de l'entreprise à l'université. Quelles seront les modalités d'accréditation ? Je conclurai en mettant fin à un insoutenable suspense : le groupe socialiste se prononcera en faveur de l'adoption du projet de loi.
Les ruraux sont plus fragiles en temps de crise. Que vous parliez de logique de territoire me va très bien ; en revanche, nous tremblons lorsque vous évoquez les regroupements. L'enseignement supérieur est une composante de l'égalité des chances et des territoires, chère à notre Président de la République, puisqu'il y a consacré un ministère. Vous qui connaissez l'hyper-ruralité, rassurez-moi : cette loi est-elle bonne pour nous ?
Le groupe UMP craignait une gouvernance bicéphale, avec un président du conseil académique qui serait un président bis ; vous nous avez rassurés, en affirmant que ce président pourrait être le président du conseil d'administration ; des dissensions pourraient toutefois nuire aux choix stratégiques de l'université.
La suppression des Pres risque de mener à des regroupements forcés, au mépris de l'autonomie et du rayonnement des établissements. Le souhaitable regroupement des universités doit reposer sur des projets communs et des compétences partagées, non sur une logique technocratique. Au lieu de supprimer l'AERES, qui a prouvé sa capacité à évoluer, il aurait fallu la réformer et conserver sa bonne notoriété internationale. Enfin, tandis que le texte ne dit rien des moyens, la recentralisation de l'enseignement supérieur donne des gages aux corporatismes.
Nous avons les mêmes. Les établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche de dimension nationale qui ont plusieurs implantations régionales ne pourront pas intégrer les futures communautés d'universités, leur rattachement à une seule université étant contraire à leur nature. Comment faire ?
Le statut juridique d'établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel est le plus souple : il préserve l'autonomie. La logique académique peut se coordonner avec une logique scientifique de réseau. On a voulu, il y a quelques années intégrer à Paris un laboratoire de pointe consacré au cerveau situé à Poitiers. Il est pourtant essentiel de reconnaître des sites d'excellence qui tirent le territoire vers le haut. Quant aux sites périphériques et ruraux, ils ont fait l'objet d'une grande discussion, avec un groupe de députés, qui ont introduit une formulation nouvelle à l'article 38 : « sur la base d'un projet partagé ».
Nous demandons aux IUT d'accueillir les jeunes formés pour les intégrer - une variation de flux de 10 % à 15 % ne compromettra pas la qualité de la filière. Les COM sont un moyen d'intégrer davantage dans le schéma global de l'université les IUT qui se sentent mal aimés depuis le passage à la LRU. Ils se sont repliés sur eux-mêmes, ce qui n'est pas bon : il faut que des passerelles avec l'université et les entreprises fonctionnent.
Quand l'on constate que cela ne marche pas, vient un moment où il faut prendre le risque de changer, quitte à évaluer puis à évoluer. Nous avons choisi les meilleurs moyens pour atteindre nos objectifs. Un dialogue entre le recteur, les proviseurs, les responsables des sections STS définira des quotas ; les présidents d'université et les directeurs d'IUT détermineront des quotas différenciés sur le territoire : à Montluçon 84 % des élèves d'IUT ont un bac techno, en région parisienne plusieurs ont des bac S avec mention bien... L'autonomie, c'est la responsabilisation des acteurs, les contrats de sites l'illustrent bien. C'est ainsi que font les pays qui se développent.
Notre objectif est un doublement de l'alternance.
Elle représente 8 % dans l'enseignement supérieur, et 4 % à l'université. À Marne-la-Vallée, 27 % des étudiants sont en alternance. Un dialogue constructif fera tomber les barrières entre entreprises et universités. La revalorisation des filières professionnelles et technologiques mettrait fin à la différenciation entre master pro et master de recherche, cette exception française... Nous sommes prêts à y travailler avec vous, monsieur Gattolin.
Nous avons intégré la formation tout au long de la vie aux missions de l'université. Il est sidérant que la formation professionnelle des médecins soit confiée à des laboratoires privés plutôt qu'à des universités. Celles-ci doivent proposer leur offre. Cela peut être une source de recettes : la formation professionnelle représente 34 milliards d'euros, dont une partie pourrait être consacrée à des formations sérieuses à l'université.
C'est le ministère de la culture qui a la tutelle sur les écoles d'architecture. Aurélie Filippetti est prête à la cotutelle, il reste à convaincre les écoles : la semaine dernière, deux directeurs ont marqué par leur absence à Villefontaine leur désaccord avec une absorption par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Mieux vaut agit progressivement et avec doigté.
Nous avons intégré des amendements sur la finalité citoyenne. Je suis prête à définir le transfert de manière plus large. Nous intègrerons le co-fédéralisme et le fédéralisme.
La déclaration de Mme Mélot montre que je ne l'ai pas convaincue. Nous serions à la fois jacobins et girondins. Oui, nous prenons le meilleur des deux attitudes, sans dogmatisme.
Je l'espère, car sur ces sujets d'intérêt général, nous devons donner des signes aux jeunes : 25 % d'entre eux sont au chômage chez nous, contre 5 % en Suisse, 8 % en Allemagne, mais 50 % en Espagne et 65 % en Grèce. Si nous ne voulons pas d'une génération perdue, nous avons une responsabilité collective. C'est pourquoi nous mettons l'accent sur la réussite en licence, car l'avenir se joue là, ainsi que dans « le bac -3/bac +3 ».
Nous travaillons au contenu des ÉSPÉ. Je suis moins pessimiste que Brigitte Gonthier-Maurin : les maquettes sont remontées, à l'exception de celle d'Antilles-Guyane en raison d'un changement de président d'université, et pour les deux tiers, sont satisfaisantes. Nous réalisons un équilibre entre la formation disciplinaire et la formation professionnalisante, avec un élargissement de celle-ci au fur et à mesure de l'avancement. Nous ne lâchons plus les jeunes dans des classes multi-niveau en milieu rural ou dans des quartiers difficiles. Ils ont besoin d'être tutorés, par un enseignant expérimenté : ce sera le cas, car dans ces classes, tout compte.
Je viens de recevoir des personnes s'occupant des parcours culturels et artistiques. Dans la loi Peillon, nous avons voté une mesure en faveur d'une formation des futurs enseignants à cette dimension. Celle-ci n'est pas adoptée encore ; les maquettes ne peuvent donc tenir compte de ces nouveaux contenus. Vous aurez à réaliser des ajustements, et sans doute à prendre des circulaires avec Aurélie Filippetti et Vincent Peillon.
Nous menons un travail commun sur les ÉSPÉ. Daniel Filâtre - encore un Toulousain ! - est chargé de définir le contenu des maquettes avec les services ; la coopération a bien fonctionné avec Vincent Peillon. Les ÉSPÉ ne seront pas des succédanés des IUFM : nous les voulons ancrés dans l'université, échangeant avec la recherche. La formation est véritablement nouvelle, à la fois disciplinaire et professionnalisante.
Un amendement à l'article 38 a prévu une dérogation au principe d'appartenance à une seule communauté d'universités et d'établissements pour les établissements nationaux ayant plusieurs implantations sur le territoire.