Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’apporter ma contribution au débat qui nous réunit ce soir, je voudrais souligner combien je suis heureux que cette séance nous permette de faire vivre dans notre hémicycle le rapport adopté le 2 avril dernier, au terme de six mois d’enquête, par la commission que j’ai eu l’honneur de présider.
Je m’associe évidemment aux hommages rendus par Jacques Mézard à tous les membres de la commission et à nos collègues de l’Assemblée nationale.
Je voudrais retourner son compliment à notre rapporteur et noter que, si mon expérience de médecin a pu être utile à la commission, comme d’ailleurs celle de tous les collègues médecins qui en faisaient partie, il est incontestable que le choix d’un juriste aussi expérimenté comme rapporteur a été extrêmement pertinent.
Comme l’a indiqué Jacques Mézard, cette commission a été conduite à traiter deux thèmes. Le premier est celui de la dérive sectaire dans le domaine de la santé. Le second, auquel je vais consacrer mon propos, a trait aux dérives thérapeutiques liées à certaines pratiques de soins dites « non conventionnelles ».
Je tiens à préciser dès maintenant que le rapport de la commission d’enquête se réfère aux termes de « pratiques non conventionnelles » plutôt qu’aux appellations diverses dont se sont prévalus les tenants de ces médecines « douces », « naturelles », « traditionnelles » ou « alternatives ». La terminologie retenue par le rapport est la seule qui soit juridiquement exacte.
En effet, en droit français, la médecine n’existe pas en soi ; depuis la loi de 1803, elle existe uniquement au travers de la pratique des médecins, celle-ci étant conditionnée à l’obtention d’un doctorat, c’est-à-dire d’un niveau de compétences théoriques et scientifiques.
Ainsi, dans notre droit, la médecine est la science appliquée par les médecins. Nul autre ne peut se prévaloir de ce terme !
Or, comme l’ensemble de mes collègues de la commission d’enquête, j’ai pu voir sur Internet des publicités pour des écoles de médecine chinoise délivrant un diplôme en quatre ans… Je ne sais pas comment dénommer ces thérapeutes, mais, en tout cas, ce ne sont pas des médecins au sens de la loi française.
D’autres publicités proposent des formations de quelques semaines à la « chirurgie immatérielle » : vous l’aurez compris, ces diplômés ne sont pas des chirurgiens !
Au début des travaux de la commission d’enquête, le thème de l’engouement des Français pour les pratiques non conventionnelles était d’actualité. Diverses publications nous avaient alertés sur l’attraction très forte exercée par ces pratiques, qu’il s’agisse de soins à base de plantes, de massages, de diverses pratiques hygiénistes ou des disciplines fondées, par exemple, sur le biomagnétisme ou la physique quantique, autant de pratiques pour lesquelles je vous renvoie au rapport. Je ne parle même pas de certaines techniques de psychothérapie au sujet desquelles nous avons été alertés à plusieurs reprises au cours des auditions. À elles seules, ces techniques auraient pu justifier une commission d’enquête !
Ces pratiques non conventionnelles concerneraient aujourd’hui près d’un Français sur deux.
Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’engouement qu’elles suscitent n’est pas un phénomène récent. Déjà, dans les années cinquante, puis à nouveau dans les années quatre-vingt, le succès de ces pratiques avait été relevé et des publications officielles leur avaient été consacrées. Toutefois, depuis les années quatre-vingt, le nombre de personnes y ayant recours semble en fait relativement stable.
Pourquoi notre commission s’est-elle intéressée à ces pratiques ?
Celles-ci, il faut le souligner, ne sont pas nécessairement constitutives ni de dérive sectaire ni, d’ailleurs, d’un quelconque danger. L’homéopathie, l’acupuncture ou même l’ostéopathie sont pour certains, y compris probablement dans cet hémicycle, des pratiques courantes, qui ne remettent généralement pas en cause la confiance en la médecine classique. L’exercice de certaines d’entre elles est d’ailleurs réservé à des professionnels de santé.
Le constat n’est pas le même quand, sous couvert de soins non conventionnels, une personne est exposée à l’action de charlatans ou d’escrocs qui, au mieux, n’en auront qu’à son argent et, au pire, exerceront sur elle une influence tellement forte qu’elle pourra la conduire à rejeter les soins classiques, pourtant seuls efficaces face à de nombreuses pathologies.
Je repense, en vous parlant, à ces bouleversants témoignages que nous avons reçus de proches de malades du cancer qui avaient été bernés par les promesses de miracles grâce à des traitements au jus de citron, au bicarbonate de soude ou encore aux lavements de café bio.
Il arrive – nous en avons eu des témoignages – que ces soins douteux et les dérives qui les accompagnent soient le fait de médecins et d’autres professionnels de santé : infirmiers, kinésithérapeutes, sages-femmes ; cela m’a personnellement beaucoup troublé. Je reviendrai sur le sujet en abordant les propositions de la commission.
Mais nous avions une deuxième raison de nous intéresser à ces pratiques : ceux qui les défendent ont, en règle générale, un discours très hostile à la médecine.
La commission a jugé la situation d’autant plus alarmante que le discours souvent violemment anti-médical des partisans de ces pratiques non conventionnelles rejoint une contestation de la médecine très largement présente dans l’opinion. Cette contestation trouve un véritable écho sur Internet, à travers des blogs, des forums et les sites de nombreuses associations. Je vous renvoie notamment à tout ce qui, dans le rapport, rend compte de la réalité de la propagande anti-vaccinale.
C’est un fait, le discours anti-médical de certains partisans de ces pratiques coïncide aujourd’hui avec une inquiétude très vive dans la population et un climat particulièrement anxiogène qu’ont amplifiés, de manière d’ailleurs compréhensible, de récents scandales.
Ce qui est grave, c’est que ce discours anti-médical en conduit certains à oublier les très importants progrès de la médecine et l’augmentation considérable de l’espérance de vie qui en a résulté.
La commission s’est notamment inquiétée du caractère très inégal du combat opposant la médecine aux soins non conventionnels.
Première inégalité : les pratiques non conventionnelles seraient dépourvues d’effets secondaires, alors que de nombreux dangers guetteraient ceux qui s’en remettent à la médecine classique.
Cette prétendue innocuité des pratiques non conventionnelles est un leurre, qu’il s’agisse des médicaments à base de plantes ou des manipulations manuelles. En elles-mêmes ou combinées à un traitement médical, ces pratiques peuvent être la source de problèmes graves, voire mortels, pour les malades. Ceux-ci en sont-ils informés ? Nous en doutons.
En revanche, toute défaillance de la médecine est abondamment relayée par les médias, ce qui paraît au demeurant souhaitable pour l’information des citoyens.
La deuxième inégalité tient aux contraintes imposées aux professionnels de santé en regard de l’absence de contrôle propre aux praticiens de techniques non conventionnelles. Les uns sont soumis à des règles déontologiques et de responsabilité juridique très strictes et ils doivent respecter des procédures administratives complexes. À l’opposé, des thérapeutes animent des sites Internet sur lesquels ils font de la publicité et promettent des miracles, évidemment jamais réalisés, sans, apparemment, encourir de sanction.
Troisième inégalité : des niveaux d’exigence très différents entre la médecine traditionnelle et les pratiques non conventionnelles.
Les professionnels de santé sont astreints à de très longues études très sélectives ; les autres sont, dans certains cas, formés au cours de stages dont la durée varie de quelques heures à quelques semaines. Là où tout nouveau traitement médical relève d’une évaluation scientifique très rigoureuse, le seul fondement de la prétendue efficacité des pratiques non conventionnelles est la satisfaction des patients ou, devrais-je plutôt dire, des clients ; cela seul permet, aux yeux de leurs défenseurs, de les présenter comme incontestables !
On est là dans le registre de la subjectivité pure, en l’espèce non convaincante : quelqu’un dans cette enceinte s’est-il déjà senti mal après un massage, quel qu’il soit ? À l’inverse, quelqu’un s’est-il déjà senti bien après une séance de chimiothérapie ou de radiothérapie ? Là encore, le combat se fait à armes inégales...
Pourtant, contrairement à ce que prétendent les défenseurs des pratiques non conventionnelles, qui affectent de se proclamer détenteurs d’une vérité refusée par la médecine officielle en l’accusant de motivations idéologiques ou financières, ces pratiques ont bel et bien été déjà évaluées.
Le groupe Cochrane, dont les travaux font autorité dans le monde entier, est une organisation anglaise qui étudie tout ce qui a été publié sur les sujets scientifiques : 598 de ses études portent sur les médecines complémentaires, et elles ne leur ont à ce jour trouvé aucune efficacité supérieure au placébo. La recherche sur ces sujets existe donc ; elle n’est simplement pas concluante.
La commission d’enquête a, dès lors, été particulièrement inquiète de constater que des pratiques non conventionnelles avaient été très largement introduites à l’hôpital. Plus d’une vingtaine de ces pratiques sont aujourd’hui proposées à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l’AP-HP.